Austérité budgétaire : en douceur… et en profondeur!
Par Denis Horman le Mercredi, 21 Octobre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Herman Van Rompuy prend goût à la fonction de Premier ministre. Il vient de se livrer à un tour de force, en franchissant une première étape dans «l’assainissement des finances publiques», à la grande satisfaction des partis qui composent le gouvernement fédéral. Réduction du déficit public de 3,3 milliards d’euros sur les deux prochaines années et enveloppe de 966 millions d’euros pour des « politiques nouvelles ». Qui dit mieux?

Contents les libéraux ! Pas d’impôts directs nouveaux. Mais surtout, pas de taxation des revenus du capital. Cadeaux à leur électorat : dans l’horeca (hôtels, restaurants, cafés), une baisse de la TVA qui passe de 21% à 12% (uniquement pour les repas). Ce qui équivaut à 250 millions d’euros par an en moins pour le budget fédéral. Une mesure qui devrait, paraît-il, susciter des créations d’emplois dans ce secteur et favoriser la lutte contre le travail au noir. Satisfaite la ministre MR de l’Agriculture, Sabine Laruelle, avec 20 millions d’euros pour les agriculteurs, à travers une défiscalisation des primes accordées au niveau régional. Sans oublier le relèvement de la pension minimum des indépendants (coût : 56 millions d’euros).

Content le Parti socialiste ! Il n’y aurait pas de « bain de sang social », comme aime à le rappeler son président, Elio Di Rupo... alors que la crise bat son plein et que les licenciements se font de plus en plus nombreux! Le déficit de la sécurité sociale (estimé à 5 milliards d’euros) sera partiellement compensé par une dotation et un prêt de l’État. Le prêt devra être remboursé par la sécurité sociale pendant une vingtaine d’années. On ne touche pas aux allocations sociales. Il y aura même un petit coup de pouce à la lutte contre la pauvreté (200 millions d’euros). Satisfaite la ministre de la Santé, Laurette Onkelinx qui obtient une revalorisation salariale des infirmières (80 millions d’euros).

Content le CDH ! Il hérite de 300 millions d’euros pour prolonger ou amplifier des mesures «en faveur de l’emploi», ou plutôt des entreprises : prolongement du chômage économique pour les employés, dont la majorité du coût est supporté par la collectivité ; soutien à l’embauche des plus jeunes par une exonération totale de cotisations patronales à l'ONSS pour les travailleurs de moins de 19 ans très peu qualifiés ; baisse des charges patronales de 1000 euros pour les jeunes travailleurs de moins de 26 ans.

Grand prestidigitateur, le premier ministre s’est également livré à un tour de passe-passe. Le déficit budgétaire total se situe entre 20 et 25 milliards d’euros (1000 milliards d’anciens francs). Le gouvernement compte revenir à l’équilibre pour 2015. Le plus gros de l’effort et de l’austérité budgétaire est donc reporté après les prochaines élections législatives de 2011. Il s’agira, entre 2012 et 2015, de trouver chaque année quelque 4,4 milliards pour résorber le déficit budgétaire! Et cela, en tablant d’une part sur les restrictions budgétaires (compression et diminution des dépenses publiques dans toute une série de services publics) et, d’autre part, sur de nouvelles recettes touchant, pour l’essentiel, l’ensemble de la population (taxes, accises, augmentation des prix de certains produits et services, etc.).

La confection des budgets 2010-2011, pour lesquels le fédéral prend à sa charge 65% et les régions et communautés, 35%,  donne déjà une claire indication des choix et décisions politiques. Au fédéral, les 2/3 de l’assainissement des finances publiques (3,3 milliards d’euros au total sur les 2 années) seront supportés directement par la population, le tiers restant étant prélevé sur deux secteurs : l’énergie et les banques… qui comptent bien récupérer leur mise.

Région wallonne et Communauté française vont accuser une baisse de recettes de 1 265 millions d’euros rien que pour 2010. La Région wallonne (seule à même de percevoir des recettes) devra en trouver un peu plus de 100 millions pour la même année (impôts régionaux, redevance Télé, précompte immobilier sur les logements inoccupés, redevance gaz…). Mais le gros de l’effort portera là aussi sur la diminution des dépenses publiques au niveau de la région et de la Communauté française : près de 500 millions d’euros rien que pour 2010 (1) . Alors, «rigueur» ou réelle austérité budgétaire ?

La Flandre n’y échappe pas non plus. Le gouvernement flamand doit économiser  pour 1,5 milliard en 2010. Il veut mettre les bouchées doubles pour retrouver l’équilibre budgétaire en… 2011. Plusieurs départements ministériels se serreront la ceinture (ministère des Finances, Environnement, Enseignement, etc. mais aucun fonctionnaire ne devrait être licencié (2) !

Qui va payer ?  

« On épargnerait ceux qui ont été les responsables de la crise et on ferait payer les gens ? Je suis clair : avec moi, c’est non ! ». C’est ce que déclarait le Président du PS, Elio Di Rupo en septembre dernier (3) . Alors qu’en est-il pour ce budget fédéral 2010-2011 ?

Les banquiers et le secteur de l'énergie interviennent pour un tiers dans l’effort demandé. Une aumône en réalité !

À partir de 2010, les producteurs d’électricité sont appelés à payer entre 215 et 240 millions d’euros par an, en échange du prolongement de 10 ans de l’exploitation des vieilles centrales nucléaires de Doel 1 et 2 et Tihange 1. En tant qu’acteur le plus important, GDF Suez/Electrabel s’acquittera d’une contribution se situant entre 157 et 179 millions d’euros par an. Une broutille que Mestrallet, le patron de GDF-Suez qui contrôle Electrabel se refuse même de payer !

Soulignons d'abord qu'une simple taxe de 15 euros par mégawatt/heure rapporterait 900 millions d'euros par an et « ne nuirait en rien à la compétitivité de la production » selon les spécialiste. (5) Et rappelons qu'Electrabel a déjà bénéficié indûment de plus de 11 milliards d'euros suite à sa rente sur les centrales nucléaires, largement amorties par des prix sur-élevés payés par les consommateurs. Pendant les 10 prochaines années, la rente nucléaire des sept centrales belges s’élèvera annuellement à plus de un milliard d’euros, dont 75% iront à GDF Suez, le reste étant  partagé entre Luminus, EDF et E.on. Là aussi, qu’est-ce qui peut empêcher le géant de l’énergie de déduire cette somme de ses impôts ? En 2008, Electrabel/Suez a ainsi déduit la quasi-totalité d'une taxe spéciale de 250 millions d’euros… et n’a en fait payé aucun impôt !

Vu l’opacité du secteur de l’électricité en Belgique, où la commission de régulation publique, la CREG, avoue qu’elle n’a pas les moyens de connaître les coûts de fonctionnement d’Electrabel, rien ne garantit que comme dans le cas des banques, Electrabel ne fera pas payer l’addition à la population en augmentant la facture d'électricité.

Comme l'a dénoncé le Grappe, la prolongation des centrales nucléaires offerte en échange de cette « contribution » est une décision irresponsable qui brade la sécurité des populations ; « Faut-il rappeler à nos ministres que le vieillissement des installations aggrave dangereusement le risque nucléaire. ». Le Grappe met en outre le doigt sur le fait que « la libéralisation du secteur de production de l’électricité a entraîné une course à la compétitivité s’accompagnant d’une recherche permanente de réduction des coûts de maintenance et de contrôle au détriment des impératifs de sécurité, ce qui rend d’autant plus problématique le maintien en activité de vieux réacteurs. » (6) . Sans oublier que, du point de vue de la lutte contre le changement climatique, le nucléaire ne constitue absolument pas une réponse adéquate, au contraire (voir l'encadré ci-dessous).

Les banques et les compagnies d’assurance devront payer en 2010 et 2011 une contribution équivalente à 0,1% du total de leurs dépôts clients, qui font l’objet d’une garantie bancaire. C’est l’État (avec l’argent des contribuables) qui garantit, sur son budget, les dits dépôts. En cas de faillite d’une institution, les clients seront remboursés, à concurrence de 100 000 euros.

La contribution des banques s’élèvera, pour les années suivantes, à 540 millions d’euros annuels… ce qui correspond plus ou moins aux intérêts que le gouvernement fédéral doit payer chaque année sur les quelque 20 milliards qu’il a emprunté aux grandes compagnies financières pour sauver, en 2008, Fortis, Dexia, Ethias et la KBC du désastre ! Et rappelons que ces banques, renflouées par l'argent public, n’ont pas hésité à supprimer 6 200 emplois, dont plus d’un tiers (2 300) en Belgique...

Jean-Luc Dehaene, ex-premier ministre confortablement reconverti en administrateur de la banque Dexia, a déjà annoncé que de toute façon les banques répercuteraient l’entièreté de la contribution financière demandée par le gouvernement sur les consommateurs. La comédie d’Onkelinx et de Reynders est donc d’un cynisme total !

Cette contribution est en outre bien modeste en comparaison des « actifs » bancaires en Belgique estimés à 1 250 milliards d’euros, alors que le budget fédéral, c’est grosso modo 50 milliards d’euros, un rapport de 1 à 25 ! (4) . Et puis, pourquoi ces institutions se priveraient-elles de déduire cette somme de leurs impôts ? Déjà que les impôts payés par les banques et les compagnies d’assurance ne dépassent pas les 10% sur leurs bénéfices nets, grâce aux cadeaux offerts par Reynders et ses prédécesseurs au ministère des Finances, dont les fameux intérêts notionnels. (7)

Signalons d'ailleurs que le gouvernement ne touche pas à ces derniers. Il se contente de « geler » le taux d’application des intérêts notionnels à 3,8% (pour les 2 années à venir) au lieu de 4,307%.

Le gouvernement prétend s’attaquer à la fraude fiscale, qu’il mêle indistinctement à la fraude sociale. Comme si les quelques dizaines de millions des quelques chômeurs et allocataires qui travaillent au noir pouvaient être comparés aux dizaines de milliards (pas millions) que les fraudeurs fiscaux soustraient aux caisses de l’État. Le procès de la KB-Lux qui s’est ouvert cette semaine après 13 années d’obstruction rappelle comment une seule filiale de banque belge a pu contribuer à frauder pour 400 millions d'euros...

Selon la firme de consultance Mc Kinsey, la fraude fiscale belge s’élève à 30 milliards d’euros chaque année ! Dans sa « lutte contre la fraude fiscale », le gouvernement escompte une rentrée d'à peine plus de 500 millions d’euros… sur deux ans et par quelques mesures sans grande efficacité (décloisonnement entre les administrations fiscales…). Il se garde surtout bien prendre les seules mesures efficaces, comme la suppression du secret bancaire fiscal, l’arme des grands fraudeurs. Oubliée également la taxe sur les revenus boursiers et financiers. Ce qui amène les syndicats à faire le constat : ce budget n’opère pas de transfert réel de la taxation du travail vers celle du capital.

Oui, un budget d’austérité !

S’il épargne les riches, ce budget va par contre rogner sérieusement le niveau de vie la population. Comme on l'a vu, la réduction du déficit budgétaire, tant au niveau fédéral que régional et communautaire s’opère non pas d’abord en mettant l’accent sur les recettes, et plus précisément en allant chercher l’argent là où il est (les bénéfices des entreprises, les dividendes versées aux gros actionnaires, les fonds spéculatifs privés, les fonds de pension privés et les ménages les plus riches), mais bien en opérant une réduction drastique des dépenses publiques et en faisant payer indistinctement la population.

Ces mesures affecteront surtout les pauvres. Ainsi les abonnements de transport scolaires seront moins subventionnés et les TEC augmenteront leurs tarifs de 4.6%, ce qui touchera plus durement les familles défavorisées. Le diesel sera plus taxé, sauf pour les riches dirigeants d’entreprises qui pourront s’offrir de nouvelles voitures écologiques « de société ».  

Les universités verront leurs refinancement réduits de 50% pour les quinze prochaines années ! Les pressions pour faire augmenter les droits d’inscription des étudiants seront d’autant plus fortes. Les grandes facultés d’élites recevront des fonds privés de riches donateurs, comme vient de le montrer l'ULB avec la création d'un Fond privé, les autres verront leurs bâtiments, leurs ordinateurs et leur bibliothèque se dégrader progressivement. L’enseignement deviendra de plus en plus un système à deux vitesses.

Ce seront des compressions budgétaires de plus et des diminutions drastiques de l’emploi dans les services publics (non remplacement des départs), dans les Organismes d'intérêt public (TEC, Forem, RTBF, ONE pour la petite enfance, etc.), le gel des subsides des opérateurs culturels subventionnés, etc. Les services publics vont continuer à se dégrader et la population le paiera en temps d’attente, en qualité réduite ou sera parfois obligée de s’adresser aux firmes privées.

Il n’y a pas eu de « bain de sang social » se plait à rappeler le président du PS. On n’aurait pas touché au pouvoir d’achat des gens prétendent les ministres. Rien n’est plus faux !

Avec la montée du chômage et de la précarité, des urgences sociales sont purement laissées de côté. Quid pour les 15% de la population vivant sous le seuil de pauvreté (18% en Wallonie) ? Il y a aujourd’hui plus de 96 000  personnes qui dépendent du RIS (revenu d’intégration sociale) pour vivre ; c’est 4 200 de plus que l’année dernière. Quid pour les chômeurs de moins de 29 ans dont le taux de chômage s’élève à 21%. Selon les chiffres de l’Onem, il y avait, fin août 2009, 678 010 chômeurs en Belgique (une augmentation de 5,2%  par rapport au même mois de 2008) ? Quid pour la moitié de 2,5 millions de pensionnés qui touchent moins de 1 000 par mois ? Quid pour 70% des salariés-appointés qui gagnent moins de 1 700 euros par mois. Dans toutes ces catégories, les femmes et les personnes issues de l'immigration sont les plus durement touchées.

Et le pire est à venir. Selon les syndicats, il y eu, au cours du premier trimestre 2009, près de  2 500 licenciements collectifs et ça ne devrait pas s’arrêter. Selon le Bureau du Plan, il y aura 100 000 chômeurs supplémentaires en 2010.

Répartition des richesses : un plan d'urgence sociale est nécessaire !

L’urgence sociale et le report du gros de l’effort et de l'austérité budgétaire après les élections législatives de 2011 plaident pour une autre répartition des richesses, pour le renversement de la tendance prise depuis 25 ans dans cette répartition qui s’est faite au profit de l’actionnariat des grandes entreprises et des grandes compagnies financières. Il est grand temps de consacrer les richesses produites par les travailleur/euse/s à l’emploi, aux salaires, à la sécurité sociale, aux services publics et pas au profit de quelques uns et de la spéculation financière.

La question de la fiscalité directe, de la justice fiscale est au centre de cette redistribution des richesses produites par les travailleurs. Il est bon de le rappeler.

Les propositions ne manquent pas et les syndicats en ont présentées plusieurs ces derniers mois. Des mesures chiffrées qui pourraient, selon la FGTB, faire entrer, à court terme, 5,6 milliards d’euros dans les caisses de l’État et quelque 19 milliards à moyen et long terme.

Un constat d’abord. L’impôt n’est pas trop lourd, il est trop injuste. Il pèse trop sur le travail, pas assez sur le capital : 40% des recettes reposent sur les revenus du travail et 30% sur la consommation des ménages (TVA, accises), c’est-à-dire en gros aussi sur le travail. L’impôt sur les bénéfices des sociétés n’intervient dans les recettes que pour 13% et le capital pur pour 3% seulement. Or, selon la Constitution belge (article 172), « il ne peut être établi de privilèges en matière d’impôt ». On voit comment la bourgeoisie se moque de sa Constitution quand cela l’arrange.

Alléger l’impôt direct sur les tranches de revenus les plus basses et même sur les moyens revenus, voilà une mesure bienvenue à condition que d’autres facultés contributives soient réellement sollicitées : hauts revenus, dividendes, plus-values boursières, bénéfices des sociétés , grosses fortunes… Ce  n’est pas le cas aujourd’hui en Belgique, pays considéré à juste titre comme un paradis fiscal.

En fait, tous les revenus doivent, selon la Constitution, contribuer au financement de l’État selon la faculté  contributive de chacun. Cela suppose que des mesures décisives soient prises pour évaluer correctement les revenus. Pour ce faire, il y a un préalable : la levée du secret bancaire fiscal, permettant, entre autre l’établissement d’un cadastre des patrimoines financiers, une lutte efficace contre la fraude fiscale et, en l’occurrence, un impôt sur les grosses fortunes. Avec le Luxembourg et l’Autriche, notre pays reste un des derniers de l’UE à pratiquer le secret bancaire fiscal. Quant à l’impôt sur la fortune, celui-ci existe chez notre voisine, la France, avec un rendement relativement faible. Il a quand même généré 10,3 milliards d’euros de recettes entre 1997 et 2001 (8) .

Les propositions pour la justice fiscale et une autre redistribution des richesses ne peuvent rester confinées dans les programmes syndicaux et resservies lors d’un  prochain conclave budgétaire. Sans une large « opération vérité », accompagnée de mobilisations sociales et une véritable mise en demeure des parlements et gouvernements, le débat sémantique entre rigueur et austérité révèlera tout son côté surréaliste pour laisser place à une situation sociale et économique aux conséquences bien plus pénibles pour des couches plus larges de la population.

La gestion de la crise — crise financière, économique, sociale, écologique —, crise d’un système, le système capitaliste, de même que les faillites bancaires, les fermetures d’entreprises, les licenciements remettent à l’ordre du jour les questions de l'organisation de l’économie : par qui, au service de qui ? Va-t-on laisser dans les mains des profiteurs, des spéculateurs, des licencieurs, qui ont provoqué la catastrophe, le sort de millions de personnes ?

Il ne s’agit pas seulement de défendre et de se mobiliser pour une autre répartition des richesses, mais également de contester l’appropriation du capital et des grandes entreprises, des grands moyens de production et d’échange par une minorité infime de la population (groupes financiers, gros actionnaires des multinationales, fonds de pension privés…).

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un plan d’urgence sociale et écologique pour la défense de l’emploi contre les licenciements, la création de l’emploi public pour renforcer les services publics comme la santé, l’éducation, les transports etc…, la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires, l’arrêt des privatisations, la lutte contre le réchauffement climatique provoqué par la course au profit maximum. Et cela on ne pourra l’imposer qu’à travers une large mobilisation de la majorité des travailleurs, des pensionnés et des allocataires contre ces plans d’austérité des gouvernements au service des intérêts des riches capitalistes.

Nous ne le dirons jamais assez : ce n’est pas aux travailleuses et aux travailleurs de payer la crise. C’est aux capitalistes, et à eux seuls !

 



Le climat et la prolongation des centrales nucléaires : un choix absurde


La prolongation des centrales constitue une concession majeure au lobby de l'atome et à sa campagne mensongère qui présente le nucléaire comme la solution sans carbone par excellence, le deus ex machina technologique qui sauvera l'humanité des changements climatiques. On ne s'étendra pas ici sur la question des déchets radioactifs, ni sur le fait que les ressources connues d'uranium permettent seulement de faire fonctionner le parc actuel de centrales pendant 60 ans, ni sur le danger majeur résultant du fait que nucléaire civil et militaire marchent inévitablement la main dans la main . Non qu'il s'agisse de questions mineures — bien au contraire — mais parce que les arguments à ce sujet sont relativement bien connus. Il nous semble plus important d'insister sur l'absurdité technique du choix de l'atome dans le cadre d'une stratégie de lutte contre le basculement climatique.
Une première remarque à formuler est que l'atome « zéro CO2 » est un mythe. Certaines études montrent que si l'on prend en considération l'ensemble de la chaîne de production nucléaire — de la fabrication du combustible au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets — cette filière émet davantage de CO2 par kWh produit qu'une centrale à cogénération au gaz, et environ un tiers des émissions d'une centrale au gaz performante.

Plus fondamentalement, on ne peut qu'épouser l'argumentation développée par Benjamin Dessus et Hélène Gassin : le nucléaire ne permet pas de faire face aux pics de la demande de courant électrique car il fonctionne en quasi-continu. Par conséquent, il ne pourrait au mieux que remplacer deux tiers des centrales thermiques fossiles, donc réduire de 30% les émissions liées à la production d'énergie (et de 15% environ l'ensemble des émissions). D'une part, on est loin des 80 à 95% nécessaires pour ne pas trop dépasser 2°C de hausse de la température. D'autre part, cet objectif est totalement irréalisable en pratique. Les quelque 400 centrales atomiques existant à l'échelle mondiale couvrent à peine 17% des besoins en électricité. Sachant que l'Agence Internationale de l'Energie s'attend à un doublement des besoins d'ici 2030, atteindre deux tiers d'électricité d'origine nucléaire nécessiterait de construire chaque année l'équivalent du parc mondial, soit plus d'une centrale par jour, alors que le temps de construction est d'une dizaine d'années par installation. Il convient par ailleurs de tenir compte du fait que le nucléaire ne produit que de l'électricité et que l'électricité ne couvre que 16,2% des besoins énergétiques finaux à l'échelle mondiale. Une stratégie climatique basée sur l'atome devrait porter cette part à 60 ou 70%, ce qui nécessiterait encore plus de centrales et la construction de réseaux en proportion de ce développement. Techniquement, cela ne tient tout simplement pas debout.

Le nucléaire est structurellement incapable de constituer l'axe d'une parade contre le réchauffement. Cet axe ne peut être formé que par les renouvelables, seule solution de long terme. Or, ceux-ci sont incompatibles avec le nucléaire parce que la logique de mise en oeuvre des deux types de sources est complètement différente : décentralisation maximale pour les renouvelables, ultra-centralisation pour le nucléaire. Opter pour un mix entre le solaire et l'atome, même à titre transitoire, ne ferait que compliquer la révolution énergétique inévitable.

(Daniel Tanuro)


Notes:
(1) Voir « Wallonie-Bruxelles : budget 2010, un budget rigoureux et volontariste qui préserve l’essentiel ».
(2) Le Vif-L’express , 16 octobre 2009, p.32.
(3) Le Soir du 14 septembre 2009.
(4) Elio Di Rupo, ibid.
(5) Interview d'Eric De Keulenaar, professeur de finances à la Solvay Business School, Le Soir du 27/02/2008
(6) Groupe de Réflexion et d'Action  pour une politique écologique (Grappe), Communiqué de presse du jeudi 15 octobre 2009. « La prolongation accordée aux vieilles centrales nucléaires : une politique rétrograde qui menace gravement la population belge. »
(7) Sur les bénéfices réels de sociétés, l’impôt réel avoisine 16% contre 22,7% pour l’impôt sur le revenu professionnel. Voir la brochure du CEPAG, Centre d’éducation populaire André Genot, Justice fiscale = justice sociale, mai 2009, p.62.
(8) Marco Van Hees, « Didier Reynders, l’homme qui parle à l’oreille des riches », Ed. Aden, 2008, p. 80.

Voir ci-dessus