OTAN : Origines et mutations
Par Ataulfo Riera le Dimanche, 02 Septembre 2007 PDF Imprimer Envoyer
Les bombardements contre la Serbie en 1999 devaient être - selon la volonté des Américains - les feux d'artifices consacrant définitivement la survie et la nouvelle légitimité de cette Alliance. Créée, selon la propagande officielle, pour "défendre le monde libre face à l'expansionnisme soviétique", l'OTAN a pourtant survécu à la chute du bloc de l'Est et s'est politiquement renforcée depuis 1990. D'une part, elle vient d'intégrer 3 nouveaux pays membres, issus de l'ancien Pacte de Varsovie. Conséquence de cet élargissement; une nouvelle division de l'Europe remplace le "rideau de fer". D'autre part, un nouveau concept stratégique a été adopté pour donner une nouvelle "légitimité" à l'Organisation en élargissant sa sphère d'intervention géographique et en la dotant de nouvelles missions. Le tout dans le cadre d'une mainmise plus totale que jamais de l'impérialisme US...

Le 4 avril 1949, les ministres des affaires étrangères de 12 pays occidentaux signaient le "Traité de l'Atlantique Nord". Cette "Alliance atlantique" est solidement bétonnée le 25 juin 1950 avec la création d'une Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) dont le lourd appareil bureaucratique comprend une direction politique (le Conseil permanent, avec à sa tête un secrétaire général) et une direction militaire (le Comité militaire) dont dépend l'essentiel des forces armées des pays adhérents.

Pour la propagande officielle de l'époque (et d'aujourd'hui encore), dès la fin de la Seconde guerre mondiale, l'URSS voulait imposer sa domination sur la planète entière. Dans la chronologie des faits, on cite pour étayer cette thèse la"soviétisation" des nations de l'Est européen entre 1947 et 1949, puis le Blocus de Berlin (1948-1949) et enfin la Révolution chinoise (1949). Toujours selon la version officielle, ce serait après ces événements que l'Occident réagit et constitue une alliance militaire ouvertement dirigée contre l'URSS pour "endiguer" (et refouler…) son "expansionnisme". La menace était donc extérieure (agression militaire soviétique) et intérieure (la"subversion communiste").

 

Mystification

 

A tous les points de vue, cette version des faits (qui sous-tend toujours la légitimité de l'OTAN) est totalement fausse et tient de la pure propagande.

 

L'URSS, même si la bureaucratie stalinienne l'avait voulu, aurait été incapable de mener à bien une telle domination mondiale. Le peuple soviétique avait fourni le plus lourd tribu à la victoire contre le nazisme et n'aspirait qu'à la paix et à la reconstruction d'un pays ravagé et incapable de fournir plus longtemps un effort de guerre démesuré (1).

 

Politiquement, pour la bureaucratie stalinienne dirigeante, une domination mondiale était un non-sens. La contre-révolution des années'20 et'30 avait en effet installé au pouvoir une bureaucratie dont l'objectif premier était de sauvegarder ses privilèges en maintenant le "statut quo" avec les nations capitalistes. De plus, chaque révolution victorieuse dans un quelconque pays risquait de déstabiliser le pouvoir de cette bureaucratie en URSS même. La domination bureaucratique se fondant à la fois sur la répression et sur l'apathie et la passivité des masses, une révolution victorieuse aurait dangereusement réveillé les ardeurs révolutionnaires des peuples soviétiques.

 

Staline, Gengis Khan rouge?

 

C'est ce qui explique que, comme ce fut le cas lors du Pacte qu'il signa avec Hitler en 1939, Staline fit tout pour maintenir l'alliance nouée dans la guerre avec les nations capitalistes. La "coexistence pacifique" était ainsi appliquée avant la lettre. Un rapide coup d'oeil sur les années 45-47 montre clairement cette volonté de la bureaucratie stalinienne de ne nuire en rien au capitalisme en respectant les engagements pris et en contribuant à étouffer toute révolution. Avec les Accords de Yalta de 1945, les "Alliés" se partagent en effet le monde en "sphères" d'influence bien délimitées. Dans les pays d'Europe occidentale (France, Italie) où des situations pré-révolutionnaires ont lieu à la faveur de la lutte et de la victoire antifascistes, Staline ordonne aux différents partis communistes de s'allier avec "leurs" bourgeoisies pour freiner ce processus.

 

On assista ainsi, de la part des PC de ces pays, au lamentable désarmement de la Résistance, à la reconnaissance de fait du pouvoir d'Etat bourgeois au détriment des organes issus de la Résistance, à la collaboration de classe gouvernementale et à la condamnation des grèves ouvrières au nom de la "reconstruction nationale". En Grèce, Staline ira jusqu'à refuser tout envoi d'armes aux communistes grecs en lutte contre l'armée anglaise puisque ce pays faisait partie de la sphère d'influence britannique telle que définie à Yalta. La Yougoslavie, seul pays où une authentique guerre révolutionnaire antifasciste a été victorieuse, sera "excommuniée" par Staline et considérée comme nation ennemie. Non contente d'avoir accompli une révolution, la Yougoslavie était, par les accords de Yalta, zone d'influence occidentale... Enfin, en Chine, Staline ordonnera à Mao-Tsé-Toung de s'associer au parti nationaliste-bourgeois du Kuomintang, ce que Mao, à la grande fureur de Staline, ne fera pas, assurant ainsi la victoire de la révolution.

 

Les seuls pays où il y eut une "soviétisation" totale imposée (à quelques nuances près) par Moscou furent la Hongrie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Pologne, et une partie de l'Allemagne... autrement dit dans les pays libérés du fascisme par l’Armée rouge et où l’URSS avait obtenu un droit d’influence majeur à Yalta, avec l’accord entier des Occidentaux. Et encore! La mise au pas de ces nations n'eut lieu que graduellement, en réaction à l'attitude délibérément hostile des dirigeants occidentaux.

 

Les véritables origines de la "guerre froide"

 

A la fin de la guerre, les Etats-Unis étaient la seule puissance capitaliste à dimension mondiale. Les trois quarts du capital investi et les deux tiers de la capacité industrielle du monde étaient concentrés aux Etats-Unis. Leurs armées et leurs flottes de guerre stationnaient sur tous les continents et océans du globe. Ils étaient les seuls (jusqu'en 1949) à posséder l'arme atomique dont l'utilisation, à Hiroshima et Nagasaki, n'avait pas eu pour but d'accélérer la défaite du Japon - déjà à genoux et prêt à jeter le gant - mais bien à lancer un signal menaçant à l'URSS.

 

Pour l'impérialisme américain, il fallait donc consolider fermement cette domination nouvellement acquise en détruisant, ou du moins en affaiblissant durablement, le seul adversaire potentiel: l'URSS. La bourgeoisie américaine, renouant avec ses positions traditionnelles d’avant guerre, reprenait ainsi à son compte la volonté des bourgeoisies occidentales des années 1917-1924, à savoir la reconquête des riches terres russes qui avaient été arrachées au marché capitaliste par la Révolution d'Octobre.

 

Une agression directe étant impossible à faire accepter par les opinions publiques occidentales  - l'URSS jouissant d'une estime et d'une sympathie populaires immenses aux lendemains de la défaite nazie -, il fallait agiter par tous les moyens de propagande possibles la "menace rouge" et tenter de provoquer l'adversaire pour qu'il attaque le premier.

 

Dès le 23 avril 1945, l'administration du président Truman, qui succédait au président Roosevelt, s'engagea dans cette voie. En septembre 1945, lors d'une conférence des ministres des Affaires étrangères des pays occidentaux, le président Truman énonça pour la première fois sa fameuse et simpliste "doctrine" selon laquelle le monde était divisé en deux parties irréconciliables (un "mode de vie libre" contre un "mode de vie totalitaire" qui tente d'imposer sa domination). Comme le souligne l'historien David Horowitz, c'était "une idéologie en attente d'un ensemble de faits (et justement les mauvais faits) pour la confirmer" (2).

 

En 1946, le projet d'un "Pacte atlantique" est mis en chantier par les dirigeants américains (3). Le 12 mars, devant l'opinion publique mondiale, Truman développe amplement sa doctrine, qui représente une véritable déclaration de guerre idéologique, en prenant comme prétexte la guerre civile grecque.

 

En juin 1947, enfin, les USA lancent leur Plan Marshall. Sous couvert d'aide économique à la reconstruction d'une industrie européenne détruite par la guerre, l'opération visait surtout à remettre en selle l'économie capitaliste de ces pays afin qu’ils servent de débouchés aux produits et capitaux US et à couper ainsi l'herbe sous le pied à toute révolution sociale  - la crise des années 1945-1947 provoquant de grandes vagues de grève. Faisant d'une pierre deux coups, le Plan Marshall permettait également d'affermir le leadership économique des Etats-Unis face à une Europe renaissant de ses cendres et de déterminer ainsi son évolution politique. A travers les prêts, les crédits et les investissements massifs, les économies de l’Ouest européen sont solidement arrimées à l’Oncle Sam.

 

C'est donc seulement après l'énoncé de la doctrine Truman et le lancement effectif du Plan Marshall que la bureaucratie stalinienne réagit en commençant à mettre en coupe réglée les pays de l'Est européen... La tragi-comédie de la "Guerre froide" était née.

 

Défense du "monde libre"

 

Pendant plus de 40 années, le capitalisme aura fait maintes fois courir le risque d'une destruction physique totale du genre humain. Et ce danger n'est nullement totalement écarté aujourd'hui. Les multiples provocations en vue d'une agression ayant échoué, le capitalisme a finalement imposé à l'URSS une ruineuse course aux armements nucléaires et conventionnels qui, en définitive, fut un des éléments (mais non le seul) de l'effondrement économique du bloc de l'Est.

 

Outre le "boom" économique des années "50-'60, qui a permis des marges de manoeuvre "sociales" importantes, le militarisme, la paranoïa savamment entretenue, la répression contre "l'ennemi intérieur subversif" (la stratégie de la tension) et l'angoisse constante de la destruction nucléaire ont été les éléments utilisés par le capitalisme pour encadrer idéologiquement les masses et "endiguer" tout processus révolutionnaire dans les pays occidentaux au cours de cette période.

 

L'OTAN a joué un rôle clé dans cette politique. Sans craindre la contradiction, l’Organisation allait même intégrer deux pays dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne répondaient en rien au "mode de vie libre et démocratique" dont l'Alliance était censée être "l'épée et le bouclier". La Grèce de la dictature des colonels et la Turquie, dont les régimes furent particulièrement sanglants, adhèrent à l'OTAN en 1952. Rappelons également que, parmi les pays fondateurs figurait déjà le Portugal du dictateur fasciste Salazar et que le régime fasciste de Franco en Espagne ne fut maintenu en vie que grâce à sa position stratégique pour l’Alliance. Profondément non démocratique dans son essence même, l'OTAN allait installer des missiles nucléaires en Europe occidentale au début des années '80 et ce malgré une opposition et des mobilisations de masse sans précédent - les Marches contre les "Euromissiles".

 

Chute du Mur et adaptations

 

Entre 1989 et 1991, avec la chute du Mur de Berlin et la disparition de l'URSS, la survie de l'OTAN pouvait être mise en doute. Ce sentiment était renforcé par l'importante réduction consécutive des effectifs militaires de l'organisation ainsi que de ses dépenses militaires, qui passent de 530 milliards de dollars en 1987 à 394,9 milliards en 1996 - ce qui reste malgré tout considérable. C'était également l'époque où l'on célébrait l'aube d'un "nouvel ordre mondial" qui devait être pacifiquement géré par les Nations Unies.

 

C'était oublier un peu vite le rôle politico-économique de l'Alliance atlantique et sa totale dépendance envers les Etats-Unis. En 1991, après la disparition de l'URSS, le but stratégique de Washington, tant au niveau politique, économique que militaire, est clairement affiché: "Notre objectif est de prévenir la résurgence d'un nouveau rival, que ce soit sur le territoire de l'ex- URSS ou ailleurs (...). Nous devons maintenir les mécanismes conçus pour dissuader des concurrents éventuels d'aspirer à un rôle plus large au plan régional et mondial" (4). Parmi ces "mécanismes" à "maintenir" figure en bonne place l'OTAN, qui permet à la fois aux Etats-Unis de dissuader toute "renaissance de l'impérialisme russe" et de maintenir un moyen de pression et de contrôle envers les "alliés" européens qui, dans le contexte d'une économie mondialisée où règne la plus féroce des concurrences, sont également des adversaires économiques.

 

Pour mener à bien cette réadaptation, les Etats-Unis ont renforcé leur mainmise sur l'OTAN - alors même que leur contribution financière diminue, puisqu'elle ne représente plus que 25 à 30% du budget de l'Organisation. Ils ont d'abord fait échouer toute tentative de faire de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) le "bras armé" effectif de l'Union européenne. En contrepartie,  ils ont fait miroiter aux Européens une "Identité européenne de défense" au sein de l'OTAN. Une opération « poudre au yeux » puisque l'éventuelle possibilité de constituer une force européenne sous drapeau de l'OTAN ne peut se faire qu'avec l'aval – et donc le droit de veto - de Washington. Dans la pratique, les Américains contrôlent toujours étroitement les services de renseignement et les systèmes de communication de l'OTAN, sans lesquels aucune opération militaire n’est possible.

 

Mais surtout, tous les principaux commandements militaires restent aux mains d'officiers américains qui, ont l’a vu au Kosovo, dépendent et rendent compte directement de leurs activités à Washington et au Pentagone plutôt qu'au secrétaire général et au Conseil permanent de l'OTAN. Dans le cas de l'extension géographique, même si une majorité de membres de l'Organisation soutenait la candidature de la Roumanie, les Etats-Unis ont imposé définitivement leur refus de ce candidat.

 

Cette mainmise sur l'OTAN participe à une stratégie de domination globale de la part de l'impérialisme US: il s'agit de s'assurer solidement le contrôle (ou la neutralisation, dans le cas de l'ONU) de tous les organismes internationaux. Le leadership des Etats-Unis est ainsi aujourd'hui incontesté au FMI, à la Banque Mondiale, à l'Organisation Mondiale du Commerce et au G8. Grâce à cela, les Etats-Unis, seule puissance mondiale, " entendent définir seuls et sans concertation réelle (...) les règles à suivre au niveau mondial" (5)

 

C'est donc en position de force que les Etats-Unis ont mené ces dernières années, et mènent encore, l'adaptation de l'OTAN dont les objectifs, pour répondre à la stratégie globale de ce pays, impliquaient une extension à l'Est de l'Organisation et l'élargissement de sa sphère d'intervention géographique et de son panel de missions.

 

L'extension à l'Est

 

Décidées au Sommet de Madrid en juillet 1997 et officialisées en mars 1999 (dans un lieu hautement symbolique: la Bibliothèque Truman dans la ville d'Indépendance!), les adhésions de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Pologne à l'OTAN marquent une étape importante dans l'évolution de l'OTAN. Ces adhésions ne sont nullement légitimées par des menaces immédiates pesant sur ces pays. L'intégration de ces 3 pays issus de l’ancien bloc de l'Est permet d'affaiblir à long terme toute velléité russe de restaurer une "sphère d'influence" concurrente dans la région. Mais surtout, en menant sous la houlette de l'OTAN cet "arrimage à l'Ouest", les Etats-Unis coupent l’herbe sous les pieds de l’Union Européenne. Ils entendent accompagner à eux seuls le processus de restauration capitaliste en cours dans ces pays.

 

Les déclarations des dirigeants américains ou otaniens sont limpides sur ce sujet. Robert Hunter, représentant permanent des Etats-Unis à l'OTAN déclarait en 1996 que "le nouveau défi de l'après-guerre froide est de permettre aux pays qui ont souffert sous le communisme et le pouvoir soviétique, de prendre la place qui leur revient à l'Ouest (...). La théorie est simple et dérive de celle de la création du Plan Marshall et de l'OTAN, il y a deux générations. Le Programme de relance européen fut conçu (l'aveu est de taille, NDLR) pour aider les pays à résister aux menaces du communisme (...). ».

 

Madeleine Albright a expliqué que "L'extension est motivée par l'impératif de créer une Europe intégrée" (7). Le secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, a quant à lui affirmé que "L'OTAN (...) est devenue un instrument actif de l'évolution politique en Europe "(8). "L'Europe intégrée" dont parle Albright est bien entendu une Europe capitaliste et néo-libérale. Parmi les critères retenus pour l'adhésion figurent ainsi les progrès en matière de "démocratie", de stabilité avec les pays voisins mais surtout de libéralisation de leur économie...

 

Un marché juteux

 

Autre avantage de l'extension pour les Etats-Unis: la création de vastes débouchés pour leurs industries d'armements. En effet, en intégrant l'Alliance, la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie doivent moderniser leurs armées et les adapter aux normes de l'OTAN. Ces pays devront donc acheter en grande quantité du nouveau matériel militaire. Dans ce marché, les industries d’armements US sont en position de force par rapport à la concurrence européenne. Non seulement pour des raisons politiques (ce sont les Etats-Unis qui ont forcé la décision de leur adhésion) mais également parce que, dès la fin de la Guerre froide, les industries américaines se sont restructurées à coups de fusions - les industries européennes entament seulement aujourd'hui ce processus - et dominent, notamment du point de vue technologique, le marché mondial de l’armement. L'un des critères décisifs du choix des trois pays de l'Est à l'adhésion fut d’ailleurs que ces pays sont des clients "solvables".

 

Moyennant un renforcement de l'austérité, ils doivent consacrer au moins 3% de leur PIB à l'effort de défense. Le coût social de cet accroissement du  budget militaire  (alors que, paradoxalement, les budgets occidentaux ont diminués) sera important puisque la Pologne consacre actuellement 2,5% de son PIB à la défense, la Hongrie 1,4 et la Tchéquie 1,7% (9). On comprend pourquoi ces gouvernements n'ont pas mené de réelles consultations démocratiques pour leur adhésion (10).

 

Par ailleurs, le coût total de l'intégration est colossal et frise "l'arnaque". Il est estimé entre 25 et 50 milliards de dollars, étalés sur 10 ans. Les Etats-Unis supporteront seulement 10 à 15% de cette somme, le reste étant à la charge des autres pays membres et des pays adhérents. Bref, "qui décide ne paye pas forcément"!

 

Le Rideau d'Or: un Yalta bis?

 

En intégrant d'une part des nations de l'Est européen relativement stables au point de vue géopolitique et économiquement capables de s'harmoniser au moule néo-libéral dominant, et en rejetant d'autre part une série de nations qui ne se conforment pas à ces critères, l’OTAN créé ainsi une nouvelle division de l'Europe. Cette division ne s'opère plus seulement selon un axe Est-Ouest (qui demeure mais est reporté plus à l'Est), mais également, dans la partie orientale du continent, un axe Nord-Sud.

 

Cet axe comprend d'un côté les nations "d'élite" dignes d'être membre du club, puis des pays comme la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie qui constituent désormais une "zone grise" ou "tampon" avec l'instable et économiquement arriérée région des Balkans (Albanie, Kosovo, Macédoine, Bosnie, Croatie). A la place du rideau de fer, c'est un rideau d'or qui s'abat sur l'Europe. A la place d'une division "idéologique" du continent, c'est une division économique qui s'installe (10).

 

Le nouveau concept stratégique

 

Au lieu de se concentrer sur une seule tâche, comme elles le faisaient par le passé, les institutions (de l'OTAN) doivent devenir des instruments polyvalents. Au lieu d'avoir un caractère restreint et défensif, elles doivent se tourner vers l'extérieur et adopter une attitude proactive" (12). C'est ainsi que le secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, décrit les principes du nouveau concept stratégique.

 

Outre sa fonction de relégitimer l'OTAN, le but du nouveau concept stratégique est de permettre à l'Alliance atlantique d'intervenir hors de la zone géographique délimitée par son traité fondateur et de mener des missions de "maintien de la paix" et de "gestion de crise" (au sens le plus large) partout où elle l'estimera nécessaire. Et ce sans mandat des Nations Unies. Si, pour l'OTAN, un mandat de l'ONU ne doit pas être considéré comme nécessaire pour intervenir, à l'inverse, l'OTAN insiste également sur son autonomie de décision ; elle examinera au cas par cas les demandes formulées par l'ONU alors que, théoriquement, selon les règles du droit international, l'OTAN est subordonnée aux Nations Unies.

 

A travers cette importante modification qualitative du rôle de l'OTAN, les Etats-Unis veulent en faire la seule structure militaire efficace, non seulement pour intervenir en Europe, mais également dans les "zones sensibles" avoisinantes: Proche-Orient, Moyen-Orient, Asie Centrale et Extrême Orient. Toutes ces régions sont riches en sources d'énergie vitales pour l'approvisionnement de l'Occident et des Etats-Unis en particulier. D'où toute l'importance qu'accorde ce pays à une pacification des Balkans qui sont sur la route de ces trois zones.

 

Au cours des années 92-96, l'ONU s'est complètement discréditée par les échecs de ses opérations de "maintien de la paix" (Somalie, Bosnie). Ce discrédit ne tombe pas entièrement du ciel. Les Etats-Unis. Après avoir organisé la paralysie des Nations Unies et profité des divisions des Européens, les Etats-Unis parvinrent avec les accords de Dayton sur l'ex Yougoslavie de 1995 à consacrer OTAN dans un nouveau type d'opération. Mais il s'agissait encore d'une mission sous mandat de l'ONU. Ce qui n'est pas le cas avec l'ultimatum lancé par l'OTAN à Milosevic le 13 octobre 1998 et l'agression armée (qui viole toutes les règles des relations internationales entre Etats bourgeois (13)) contre la Serbie.

 

Pour les Etats-Unis (et cela explique, entre autre, l'importance de leur engagement) cette guerre est un test grandeur nature dont les victimes sont les peuples serbes et kosovars: il s'agit de démontrer l'efficacité de l'OTAN dans ce genre de mission et ce à quelques semaines du Sommet de l'Alliance où devait être adopté le nouveau concept stratégique.

 

Contre le militarisme et l'impérialisme: ni Otan, ni UEO!

 

L'OTAN, on le voit concrètement aujourd'hui, constitue une menace pour la paix. C'est un instrument de domination impérialiste profondément non démocratique et hors de tout contrôle des institutions parlementaires des pays membres. Pas de réforme de l'OTAN donc, mais dissolution pure et simple de ce « machin » coûteux et dangereux.

 

Revendiquer, comme le font la plupart des Partis Socialistes, et y compris certains Partis Communistes d'Europe et quelques partis écologistes, la construction d'une "Sécurité européenne" qui serait incarnée par l'UEO est une profonde erreur. En quoi l’impérialisme et le militarisme européens sont-ils plus acceptables que ceux d'outre-Atlantique? Il ne faut pas défendre un bloc impérialiste et militariste contre un autre, mais bien mobiliser un vaste mouvement de masse contre l'OTAN, l'UEO et le militarisme en général.

 

La sécurité des nations ne peut être assurée que par des réponses politiques et sociales; elle doit se baser sur la solidarité des peuples, le respect des droits démocratiques les plus larges ainsi que la justice et la satisfaction des besoins sociaux, culturels, etc. Ce que le système actuel est incapable d'assurer, ce pourquoi il maintien et perpétue des instruments aussi nuisibles que l’OTAN.

 

Article paru dans La Gauche n°7, 9 avril 1999

 

Notes:

(1) 15 à 20 millions de Soviétiques sont morts entre 1941 et 1945. Les armées nazies avaient détruit totalement ou partiellement 15 grandes agglomérations, 1.710 villes, 70.000 villages, 31.850 usines, 90.000 ponts, 10.000 centrales électriques, etc. A quoi il faut rajouter un pillage à grande échelle: des milliers de machines, des millions de bêtes d'élevages et des millions de tonnes de matières premières et agricoles.

'2) D. Horowitz, De Yalta au Vietnam, éd. UGE coll. 10/ 18 1973.

(3) A. Fontaine, "Aux origines de l'OTAN", Le Monde. 28-29 mars 1999.

(4) Document du Pentagone cité par J. Salvan, La Paix et la Guerre, éd. Critérion, 1992.

(5) P. Boniface, "Inquiétant unilatéralisme américain ", Le Matin, 26/03/99.

(6) R. Hunter, "L'OTAN au-delà de la Guerre froide". Géopolitique n° 55, Automne 1996.

(7) Cité par J. Verstappen, "L'OTAN n'a pas enterré la Guerre froide", Avancées, septembre 1997.

(8) J. Solana, "L'OTAN a 50 ans. Bilan et perspectives d'avenir". Revue Internationale et stratégique, n°32,Hiver 1998-1999, éd. Iris/Arléa.

(9) J.-L. Michel, "La nouvelle OTAN, instrument de la Pax americana", Inprecor, n°417, octobre 1997. 

(10) Un sondage a démontré que plus de la moitié des Tchèques étaient hostiles à l'adhésion à l'OTAN (Le Monde, 10 juillet 1997).

(11) P. Boniface, "OTAN: une alliance de riches". Le Matin

(12) J. Solana, op. cit.

(13) "Une grande fracture en Europe centrale et orientale?". Espace de liberté, n°261, Mai 1998.

(14) Pour l'impérialisme US, désormais puissance unipolaire, s'asseoir sur les règles et le droit international est devenu un sport. Comme le rappelle P. Boniface, les Etats-Unis ont bombardé l'Irak sans mandat de l'ONU. Ils refusent de signer les traités d'interdiction des mines antipersonnelles et de non-prolifération nucléaire, ils sont les plus mauvais payeurs de l'ONU, ils n'appliquent pas les décisions du Sommet de Rio sur l'environnement, etc. (P. Boniface, op. cit.)

 

 

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