Georges Debunne: un syndicaliste pour une autre Europe et une alternative politique
Par Ataulfo Riera, Daniel Tanuro, Denis Horman le Lundi, 29 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Georges Debunne est décédé le lundi 22 septembre à l'âge de 90 ans. Ses funérailles ont eu lieu le jeudi 25 septembre, dans un funérarium proche de l'usine VW/Audi de Forest, lieu de tant de combats syndicaux. La LCR s'incline avec respect devant la mémoire d'un homme de conviction qui a consacré ses dernières forces, jusqu'au bout, à la défense des intérêts de la classe ouvrière, en Belgique et en Europe. (photo: Indymedia)

Parcours d'un dirigeant syndical

Georges Debunne a été secrétaire général de la FGTB de 1968 à 1982, autrement dit à une époque charnière de l'histoire récente du mouvement ouvrier; entre les révoltes de Mai 68, l'émergence de la crise capitaliste et la montée en puissance du néolibéralisme au début des années '80.

Dans ce contexte historique, Georges Debunne incarnait à la fois une continuité et une rupture avec le syndicalisme hérité de la Résistance et de la Grande grève de 60-61. Ainsi, à l'occasion du congrès doctrinal de 1971, la FGTB a réaffirmé un programme de réformes de structures du capitalisme belge, pour la démocratie sociale et pour le contrôle ouvrier. Néanmoins, la dimension anticapitaliste du programme adopté aux congrès de 1954 et 1956, basé sur la nationalisation de l’énergie et des secteurs clés, était abandonnée au profit d'une orientation que notre courant a qualifiée de « réformisme oppositionnel ».

Par la suite, plutôt que de revendiquer la nationalisation des « holdings financiers » (à commencer par la Société Générale), Georges Debunne fit adopter par la FGTB l’exigence de création d’un « holding public aussi puissant que la Générale », et qui devait donc co-exister avec celle-ci. Notre courant critiqua cette orientation par le biais d’une brochure « Réponse à Debunne », qui donna lieu à un débat public. Quant au contrôle ouvrier, Debunne le concevait dans le cadre de la politique de concertation sociale davantage que comme un instrument de démocratie ouvrière indépendant.

Les mérites et les faiblesses du réformisme oppositionnel de Debunne sont clairement apparus lorsque la classe dominante lança le début de la grande offensive d’austérité qui allait s’étaler de 1975-77 à 1987. D’une part, on ne peut nier que la FGTB, sous la houlette de Debunne, a joué un rôle positif pour unifier et organiser l’importante résistance ouvrière à cette époque, notamment lors des « grèves des vendredis » contre la manipulation de l’index par le gouvernement Tindemans, en 1977. D’autre part, il est indéniable que la direction du syndicat socialiste a reculé au moment décisif. En effet, lorsque le gouvernement de droite Martens-Gol coupla les trois « sauts d’index » imposés aux travailleurs à une dévaluation du franc belge, Debunne, dont les troupes mobilisées et préparées attendaient un mot d’ordre de combat, sema le désarroi en affirmant que la situation avait changé et qu’il fallait désormais « réussir la dévaluation ».

Tout en se démarquant du syndicalisme de combat anticapitaliste, Debunne a su reconnaître l'importance de luttes ouvrières offensives, menées par des syndicalistes de combat. Ainsi, en 1975, confrontés à la fermeture de leur entreprise, les travailleurs de Glaverbel-Gilly arrachaient des accords qualifiés d'«historiques» pour le mouvement ouvrier en Belgique; après un mois et demi de grève avec occupation, les verriers imposaient à la multinationale BSN de nouveaux investissements et la reconversion des travailleurs excédentaires, avec le maintien intégral de leur salaire dans l'attente des emplois nouveaux promis.

Debunne a tenu à féliciter personnellement les deux principaux protagonistes de cette lutte, dont notre camarade André Henry, à l'époque délégué principal FGTB de l'entreprise. Dans une lettre datée de février 1975, il leur écrivait que « cet épilogue heureux a été assuré par la combativité et la solidarité manifestées par tous les travailleurs (...). Je m'en voudrais néanmoins de ne pas vous réserver à tous deux mes félicitations particulières pour le rôle essentiel que vous avez assumé et pour l'attitude constructive qui n'a cessé d'être la vôtre. Vous avez fait honneur à vos responsabilités et à la FGTB. Personnellement et au nom de la FGTB Nationale, je vous remercie et vous félicite chaleureusement. »

Mia De Vits a récemment déclaré que Georges Debunne était « un syndicaliste combatif, qui mettait en avant l'intérêt du travailleur ». Il est regrettable que son exemple n'a pas toujours été suivi par la direction de la FGTB, à commencer par De Vits elle-même au moment de son passage désastreux à la tête du syndicat socialiste.

Il est remarquable de constater chez un dirigeant syndical de l'envergure de Debunne qu'à partir de l'échec du « réformisme oppositionnel », il est, lui, effectivement resté « oppositionnel » et qu'à l'inverse de tant d'autres, il a constamment évolué vers la gauche, jusqu'à remettre radicalement en question l'Europe néolibérale et le rôle joué par la social-démocratie. Cette évolution lui fait honneur et démontre la cohérence de ses convictions et de ses engagements.

L'attachement de Georges Debunne au syndicalisme, il l'a encore exprimé il y a trois ans quand, malgré son infirmité, il a participé de manière enthousiaste et en tête des manifestations à la lutte contre le « Pacte des génération ».

Pour une autre Europe!

L'engagement militant de Georges Debunne s'est également consacré à la lutte pour une Europe sociale et démocratique, pour une toute autre Europe que celle qui se construit aujourd'hui sur le dos des peuples et des salarié/es.

Internationaliste convaincu, il avait pleinement conscience de la nécessité pour le syndicalisme de construire un rapport de force à l'échelle continentale. Il est l'un des principaux fondateurs de la Confédération européenne des syndicats (CES) dont il organise le premier congrès à Bruxelles en 1973 et dont il assumera la présidence de 1982 à 1985. Malheureusement, la CES aujourd'hui n'est pas cet instrument de coordination des luttes et des mobilisations des travailleurs/euses européens qu'elle aurait dû incarner.

Cet engagement européen s'est également traduit dans sa fonction de président honoraire de la Fédération européenne des retraités et des personnes âgées (FERPA) qu'il assume de 1988 à 2003.

Georges Debunne était également attentif à la nécessité pour les sans emploi de s'organiser et de lutter pour leur droit, et là aussi à une échelle internationale. Dès le milieu des années '90, il a apporté tout son appui à la création et au développement des « Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions », qui ont marqué de leur empreinte les mobilisations contre les sommets de l'UE d'Amsterdam (1997), de Cologne (1999) ou de Nice (2000).

Il a consacré de manière héroïque ses dernières forces à la lutte contre cette UE en appelant publiquement les organisations syndicales en Europe à rejetter le projet de Constitution européenne et plus récemment son avatar, le Traité de Lisbonne.

Dans un appel public lancé en 2004, il poussait « un cri d'alarme » en affirmant que « Le moment est venu de dire NON à cette hégémonie du capital, de fixer les objectifs et d’entamer l’action pour réaliser enfin une Union européenne démocratique et sociale fondée sur des droits fondamentaux civiques, économiques et sociaux. À nous de nous opposer à la dilution de l’Union Européenne dans une grande zone de libre échange, s’inscrivant dans les exigences inacceptables d’une économie purement libérale dominée par la compétitivité, la flexibilité et la recherche du seul profit sans égard pour l’appauvrissement d’une masse toujours plus grande au bénéfice d’une toute petite minorité de riches qui s’enrichissent. ».

Dans une lettre ouverte qu'il co-signait en juin 2008, il se réjouissait et saluait le vote du peuple irlandais contre le Traité de Lisbonne. Conscient de l'importance que son soutien pouvait représenter, il n'hésitait pas à associer son nom à de multiples prises de position et combats, notamment en faveur des droits démocratiques et contre les lois terroristes, contre le procès inique de Bahar Kimyongur.

Pour une alternative politique de gauche

« M. Debunne avait en outre une vision globale à long terme sur les transformations indispensables à réaliser en Belgique et en Europe, dans un monde de paix et de tolérance » ont déclaré avec des larmes de crocodiles Di Rupo et le Ministre-président wallon Rudy Demotte. Mais ces chantres du social-libéralisme qui incarnent tout ce que Debunne combattait, ces Tartuffes du socialisme qui ont, entre autres choses, avalisé la Constitution européenne, le Traité de Lisbonne ou le Pacte des générations, se sont bien gardés d'évoquer quelles étaient exactement « ces transformations indispensables »... Il faut dire que, pour Debunne, la précondition indispensable à ces dernières était la construction d'une force politique alternative à la gauche du parti de Demotte et Di Rupo...

En effet, face à l'adhésion de la social-démocratie au néolibéralisme, Georges Debunne était pleinement conscient que les travailleurs/euses n'avaient plus de parti capable de les défendre et de porter leurs revendications sur le terrain politique. On ne soulignera jamais assez l'importance du fait qu'un syndicaliste au passé aussi prestigieux soit arrivé à cette conclusion et de l'exemple qu'il devrait représenter pour les militants syndicaux - et leurs dirigeants aujourd'hui, trop souvent englués dans un « soutien critique » à un parti qui ne défend plus les intérêts des travailleurs/euses.

C'est cette compréhension qui l'a décidé, suite à la lutte contre le Pacte des génération de 2005, d'apporter sa contribution à la création d'une nouvelle force politique, ensemble avec Lode Van Outrive et Jeff Sleeckx, tous deux ex-parlementaires du SP.a. Cet engagement l'a amené à soutenir publiquement la création du Comité pour une autre politique (CAP) et sa convergence avec Une autre gauche (UAG).

Poursuivre ses combats

Les combats portés par Georges Debunne jusqu'à la fin de sa vie sont tous d'une brûlante actualité: pour un syndicalisme combatif et internationaliste; pour une autre Europe, opposée à l'UE néolibérale; pour l'auto-organisation des chômeurs/précaires; pour une réelle alternative politique de gauche. A l'heure où les contradictions du système capitaliste explosent, le meilleur hommage que nous puissions lui rendre est de poursuivre ces combats afin de les concrétiser.

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