Il y a 50 ans: La fin du Congo belge et le début du néo-colonialisme
Par Jan Willems le Mardi, 12 Janvier 2010 PDF Imprimer Envoyer

Suite aux révoltes qui éclatèrent en 1959 dans la colonie belge du Congo, la conférence, dite de « la Table Ronde », entre les grands partis belges et les tout nouveaux partis congolais débutait en janvier 1960 à Bruxelles. Cette conférence allait déboucher sur la promesse d’octroyer l’indépendance du Congo pour juin 1960 mais en coulisse le gouvernement et la bourgeoisie belge préparaient la poursuite du pillage des riches ressources congolaises.

Pour comprendre les enjeux de cette conférence, il faut se replacer dans le contexte de l’effondrement du système colonial après 1945. Le choc de la Deuxième Guerre mondiale avait renforcé les contradictions des sociétés coloniales à travers le monde. La guerre avait généré des famines. Elle avait aussi transformé des millions d’hommes colonisés en soldats qui avaient été plongés dans les combats les plus meurtriers et qui ne voulaient plus être traités comme des esclaves. L’explosion anticolonialiste débuta directement à la fin de la guerre avec les révoltes dans l’empire français en Indochine (actuels Vietnam, Laos et Cambodge), à Sétif en Algérie, à Madagascar ainsi que dans l’empire britannique des Indes. Le retrait britannique de l’Inde, la défaite de l’armée française par les combattants anti-impérialistes indochinois en 1954 et le début de la guerre d’Algérie montraient aux grandes puissances impérialistes européennes qu’il serait de plus en plus difficile de garder les colonies comme telles.

Pourtant, le gouvernement belge ne voulu rien savoir. Dès 1946, le gouverneur général belge qui dirigeait le Congo avait pourtant constaté que rien ne serait plus comme avant la guerre et qu’il faudrait changer de système. Mais les gouvernements belges comme la puissante Société Générale de Belgique, la plus grande multinationale belge qui contrôlait les ressources minières du Congo, ne voulait pas lâcher la poule aux œufs d’or. Les colons blancs ne voulaient pas renoncer à leurs privilèges face aux indigènes qu’ils traitaient comme des domestiques et qu’ils exploitaient dans des conditions similaires à celle de l’Europe du 19ème siècle, voire du Moyen Age.

Les filiales des multinationales belges opérant au Congo étaient capables de générer du profit deux fois plus vite que les entreprises opérant en Belgique. La Société Générale et le gouvernement belge pillèrent l’uranium du Congo pour aider le développement de l’armement nucléaire américain et pour développer l’industrie nucléaire belge dans les années 1950 (Electrabel sera une filiale de la Société Générale). A la fin des années 50, l’indépendance du Congo n’était pas à l’ordre du jour de la bourgeoisie belge et de son gouvernement. Ainsi, un rapport officiel belge de 1958 prévoyait que le Congo pourrait éventuellement devenir indépendant dans les années 1980 !

Si la colonie rapportait beaucoup, elle n’avait pratiquement rien coûté aux dirigeants belges. Les infrastructures restaient très peu développées, hormis ce qui était nécessaire à la production et au transport des matières premières pillées par les entreprises belges. Elles avaient été construites par le travail forcé des peuples indigènes du Congo dont l’exploitation brutale de la fin du 19ème siècle s’était traduite par des millions de victimes. Les systèmes, plus que rudimentaires, de santé et d’éducation des congolais étaient principalement organisés par des religieux. En 1959, il n’y avait que quelques dizaines de congolais qui avaient eu accès à l’enseignement supérieur. La modernisation de la colonie s’était donc limitée à ce qui était indispensable au pillage des ressources naturelles du Congo.

Pendant cinquante ans les colonisateurs belges ,« civilisateurs », s’appuyèrent sur les chefs de tribus traditionnels pour diriger la colonie plus facilement et à moindre coût. Cela renforça des logiques tribales qui divisèrent les différentes ethnies congolaises pendant des décennies, qui bloquèrent l’émancipation des femmes et la diffusion des idées progressistes. Il fallait maintenir les colonisés dans l’ignorance et le conservatisme pour éviter des révoltes généralisées contre l’oppresseur colonial.

Le gouvernement colonisateur belge avait tout fait pour limiter l’émergence d’une conscience politique au sein des masses congolaises. Pourtant, l’explosion eut lieu en 1959. Le gouvernement belge se rendit à l’évidence, les populations congolaises ne se laisseraient plus faire comme jadis alors que tant d’autres peuples luttaient pour leur indépendance, y compris par la voie armée. En pleine guerre d’Algérie, le gouvernement belge ne pouvait que constater l’échec de l’armée française empêtrée dans ses guerres coloniales sanglantes, coûteuses et de plus en plus impopulaires en France elle-même. Le Congo ne pouvait pas devenir une autre Algérie.

En janvier-février 1960, le gouvernement belge organisa alors une conférence, dite de « la Table Ronde », à laquelle il invita les grands partis belges (sauf le Parti communiste) et les partis congolais qui venaient de se former. Quelques mois auparavant, le gouvernement belge envisageait encore de garder pendant des dizaines d’années un contrôle belge au Congo sur les affaires étrangères, la défense, l’économie, les transports et communications, la monnaie. Mais face à l’opposition des congolais indépendantistes et la peur d’une révolte générale, il fut convenu de donner l’indépendance au Congo pour juin 1960 ! Les grands partis belges (chrétiens, libéraux et socialistes) prétendirent ainsi « remettre toutes les clefs » du Congo aux Congolais.

Rien n’était plus faux. Le gouvernement belge, la Société Générale et les autres capitalistes belges ayant des intérêts au Congo continuèrent d’intervenir pour garder le contrôle des richesses minières congolaises. Ils décidèrent de créer une guerre civile qui allait déboucha sur la mise en place la dictature sanglante de Mobutu qui soumettra le Congo aux puissances occidentales pendant plus de trente ans !

Après la conférence, dite de « la Table Ronde, le gouvernement belge continua de contrôler l’appareil d’Etat colonial, certains partis congolais et la formation des cadres de l’armée, notamment du premier futur chef d’Etat major, un jeune sergent du nom de Mobutu. Malgré cela, les premières élections virent le succès de Patrice Lumumba, un ancien commis postier et petit employé d’une brasserie qui était devenu militant anticolonialiste. Lumumba voulait bâtir un Congo indépendant, moderne, capable de dépasser les clivages ethniques. Il devint alors le premier ministre du Congo indépendant au grand dam de la bourgeoisie belge qui ne le trouvait pas assez docile. La bourgeoisie belge le présenta comme communiste pro soviétique (ce qu’il n’était pas). Ainsi le grand journal catholique la Libre Belgique n’hésitait pas à la caricaturer avec des cornes de diable et à publier un éditorial qui regrettait que l’armée belge ne l’élimine pas simplement « d’un geste viril »!

Pour casser Lumumba, le gouvernement belge et la Société Générale organisèrent la guerre de sécession de la province du Katanga, la plus riche en ressources minières, dix jours seulement après la proclamation de l’indépendance. Le Congo fut alors plongé dans une sanglante guerre civile. Mais le gouvernement américain s’opposa à l’intervention directe belge car il craignait qu’une démarche aussi grossièrement colonialiste ne renforce le camp anti-impérialiste à travers toute l’Afrique. Le choix des services secrets américains et belges se porta alors sur le servile Mobutu et ils décidèrent d’assassiner Lumumba. Sous le couvert d’une intervention de l’ONU, les gouvernements des Etats-Unis et la Belgique aidèrent Mobutu à prendre le pouvoir organisant un coup d’Etat militaire.

Mobutu devint le dictateur à vie qui allait laisser les multinationales belges, américaines et françaises piller son pays tout en s’enrichissant de manière scandaleuse. Pendant des décennies, Mobutu prit 15 à 18% du budget de l’Etat pour sa présidence, soit environ 100 millions de dollars par an ! A ceux qui osaient le contester, les bourreaux de Mobutu n’hésitaient pas à torturer, à violer et assassiner par milliers les opposants. Cela n’empêcha pas la Belgique de continuer à former des officiers de l’armée du dictateur, pendant que le roi Baudouin et la reine Fabiola devenaient les parrains des enfants de Mobutu !

La corruption, la répression et le pillage systématique du pays par Mobutu et sa clique ainsi que par les grandes entreprises étrangères finirent par provoquer l’effondrement progressif de l’Etat au cours des années 1980-1990. En 1997, le gouvernement de Mobutu fut chassé par les armées voisines du Rwanda et de l’Ouganda et son régime s’effondra. Le pays se retrouva alors plongé dans une guerre sanglante pendant plus de dix ans dans laquelle se sont affrontés des bandes armées des seigneurs de guerre congolais ou étrangers, soutenues par les grandes puissances occidentales comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Mais les matières premières ont continué d’être pillées pour le profit des firmes multinationales. En 2007, les Nations-Unies estimaient que, depuis 1997, entre 5 et 10 milliards de dollars de matières premières avaient été pillées pour être revendues sur les marchés internationaux par les divers seigneurs de guerre opérant au Congo. La guerre au Congo a déjà tué plus de trois millions de personnes. Des centaines de milliers de femmes ont été violées et mutilées par des soldats. Ces massacres en ont fait le conflit le plus sanglant dans le monde depuis la deuxième guerre mondiale et le gouvernement actuel n’a aucune marge de manœuvre face aux grandes puissances occidentales et aux entreprises étrangères qui continuent de piller le pays.

Il y a 50 ans se terminait officiellement la colonisation belge au Congo. Mais aussitôt les puissances impérialistes occidentales, en premier lieu la Belgique, les Etats-Unis et la France, mirent en place un système de contrôle indirect qui devait assurer la poursuite du pillage des ressources du nouvel Etat pseudo indépendant. La dictature brutale de Mobutu allait dégénérer au point de mener à une des plus sanglantes guerres de l’histoire de l’humanité. Voilà le triste bilan de la colonisation capitaliste belge au Congo et du système néocolonial mis en place dans les années 1960.


Deux bilans de la colonisation belge au Congo

Lors de la cérémonie de passation de pouvoir pour l’indépendance qui se déroula le 30 juin 1960 à Léopoldville (actuelle Kinshasa), le Roi Baudouin, paré de sa tenue d’apparat militaire coloniale blanche, présenta la version officielle de l’histoire du Congo belge :

« L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le génie (sic) du roi Léopold II. Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d'abord pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies, jadis ennemies. Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd'hui son couronnement, il ne s'est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur (…)

Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux. N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils (…)

C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance (…) ».

Cette vision mensongère et paternaliste niait les millions de morts provoqués par la brutale colonisation organisée par Léopold II à la fin du 19ème siècle, pour des raisons économiques qui n’avaient rien d’humanitaire. Elle niait la répression féroce qui s’était abattue contre ceux qui résistaient aux colonisateurs. Choqué par l’arrogance de Baudouin, Lumumba répondit quelques minutes plus tard par un discours improvisé qui ne faisait que retranscrire la réalité évidente, mais qui allait le faire haïr par la bourgeoisie et par tous les réactionnaires belges.

« Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers.

Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des "nègres". Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation ?

Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l'oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini ».

Voir ci-dessus