L'Etat au bord de la faillite? Exigeons que l'on prenne l'argent là où il est!
Par Jan Willems le Dimanche, 13 Septembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Comme partout, l’économie belge a été frappée de plein fouet par la crise. Selon le Bureau du Plan, le Produit Intérieur Brut (PIB) se réduira de 3,8% en 2009, ce qui en fait une des deux plus graves crises depuis 1945. Bien que selon ces mêmes estimations, la croissance redeviendra positive en 2011, on projette un taux de chômage qui se maintiendra au-delà des 15% pour de nombreuses années.

La crise va fortement détériorer les finances publiques. D’une part la hausse du chômage augmente les dépenses de l’Etat et d’autre part la baisse des revenus, de la consommation des ménages et des bénéfices des entreprises réduisent les recettes. A quoi il faut ajouter les 20 milliards offerts par l’Etat pour soutenir les grandes banques capitalistes. Selon les analystes, l’endettement de l’Etat passerait de 83% du PIB en 2008 à 100% en 2010 et au-delà de 110% en 2015. Il faudrait atteindre 2019 pour atteindre le niveau actuel d’endettement de l’Etat à condition, selon ces prévisions, de poursuivre des politiques d’austérités très dures pendant une décennie entière. Cela fait dire à Vanhengel, le ministre fédéral du budget, que la Belgique est « virtuellement en faillite ». D’autres économistes de premier plan comme l’ex-sénateur VLD Paul de Grauwe déclare que tels propos sont irresponsables et fantaisistes. Ce qui est sûr c’est qu’une partie des politiciens de la bourgeoisie prépare la population à des plans d’austérité brutaux qui n’auront rien de virtuels, eux. On conditionne la population en lui présentant comme inévitable l’option de se serrer la ceinture pendant au moins une décennie.

L’Etat belge est évidemment loin d’être en banqueroute, même si la dette dépassait les 110% du PIB. La dette de l’Etat japonais a dépassé les 170% du PIB au début de cette décennie et le gouvernement Japonais a pu continuer à obtenir ses prêts. Le problème n’est pas tant une faillite que la charge de l’intérêt de la dette, qui pourrait s’élever autour de 5% du PIB. Cela signifie que sur 100 euros de richesse créé par un travailleur, 5 euros serviront simplement à payer les intérêts de la dette aux créanciers de l’Etat, c’est-à-dire principalement à la bourgeoisie. Pour garder la dette publique sous contrôle, les politiciens bourgeois n’ont que deux stratégies : réduire les dépenses par l’austérité et augmenter les impôts. Les gouvernements, régionaux et fédéral, ne comptent pas remettre fondamentalement en cause les politiques fiscales en faveur de la bourgeoisie et des entreprises capitalistes qu’ils appliquent depuis trente ans.


 

2007

2008

2009

2010

2011

Croissance du PIB

2.8

1.2

-3.8

0

2.4

Emploi intérieur (variations en milliers)

77.4

71.6

-36.6

-53.2

17.2

Taux de chômage

12.6

11.8

13.2

14.9

15.2

Déficit public annuel

(% du PIB)

-0.3

-1.2

-4.3

-5.6

-5.9

Dette publique

(% du PIB)

83.9

89.3

93.8

97.9

100

Ce sont les cadeaux octroyé à la bourgeoisie qui ont entretenu la dette de l’Etat

Au début des années 1980, les gouvernements chrétiens-libéraux de Martens ont mis en place des centres de coordination financière grâce auquel les multinationales payaient trente fois moins d’impôts grâce à des taux de taxation compris entre 1 et 0,01% !

Les gouvernements chrétiens-socialistes de Dehaene ont baissé le taux d’imposition de la tranche des revenus située au-delà du seuil équivalent au triple du salaire moyen belge de 71 à 50% Ils ont aussi supprimé l’impôt sur les plus values boursières (encourageant ainsi la spéculation financière)… des milliards de cadeaux au 1% le plus riche des belges.

Avec les gouvernements libéraux-socialistes de Verhofstadt, Reynders et Di Rupo, grâce à des entourloupes comme les fameux intérêts notionnels, le niveau d’imposition effectif des bénéfices des sociétés privées est tombé à moins de 24%, de l’aveu même du ministre des finances ! Et évidemment, les diverses exemptions fiscales du genre des contrats « Rosetta » (du nom du film poignant des frères Dardenne mais c’est bien là le seul aspect social de ces contrats) imaginés par la PS Laurette Onkelinx pour permettre aux entreprises de na pas payer leurs cotisations à la sécu pendant plusieurs mois pour chaque jeune que les entreprises embauchent, mesures qui ont creusé le trou de la sécurité sociale.

L’administration fiscale est sous-équipée et manque de personnel, ce qui facilite la grande fraude fiscale. Et même lorsque les fonctionnaires du fisc décident de poursuivre une grande entreprise pour fraude comme la banque KB, dont la filiale la KB-Lux a aidé ses clients à détourner 15 milliards d’euros dans le paradis fiscal luxembourgeois, les capitalistes peuvent compter sur la bienveillance du gouvernement. Au lieu de payer l’amende prévue de 1000%, le ministre des finances, dans sa grande clémence, ne fit payer à la KB qu’une amende de… 40% ! Une véritable incitation à frauder encore plus. La famille Boël qui dispose d’une fortune immobilière estimée à 45 millions d’euros a éludé l’impôt des successions de 30% en créant une société dénommée Domanoy. Officiellement leurs châteaux sont maintenant des biens de sociétés, mais qu’ils occupent comme avant. Par contre les héritiers des familles populaires qui ont acheté une petite maison à St-Gilles du temps où c’était encore abordable paieront des droits de succession au prix fort, certains n’auront comme choix que de vendre la maison de leur parent ou de leur conjoint(e) pour payer ces impôts. Les lois fiscales qui couvrent les biens des sociétés privées (véhicule, immobilier, essence) sont autant de failles dans lequel les experts fiscaux des familles milliardaires s’engouffrent pour échapper à l’impôt.

L’argent pour rembourser la dette, il y en a …chez les grands bourgeois belges

Car l’argent, contrairement aux dires des médias et des politiciens qui défendent la grande bourgeoisie, il y en a et plus qu’assez pour rembourser la dette. Même à 110% du PIB, la dette reste inférieure à 400 milliards d’euros. Le total des actifs financiers et immobiliers belges déclarés s’élevait il y a 10 ans à 1500 milliards. En tenant compte des forts gains de la décennie précédente, le chiffre est aujourd’hui probablement plus proche des 2000 milliards. On sait que le 1% des plus riches belges détiennent à eux seuls 25% de ces richesses, soit autour de 500 milliards ! Voilà la caisse dans la laquelle on peut ponctionner pour rembourser la dette de l’Etat.

Car n’oublions pas d’où vient cette fortune. Elle provient notamment de la spéculation boursière et immobilière qui a créé cette crise (voir ci-dessus). Elle provient de ces profits qui ont été obtenu en exploitant de plus en plus les travailleurs ces trente dernières années par le biais des licenciements, de l’accroissement des charges et des rythmes de travail (et les accidents qui les accompagnent) ainsi que par la précarisation du travail (CDD, intérims, faux indépendants)…C’est celle qui s’est faite sur le dos des travailleuses et travailleurs !

Si l’on n’impose pas un changement radical du système fiscal et que les gouvernements continuent à octroyer ces cadeaux fiscaux aux super riches, on sait que va arriver : ce seront les travailleurs qui vont se serrer la ceinture. Mais si en moyenne chaque individu qui fait partie du 1% le plus riche de la population belge doit posséder autour de 10 millions, l’immense majorité des travailleurs ne dispose dans le meilleur cas que d’une petite épargne de quelques milliers d’euros et de la maison ou l’appartement qu’ils habitent. Et c’est eux qui devraient se sacrifier pour payer une crise dont ils sont les premières victimes, pendant que les coupables eux continuent à spéculer, à s’offrir des Rolls et des robes à vingt mille euros !

Un programme de droite dure qui vise à faire payer les classes populaires, quelles que soient les couleurs des partis de gouvernements

Dans cette crise, si le monde du travail n’arrive pas à se mobiliser pour imposer un programme radical visant à supprimer les cadeaux fiscaux aux riches et à leur imposer un prélèvement sur leurs grandes fortunes, les gouvernements appliqueront un programme de droite dure, quelle que soit la coalition de partis aux différents niveaux de gouvernements, fédéral ou régional.

Concrètement, si l’on refuse de faire payer aux riches la crise qu’ils ont créée, il n’y a guère d’autres options que d’écraser la population laborieuse sous de nouvelles taxes et d’accélérer le démantèlement de la sécurité sociale et des autres services publics. Bien sûr la participation des socialistes, des écolos et des conservateurs chrétiens dans les différents niveaux de gouvernements pose quelques problèmes pour appliquer ouvertement une politique de droite dure anti-ouvrière et antisociale. La politique frontale de droite défendue par les libéraux n’a pas convaincu les travailleurs à Bruxelles, en Wallonie ou en Flandres. Ce sont les conservateurs chrétiens au nord et les écolos au sud qui offraient une politique moins ouvertement antisociale qui ont été les gagnants des dernières élections. Les socialistes francophones ont joué et bénéficié de la peur « du bain de sang social » qui suivrait une victoire des libéraux. Mais quels que soient leurs discours, tous ces partis ont la même optique. Il s’agit de rembourser la dette sans fondamentalement modifier les exemptions fiscales accordées aux plus riches depuis trente ans. Alors l’équation est la même, qu’ils le fassent ouvertement comme libéraux ou la droite populiste, ou qu’ils le cachent comme les conservateurs chrétiens, les socialistes et les écolos.

On voit déjà se profiler les attaques contre les salariés de la fonction publique. Selon la ministre CDH Simonet, les enseignants devraient travailler plus chaque semaine tout en reculant l’âge de la retraite. « Ils ne travaillent que 20 à 22h par semaine ! » déclarait la ministre à la RTBf en oubliant bien sûr de mentionner le travail des enseignants en dehors de leurs cours. Ces mensonges visent à désolidariser les travailleurs et à faire passer les fonctionnaires pour des privilégiés. Mais rien ne dit que les enseignants resteront sans réagir aux contre-vérités de la ministre. Le gouvernement propose de supprimer des conseillers en prévention contre les accidents du travail pour économiser 6,5 millions d’euro. Pour faire des économies, commençons plutôt par engager plus de personnel au Service Public Fédéral (SPF) Finances pour lutter contre la fraude fiscale des riches qui coûte des dizaines de milliards d’euros au trésor public chaque année. Partout, les taxes locales augmentent, parfois de 50% comme sur les poubelles dans de nombreuses communes. La direction du SPF Finances a passé un accord avec le SPF Intérieur pour que les contraventions non payées soient directement incluses dans le calcul de l’impôt des citoyens. Il faut que l’argent rentre…mais l’argent des petits seulement.

Ce n’est qu’un début. Si la dette publique évolue comme les analystes le prévoient, les charges d’intérêts pourraient dépasser les 25 milliards par an. Il faudra donc racketter plus la population et sabrer plus dans les services publics et les prestations sociales. La Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), l’association patronale belge, n’y va pas par quatre chemins. Elle propose carrément d’économiser 5 milliards d’euros en ne renouvelant pas des dizaines de milliers fonctionnaires qui partent à la retraite. Elle propose aussi de bloquer le niveau des dépenses de santé, il est vrai que les patrons peuvent s’offrir des cliniques privées.

Les travailleuses et travailleurs, les allocataires sociaux, les pensionnées et pensionnés ne peuvent compter que sur leurs propres luttes pour éviter de payer cette crise à la place de la bourgeoisie

On ne peut évidemment pas faire confiance aux partis de gouvernement, même ceux qui prétendent défendre les acquis sociaux comme les socialistes, les verts, voire les conservateurs chrétiens. Bien naïf est celui qui croit encore Laurette Onkelinx lorsqu’elle déclare : « pour rééquilibrer le budget, il faut quelque chose de fort sur les banques. C’est aussi simple que ça. » tout en se gardant bien de dire ce que concrètement sera « ce quelque chose de fort »… Un autre plan Rosetta de son cru peut-être ? Ou alors attaquer des milliers d’enseignants comme elle l’a fait lorsqu’elle était ministre à la Communauté française dans les années 1990 ? Comme ministre, elle a accepté les intérêts notionnels de Reynders et tous autres les cadeaux fiscaux que les gouvernements ont distribués aux patrons. Et les socialistes sont dans tous les gouvernements de manière ininterrompue depuis plus de vingt ans. Les verts, du fait de leur faible implantation dans les milieux populaires, virent à droite bien plus vite encore que les socialistes et proposeront des taxes vertes qu’ils prétendent faire payer à tous, riches comme pauvres, sauf que les riches peuvent s’offrir des bons conseiller fiscaux pour les éluder.

Que proposent les directions syndicales ? Le secrétaire général FGTB wallonne, Bodson écrit des propos assez radicaux dans sa carte blanche au journal Le Soir : « Tôt ou tard, il faudra bien oser une fiscalité sur les revenus du capital et appliquer la levée du secret bancaire. Il faudra bien braver le tabou de la réduction collective du temps de travail comme solution au chômage. Il faudra bien envisager, enfin, de sortir du «capitalisme du désastre» pour construire un autre modèle, basé sur la solidarité, le développement durable et la justice sociale ». Comme s’il avait existé un capitalisme sans désastre ! N’oublions pas qu’en juin dernier, les dirigeants de la FGTB appelaient à voter pour les socialistes alors que ces derniers ont participé à la réduction de la « fiscalité sur les revenus du capital ». Les dirigeants socialistes comme leurs homologues syndicaux font de grands discours radicaux mais qui n’engagent à rien. A la rentrée, aucune mobilisation de masse n’a encore commencé dans les milieux syndicaux.

Et que fera-t-on si les directions syndicales mobilisent leurs appareils ? Une énième ballade-manifestation de quelques heures entre la Gare du Midi et la Gare du Nord qui ne fait pas peur au gouvernement, qui connaît bien la musique, et encore moins aux patrons car cela ne leur coûte rien ? Il ne faudra pas qu’une telle manifestation reste sans lendemain comme ce fut le cas ces dernières années mais qu’elle soit un premier pas vers un mouvement déterminé qui fasse mal au patronat et au gouvernement. Or, les propositions concrètes communes des trois syndicats sont beaucoup plus sages et dociles face au grand patronat. Aucune mesure radicale n’est mise en avant qui imposerait fortement la grande bourgeoisie sur les fortunes qu’ils ont amassé ces dernières années en spéculant grandes fortunes. Ils sont même plus modérés que l’ex-sénateur VLD et professeur d’économie De Grauwe qui envisage au moins de faire payer des primes d’assurance aux les banques.

Lever le secret bancaire comme le suggère Bodson est effectivement une bonne chose mais on ne l’impose pas par une carte blanche dans le journal « Le Soir ». Il faut organiser une mobilisation de grande ampleur du monde du travail. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? N’est-il pas temps de mettre en avant la nationalisation de toutes les banques en les plaçant sous le contrôle des travailleurs et des usagers populaires pour commencer « à sortir de ce capitalisme du désastre »? Ou laisserons-nous les patrons privés des banques spéculer encore une fois avec notre épargne, la dilapider et nous demander de passer à la caisse lors du prochain sauvetage financier de l’Etat. Il est temps de privatiser les pertes (arrêtons de payer les actionnaires des banques) et de socialiser les profits des banques et assurances. N’est-il pas temps d’imposer les bénéfices des entreprises à 50% comme le faisaient de nombreux pays il y a trente ans ? N’est-il pas temps de supprimer les exemptions fiscales dont bénéficient les entreprises ? N’est-il pas temps d’imposer à la grande bourgeoisie un impôt exceptionnel de crise de 50% sur leur fortune ? Il restera à Albert Frère encore 1.6 milliards d’euros. Quant à son copain, l’autre Albert, le Saxe Cobourg-Gotha qui réside entre Laeken et Bruxelles, sa famille aura encore au moins 75 millions…de quoi s’acheter encore quelques yachts de 4.6 millions d’euros comme celui de cet été. Surtout que ses loyers et sa bouffe ne lui coûtent pas très cher. Non, vraiment, la bourgeoisie ne serait pas dans la misère, loin de là. Seules ces mesures radicales peuvent préserver les acquis sociaux dans l’état actuel de la crise et des finances publiques.

Mais pour les imposer, il faudra des grandes mobilisations, déterminées, de l’ensemble du monde de travail et non des luttes isolées, sectorielles ou communautaires. Des mobilisations dans lesquelles les travailleuses et travailleur exigeront d’aller chercher l’argent qui manquent dans les caisses de l’Etat là où il se trouve, c’est-à-dire dans les coffres de la grande bourgeoisie. Des mobilisations qui coûteront au patronat, comme ont su le faire les générations précédentes de travailleuses et travailleurs en 1932 ou en 1960. Ce sont à travers de telles mobilisations que nous pourrons sauvegarder nos acquis sociaux et faire passer la peur dans le camp de la bourgeoisie et des patrons ! C’est à ces mobilisations que nous devons œuvrer.

« L’Etat opprime et la loi triche ;
L’Impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’égalité veut d’autres lois ;
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
Égaux, pas de devoirs sans droits ! »

3ème couplet de l’Internationale

Voir ci-dessus