Israël: La privatisation de la terre comme dernière étape de la Nakba
Par Charlotte Silver le Dimanche, 05 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Pour les Palestiniens, la réforme de la Loi d'Administration de la Terre d'Israël (ILA, pour ses sigles en anglais), discrètement approuvée par la Knesset (le Parlement) israélien en 2009, représente l'étape finale du processus d'expulsion de leurs terres initié il y a 62 ans avec la Nakba (la Catastrophe). Bien que les médias y ont accordé fort peu d'attention, cette loi aura un impact à long terme désastreux pour les conditions de vie des Palestiniens et empêche toute possibilité d'une solution négociée au conflit.

Cette loi représente en outre un nouveau pas en avant dans le démantèlement de l'Etat providence initié depuis les années 1980. Cette évolution se traduit par la possibilité de privatiser la terre alors que cette dernière était propriété de l'Etat.

Jusqu'à présent, à la différence d'autres pays, l'Etat d'Israël exercait son contrôle et son appropriation sur la majeure partie des terres du pays. Lors de la proclamation de l'Etat hébreux en 1948, les sioniostes ont expulsés plus de 700.000 Palestiniens de plus de 400 villes et villages, un événement passé dans l'histoire sous le nom arabe de « Nakba », la Catastrophe. Depuis lors, les terres de propriété publique représentent 93% du territoire israélien.

Pour l'économiste Shir Hever, du Centre d'Information Alternative de Jérusalem; « L'Etat a nationalisé toutes les terres en 1948 afin de faciliter le vol des terres des Palestiniens pour les accorder aux Juifs ». L'Etat sioniste a élaboré un système dans lequel l'Etat accordait aux Israéliens et aux Palestiniens l'usufruit de « ses » terres. Cependant, en août 2009, la Knesset a fait un premier pas en avant pour en finir avec ce système en approuvant l'ILA, également appelée Loi de Réforme de la Terre. Cette loi permet à l'Etat de transférer la pleine propriété des terres à une individu, une entreprise privée ou collectivité. Avec un mépris total à l'encontre du droit international, la Loi de Réforme de la Terre israélienne s'applique non seulement à l'intérieur d'Israël, mais également aux territoires occupés de Jérusalem Est et du Golan, annexés en 1981.

L'approbation de cette loi aura un impact important pour les Palestiniens, à la fois pour les réfugiés internes qui vivent en Israël et pour les réfugiés dispersés à travers le monde. Depuis la Nakba, les Palestiniens mettent en avant la revendication légale et légitime de revenir sur leurs terres dont ils ont été expulsés par la force.

« C'est la dernière étape »

« C'est la dernière étape. On confisque d'abord la terre afin de l'accorder à certains et ensuite on la vend » affirme Suhad Bishara, avocat de l'organisation israélienne des droits humains et civils Adalah.

Comme on l'a vu, une partie significative des terres d'Etat israéliennes a été obtenue au travers de l'expropriation et de la confiscation des propriétés palestiniennes en 1948 et dans les années suivantes. Au travers d'une série de lois, particulièrement la loi cyniquement appelé « Loi des Propriétés Absentes (1950) et la Loi d'Acquisition de la Terre (1953), Israël a pu empêcher systématiquement le retour des réfugiés palestiniens qui avaient fui ou qui avaient été expulsés de leurs foyers par la force en 1948.

En réalité, ces confiscations de terres se sont poursuivies jusqu'à aujourd’hui. Par exemple, pour un Palestinien, obtenir un permis de construction nécessite d'entamer tout un long processus bureaucratique et très coûteux qui, de facto, représente un obstacle insurmontable. Cela permet à Israël de détruire sans égards des maisons palestiniennes « illégales » et de confisquer leurs terres.

« La privatisation des terres, c'est tout simplement en finir avec l'histoire. L'Etat n'est plus le dépositaire responsable. Il y aura une nouvelle partie (des individus ou des entreprises) qui auront voix au chapitre et qui seront les dépositaires, les maîtres de la terre » poursuit Bishara.

Pour l'économiste Shir Hever, le fait de modifier les coutours et le registre de propriété des terres en les privatisant fait que, pour les Palestiniens, il sera encore plus coûteux et impossible de revendiquer la rétrocession de leurs terres ou de demander de compensations: « La réforme affecte fondamentalement les Palestiniens qui vivent à l'intérieur d'Israël et les réfugiés, la modification des tracés et des registres de propriété permet d'occulter les preuves d'une propriété palestinienne antérieure et rend encore plus difficile l'exigence d'une rétrocession des propriété ou d'une compensation appropriée. Autrement dit, dès que les terres seront privatisées, personne ne pourra plus demander qu'on les lui rendent ».

Néolibéralisme et ultra-nationalisme

« Le moment choisi pour adopter cette réforme coïncide avec un profond changement à l'intérieur d'Israël depuis un modèle d'Etat providence républicain ultra-nationaliste et fort vers un nouveau modèle d'Etat néolibéral dans lequel ont renforce l'ultra-nationalisme » affirme Hever.

L'intention déclarée de la Loi de Réforme de la Terre est d'améliorer l'efficacité en diminuant la bureaucratie gouvernementale et son intrusion dans l'activité du libre marché. Cependant, pour Hever, ce n'est qu'une simple feuille de vigne. Pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, la privatisation de la terre vise à renforcer la classe dominante et les capitalistes immobiliers du pays dans un contexte d'aggravation de la situation économique en Israël, qui reflète la crise traversée aujourd’hui par les économies occidentales.

« Il existe plusieurs manières de traiter l'absence d'efficacité et le choix de tout faire reposer sur le « libre marché » est une parmi d'autres. Mais de cette manière là, on favorise les riches et on leur donne la possibilité de manipuler le marché en créant des monopoles locaux. Par exemple, dès qu'un magnat de la propriété immobiliaire se sera approprié toutes terres disponibles dans une zone déterminée, il pourra établir à volonté les prix pour toute personne qui souhaite s'y établir. A mon sens, c'est cela la véritable raison d'être de cette réforme. Netanyahou a besoin du soutien des plus riches ».

La ville de Jaffa offre un exemple limpide des conséquences tragiques que la privatisation des terres entraîne pour les conditions de vie des Palestiniens. Dans ce cas, on peut voir comment le modèle néolibéral peut être lui-même utilisé comme un dispositif de nettoyage ethnique. Depuis les années 1960, l'ILA permet de vendre les terres de Jaffa aux plus offrants. Le résultat, c'est la prolifération d'élégants blocs d'appartements et de maisons de luxe tout au long de l'attirante ligne côtière, ce qui a poussé la population originaire palestinienne à s'en aller et à s'entasser des quartiers surpeuplés et dépourvus de services collectifs.

D'après le Yosef Rafiq Jabareen, professeur l'Institut de Technologie de Haïfa, la privatisation de la terre va généraliser ce processus dans tout le pays et représente donc la dernière étape de l'expulsion forcée des Palestiniens initiée en 1948: « La loi va impliquer un nouveau transfert massif de propriétés et va liquider ce qui reste des propriétés palestiniennes dans les principales villes d'Israël comme Jaffa, Ramallah, Lod, Beer Sheva, Tiberias, Beit Shean, Haïfa et Acre, tout comme à Jérusalem Est, au bénéfices de promoteurs immobiliers et magnats juifs ».

Mais, au cas où les mécanismes du libre marché de suffiraient pas à atteindre cet objectif d'expropriation des Palestiniens, la Loi de Réforme de la Terre prévoit que ce soit le Fonds National Juif (JNF pour ses sigles en anglais) qui assure une influence déterminante dans les transactions de vente des terres auprès du Conseil de l'Autorité de la Terre gouvernementale compétente puisqu'il y comptera 6 sèges sur les 13 que compte de cette autorité . Or, le JNF est un organisme dont les statuts interdisent formellement tout octroi de terres aux résidents non juifs...

 Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be Publié sur le site de Palestine Monitor. http://www.palestinemonitor.org

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