Témoignage de notre camarade Chris Den Hond au Caire : « Les occupants de la place Al Tahrir ont le moral élevé et sont déterminés à aller jusqu'au bout »
Par Chris Den Hond le Jeudi, 03 Février 2011 PDF Imprimer Envoyer

Notre camarade Chris Den Hond, journaliste à La Gauche et à Press TV se trouve actuellement au Caire depuis ce mercredi. Il a filmé les affrontements qui se sont déroulés ce jeudi sur la Place Al Tahrir, entre les opposants au dictateur Moubarak et les milices contre-révolutionnaires du régime. Cette place « de la libération » est devenue le symbole de la révolution. Le régime tente donc coûte que coûte d’en chasser les manifestants, à la veille de la  journée nationale de mobilisation du 4 février destinée à chasser Moubarak, et qui s’annonce d’ores et déjà décisive. Mais les manifestants tiennent bon ; ils font preuve d’un courage extraordinaire et d’une capacité de résistance inouïe qui mérite l’admiration des travailleurs du monde entier. Témoignage recueillis par téléphone ce jeudi 3 février après-midi. (LCR-Web)

“Les « hooligans » pro-Moubarak sont composés de flics en civils, mais aussi de criminels libérés et payés. Ils sont bien moins nombreux que les opposants mais ils sont très bien organisés et surtout très violents.

Il m’a fallu 2 heures pour arriver à la place Al Tahrir car les « hooligans » tentent de bloquer toutes les routes d’accès pour empêcher l’arrivée de renforts. Ils prennent particulièrement comme cible les journalistes, surtout ceux qui ont une caméra comme moi. Finalement on a pu passer et atteindre la place.

Les opposants à Moubarak sont aujourd’hui bien mieux organisés qu’hier, où l’assaut des « hooligans »  les avait pris complètement par surprise, ce qui explique le nombre élevé de blessés dans leur camp. Mais malgré tout, ils n’ont pas réussi à prendre la place, le courage des manifestants est incroyable.

Aujourd’hui, j'ai vu à nouveau de très nombreux blessés. Mais il y a désormais 4 ou 5 barricades, gardées en permanence, qui ont été dressées aux endroits stratégiques afin de protéger les manifestants des partisans du régime, qui tentent par tous les moyens d’occuper Al Tahrir avant la mobilisation monstre de demain.

Entre deux batailles, on assiste constamment à des meetings politiques, les gens discutent beaucoup, chantent des slogans, d’autres se reposent en attendant de remonter au « front ». Des gens des quartiers autour apportent de l’eau et des fruits pour ravitailler les occupants.

Les affrontements sont particulièrement durs près du Pont du 6 octobre où j’ai filmé sous une pluie de pierres incessantes. Le camarade égyptien qui m’accompagne et tentait de me protéger pendant que je filmais a été blessé en recevant une pierre sur la tête. Ils visent clairement les cameramen. On a ensuite entendu des tirs, mais sans savoir d’où ils provenaient ni qui tirait, mais en tous les cas ce n’était pas les occupants de la place.

Après être sortis d’Al Tahrir, où les choses sont claires et les camps opposés bien délimités, dans les rues de la ville, c’est une autre histoire. L’ambiance est hyper tendue car personne ne sait qui est qui. Tout les 200 mètres, la voiture est arrêtée et contrôlée, surtout quand il s'agit de journalistes. Ce sont soit des policiers, soit des militaires, mais c'est aussi souvent des comités d’autodéfense. Tout le monde se méfie de tout le monde.

À un contrôle, un soldat a voulu me forcer à montrer toutes les images que j'avais filmées dans la journée, j’ai refusé et j’ai dû demander l’intervention de l’ambassade pour éviter l’arrestation. Par contre, ailleurs, un autre soldat nous a aidé en montant dans notre taxi pour nous aider à passer. Ensuite, à nouveau des soldats qui contrôlent et nous disent très clairement les ordres donnés : « la presse égyptienne peut travailler, pas la presse étrangère ».

L’armée n’intervient absolument pas, et elle ne serait sans doute pas capable de le faire. Elle tente seulement de s’interposer passivement en postant des blindés entre les adversaires.

On peut affirmer que la détermination des gens sur la place est intacte et que le moral est vraiment très haut. Tout le monde sur la place dit « Demain, il doit tomber ! ». Après l’attaque d’hier, ils sont plus déterminés que jamais à chasser Moubarak. Mais pas seulement le dictateur, le vice-président Suleiman aussi et c’est tout le régime qu’ils veulent éliminer de fond en comble. Ils veulent absolument aller jusqu’au bout. Demain sera une journée décisive, on attend énormément de monde ici.”

Chris Den Hond, au Caire, jeudi 3 février 2011

Propos recueillis par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

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