Géorgie: patriotes, ossètes et pétrole
Par Freddy De Pauw le Jeudi, 04 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Saakachivili/Poutine: qu'est ce qui leur prend?

La tentation est grande, dans la guerre entre la petite Géorgie et la puissante Russie, de prendre rapidement parti pour le plus faible qui se défend contre la violence de la superpuissance. Mais l'affaire n'est vraiment pas si simple, aussi parce qu'il est difficile de savoir, derrière la guerre des propagandes, ce qui se passe réellement. Le président géorgien Michail Saakachvili porte une lourde responsabilité dans le déclenchement des hostilités.

Il a déchaîné le conflit pour consolider sa position dans son propre pays et pour montrer que son pays est menacé et doit donc devenir rapidement membre de l'OTAN. Qui joue ainsi avec le feu menace toutefois de se brûler gravement soi-même. En même temps, Saakachvili a fourni le prétexte à Moscou de montrer que le cas échéant, il défend aussi ses intérêts par la force des armes.

L'Oncle Sam soutient la "Révolution rose"

Saakachvili est venu au pouvoir fin 2003 par la prétendue "révolution des roses", portée par une grande partie de la population géorgienne qui en avait marre de la corruption et de la fraude sous son prédécesseur Chevarnadze. Mais cette "révolution" était aussi vivement sponsorisée par des cercles américains qui voulaient faire reculer ainsi l'influence de la Russie dans la région du Caucase. Saakachvili a reçu ainsi de ces Américains de l'argent et des conseils pour conquérir le pouvoir.

Il a promis alors qu'il réunifierait le pays et mettrait donc fin à la séparation de trois territoires: l'Adzerbaïdjan à la frontière de la Turquie, l'Abkhazie à la frontière avec la Turquie et l'Ossétie du Sud à la frontière avec la Russie. Il n'a pas eu de problème avec l'Abkhazie, où un leader impopulaire tenait les rênes. Mais il en a eu d'autant plus de problèmes avec les autres territoires, parce que là, la méfiance envers le nationalisme Géorgien est très grande.

Le nationalisme: méfiance

Ce n'est pas par hasard que la Géorgie a été la première république soviétique, des mois avant les autres, à proclamer sa totale indépendance. Le nationalisme géorgien a toujours été très vivant. En pleine période soviétique, en 1978, les Géorgiens ont obtenu, entre autres, avec des protestations massives que le Géorgien reste la langue officielle.

Une autre bombe a explosé à partir de 1988. Dans le territoire autonome d'Abkhazie, partie de la Géorgie, un mouvement s'est déclenché pour se détacher de la Géorgie. Ceci a amené de vives protestations de la Géorgie. Le 9 avril 1989, vingt morts sont tombés sur une place de Tbilissi lorsque les troupes soviétiques ont attaqué un groupe de grévistes de la faim. La protestation Géorgienne n'en est devenue que plus forte et explique le succès des nationalistes Géorgiens qui ont proclamé l'indépendance de la Géorgie aussi rapidement qu'ils l'ont pu.

C'était le Géorgien Staline (dont le père était un Ossète) qui avait inclus l'Abkhazie à la Géorgie en 1931, quoique les habitants auraient préféré se trouver dans la Fédération Russe. Parce qu'en fait, sous l'administration géorgienne, l'Abkhazien a été repoussé et des ethnies géorgiennes sont allées massivement vers ce territoire – d'où depuis lors elles se sont enfuies massivement (à plus de 250.000).

Avec la disparition de l'Union Soviétique, les frontières intérieures sont devenues tout à coup frontières d'état. Aussi les précédentes frontières intérieures qui étaient très arbitraires. Ainsi, en 1964, Nikita Kroutchev avait offert la presqu'île de Crimée à la république d'Ukraine pour célébrer le 300e anniversaire du rattachement de l'Ukraine à la Russie. De ce fait, aujourd'hui, la Crimée est ukrainienne, même si le territoire est surtout habité par des Russes (après qu'en 1944, Staline ait chassé les Criméens-Tartares de ce territoire). Lorsque des frontières intérieures tracées arbitrairement deviennent tout à coup des frontières d'états, il en résulte souvent des conflits – qu'on voie seulement l'ex-Yougoslavie.

Les Ossètes

Les Ossètes de l'Ossétie du Sud (3.900 km², totalement Géorgiens jusqu'au 16e siècle) étaient tout aussi peu heureux de leur affectation à la Géorgie. Les Ossètes sont dans le Caucase un peuple très particulier qui parle une langue persane. Ils forment donc une espèce d'"île" persane dans un territoire où vivent surtout des peuples caucasiens. Au début des années 1920, des nationalistes géorgiens avaient incendié de nombreux villages Ossètes. Le territoire Ossète avait été divisé en une partie du nord jointe à la Fédération de Russie et une du sud, peu peuplée, jointe à la Géorgie.

La peur des Ossètes devant le nationalisme Géorgien est devenue réalité. Fin 1990, le nationaliste Zviad Gamsakourdia a gagné les élections présidentielles avec une grande majorité. Une de ses premières mesures a été la liquidation de la région autonome de l'Ossétie du Sud. La capitale, Tskhinvali, a été coupée du monde et affamée pendant un petit temps durant l'hiver 1990-1991. Des dizaines de milliers d'Ossètes ont fui vers le nord, des dizaines d'après d'autres sources, des centaines – d'Ossètes ont perdu la vie dans des combats. Soutenus par les compatriotes dans le nord et par Moscou, les Ossètes ont pris les armes et proclamé leur indépendance. Mais, avec en arrière-pensée, l'espoir d'une unification avec le l'Ossétie du Nord.

Dans cette région de l'Ossétie du Nord, les dirigeants n'étaient autres que les nationalistes géorgiens. Durant un véritable pogrom en 1992, qui a duré à peine une semaine, ils ont chassé des dizaines de milliers d'Ingouches de l'Ossétie du nord. Des centaines d'Ingouches ont été exécutés, mais il n'y avait pas de caméras dans les environs – et il y avait tant d'autres conflits en cours, de telle sorte que le monde extérieur en a eu à peine conscience.

D'après les Géorgiens, les dirigeants de l'Ossétie du Sud ont surtout fait de leur territoire une route de contrebande très avantageuse et se cramponnent pour cette raison à leur indépendance et à de bonnes relations avec la Russie. C'est peut-être vrai, mais la même chose peut être dite du reste de la Géorgie.

Soutien de l'Occident

Il est donc clair que c'était une illusion de penser que les Ossètes se sentiraient à l'aise en Géorgie. Surtout pas avec un président comme Saakachvili qui déclarait qu'il mettrait fin aux sécessions. Sa popularité en Géorgie était fortement tombée l'année dernière, il y a eu des mouvements de protestation qu'il a fermement réprimés. La résistance à son pouvoir a grandi. Dans l'opposition, il y a bien aussi quelques hommes d'affaire d'alloi très douteux, mais à ce niveau, Sakachvili a aussi un poids sur la conscience.

Ce que font beaucoup de dirigeants lorsqu'ils sont se trouvent dans leurs petits souliers, Saakachvili l'a aussi fait: la fuite en avant sous forme d'une opération militaire. Ce faisant, Saakachvili se savait soutenu par l'Occident. Son prédécesseur, Edouard Tchevarnadze, qui fut jadis le numéro trois dans le système soviétique, ne s'était pas fait de souci non plus à ce sujet et avait conclu un accord de coopération militaire avec les Américains par lequel les militaires Américains étaient venus en Géorgie. Pour prouver qu'il était un bon élève, Saakachvili a envoyé 2.000 militaires en Irak. L'Union Européeenne soutenait aussi Saakachvili, même si beaucoup de dirigeants de l'Europe de 'l'Ouest étaient plutôt prudents cette année et n'ouvraient pas la porte de l'OTAN.

Kosovo: La goutte qui a fait déborder le vase

En attaquant l'Ossétie du Sud, Saakachvili espérait sans aucun doute tourner Moscou en ridicule. Les Russes devaient regarder passivement ou réagir militairement. Dans ce dernier cas, la Géorgie pouvait se glisser dans le rôle de victime pour frapper encore plus fort à la porte de l'Occident. Mais cet Occident, surtout Washington, s'est jusqu'à présent toujours positionné partialement. Il est dès lors aussi très bizarre que le Ministre français des Affaires Etrangères Bernard Kouchner pense qu'il peut jouer les médiateurs au nom de l'UE.

Pour Moscou, et le premier Vladimir Poutine en tête, il y avait en fait trop en jeu pour laisser faire Saakachvili. Moscou est déjà très inquiète depuis des années de l'atteinte à ses positions dans les anciennes républiques soviétiques. Ça n'a pas pu empêcher trois anciennes républiques soviétiques baltes d'entrer à l'Union Européenne et à l'OTAN. Mais lorsque les soi-disant révolutions de velours ont touché encore plus à ses positions en Ukraine et en Géorgie et lorsque les Américains se sont amenés en Pologne et en Tchéquie avec leur bouclier antimissile – la mesure était pleine pour Moscou.

Poutine et Medvedev veulent manifestement mettre les points sur les i, indiquer que pour eux, les limites sont dépassées. Suivant Moscou, cette limite est aussi dépassée avec l'indépendance du Kosovo qui s'est détaché de la Serbie. Pourquoi le Kosovo est-ce permis au Kosovo mais pas à l'Abkhazie et à l'Ossétie du Sud? Cette question, Moscou ne la posera naturellement jamais lorsqu'il s'agit de la Tchetchénie…

Pétrole? Vous avez dit pétrole?

En fait, Moscou était déjà de cet avis en 1994, lorsque le président géorgien Chervarnadze a approuvé le plan BTC. BTC signifie Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Il s'agit d'un pipe-line qui est en activité depuis l'année dernière et qui mène le pétrole de la Mer Caspienne de Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, via la Géorgie jusqu'au port turc de Ceykan.

C'était un projet particulièrement coûteux, mais Washington estimait qu'il en valait la peine. Parce que le BTC est un pipe-line politique, ainsi le pétrole ne doit pas aller via la Russie vers un port Russe, la Russie est contournée! Ce n'est sans doute pas par hasard que la force aérienne russe a exécuté un bombardement dans les environs de ce pipe-line, comme avertissement qu'elle peut contrecarrer l'acheminement du pétrole.

Une partie de ce pétrole est aussi amenée sur les marchés mondiaux via le port géorgien de Supsa. Un nouveau terminal est installé, pendant qu'une nouvelle ligne de chemin de fer se construit à partir de l'Azerbaïdjan via la Géorgie vers la Turquie. La Géorgie joue donc un très grand rôle dans des voies de communications importantes qui laissent la Russie (et l'Iran) sur le côté.

ENCORE DES FOYERS D'INCENDIE

L'Ossétie du Sud est un des nombreux foyers d'incendie dans la région du Caucase. Il y a naturellement encore aussi l'Abkhasie. Mais à la frontière avec la Géorgie, du côté de la Russie, il y a la Tchétchénie où le dirigeant d'une bande dangereuse, Ramzan Kadyrov, est le maître impitoyable, avec la bénédiction du mentor Poutine. Il y a différents foyers d'agitation dans le Daghestan voisin. Les Ossètes et les Ingouches sont tout sauf de bons voisins, prêts à chaque instant à prendre les armes.

Et au sud de la Russie, il y a encore le très dangereux conflit autour du Nagorno Karabach. Des troupes arméniennes occupent déjà depuis quinze ans un cinquième du territoire de l'Azebaïdjan, dont le Nagorno Karabach. La plupart des habitants de ces régions vivent déjà depuis des années comme des réfugiés. Aussi en Azerbaïdjan, il y a un président, Alham Aliev, qui rêve à haute voix de chasser les troupes arméniennes. Il est naturellement exact que la médiation internationale n'a rien résolu dans ces foyers d'incendie, aussi bien en Ossétie du Sud que dans le Nagorno Karabach. Mais pour autant, prendre les armes dans une région où il y a déjà cette poudrière, n'est certainement pas une alternative.

Freddy De Pauw, membre de la LCR belge, est auteur de "Volken zonder vaderland" (Peuples sans patrie), (éd. Davidsfonds), à propos de problèmes ethniques dans l'Europe de l'est et coauteur de "Kruitvat Kaukasus" (Poudrière Kaukasus) (EPO).

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