La régularisation des sans papiers, un combat humain. Entretien avec France Arets
Par France Arets le Mardi, 29 Mars 2011 PDF Imprimer Envoyer

Ce dimanche 03 avril aura lieu à Liège une manifestation contre le centre fermé de Vottem. Dans cette interview de France Arets, porte-parole du CRACPE, animatrice du comité de soutien aux sans papiers de Liège et militante de la LCR, revient sur les enjeux de la lutte pour les droits des sans-papiers. (LCR-Web)

Y a-t-il une augmentation des demandes d’asile en Belgique. Les problèmes d’hébergement des demandeurs d’asile, qui ont surgi avec la vague de froid en décembre 2010, ont pu le laisser entendre...

Effectivement, il manque de place pour l’hébergement des demandeurs d’asile. Pourtant, contrairement à ce que certains disent, et notamment la NVA, on n’a pas constaté d’augmentation des demandes d’asile. On a les chiffres pour 2010. Il y a eu 20.000 demandes d’asile, 16% de plus qu’en 2009. C’est beaucoup moins qu’en 2000, où il y en avait 40 000. Par rapport au discours ambiant, il faut le dire : la Belgique n’est pas un pays qui accueille spécialement beaucoup de demandeurs d’asile.

S’il n’y a pas suffisamment de places dans les centres d’accueil, c’est aussi parce que les dossiers des demandeurs d’asile sont traités de façon très lente. Les personnes restent dans les centres pour une période plus grande que prévue. A ce propos, il faut savoir que l’on reste dans un centre ouvert durant tout le temps du traitement de la demande d’asile. Si la réponse est positive, la personne quitte le centre ouvert et le droit à un permis de travail et à l’aide sociale.

Si en 2010, il y eu un peu plus de demandes qu’en 2009, c’est entre autre dû au fait qu’un certain nombre d’Iraniens et d’Afghans ont fui des pays qui connaissent des situations dramatiques.

Toujours par rapport à l’asile, ce qui me semble plus interpellant, c’est la constatation suivante : si on regarde les statistiques générales de l’Office des Etrangers, on voit que 75% à 80% des demandes d’asile reçoivent une réponse négative. Pourtant les multiples raisons de demande d’asile ne peuvent être prises à la légère. Elles ne sont pas seulement motivées par les situations de guerre, mais aussi suscitées par l’existence de dictatures dans certains pays, de persécutions, notamment à caractère sexistes pour les femmes. Il y aussi les réfugiés climatiques. Il y par exemple actuellement à Bruxelles un groupe de réfugiés pakistanais qui est en grève de la faim et qui rappelle à l’opinion les inondations de l’été dernier dans ce pays. Mais il y a aussi des demandeurs d’asile qui ont fui des situations socio-économiques dramatiques dans leur pays d’origine.

On a entendu, lors de débats dans les médias, des politiciens faire la distinction entre réfugiés s’inscrivant dans le cadre de la Convention de Genève et réfugiés pour raisons économiques, et laissant entendre que cette deuxième catégorie « n’avait pas sa place ici »...

Bien évidemment, la Belgique est tenue, comme les autres pays, au respect de la Convention de Genève. Cette Convention dit bien qu’on peut chercher refuge dans un autre pays, lorsqu’on est victime de persécutions liées à la nationalité, l’appartenance ethnique, à la religion, à l’appartenance à un groupe social déterminé. On a pu relier également à la Convention de Genève les persécutions faites aux femmes en tant que groupe social spécifique. On peut aussi ajouter les personnes persécutées dans une série de pays du fait de leur homosexualité.

Mais en réalité, en Belgique comme ailleurs, dans les faits, cette Convention n’est pas respectée. Quand on est victime d’une persécution, il faut arriver à la prouver. Que se passe-t-il à l’Office des Etrangers? Les fonctionnaires de l’Office, qui interrogent les personnes un certain nombre de fois, essayent plutôt de relever les contradictions dans les récits des réfugiés, avec un apriori qui est que tous les demandeurs d’asile sont des "menteurs". C’est ainsi que des demandeurs d’asile tout à fait concernés par la Convention de Genève n’obtiennent pas le statut de réfugiés, simplement parce que l’Office des Etrangers décrète qu’ils n’ont pas fourni les preuves nécessaires ou qu’ils se sont contredits dans leur récit.

En ce qui concerne les réfugiés dits économiques, Il faut savoir qu’il n’y a plus d’immigration économique légale depuis 1974. Pour entrer en Belgique, il faut soit être ressortissant de l’Union européenne, soit venir pour un regroupement familial, soit pour des études, s’il y a des accords entre le pays d’origine et la Belgique, soit comme demandeur d’asile ; la seule immigration économique possible concerne des fonctions bien précises très "pointues". C’est ainsi que certaines personnes sont amenées à demander l’asile, en réalité pour des raisons socio-économiques. Pour nous, ces raisons socio-économiques sont tout à fait valables et justifiées pour la demande d’asile.

Nous devons pointer la responsabilité des politiques gouvernementales des pays du Nord. Je pense aux politiques d’ajustement structurel, dans les pays du Sud, liées au remboursement de la dette. Il y a des pays étranglés par le remboursement de la dette, contraints de diminuer le financement de services publics comme l’enseignement. Et on arrive alors à des situations où des enseignants ne sont plus payés durant des mois. C’est par exemple arrivé à plusieurs reprises au Congo. On diminue aussi les subsides aux produits alimentaires de base, comme le riz. Il y a aussi l’ouverture des marchés liés à l’Organisation mondiale du Commerce, avec comme conséquence que des économies locales sont complètement défavorisées par rapport à l’invasion de produits étrangers dans leur pays. Je pense par exemple à l’importation dans ces pays de volaille congelée, détruisant les filières avicoles locales. Je pense aussi aux eaux territoriales sénégalaises où viennent pêcher les Européens, les Japonais, laissant les pêcheurs locaux sans ressources.

Elles sont bien là les inégalités Nord-Sud qui poussent les personnes sans ressources à migrer. Il est bon de rappeler que c’est la plus petite partie de ces personnes qui arrivent jusque chez nous. La grande partie reste dans la région d’origine, souvent même dans une autre région de leur propre pays ou alors dans un pays voisin.

Bien sûr, on peut être d’accord avec les personnes qui disent: ce qu’il faut, c’est changer la situation là-bas. Mais, pour changer cette situation, il faut changer les rapports d’exploitation Nord-Sud et supprimer toutes les politiques néolibérales. Mais en attendant, j’estime que ces personnes ont le droit de chercher un autre endroit pour vivre décemment ou tout simplement survivre.

Assistons-nous à un durcissement de la politique d’asile en Belgique ?

Il n’y a pas de durcissement particulier par rapport au traitement des demandes d’asile. On est dans le statut-quo, avec toujours malheureusement entre 75% à 80% de réponses négatives. Par contre, le durcissement se situe au niveau des expulsions, qui concernent aussi bien les demandeurs d’asile que les candidats à la régularisation déboutés

En réponse à une intervention de la N-VA, disant que la Belgique était trop laxiste en matière de politique migratoire, Melchior Wathelet, secrétaire d’Etat à la Politique d’asile et d’immigration, a été clair, déclarant en substance: "Nous avons organisé une régularisation, mais nous allons renforcer et rendre plus efficace la politique d’expulsion". C’est ce que nous sommes en train de constater.

Pour rappel, il y a eu une grande opération de régularisation en 2009 ; dans ce cadre des dizaines de milliers de dossiers ont été déposés. Pour les personnes qui rentraient dans les critères de régularisation, ce fut un ouf de soulagement, notamment pour des sans papiers impliqués dans la lutte pour la régularisation.

Malheureusement, il y a aussi beaucoup de réponses négatives qui tombent, pour les personnes qui n’ont pu prouver cinq années de résidence continue en Belgique ou qui n’ont pu apporter la preuve d’un contrat de travail. Tombant sous un contrôle policier, ces personnes se retrouvent en centre fermé, avant une expulsion assez rapide.

Il y a eu un peu moins d’expulsions en 2009 du fait qu’on a laissé aux personnes la possibilité d’introduire leur demande de régularisation. Mais en 2010, on constate que le nombre d’expulsions est de nouveau à la hausse.

Avec la crise, les restrictions budgétaires, l’appauvrissement d’une partie de la population, constate-t-on, plus qu’auparavant, une animosité, un discours de rejet des demandeurs d’asile?

C’est un discours que l’on entend plus qu’auparavant, du moins dans des milieux peu conscientisés. Mais nous continuons à rassembler autour de nous des personnes, des organisations qui nous soutiennent dans un combat pour le respect des droits humains, notamment sur la question des centres fermés.

A Liège, le comité de soutien aux sans papiers travaille en collaboration avec les organisations syndicales. Celles-ci accordent une importance croissante à la défense des travailleurs sans papiers, clandestins. Ainsi, à son dernier congrès, l’Interrégionale wallonne de la FGTB a pris des positions claires, exigeant, entre autre, l’égalité des droits économiques entre travailleurs sans papiers et travailleurs résidant sur le sol belge. Cette égalité étant, pour la FGTB, une question de justice sociale, cette égalité passant par l’établissement de critères objectifs de régularisation pour tous les travailleurs sans papier et l’instauration d’une Commission permanente de régularisation.

Précisément, dans ce contexte de crise et d’offensive patronale pour imposer la régression sociale, le combat pour cette égalité des droits sociaux et économiques, contre la surexploitation des travailleurs clandestins – ce qui permet à des employeurs d’exercer un chantage et une pression sur les salaires et l’emploi de l’ensemble des travailleurs - passe par le combat pour la régularisation des sans papiers et le soutien du recours en justice par les organisations syndicales pour dénoncer ces situations de surexploitation. Il arrive que des employeurs soient sanctionnés, mais ce sont essentiellement des sanctions financières. A ce propos, on m’a rapporté qu’un employeur expliquait que les employeurs prévoyaient dans leur budget annuel une certaine somme pour faire face à d’éventuelles sanctions financières en cas de contrôle.

Peux-tu rappeler les objectifs poursuivis par les comités de soutien aux sans papiers ?

Nous continuons à exiger la mise en place d’une commission de régularisation des sans papiers, indépendante et permanente. Une commission indépendante dans laquelle ce ne serait plus l’Office des Etrangers qui prendrait les décisions en matière de régularisation, mais des magistrats, des représentants d’ONG, d’organisations syndicales, etc. Il y a d’ailleurs un précédent. En l’an 2000, à l’occasion d’une précédente opération de régularisation, les Chambres de régularisation étaient composées de représentants d’ONG, des organisations syndicales et de magistrats. Et environ 90% des dossiers introduits ont reçu des réponses positives.

Cette commission doit être aussi permanente, car les raisons de migrer sont toujours là et il n’y a pas de raisons de prendre des décisions en matière de régularisation en 2009, d’arrêter tout en 2010 et de recommencer à y penser dix ans plus tard, avec , pendant ce temps-là des personnes qui vont rester dans la clandestinité et surexploitées.

Une nouvelle manifestation se prépare à Liège contre le centre fermé de Vottem. Depuis des années, au niveau régional, deux collectifs mènent un travail exemplaire en solidarité avec les sans papier...

Nous avons deux collectifs qui regroupent des personnes et une série d’organisations : le comité de soutien aux sans papier et le CRACPE (le collectif de résistance aux centres pour étrangers). Le centre fermé de Vottem a été ouvert en mars 1999. Depuis ce moment-là, une mobilisation est exercée pour la suppression des centres fermés, l’arrêt des expulsions et la solidarité concrète avec les personnes détenues au centre fermé de Vottem.

Le CRACPE est, depuis 1999, présent tous les samedis à 16 heures devant le centre fermé. Et chaque année, aux environs de la date anniversaire de l’ouverture de ce centre, nous organisons une grande manifestation jusqu’au centre fermé. Celle-ci rassemble le milieu associatif, les organisations syndicales et autres, des partis de la gauche radicale, Ecolo…, mais aussi surtout des citoyens à titre individuels pour qui les centres fermés sont inacceptables et un déni des droits humains. Cette année, la manifestation aura lieu le dimanche 3 avril. Et, cette année, elle viendra à la fin d’une semaine d’activités à Liège, notamment sur le thème des sans papiers, la "semaine de la solidarité".


Vottem, camp de la honte, 12 ans déjà? JE NE L'ACCEPTE TOUJOURS PAS !

DIMANCHE 3 avril RASSEMBLEMENT A LIEGE, PLACE SAINT-LAMBERT A 14H ET MARCHE VERS LE CENTRE FERMÉ DE VOTTEM

Pour dénoncer :

- les centres fermés pour étrangers où sont détenues des personnes qui n'ont commis aucun délit et les expulsions violentes qui se poursuivent quotidiennement

Pour témoigner notre solidarité envers les Sans Papiers :

- l'accord gouvernemental mis en oeuvre en juillet 2009, s'il a organisé une régularisation partielle, prévoyait également l'expulsion de ceux qui ne seront pas régularisés...

Aujourd'hui le secrétaire d'Etat à la politique d'asile et d'immigration et le gouvernement en affaires courantes mettent en oeuvre cette politique par une augmentation des arrestations et des expulsions

Pour revendiquer une véritable politique d'asile qui respecte les Droits Humains :

- 3/4 des demandes d'asiles sont rejetées, renvoyant aux dictatures, à la guerre, à la misère, ceux qui les ont fuies

Pour une autre politique d'immigration :

- une politique restrictive entraîne la clandestinité, qui génère presque toujours une exploitation, dont profitent des secteurs importants de notre économie : agriculture, construction, Horeca, nettoyage...

- Face à cet esclavage moderne, l'opération de régularisation menée du 15 septembre au 15 décembre 2009 (sur base notamment de l'« ancrage local durable»), a été trop courte. C'est pourquoi nous revendiquons une commission permanente de régularisation.

Dans le cadre de la semaine de la solidarité du 28 mars au 3 avril à Liège: s'engager dans l'espace public dire et agir au Nord et au Sud

A l'initiative du CRACPE, Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers

Co-organisateurs: ABP (Association Belgo-Palestinienne), section de Liège/APED (Appel Pour une Ecole Démocratique)/ATTAC Liège/Barricade asbl/CADTM, Comité pour l?Annulation de la Dette du Tiers Monde/CAL, Centre d'Action Laïque de la Province de Liège/Carlo Levi, cercle interculturel Antonio Gramsci asbl Liège/ Casa Nicaragua/ Centre Liégeois du Beau Mur/ CHOC, Collectif Herstalien d'Opposition aux Centres Fermés/ COMAC, Mouvement de jeunes du PTB/ CRIPEL/ CRER (Coordination contre les Rafles et les Expulsions et pour la Régularisation), Bruxelles/ Culture et Développement/ Entraide & Fraternité-Vivre Ensemble/ Fédération liégeoise du Parti Communiste/ FGTB Liège-Huy-Waremme/ FPS/ GAFFI asbl/ Horizon Sans Frontières/ JAC, Jeunes anticapitalistes / La Braise asbl/ La Rencontre Décolle/ LCR-SAP/ Leep-Liège asbl/Le Monde des Possibles asbl/ Les Grignoux : Lîdjibouti/Médecine pour le Peuple/ MOC Liège, Mouvement Ouvrier Chrétien et CSC, Mutualités Chrétiennes, Vie Féminine, Equipes Populaires, JOC/ PSL, Parti Socialiste des Luttes/ Point d'Appui/ PTB/ RESF- Réseau Education sans frontières/ Territoires de la Mémoire asbl

Contact : B.P. 246 Liège 2 4020 Liège Courriel : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

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