L'insurrection zapatiste au Chiapas, 15 ans après
Par JM. Antentas, E.Vivas et EZLN le Vendredi, 02 Janvier 2009 PDF Imprimer Envoyer

Ce 1er janvier 2009 est le 15e anniversaire de l'insurrection zapatiste au Chiapas, au moment où entrait en vigueur le Traité de Libre Commerce (TLC) entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. L'irruption de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) avait ébranlé l'ambition du gouvernement néolibéral corrompu de Carlos Salinas de Gortari de présenter ce TLC comme «l'intégration définitive» du Mexique dans la «modernité». Le soulèvement a galvanisé l'opposition à un Traité qui avait déjà suscité au cours du processus de négociations de vastes campagnes de protestation ainsi qu'une dynamique intéressante et innovatrice de coordination des luttes entre syndicats, mouvements sociaux et organisations diverses des trois pays concernés.

Le soulèvement zapatiste a marqué symboliquement le début d'un nouveau cycle international de luttes et de contestation du «nouvel ordre mondial» proclamé par Bush père en 1991 pour définir la réorganisation du monde consécutive à la chute du Mur de Berlin en 1989; à la première guerre du Golfe en 1991 et la désintégration de l'URSS à la fin de cette même année.

Les zapatistes ont été les premiers à codifier un discours général, critique et cohérent du nouvel ordre mondial, en plaçant d'emblée leur combat particulier dans le cadre d'une remise en question globale de cet ordre, au nom de la «défense de l'humanité et contre le néolibéralisme». Selon les propres termes du Sous-Commandant; «Marcos est un gay à San Francisco, un Noir en Afrique du Sud, un Asiatique en Europe, un Chicano à San Isidro, un anarchiste en Espagne, un Palestinien en Israël, un Indigène dans les rues de San Cristobal, un Juif dans l'Allemagne nazie, une féministe dans un parti politique, un communiste dans l'après-guerre froide...».

La révolte zapatiste combinait de manière particulière le neuf et l'ancien, la défense des droits indigènes et l'utilisation des nouvelles technologies dans le cadre d'une habile politique de communication. Bien qu'elle n'était pas exempte de limites et de contradictions, cette révolte s'est dotée d'un langage et d'objectifs stratégiques innovants dans un moment de crise et de désorientation dans toute la gauche.

Les zapatistes ont également été pionniers dans les tentatives d'articuler à l'échelle internationale les résistances contre le nouvel ordre mondial, notamment avec l'organisation de la Première Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme dans la Selva Lacandona en 1996. Ils ont donné une impulsion décisive à l'émergence de ce qui deviendra le «nouvel internationalisme des résistances», qui aura son heure de gloire à partir de la mobilisation de Seattle en novembre 1999 contre le sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), un événement qui marque l'irruption du mouvement dénommé à l'époque «anti-mondialisation», puis «alter-mondialiste».

Mais à l'aube du nouveau siècle, la visibilité spécifique du zapatisme a justement commencé à perdre sa force avec l'ascension du mouvement alter-mondialiste, avec sa longue liste de splendides mobilisations internationales à l'occasion des sommets officiels entre 1999 et 2003; avec la naissance du Premier Forum Social Mondial à partir de 2001; avec le mouvement contre la guerre en Irak en février 2003; avec l'accélération des résistances contre le néolibéralisme dans toute l'Amérique latine, initiée symboliquement avec la «guerre de l'eau» à Cochabamba (Bolivie) en avril 2000 et la consolidation et la radicalisation d'expériences de gouvernements progressistes au Venezuela, en Bolivie, en Equateur et au Paraguay.

Malgré tout, le zapatisme a encore connu des moments importants de visibilité et de centralité politique à l'occasion de quelques initiatives importantes telles que la «Caravane zapatiste» vers Ciudad Mexico en février-mars 2001 qui a culminé avec un meeting de masse de Marcos sur la Place du Zocalo, ainsi qu'avec «L'Autre campagne» en 2005 et 2006. Le zapatisme est ainsi parvenu à rester une référence pour les mouvements de résistance au capitalisme global.

Le monde d'aujourd'hui est assez différent de celui du d'il y a 15 ans. Le «nouvel ordre mondial» annoncé par Bush père bat de l'aile. Si, à l'époque, les Etats-Unis incarnaient l'unique et indiscutable superpuissance, ils apparaissent aujourd'hui comme une puissance en déclin qui lutte afin de maintenir son hégémonie mondiale. Si le néolibéralisme, codifié dans le dénommé «Consensus de Washington» se présentait comme l'unique politique possible et se trouvait alors à son apogée historique, il souffre aujourd'hui d'un fort discrédit et d'une remise en question. Et, enfin, si le capitalisme sortait à l'époque victorieux de la «guerre froide» et apparaissait comme un système économique sans rival promettant la prospérité pour le monde entier, aujourd'hui, son caractère destructif est de plus en plus mis en évidence avec la grave crise qu'il traverse. Non seulement il s'est révélé incapable de satisfaire les besoins élémentaires de la majorité de l'humanité, mais il menace de plus la survivance elle-même de l'espèce humaine du fait de la crise écologique globale qu'il a provoqué.

Depuis le soulèvement zapatiste, les politiques néolibérales se sont approfondies, accélérées et généralisées, mais ses propres contradictions ont provoqué à leur tour de croissantes et multiples résistances, bien qu'insuffisantes que pour les mettre définitivement en déroute et imposer un changement de paradigme.

«Ya Basta» («Ca suffit!»), tel a été le cri de rage et d'indignation lancé par les insurgés zapatistes. Ya Basta, tel est le sentiment, pensé et exprimé par les millions de personnes qui au cours de ces 15 dernières années se sont rebellées contre l'ordre actuel des choses et qui, avec leur pratique, ont définitivement enterré la thèse de la «fin de l'histoire» proclamée peu de temps avant le soulèvement zapatiste par Francis Fukuyama et par tous les idéologues néolibéraux. L'histoire ne s'est jamais terminée et le résultat de la partie est encore indéterminé.

Josep Maria Antentas y Esther Vivas / Público [1]

http://www.espacioalternativo.org/node/3347

[1] http://blogs.public.e/dominiopublico/990/chiapas-15-anos-despues/

Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Communiqué de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale pour le 15e anniversaire du soulèvement armé

Nous zapatistes et peuples indigènes qui nous sommes proposés de lutter pour un monde meilleur et plus humain, nous sommes de plus en plus persécutés et brutalisés par les mauvais gouvernements de notre pays, par les puissants et leurs partis politiques.

Depuis 15 ans, nous subissons les menaces, les agressions, les persécutions, les attaques militaires et paramilitaires. Le mauvais gouvernement, ses partis politiques et leurs alliés, y compris des personnes pauvres, ne cessent leurs multiples attaques dans le but d'arrêter notre lutte et de détruire notre base, qui est celle de tous les peuples en résistance.

Pendant 15 ans, le mauvais gouvernement a créé, financé et entraîné des groupes paramilitaires dans tous les villages dans le but de provoquer, de menacer et de diviser nos peuples. Afin d'affaiblir et de détruire nos bases sociales, le mauvais gouvernement a distribué les aumônes au travers de ses programmes assistantialistes aux familles affiliées aux partis politiques dans le but de contenir, de faire taire et de calmer la faim parmi les pauvres.

Le mauvais gouvernement a tenté de convaincre et d'acheter la conscience de nos bases d'appui, en leur promettant de meilleures conditions de vie afin d'oublier leurs morts et leurs justes demandes. Malheureusement, dans l'espoir que leurs conditions de vie allaient s'améliorer sans lutter, il existe de frères indigènes qui sont tombés dans ces pièges posés par le mauvais gouvernement.

Mais nous zapatistes, ne nous sommes pas soulevés en armes pour demander des miettes ou pour que l'on nous traite comme des mendiants. Nous luttons pour la véritable démocratie, la liberté et la justice pour tous. Nous luttons pour le bien de l'humanité et contre le néolibéralisme. Nous luttons pour un autre monde, plus juste et plus humain. Pour un monde où chaque habitant de notre planète trouve sa place.

Mais les mauvais gouvernements, les puissants, ceux qui se considèrent comme les seigneurs et maîtres de tout, s'obstinent à piller les richesses de nos peuples, à détruire la nature et à détruire l'humanité.

Il est nécessaire et urgent que toute les bonnes et honnêtes personnes de notre pays et de tous les pays du monde unissent leurs paroles, leurs luttes, nos résistances et notre digne rage.

Nous avons l'espoir qu'un autre monde est possible. C'est pour cela que nous invitons et demandons à tous les frères et soeurs, aux compagnons de Mexico et du monde entier, à s'organiser et à s'unir partout contre l'ennemi commun. Nous devons chercher la forme et les mécanismes de comment unir et globaliser nos luttes, nos résistance, notre révolte. Cela sera seulement possible si nous marchons et luttons ensemble, sans tenir compte du temps et des distances qui nous séparent.

Frères et soeurs, compagnons, portons nos drapeaux de lutte, renforçons et élargissons notre résistance, notre lutte, notre digne rage et révolte.

Nous, zapatistes et peuples originaires de ces terres, nous allons poursuivre de l'avant la lutte que nous initiée. Nous allons continuer à résister avec dignité et révolte aux coups portés par le mauvais gouvernement.

En 15 ans d'agressions, nous avons appris à résister et à survivre, mais c'est également parce que nous avons pu compter avec le soutien et la solidarité de beaucoup de frères et de soeurs du Mexique et du monde entier.

C'est ainsi que nous avons commencé à construire nos autonomies à différents niveaux, dans la santé, l'éducation, le commerce et dans l'auto-gouvernement de nos peuples. Nos autorités ont tenté de résoudre les problèmes de nos peuples et les besoins de nos communautés, mais la plus grande part de ces derniers restent sans solution. La faim, la misère et les maladies augmentent chaque jour.

Malgré tout, nous continuons à avancer dans notre lutte parce que nous ne trahirons pas le sang de nos morts, de ceux qui ont lutté jusqu'à donner leur vie pour la démocratie, la liberté et la justice. Nous continuirons à suivre leur exemple, à suivre notre consigne de lutter pour la patrie ou de mourir pour la liberté.

Comité clandestin révolutionnaire indigène, Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale (CCRI-CGEZLN)

Depuis le "Caracol 2" à Oventic, zone des Altos du Chiapas, Mexique, 1er janvier 2009

(Retranscription du message lu en espagnol par le Commandant David et en tzotzil par le Commandant Javier). Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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