La gauche radicale en Europe et le NPA en France: un débat
Par Alex Callinicos et François Sabado le Dimanche, 16 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Nous publions ci-dessous deux articles d’un dossier de la revue Critique communiste sur le processus de constitution du Nouveau Parti anticapitliste (NPA) en France et son contexte européen. Le premier est d’Alex Callinicos, un dirigeant du Socialiste Workers Party (SWP) en Grande-Bretagne et le second de François Sabado, un dirigeant de la Ligue communiste révolutionaire (LCR) en France.

Alex Callinicos: Où va la gauche radicale?

Chemins divergents

Ces dernières années la gauche radicale a connu des bonheurs très divers. Le cas le plus important du côté négatif est celui du Partito della Rifondazione Comunista en Italie. Le parti de Gênes et de Florence vira brutalement à droite à partir de 2004 et participa au gouvernement de coalition de centre-gauche de Romano Prodi qui fut brièvement au pouvoir en 2006-8. Les députés et les sénateurs du PRC ont voté pour le programme économique néolibéral de Prodi et pour la participation de troupes italiennes à l’occupation de l’Afghanistan ainsi qu’à la mission de « maintien de la paix » de l’ONU au Liban. Ils en furent punis aux élections générales d’avril 2008 où ils perdirent tous leurs sièges parlementaires.

La gauche radicale a connu des revers ailleurs. En Grande-Bretagne le Scottish Socialist Party puis Respect scissionnèrent : quand les fragments rivaux se sont présentés les uns contre les autres, les deux côtés subirent une prévisible éclipse électorale [1]. Lors des élections générales au Danemark en novembre 2007, l’Alliance Rouge-Verte a perdu deux des six sièges qu’elle occupait.

Heureusement, il y a des expériences plus positives. La plus passionnante d’entre elles est l’initiative prise par la Ligue Communiste Révolutionnaire de lancer un Nouveau Parti Anticapitaliste. En Allemagne, Die Linke, constituée officiellement en parti en juin 2007 et qui résulte d’une convergence entre des sociaux-démocrates dissident à l’ouest de l’Allemagne et le Parti du Socialisme Démcratique (PDS), l’héritier de l’ancien parti au pouvoir en Allemagne de l’Est, continue de mener des incursions électorales dans la base du Parti Social-Démocrate allemand (SPD).

Et même en Italie, le pays qui a vu l’effondrement le plus catastrophique de la gauche radicale, la tendance n’est pas uniformément négative. En réaction à l’éclipse électorale, le congrès national du PRC, quand il s’est réuni en juillet 2008, est allé vers la gauche. Bertinotti et ses alliés ont été défaits par une coalition de courants de gauche menée par Paolo Ferrero. Les délégués, élus par des assemblées auxquelles ont participé 40 000 membres, ont voté un document appelant à « un tournant à gauche » et déclarant la fin de « la collaboration organique avec le Parti Démocrate [de centre-gauche] au gouvernement ».

La primauté de la politique

Néanmoins, le sentiment de participer à un mouvement général vers l’avant qui prévalait il y a quelques années a été remplacé par une divergence marquée. Quel est la cause de ce changement ? Pour répondre à cette question nous devons comprendre les forces motrices de la montée de la gauche radicale, en particulier en Europe. Deux coordonnées objectives principales étaient en œuvre. D’abord, l’émergence d’une résistance de masse au néolibéralisme et à la guerre, qui débute avec les grèves dans le secteur public en France en 1995 mais qui monte en puissance après Seattle. Deuxièmement, l’expérience du social-libéralisme – des gouvernements sociaux-démocrates amenés au pouvoir dans toute l’Europe dans la deuxième moitié des années 90 par l’opposition populaire au néolibéralisme ont appliqué des politiques néolibérales, et dans certains cas – le « New Labour » sous Tony Blair en Grande-Bretagne et la coalition Rouge/Verte menée par Gerhard Schröder en Allemagne – sont allés plus loin que ne l’avaient osé leurs prédécesseurs conservateurs.

Le déplacement vers la droite des principales forces social-démocrates a ouvert un espace à sa gauche. De plus, la renaissance des résistances a créé une pression pour occuper cet espace. Différentes formations politiques, d’origines et d’histoires très diverses ont se sont donnés pour tâche d’essayer de l’occuper. En général elles ne l’ont pas fait sur un programme explicitement révolutionnaire. Dans certains cas cela correspond à une décision tactique d’organisations d’extrême-gauche pour attirer des alliés et une audience plus large, mais tout aussi souvent c’était la conséquence du fait que beaucoup des dirigeants des nouvelles formations étaient eux-mêmes réformistes, cherchant souvent à restaurer une sociale-démocratie plus « authentique », qui avait été corrompue, pensait-il, par les semblables de Blair et de Schröder.

L’émergence de cette gauche radicale a marqué un développement extrêmement important et positif. Elle a représenté une opportunité pour refonder la gauche sur une base principielle plus forte que ce qui avait dominé durant l’âge d’or des partis sociaux-démocrates et staliniens. Mais, tout en étant un pas en avant, ceci a engendré ses propres problèmes. Le champ politique a sa logique spécifique, qui assujettit à ses dangers et à ses contingences tous ceux qui tentent de s’y attaquer.

Après une période initiale d’avancées, bornée en gros par les années 1998 et 2005, les différentes formations de la gauche radicale ont été confrontées à la question de comment continuer dans un environnement moins favorable – par exemple, parce que la vague d’opposition de masse à la guerre en Irak refluait. Un problème similaire s’est posé au mouvement altermondialiste, qui n’a pas réussi à le traiter de manière efficace et a par conséquent subi un déclin significatif.

La réponse des formations de la gauche radicale a été, bien sûr, conditionnée par les pensées politiques qui y dominaient. Pour deux figures-clés – Fausto Bertinotti en Italie et George Galloway en Angleterre – celles-ci étaient celles d’un réformisme qui commençait à aller à droite. Bertinotti a réagi au déclin des Forums Sociaux qui s’étaient étendus en Italie après Gênes et qui avaient mené les mobilisations pour Florence et les manifestations contre la guerre en se tournant de nouveau vers le centre-gauche, avec les désastreuses conséquences notées ci-dessus.

Dans le cas de Galloway et de son entourage, le déclin du mouvement anti-guerre depuis le sommet atteint en 2003 s’est combiné au pessimisme quant à la capacité des travailleurs organisés de résister de manière efficace aux attaques du New Labour et du patronat pour amener la conclusion que pour aller de l’avant Respect devait nouer des alliances avec des notables musulmans locaux qui pourraient faire gagner des voix. Mais ce raisonnement – et la scission qu’il a produit dans Respect – se superposait à une réconciliation croissante entre Galloway lui-même et le New Labour. Ceci se refléta d’abord dans son soutien à la campagne de réelection de Ken Livingstone comme maire de Londres, qui connut l’échec, puis quand il vint en aide au gouvernement assiégé de Gordon Brown lors de l’élection partielle de Glasgow-est en juillet de cette année, où une candidate blairiste fut défaite par un transfert massif de voix au bénéfice du Scottish National Party.

Ailleurs la politique a porté de meilleurs fruits, pour le moment. Dans un contexte de désarroi général de la gauche française, la majorité de la direction de la LCR a pris l’initiative – avec la candidature d’Olivier Besancenot au premier tour de l’élection présidentielle français en avril 2007, puis en capitalisant sur son succès relatif pour lancer le NPA.

Die Linke est une organisation beaucoup plus solidement réformiste que tout ce que peut envisager la LCR. Cependant, elle est définie par la lutte entre deux tendances – une droite, puissante à la fois numériquement et dans l’appareil, constituée notamment de l’ex-direction du PDS, et un courant réformiste de gauche groupé autour de la figure d’Oskar Lafontaine, qui a comme projet de reconstituer la social-démocratie allemande sur une base plus à gauche.

Quel genre de parti?

Les avancées récentes de Die Linke et de la LCR montrent que les coordonnées objectives responsables de la montée initiale de la gauche radicale restent en place. Mais les expériences du PRC et de Respect soulignent les dangers politiques auxquels ces formations sont confrontées. Comment faire face à ces dangers ? La réponse de la LCR est particulièrement intéressante. Elle est influencée par les exemples négatifs de gouvernements de centre-gauche, non seulement en Italie, mais en France même et au Brésil.

La détermination d’éviter toute répétition d’une situation où la gauche radicale pourrait être intégrée dans un gouvernement de coalition social-libéral a donné sa forme à l’attitude de la majorité de la LCR envers la tentative de faire des collectifs qui avaient mené la campagne pour le Non à la Constitution Européenne en 2005 le terrain de lancement d’une candidature unitaire « antilibérale » lors de la campagne présidentielle de 2007. Le scepticisme de la LCR envers le projet de candidature unitaire antilibérale a amené à une attitude négative et parfois ultimatiste envers les collectifs, ce qui causa son isolation temporaire. Mais la Ligue fut au moins partiellement justifiée par le comportement de José Bové lors de la campagne présidentielle.

C’est pour éloigner ce type de danger que la LCR insiste pour que le nouveau parti soit anticapitaliste, et non simplement opposé au néolibéralisme. Il doit être un « un parti pour la transformation révolutionnaire de la société », mais cependant pas un parti révolutionnaire au sens spécifique où on l’a entendu dans la tradition marxiste classique. Dans cette tradition, particulièrement du fait des expériences de la révolution russe d’octobre 1917 et des premières années de l’Internationale Communiste (1919-24), il est compris que la révolution socialiste doit prendre une forme particulière, où jouent un rôle des grèves de masse, le développement d’un double pouvoir où s’opposent des institutions de la démocratie ouvrière et l’Etat capitaliste, une insurrection armée pour résoudre la crise en établissant la domination des conseils ouvriers, et, en fil rouge, l’émergence d’un parti révolutionnaire soutenu par la majorité de la classe ouvrière.

D’après la LCR, le NPA ne devrait pas s’engager sur cette compréhension spécifique de la révolution, mais simplement sur la nécessité d’« une rupture avec le capitalisme ». Si cette notion peut paraître vague, sa signification politique se trouve dans ce qu’elle exclut : plus spécifiquement, comme le défend avec raison la Ligue, il ne suffit pas de s’opposer au néolibéralisme en tant qu’ensemble de mesures, il faut s’opposer au capitalisme en tant que système. Ne pas faire cette distinction peut mener à la participation dans des gouvernements de centre-gauche dans l’espoir (habituellement dans l’illusion) qu’ils mettront en œuvre une politique plus bénigne.

La conception du NPA de la LCR a beaucoup de qualités. L’expérience politique du vingtième siècle montre clairement que, dans les pays capitalistes avancés, il est impossible de construire un parti révolutionnaire de masse sans briser l’hégémonie de la social-démocratie sur la classe ouvrière organisée. A l’époque de la révolution russe il a été possible pour un grand nombre de partis communistes européens de commencer à le faire en scissionnant les partis sociaux-démocrates et en gagnant un nombre substantiel de travailleurs auparavant réformistes directement au programme révolutionnaire de l’Internationale Communiste. Octobre 1917 exerçait un immense pouvoir d’attraction dans le monde entier pour quiconque voulait combattre les patrons et l’impérialisme.

Hélas, à cause de l’expérience du stalinisme, c’est le contraire qui est vrai aujourd’hui. Le social-libéralisme est repoussant pour beaucoup de travailleurs aujourd’hui, mais, en premier lieu, ce qu’ils recherchent est une version plus authentique du réformisme que leurs partis traditionnels leur promettaient autrefois. Par conséquent, si les formations de la gauche radicale doivent être habitable pour ces réfugiés de la social-démocratie, leurs programmes doivent laisser ouvertes les conceptions stratégiques spécifiques élaborées par les marxistes révolutionnaires.

Cependant, la navigation entre le Scylla de l’opportunisme et le Charybde du sectarisme n’est jamais chose aisée. D’un côté, tracer la frontière entre l’antilibéralisme et l’anticapitalisme n’est pas forcément simple. Etant donné que, ainsi que le formulerait la LCR, l’anticapitalisme a « des délimitations stratégiques incomplètes » – c’est-à-dire qu’il laisse ouvert la question de comment la « rupture avec le capitalisme » sera accomplie – il y a beaucoup de place pour le débat sur les étapes concrètes nécessaires. Il y a des stratégies réformistes de gauche parfaitement respectables pour accomplir une rupture avec le capitalisme dont on peut supposer qu’elles auront le droit à la parole dans ces débats. Mais ces stratégies se confondent avec des propositions qui visent le néolibéralisme plutôt que le capitalisme lui-même.

De l’autre côté, même si la LCR a entièrement raison de s’opposer par principe à une participation dans un gouvernement de centre-gauche, elle ne peut pas considérer comme allant de soi que tous ceux qui sont attirés par le NPA auront la même attitude. Au contraire, beaucoup d’entre eux peuvent vouloir voir Besancenot au gouvernement. 18 % des sondés lors d’une enquête en août 2008 ont déclaré que le PS devrait s’entendre avec lui [2].

Le rôle des révolutionnaires

Le problème sous-jacent ici est que c’est la brèche dans le réformisme qui a ouvert un espace à la gauche radicale : comment dès lors essaie-t-elle d’attirer ceux qui viennent d’une tradition réformiste tout en évitant les trahisons du réformisme – trahisons récapitulés de façon hautement concentrée par la trajectoire de Bertinotti ? La solution de la LCR à ce problème semble être d’installer une sorte de verrou programmatique – l’engagement sur l’anticapitalisme et l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Mais il est peu probable que cela fonctionne ; plus le NPA connaîtra de succès, plus il est probable qu’il subisse des pressions et des tentations réformistes.

Alors qu’il commençait à s’engager dans le processus de regroupement à gauche au début de la décennie actuelle, le Socialist Workers Party proposa sa propre conception de la nature des nouvelles formations de gauche radicale. Elle a été formulé par John Rees ainsi : « La meilleure manière de considérer la Socialist Alliance [le précurseur de Respect] est donc comme un front uni d’un type particulier appliqué au champ électoral. Il cherche à unir des militants réformistes de gauche et des révolutionnaires dans une campagne commune autour d’un programme minimum » [3]. Il est extrêmement heureux que nous ayons refusé de liquider le SWP, car dans ce cas la crise de Respect aurait mené, non seulement à l’éclipse électorale temporaire de la gauche radicale en Grande-Bretagne, mais à une fragmentation et un affaiblissement beaucoup plus profonds de la gauche socialiste organisée.

L’idée que le NPA devrait être conçu comme un front unique d’un type particulier a été récemment critiquée par l’un de ses principaux architectes, François Sabado:

« Il n’y a pas de continuité linéaire entre le front unique et le parti, comme le « politique » n’est pas la simple continuation du social. Il y a des éléments de continuité mais aussi de discontinuité, de spécificités, liés justement à la lutte politique. (...) C’est de ce point de vue, qu’il n’est pas correct de considérer le nouveau parti comme un cadre de front unique. Il y a alors une tendance à sous estimer les délimitations nécessaires, à ne considérer le NPA que comme une alliance ou un cadre unitaire-même d’un type particulier- et donc à sous estimer sa propre construction comme un cadre ou une médiation pour construire les directions révolutionnaires de demain. Il y a le risque si nous considérons le NPA comme un cadre de Front unique de ne lui faire mener que des batailles de front unique. Par exemple, nous ne conditionnons pas l’unité d’action de tout le mouvement ouvrier et social à un accord sur la question gouvernementale ; mais est-ce une raison pour que le NPA ne mène pas voire relativise une bataille sur la question du gouvernement ? Non, nous ne le croyons pas. Le NPA fait de la question gouvernementale – refus de la participation à des gouvernements de collaboration de classes – une délimitation de son combat politique. Cela montre, à l’évidence sur cette question, mais nous pouvons aussi en évoquer d’autres, que le NPA n’est pas un cadre de front unique. Ce n’est pas parce que nous voulons le construire comme une confluence d’expériences et de militants que nous devons perdre de vue que ce parti est un des maillons décisifs d’une alternative politique globale et d’une accumulation des cadres luttes de classes et même révolutionnaires pour les crises futures. » [4]

Sabado a raison sur deux questions importantes. D’abord, le succès dans la construction de la gauche radicale aujourd’hui est un pas en avant, et non un pas qui éloignerait de al construction de partis révolutionnaires de masse. Deuxièmement, le fait que des formations de la gauche radicale interviennent dans le champ politique forme leur caractère. Même si leur structure organisationnelle est celle d’une coalition, comme c’était le cas pour Respect, elles doivent définir leur identité politique globale au moyen d’un programme, et fonctionner de bien des manières comme un parti politique conventionnel, particulièrement quand elles sont engagées dans une activité électorale.

Mais ce à quoi la formule du front unique d’un type particulier correspond, c’est l’hétérogénéité politique caractéristique de la gauche radicale contemporaine. Il n’y a pas que la question de l’histoire spécifique de différentes formations : la forme particulière prise par la crise de la social-démocratie aujourd’hui a créé les conditions d’une convergence d’éléments de la gauche réformiste et de la gauche révolutionnaire en opposition au social-libéralisme. Le fait que que cette convergence politique n’est que partielle, et en particulier qu’elle n’abolit pas le choix entre réforme et révolution, demande des structures organisationnelles qui, si elles ne sont pas explicitement celles d’une coalition, donne cependant aux différents courants de l’espace pour respirer et pour coexister. Mais elle contribue aussi à expliquer la base programmatique que Sabado cherche à donner au NPA, et qui est essentiellement contre le social-libéralisme plutôt que contre le réformisme en général.

Il est très important de ne pas prendre peur devant les ambiguïtés politiques inhérentes à la gauche radicale contemporaine. Tout révolutionnaire digne de ce nom doit se jeter avec enthousiasme dans la construction de ces formations. Mais ceci ne change pas le fait que ces ambiguïtés peuvent mener à une répétition du genre de désastres qu’ont connu le PRC et Respect. De manière plus positive, si le NPA est vraiment ce que Sabado appelle « une accumulation des cadres luttes de classes et même révolutionnaires pour les crises futures », alors ceci ne se produira pas de manière automatique. Cela demandera un effort considérable pour former les nouveaux militants gagnés au NPA et aux autres formations du même type dans la tradition marxiste révolutionnaire. Mais qui s’occupera de cette tâche ? Une certaine formation politique peut avoir lieu au sein du parti lui-même. Mais ceci ne peut se faire qu’à l’intérieur de limites bien définies ; sans quoi les révolutionnaires dans le NPA pourront être avec quelque raison accusés de violer l’ouverture politique du parti, et de chercher à exploiter ses structures pour imposer leur propre politique.

Il est juste de construire la gauche radicale sur une base large et ouverte, mais dans les formations qui en résultent, les socialistes révolutionnaires doivent s’organiser et défendre leur propre politique. Chacune des deux parties de cette phrase mérite d’être soulignée à sa juste valeur. Il est erroné d’essayer de définir les délimitations des partis de la gauche radicale de manière trop étroite. Mais, tout en construisant sur une base large et ouverte, les socialistes révolutionnaires doivent maintenir leur propre identité politique et organisationnelle. La forme précise que ceci peut revêtir variera naturellement – parfois une organisation indépendante au sein d’une coalition, comme pour le SWP au sein d la Socialist Alliance, parfois un courant dans une organisation plus grande. Une identité socialiste révolutionnaire dans le cadre de la gauche radicale large est nécessaire non pour des raisons d’étroite loyauté sectaire mais parce que la théorie et la politique du marxisme révolutionnaire ont un rôle à jouer.

Elles ont un rôle à jouer parce qu’elles offrent une compréhension de la logique du capitalisme en tant que système et parce qu’elles récapitulent les expériences révolutionnaires accumulées des deux derniers siècles. Bien sûr, la pertinence d’une telle tradition pour le présent n’est pas quelque chose qui va de soi. Au contraire, elle doit être démontrée en pratique, et ceci veut toujours dire un processus de sélection, d’interprétation, et de développement créatif de la tradition. Mais, à cause de l’importance de la pratique, les révolutionnaires doivent conserver la capacité de prendre leurs propres initiatives. En d’autres mots, ils doivent conserver leur identité au sein de la gauche radicale large non comme club de débat théorique mais, quelles que soient les circonstances, comme organisation interventionniste.

Bien sûr, la présence de révolutionnaires organisés peut être une source de tensions dans une formation de gauche radicale. Ils peuvent être stigmatisés et dénoncés par la droite dans le parti. Ceci peut être une question particulière si les révolutionnaires possèdent un poids relativement substantiel, comme pour le SWP au sein de Respect, et comme l’ex-LCR en aura un dans le NPA. Les éléments d’extrême-gauche qui ont scissionné avec Galloway ont tenté de justifier leurs actions en accusant le SWP de chercher à dominer Respect. C’était le contraire de notre intention : nous aurions été très heureux d’être une force relativement plus petite au sein d’une coalition beaucoup plus grande de la gauche radicale.

Le problème était que malgré l’énorme bouleversement politique autour de la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion de l’Irak, Galloway a été la seule figure dirigeante du parti travailliste prête à rompre avec le parti sur la question. Ceci a signifié qu’il y avait une instabilité structurelle inhérente à Respect depuis le début. La coalition était dominée par deux forces – Galloway et le SWP. Cela ne posait pas de problème tant qu’ils travaillaient ensemble en harmonie. Mais il était fort probable qu’un conflit entre une organisation révolutionnaire et un politicien réformiste se développerait tôt ou tard, et, qu’une fois survenu, il n’y aurait pas d’autres forces assez puissantes pour le contenir.

Ce déséquilibre structurel est une conséquence de la forme particulière prise par le déclin de la social-démocratie aujourd’hui. La base sociale du réformisme se rétrécit, non pas du fait de scissions organisationnelles, mais par un processus graduel de désaffection. Ceci ne change pas le fait qu’il y a un espace que la gauche radical peut occuper, mais cela prendra probablement la forme d’un processus à assez long terme d’interventions électorales et d’autres campagnes qui attirent graduellement des électeurs et des militants. Et l’érosion de l’ancienne base sociale réformiste donne à l’extrême-droite une occasion de s’adresser aux membres de la classe ouvrière qui se sentent privés de droits et de représentation, comme le montrent de manière très crue les forces racistes hideuses déchaînées par la victoire de Berlusconi et de ses alliés en Italie. D’où l’importance du cas de Die Linke, où une vraie fissure s’est creusée dans le monolithe du SPD.

C’est une des raisons pour lesquelles il serait imprudent de prétendre que le réformisme est en train de chanter son chant du cygne, comme la LCR le sous-entend parfois, par exemple quand elle déclare : « La social-démocratie est en train d’achever sa mutation. Après avoir expliqué que le socialisme pouvait se construire pas à pas dans le cadre des institutions de l’Etat capitaliste, elle accepte désormais sa conversion au capitalisme, aux politiques néolibérales. » [5] Ceci semble supposer une tendance unilinéaire pour les partis sociaux-démocrates à se transformer en partis simplement capitalistes comme les Démocrates aux Etats-Unis. En cela, c’est une erreur.

Le réformisme ne peut pas être identifié simplement à des organisations spécifiques, il naît de la tendance des travailleurs, tant qu’ils manquent de confiance dans leur capacité de renverser le capitalisme, à limiter leurs luttes à la conquête d’améliorations dans le cadre du système existant. Cette tendance trouve une expression politique malgré le développement du social-libéralisme.

Il est important de comprendre ceci pour des raisons politiques immédiates. Le pouvoir d’attraction des politiques réformistes signifie qu’il n’y a pas de baguette magique qui puisse exclure son influence des nouvelles formations de la gauche radicale. C’est précisément pour cette raison que les révolutionnaires doivent maintenir leur identité au sein de ces formations. La gauche radicale doit être ouverte aux réformistes si elle veut accomplir son potentiel, mais les exemples de Bertinotti et de Galloway devraient servir de rappel que les réformistes de gauche peuvent aller vers la droite comme ils peuvent aller vers la gauche.

Il est important de garder ceci en tête dans le cas de Die Linke. Lafontaine a été un pilier de la gauche, mais, s’il devait décider que le moment est venu de faire affaire avec le SPD, il est tout à fait capable de s’y affronter brutalement. Mais la préservation par les révolutionnaires de leur autonomie politique et organisationnelle ne devrait pas être vue comme une forme d’attitude défensive sectaire. Au contraire, cette autonomie devrait nous donner la confiance nécessaire pour construire hardiment la gauche radicale sur la base la plus large et la plus dynamique – tout en préservant un instrument qui sera nécessaire pour mener les batailles politiques que tout succès réel amènera.

Alex Callinicos

Traduction Sylvestre Jaffard


François Sabado: le NPA, une expérience inédite de construction d’un parti anticapitaliste

Une réponse à l’article d’Alex Callinicos

L’article d’Alex Callinicos montre bien les changements opérés, ces derniers mois, dans la gauche radicale. Les caractéristiques de la situation et, en particulier, l’approfondissement de la crise du système capitaliste et l’évolution social-libérale de la social-démocratie, confirment un espace « à gauche de la gauche réformiste».

Cet espace ouvre des possibilités pour la construction de nouvelles formations politiques ou pour des initiatives comme celle des conférences de la gauche anticapitaliste, construction qui nécessite des clarifications. Certaines expériences recouvrent une diversité de courants. Si les frontières politiques entre ces courants n’apparaissent pas toujours nettement, en revanche, pour avancer, la question du soutien ou de la participation à des gouvernements de centre-gauche ou sociaux-libéraux est un discriminant fondamental dans la politique d’alliances ou de rassemblement.

Il y a non seulement des « chemins divergents », mais des politiques différentes et des projets distincts. Lorsque Callinicos évoque des « expériences plus positives » à propos de Die Linke en Allemagne et du NPA et en France, il s’agit, en fait, de deux projets différents.

Dans le cas de Die Linke, nous avons affaire à un parti réformiste de gauche : un parti intégré dans les institutions de l’Etat allemand, un parti dont la grande majorité des membres est issue de l’ex-PDS – le parti de la bureaucratie de l’ex RDA –, un parti qui se prononce en faveur d’un gouvernement commun avec la SPD, enfin un parti dont le projet de société se confond avec le « retour à l’Etat providence ». Certes, ce parti marque aussi, à l’ouest de l’Allemagne, un mouvement de radicalisation de certains secteurs du mouvement social, un pas en avant pour le mouvement ouvrier. Mais les révolutionnaires ne doivent pas confondre ces processus avec la direction de Die Linke, sa politique réformiste, sa subordination aux institutions capitalistes, et ses objectifs de participation gouvernementale avec le SPD.

Le NPA se présente, lui, comme un parti anticapitaliste. Un parti dont le centre de gravité tourne autour des luttes, des mouvements sociaux et non des institutions, un parti dont la marque fondatrice est le rejet de toute alliance ou de toute participation gouvernementale avec le centre gauche ou le social-libéralisme, un parti qui ne s’arrête pas à l’antilibéralisme mais dont toute la politique est orientée vers la rupture avec le capitalisme et le renversement du pouvoir des classes dominantes.

Dans tous ces cas, nous sommes confrontés à des formations politiques : il y a des délimitations, des programmes, des politiques, mais ce ne sont pas les mêmes.

Parti anticapitaliste ou front unique d’un type particulier

Aussi, nous ne pouvons partager l’approche de Callinicos sur la caractérisation des nouvelles formations de la gauche radicale comme « un front unique d’un type particulier »…

Les conceptions du SWP ont été formulées par John Rees, un de leurs dirigeants, de la manière suivante : « La meilleure manière de considérer Socialist Alliance [le précurseur de Respect] est donc comme un front uni d’un type particulier appliqué au champ électoral. Il cherche à unir des militants réformistes de gauche et des révolutionnaires dans une campagne commune autour d’un programme minimum ». [6]

Cette conception, à l’origine liée à l’expérience britannique, a été généralisée comme « la conception du SWP de la nature des nouvelles formation de la gauche radiale ».

Nous sommes en désaccord avec cette conception. Parler de « front unique » pour la construction d’un parti ou d’une formation politique est vraiment une innovation.

Le front unique répond aux problèmes que pose l’unité d’action ou l’unification des travailleurs ou du mouvement social et de leurs organisations. Le front unique et la construction d’un parti sont deux choses distinctes. Un parti des travailleurs anticapitaliste et/ou révolutionnaire – au delà de ses définitions – est une formation politique délimitée, sur la base d’un programme et d’une stratégie globale de conquête du pouvoir par et pour les travailleurs. Un parti anticapitaliste ne peut être l’expression organique de « toute la classe ». Même s’il doit chercher à constituer « une nouvelle représentation des travailleurs », ou la convergence d’une série de courants politiques, il ne fera pas, pour autant, disparaître les autres courants du mouvement social ni même les organisations « réformistes ou d’origine réformiste » dirigées par des appareils bureaucratiques. La question du front unique reste posée.

Pourquoi ne pas considérer les partis anticapitalistes comme des cadres de front unique ? Parce que si c’était le cas, cela reviendrait à considérer ces partis comme une simple alliance ou un cadre unitaire – même d’un type particulier – et donc à sous-estimer leur construction comme un cadre ou une médiation nécessaires à l’émergence des directions révolutionnaires de demain. Considérer NPA comme un cadre de front unique, reviendrait à « aplatir » ses positions politiques pour les rendre compatibles avec la réalisation de ce front unique. Par exemple, nous ne conditionnons pas l’unité d’action du mouvement ouvrier et social à un accord sur la question gouvernementale. Est-ce une raison pour que le NPA renonce ou même relativise une bataille sur la question du gouvernement ? Non, nous ne le croyons pas. Le NPA fait de la question gouvernementale – refus de la participation à des gouvernements de collaboration de classes – une délimitation décisive de son combat politique. Cet exemple montre à l’évidence, mais nous pourrions aussi en évoquer d’autres, que le NPA n’est pas un cadre de front unique. Nous voulons le construire comme une confluence d’expériences et de militants, de courants mais surtout comme un parti. Le considérer comme un « front unique d’un type particulier » revient à sous-estimer les batailles nécessaires pour construire une alternative politique. Cette conception « d’un front unique d’un type particulier sur un programme minimum » a conduit la direction du SWP à reprocher à la direction de la LCR « une attitude négative et parfois ultimatiste envers les collectifs », lorsque celle-ci mettait au centre de sa bataille politique le refus de participer à un gouvernement avec la direction du PS. Avec le recul, la direction du SWP pense-t-elle, encore, que ces reproches étaient fondés ?

Et aujourd’hui, lorsque Jean Luc Mélenchon, un des animateurs de la gauche socialiste quitte le PS, tout en assumant la continuité de ses conceptions réformistes, de ses positions sur la participation ou le soutien aux gouvernements Mitterrand et Jospin, et en déclarant qu’il veut construire un « Die Linke » à la française, quelle doit être l’attitude des révolutionnaires ? Le soutenir et rejoindre ses propositions et projets d’ alliances avec le PCF qui gardent comme perspective de gouverner demain… avec le PS ou bien prendre en compte sa rupture avec le PS, avoir une approche positive de l’unité d’action avec son courant, mais ne pas confondre la construction d’une gauche anticapitaliste et celle d’un parti réformiste de gauche... Encore une fois, oui à l’unité d’action – comme nous l’avons fait lors de la campagne du Non au référendum sur l’Europe – et au débat, mais savoir que les différences sur les rapports aux institutions et l’attitude par rapport à la question gouvernementale sépare les alternatives électorales et les projets de construction du parti. La construction d’un Die Linke à la française, en rapport à l’histoire du mouvement révolutionnaire et de ce qui a été accumulé par le NPA, constituerait un recul pour la construction d’une alternative anticapitaliste. Alors que tout un secteur influencé par la gauche anticapitaliste a pris ses distances avec les directions de la gauche traditionnelle, constituer une nouvelle force réformiste de gauche constituerait un pas en arrière pour le mouvement ouvrier. On réintroduirait tout ce secteur dans les « mécanos réformistes ». Les conceptions relevant du « front unique d’un type particulier » pourrait, alors, nous désarmer dans la définition d’une politique claire face à ce type de courants.

Cette conception qui sous estime la portée stratégique des différences sur les questions gouvernementales et institutionnelles éclaire certaines de vos positions internationales. Elle peut ainsi expliquer, dans la politique des camarades de l’IST en Allemagne, une relativisation de la critique de la politique de la direction de Die Linke sur les questions de participation gouvernementale avec le SPD.

De même, on peut aussi noter l’indulgence des camarades envers le nouveau bloc de direction de Refondation communiste d’Italie. Au dernier congrès de Refondation, une réaction « à gauche » de ses militants a mis en minorité les partisans de Bertinotti. Pour autant la politique menée par la nouvelle direction s’inscrit dans la continuité des positions historiques de Refondation communiste, et continue à avaliser la politique d’alliances avec le Parti démocrate dans tous les exécutifs régionaux dirigés par le centre gauche.

Enfin, cette conception de « front unique d’un type particulier sur un programme minimum » n’a-t-elle pas contribué à désarmer la direction du SWP face à Galloway, pour qui « Respect devait nouer des alliances avec les notables musulmans locaux qui pourraient faire gagner des voix » ?

Considérer un parti anticapitaliste comme un cadre de front unique peut aussi entraîner des déviations sectaires… Si le front unique se réalise, même sous une forme particulière, ne peut-on être tenté de tout faire passer par le canal du parti en sous-estimant justement les vraies batailles d’unité d’action ? Car le parti anticapitaliste doit combiner les activités de parti et une orientation d’intervention unitaire… car nous n’avons pas oublié, contrairement à ce que suggère Callinicos, que le réformisme continue à exister, que le mouvement des travailleurs connaît des divisions, des différenciations, et qu’il faut intervenir pour le rassembler, pour unifier les travailleurs et leurs organisations.

Encore une fois, le front unique, dans toutes ses variétés, est une chose. Autre chose est la construction d’une alternative politique, ce qui est le choix du NPA.

Quel type de parti révolutionnaire?

Alex Callinicos tente de nous prendre à revers en nous expliquant que, si le NPA est un parti anticapitaliste, « ce n’est pas un parti révolutionnaire au sens spécifique où on l’a entendu dans la tradition marxiste classique ». On peut discuter de la tradition marxiste classique, des plus riches dans sa diversité. Selon l’histoire, le degré de clarification stratégique, les principes et les tactiques d’organisation, sans oublier les diverses interprétations de tel ou tel courant révolutionnaire, il y a plusieurs modèles. Il est vrai que le NPA n’est pas la réplique des organisations révolutionnaires de l’après Mai 68.

Les partis anticapitalistes, comme le NPA, ne partent pas de définitions historiques ou idéologiques générales. Leur point de départ est « une compréhension commune des événements et des tâches » sur les questions-clés d’une intervention dans la lutte de classes. Pas une somme de questions tactiques, mais des questions politiques clés comme celle d’un programme d’intervention politique sur une orientation d’unité et d’indépendance de classe.

Dans ce mouvement, il y a place et même nécessité d’autres histoires, d’autres références issues des origines les plus diverses.

Cela en fait-il un parti sans histoire, sans programme et sans délimitations ? Non. Il a une histoire, une continuité : celle des luttes de classes, le meilleur des traditions socialiste, communiste, libertaire, marxiste révolutionnaire Elle s’inscrit dans les traditions révolutionnaires du monde contemporain appuyées, plus précisément, sur la longue chaîne des révolutions françaises de 1793 à Mai 68, en passant par les journées de 1848, la Commune de Paris et la grève générale de 1936.

Le NPA est aussi un type de parti qui tente de répondre aux nécessités d’une nouvelle période historique – ouverte à la fin du XXe et début du XXIe siècle – ainsi qu’aux besoins de refondation d’un programme socialise face à la crise historique combinée du capitalisme et de l’environnement de la planète. Face à de tels enjeux, le NPA s’affirme comme un parti révolutionnaire plutôt dans le sens donné par Ernest Mandel dans les lignes qui suivent:

« Qu’est-ce qu’une révolution ? Une révolution, c’est le renversement radical, en peu de temps, des structures économiques et (ou) politiques de pouvoir, par l’action tumultueuse de larges masses. C’est aussi la transformation brusque de la masse du peuple d’objet plus ou moins passif en acteur décisif de la vie politique.

Une révolution éclate lorsque ces masses décident d’en finir avec des conditions d’existence qui leur semblent insupportables. Elle exprime donc toujours une grave crise d’une société donnée. Cette crise plonge ses racines dans une crise des structures de domination. Mais elle traduit aussi une perte de légitimité des gouvernants, une perte de patience, de la part de larges secteurs populaires.

Les révolutions sont, à la longue, inévitables – les véritables locomotives du progrès historique – parce qu’une domination de classe ne peut justement pas être éliminée par voie de réformes. Celles-ci peuvent tout au plus l’adoucir, pas la supprimer. L’esclavage n’a pas été aboli par des réformes. La monarchie absolutiste de l’Ancien Régime n’a pas été abolie par des réformes. Il fallait des révolutions pour les éliminer. » (« Pourquoi sommes-nous révolutionnaires aujourd’hui ? »Ernest Mandel, la Gauche du 10 janvier 1989.) [7]

Il est vrai que cette définition est plus générale que les hypothèses stratégiques voire politico-militaires qui ont structuré les débats des années 70 alors éclairées par les crises révolutionnaires du XXe siècle.

Les partis anticapitalistes comme le NPA sont « révolutionnaires », dans le sens où ils veulent en finir avec le capitalisme – « le renversement radical des structures économiques et politiques (donc étatiques) du pouvoir » – et la construction d’une société socialiste passe par des révolutions où ceux d’en bas chassent ceux d’en haut, et « prennent le pouvoir pour changer le monde ».

Ils ont un programme et des délimitations stratégiques, mais celles ci ne sont pas achevées. Rappelons que Lénine, y compris contre une partie de la direction du parti bolchevique, change ou modifie substantiellement son cadre stratégique en Avril 17, en pleine crise révolutionnaire. Il passe de la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » à la nécessité d’une révolution socialiste et du pouvoir des conseils ouvriers… Certes, Lénine avait consolidé des années durant un parti sur l’objectif d’un renversement radical du tsarisme, sur le refus de toute alliance avec la bourgeoisie démocratique, et l’indépendance des forces ouvrières alliées à la paysannerie. Et cette phase préparatoire est décisive. Mais bien des questions ont été tranchées dans le cours même du processus révolutionnaire.

Beaucoup de choses ont changé par rapport à l’après Mai 68, et plus généralement par rapport à toute une période historique marquée par la force propulsive de la révolution russe.

Il y a plus de trente ans que les pays capitalistes avancés n’ont pas connu de situations pré-révolutionnaires ou révolutionnaires. Les exemples sur lesquels nous nous appuyons sont basés sur les révolutions du passé. Mais, encore une fois, nous ne savons pas ce que seront les révolutions du XXIe siècle. Les nouvelles générations apprendront beaucoup de l’expérience et nombre de questions restent ouvertes.

Ce que nous pouvons et devons faire, c’est ancrer les partis que nous construisons sur une série de références « fortes », puisées dans l’expérience et l’intervention de ces dernières années, qui constituent une base programmatique et stratégique pour nous orienter.

Rappelons-les : un programme de transition anticapitaliste qui lie revendications immédiates et revendications transitoires, une nouvelle distribution des richesses, la remise en cause de la propriété capitaliste, l’appropriation sociale de l’économie, l’unité et l’indépendance de classe, la rupture avec l’économie et les institutions centrales de l’Etat capitaliste, le rejet de toute politique de collaboration de classes, la prise en compte de la perspective éco-socialiste, la transformation révolutionnaire de la société…

Des débats récents nous ont conduits à préciser nos conceptions de la violence. Nous y avons réaffirmé que « ce n’était pas les révolutions qui étaient violentes mais les contre-révolutions », comme en Espagne en 1936 ou au Chili en 1973, que l’utilisation de la violence visait à protéger un processus révolutionnaire contre la violence des classes dominantes.

Alors en quoi ce nouveau parti doit-il constituer un changement vis-à-vis de la LCR ? Ce doit être un parti plus large que la LCR. Un parti qui n’assume pas toute l’histoire du trotskysme et qui a l’ambition de permettre de nouvelles synthèses révolutionnaires. Un parti qui ne se réduise pas à l’unité des révolutionnaires. Un parti qui dialogue avec des millions de travailleurs et jeunes. Un parti qui traduit ses références programmatiques fondamentales dans des explications, agitation et formules populaires. De ce point de vue, les campagnes d’OB constituent un formidable point d’appui. Un parti qui soit en capacité de mener de larges débats sur les questions fondamentales qui travaillent la société : la crise du capitalisme, le réchauffement climatique, la bio-éthique, etc.- Un parti de militants et d’adhérents qui permette d’intégrer des milliers de jeunes et de salariés avec leur expérience sociale et politique en préservant leurs liens avec leur milieu d’origine. Un parti pluraliste qui rassemble toute une série de courants anticapitalistes.

Nous ne voulons pas une LCR bis ou une LCR élargie. Pour réussir notre pari, ce parti doit représenter une nouvelle réalité politique, s’inscrire dans la tradition du mouvement révolutionnaire, et contribuer à inventer les révolutions et le socialisme du 21e siècle.

Pour écarter les tentations réformistes, construire vraiment un parti anticapitaliste!

Malgré ces délimitations, Callinicos reste sceptique : « La solution de la LCR à ce problème semble être d’installer une sorte de verrou programmatique – l’engagement sur l’anticapitalisme et l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Mais il est peu probable que cela fonctionne ; plus le NPA connaîtra de succès, plus il est probable qu’il subisse des pressions et des tentations réformistes ».

Pourquoi un tel fatalisme. ? Pourquoi le développement du NPA entraînerait-il mécaniquement des tentations réformistes ? Il faut de ce point de vue faire la différence entre un « trade-unionisme spontané » [8], pour reprendre une formule de Lénine, et le réformisme comme projet politique organisation voire appareil… Et ce « trade-unionisme spontané », s’il peut former un terreau favorable aux idées réformistes, peut aussi, confronté à l’alignement de plus en plus important des appareils réformistes sur la politique capitaliste, s’orienter vers des positions radicales, anticapitalistes, voire révolutionnaires, surtout lorsque le système capitaliste entre dans une phase où il atteint ses limites historiques.. Il est logique, si nous construisons un parti populaire, pluraliste, large, ouvert, que ce parti subisse toutes sortes de pressions. C’est le contraire qui serait anormal. Mais pourquoi ces pressions se traduiraient-elles en positions réformistes cristallisées ? Il y a et il peut y avoir une tension entre le caractère anticapitaliste du nouveau parti, et le fait que des salariés, des jeunes voire une série de personnalités rejoignent le nouveau parti, tout simplement parce qu’ils recherchent un vrai parti de gauche, notamment à partir des interventions d’Olivier Besancenot.

Ces nouveaux adhérents peuvent être, effectivement, combatifs mais pleins d’illusions. C’est le lot de tout parti de masse, même minoritaire. C’est là qu’il faudra discuter, former. Cela implique d’autant plus de donner des contenus « forts » aux réponses politiques du NPA et veiller au caractère radical et à l’indépendance du parti.

De même, si ces partis veulent jouer un rôle dans la réorganisation des mouvements sociaux, ces partis doivent êtres pluralistes. Nombre de sensibilités doivent s’y retrouver, y compris des militants et des courants « réformistes conséquents », mais cela n’induit pas mécaniquement que le problème se pose en termes de luttes entre le courant révolutionnaire et des courants réformistes cristallisés qu’il faudrait combattre. La question clé étant que tous les courants et militants du NPA, au-delà de leurs positions sur « réforme et révolution », mettent au centre « la lutte de clases » et subordonnent leurs positions dans les institutions aux luttes et mouvements sociaux. Bien entendu, nous ne pouvons écarter l’hypothèse d’un affrontement entre réformistes et révolutionnaires. Mais il est peu probable, avec les délimitations politiques actuelles du NPA, que des courants réformistes bureaucratiques adhèrent ou se cristallisent... Dans une première phase historique de construction du parti, le rôle des révolutionnaires est de tout faire pour que le processus de constitution du parti accouche vraiment d’une nouvelle réalité politique. Cela implique que les révolutionnaires évitent de projeter les débats de l’ancienne organisation révolutionnaire dans le nouveau parti.

Sitôt que le NPA aura pris son envol, il y aura bien sûr des discussions, des différenciations, des courants. Certains débats recouperont peut-être des clivages entre perspective révolutionnaire et réformisme plus ou moins conséquent. Mais même dans ces cas-là, le débat ne se fera pas dans une bataille politique opposant un bloc réformiste bureaucratique aux révolutionnaires. Les choses seront plus mêlées en fonction de l’expérience propre du nouveau parti.

Faut-il, de manière séparée, organiser un courant révolutionnaire dans le NPA ? Là aussi, il n’y a pas de modèle. Dans nombre de partis anticapitalistes, il y un ou plusieurs courants révolutionnaires, lorsque ces partis sont en fait des fronts ou des fédérations de courants. C’est le cas des militants de la IVe au Brésil, dans le cadre du courant « Enlace ». Sans s’organiser en courants politiques liés à la vie politique nationale de ces partis, certaines sections de la IVe Internationale peuvent s’organiser en associations ou sensibilités idéologiques. C’est par exemple le cas de l’ASR au sein du Bloc de gauche au Portugal, du Sap au sein de l’Alliance rouge et verte au Danemark. On peut aussi retrouver ce type de courants dans d’autres organisations ou partis plus larges.

Ce schéma ne fonctionne pas pour le NPA. D’abord pour des raisons fondamentales, à savoir le caractère anticapitaliste et révolutionnaire « au sens large » du NPA, et les identités de vue générales entre les positions de la LCR et celles du NPA. Il y a et il y aura bien sûr, des différences politiques entre la LCR et le NPA, une plus grande hétérogénéité et une grande diversité de positions au sein du NPA, mais les bases politiques en discussion pour le congrès constituant du nouveau parti démontrent déjà le convergences politiques entre l’ex-LCR et le futur NPA.

Aussi, même si le NPA constitue déjà une autre réalité que la LCR, même si c’est le creuset possible d’un pluralisme anticapitaliste, il n’est pas justifié aujourd’hui de construire un courant révolutionnaire séparé dans le NPA. Il y a aussi une relation spécifique entre l’ex-LCR et le NPA. L’ex LCR représente la seule organisation nationale participant à la constitution du NPA. Il y a d’autres courants comme la fraction de LO, la GR, des militants communistes, des libertaires mais il n’y a malheureusement pas, à cette étape, d’organisations au poids équivalent à la LCR.

Si cela avait été le cas, le problème se poserait en d’autres termes. Dans les rapports de forces actuels, l’organisation séparée de l’ex-LCR dans le NPA bloquerait le processus de construction du nouveau parti. Elle instaurerait un système de poupées russes qui ne créerait que méfiance et dysfonctionnements.

Enfin, le NPA ne sort pas du néant. Il résulte de toute une expérience de militants de l’ex LCR mais aussi de milliers d’autres qui se sont forgé une opinion dans une bataille pour défendre une ligne d’indépendance vis-à-vis du social libéralisme et du réformisme.

Il y a donc une synergie militante au sein du NPA où les positions révolutionnaires croisent d’autres positions politiques venues d’autres origines, d’autres histoires, d’autres expériences. Seuls les nouveaux tests politiques redistribueront les cartes au sein du NPA, pas les anciennes appartenances…

C’est un pari inédit dans l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire, mais le jeu en vaut la chandelle. Nous avancerons en marchant…

François Sabado

[1] Cf. Mike Gonzalez La scission dans le Scottish Socialist Party,

http://quefaire.lautre.net/articles/05ssp.html

et Chris Harman, La crise de Respect,

http://tintinrevolution.free.fr/fr/harmanrespect.htm

[2] Le Monde, 23 août 2008.

[3] J. Rees, « Anti-Capitalism, Reformism and Socialism », International Socialism, série 2, numéro 90 (2001), p. 32.

[4] F. Sabado, « Nouveau parti anticapitaliste et front unique », Que faire ?, numéro 8, mai-juin 2008, et sur ESSF : Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Front unique.

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article10648

[5] « Pour un anticapitalisme et un socialisme du XXI° siècle », Contribution de la LCR à la réunion des 28 et 29 juin 2008,

http://www.lcr-rouge.org/spip.php?article1685

[6] J. Rees, « Anti-Capitalism, Reformism and Socialism », International Socialism, série 2, numéro 90 (2001), p. 32.

[7] Voir : Ernest Mandel, Pourquoi sommes-nous révolutionnaires aujourd’hui ?

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php...

[8] Formule de Lénine pour évoquer la réaction ou le sentiment syndical spontané des travailleurs pour défendre leurs conditions de travail, de vie et leurs revendications.

Voir ci-dessus