A propos de la grève au TEC Charleroi
Par Guy Van Sinoy le Dimanche, 08 Juin 2008 PDF Imprimer Envoyer
Pour un service maximum dans les transports publics: des bus gratuits et fréquents!
 

Samedi 17 mai 2008 dans la soirée, un violent incident a éclaté à Gilly entre un passager et un conducteur de bus du TEC Charleroi. Le passager aurait sorti un couteau et aurait menacé le conducteur qui aurait désarmé l’assaillant en le plaquant au sol et l’aurait, par la même occasion, sérieusement blessé ([1]). Convoqué à la police pour y être interrogé sur les faits le mercredi 21, le chauffeur n’en est pas ressorti. Le procureur du roi de Charleroi l’a placé sous mandat d’arrêt pour coups et blessures. Jeudi matin, les chauffeurs du dépôt Genson ont arrêté le travail pour protester contre l’arrestation de leur collègue. Les travailleurs des autres dépôts de Charleroi on suivi le mouvement.

 

 
Agressivité de plus en plus fréquente

 

De nos jours, dans les grandes villes, les conducteurs de bus et de tram sont fréquemment confrontés à l’attitude agressive de certains passagers: insultes, gestes obscènes, menaces verbales, crachats, coups contre la carrosserie, coups portés au conducteur, vitres brisées à coup de pavés, ... Récemment, à Anderlecht, un cocktail molotov a été jeté sur un bus de la STIB. Les conducteurs du TEC de Charleroi sont donc partis en grève car ils ont le sentiment que c’est vraiment deux poids, deux mesures: lorsque des passagers les agressent, les coupables sont vite libérés et on les retrouve sur la même ligne de bus quelques jours plus tard; alors que leur collègue qui n’a fait que se défendre se retrouve en prison.

 
Que s’est-il réellement passé ? 

 

Une autre version des faits a alors été livrée à la presse par le parquet. Le passager, se déplaçant avec difficulté à l’aide d’une canne, aurait demandé au conducteur de descendre entre deux arrêts, ce que le conducteur n’a pas fait. Une fois descendu à l’arrêt suivant, le passager aurait donné un coup de canne dans le rétroviseur. Le conducteur l’aurait alors pris à la gorge et projeté contre le bus. Le passager aurait ensuite pointé un couteau, et le conducteur aurait violemment frappé le passager (rate perforée, deux vertèbres déplacées). Même si le chauffeur a été agressé, sa riposte apparaît comme disproportionnée et il peut difficilement invoquer la légitime défense.

 
Extension de la grève
 

Quoi qu’il en soit, la mise en détention préventive est une mesure qui ne se justifie que si l’auteur du délit risque de disparaître ou s’il risque de récidiver. La mise sous mandat d’arrêt et l’incarcération du chauffeur ne se justifiait donc pas et doit être vue comme une mesure d’intimidation à l’égard des travailleurs des TEC. Mais pour le procureur du Roi de Charleroi, il est évidemment plus facile d’emprisonner un chauffeur de bus que de mettre sous les verrous la bande qui a braqué le Cora de Châtelineau le 3 mai dernier. Les conducteurs du TEC de Charleroi ont donc voté en assemblée générale la poursuite de la grève jusqu’au mardi 27 mai, date à laquelle le chauffeur arrêté devait passer en chambre du conseil. A Liège, Mons, La Louvière, Verviers, les conducteurs du TEC ont à leur tour débrayé en solidarité avec leur collègue. "Clairement, ce qui s'est passé ici c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.", "Le pire, c'est qu'on ne trouve pas de place en prison pour nos agresseurs, mais pour le collègue de Charleroi bien", entendait-on au dépôt de Liège ([2]).

 
Quand les éboueurs sont en grève…

 

On a alors assisté à un concert de hurlements, de vociférations, de cris et d’insultes à l’égard des travailleurs des TEC qui "une fois de plus, prenaient les passagers en otages et voulaient faire régner la loi du bus" et "portaient, de plus, gravement atteinte à l’indépendance de la Justice". Editorialistes et commentateurs de tous poils se sont déchaînés pour cracher leur bile sur les conducteurs en grève. Évidemment si on est assis devant un clavier d’ordinateur, occupé à stigmatiser les conducteurs du TEC en grève, c’est moins dangereux  que de se trouver derrière le volant d’un bus.

 

Le plus ordurier des commentateurs a probablement été l’écrivain Vincent Engel qui a comparé les grévistes aux mafiosis ([3]). On avait déjà lu cela il y a quelques années à propos des travailleurs de Clabecq. Comme l’écrivait Jacques Prévert : "Quand les éboueurs sont en grève, les orduriers sont déchaînés…"

 
Une Justice indépendante?

 

Beaucoup ont reproché aux grévistes "de ne pas respecter l’indépendance de la Justice". Un tel argument est de la pure hypocrisie! Comme si la Justice était indépendante! Qui nomme le personnel de l’appareil judiciaire, si ce n’est le pouvoir politique? Qui oserait affirmer, par exemple, que la nomination de la sœur de Didier Reynders au poste de procureur du roi à Liège est une décision indépendante de la vie politique? Au nom de la pseudo indépendance de la Justice, faut-il condamner les manifestations de soutien aux prévenus traînés devant les tribunaux? Les sans papiers? Bahar Kymiongur? Les travailleurs de Clabecq? Maria Vindevogel? Les parents de Julie et de Mélissa lors de l’écartement du juge d’instruction Connerotte?

 
Antoine le matamore

 

André Antoine, ministre des Transports de la Région wallonne, n’a pas pu s’empêcher de jouer au matamore en menaçant les travailleurs en grève d’instaurer un service minimum. Il a même annoncé sur antenne le licenciement du chauffeur arrêté, comme s’il était compétent pour prendre une telle décision. Le plus cocasse est qu’il s’en est pris aux responsables syndicaux, qui s’évertuaient en vain de faire reprendre le travail, en leur reprochant de payer les indemnités de grève et les menaçant de couper les crédits d’heures pour les formations syndicales. Au lieu de taper sur les grévistes, le matamore des Transports de la Région wallonne, s’en est pris aux pompiers de la lutte de classes. Aucun patron quelque peu sensé n’aurait commis une telle bévue! Il est vrai que les élections régionales ne sont plus très loin, et pour André Antoine, un peu de pub électorale sur le compte des grévistes est toujours bon à prendre et ne coûte pas très cher.

 
Assemblées générales

 

La décision de partir en grève, de la suspendre ou de l’arrêter n’appartient ni à André Antoine, ni à la direction du TEC, ni aux permanents syndicaux, mais aux travailleurs réunis en assemblée générale. A plusieurs reprises, les conducteurs de différents dépôts ont tenu des assemblées de discussion avec un vote démocratique sur la poursuite de la grève. C’est un élément important de démocratie ouvrière dont on n’a pas assez souligné l’importance dans la grève du TEC et dont devraient s’en doute s’inspirer de nombreuses délégations syndicales dans le pays.

 

Chez nos voisins Français, les assemblées générales avec vote reconductible de la grève sont monnaie courante. Elles constituent un outil important, non seulement pour contre-balancer le poids de la bureaucratie syndicale, mais aussi  pour unir l’ensemble des travailleurs au-delà des frontières syndicales, et enfin pour permettre la prise de décisions de façon démocratique.

 
Qui est pris en otage?
 

D’un côté, les conducteurs de bus sont unanimes pour souligner que les incidents avec les passagers ont été multipliées avec la montée à l’avant. Dorénavant, le chauffeur ne doit plus seulement conduire le bus, mais il doit aussi contrôler les billets ([4]). "Nous sommes censés contrôler les usagers", entendait-on au piquet de grève, "mais quand on le fait, beaucoup de gens s'énervent, alors souvent, on n'ose même plus regarder". "Et nous ne sommes clairement pas soutenus: si on est agressé, la direction demande de fermer les yeux et les assurances ne suivent plus non plus. Et quand on fait des propositions, on nous dit que les budgets manquent. Savez-vous que la plupart des bus qui roulent sont non conformes, pour les faire passer au contrôle technique, on place des pièces de bus neufs dessus, qu'on enlève une fois le contrôle passé." ([5])

 
Pour un service maximum: des bus gratuits et fréquents!

 

Au moindre arrêt de travail du TEC, le ministre Antoine sort la menace d’instaurer un service minimum. Il faut cependant dire que sur certaines lignes mal desservies, il y a tellement peu de bus que c’est déjà le service minimum en temps normal. Afin, non seulement, d’éviter les incidents entre passagers et conducteurs, mais aussi de manière à permettre à tous de se déplacer, la meilleure piste à suivre est celle qui consiste à assurer un service maximum: des bus gratuits et fréquents. En outre, la gratuité des transports en commun diminuerait le nombre de voitures, rendrait la circulation plus fluide et réduirait les émissions de gaz à effet de serre. Evidemment pour financer une politique de transports publics gratuits, il faut prendre l’argent là où il est: dans les banques, les multinationales et les grandes entreprises. Mais pour faire cela, il faut autrement plus de courage politique que pour cracher son venin contre des conducteurs en grève.



[1] La Libre, 22 mai 2008.

[2] La Libre, 24 mai 2008.

[3] Le Soir, 27 mai 2008.

[4] Pour le même salaire ! Alors qu’avant il y avait dans chaque véhicule un conducteur et un contrôleur.

[5] La Libre, 24 mai 2008.

Voir ci-dessus