Grèce : Le mouvement des indignés exige « qu’ils s’en aillent tous !»
Par Georges Kopp, Jérome Duval le Vendredi, 03 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

La Grèce se trouve à nouveau dans l’œil du cyclone de la crise des dettes publiques et la proie des vautours de la « troïka » (FMI, Banque centrale européenne et Union Européenne), qui négocie avec le gouvernement du « socialiste » Papandréou la prochaine tranche du « plan de sauvetage » en échange de nouvelles mesures anti-sociales. Mais, depuis le 25 mai, le pays est secoué par une mobilisation populaire similaire à celle du mouvement des indignés espagnols, avec des rassemblements quotidiens de milliers de personnes sur les principales places publiques de dizaines de villes dans tout le pays. Ainsi, ce 29 mai, près de 100.000 personnes ont manifesté sur la désormais célèbre Place Syntagma à Athènes, en face du Parlement.

Au septième jour consécutif de protestation, le mardi 31 mai au soir, 50.000 manifestant-e-s se sont à nouveau réunis dans la « Puerta del Sol grecque » à Syntagma et ont empêché pendant plusieurs heures la sortie les députés qui se trouvaient à l’intérieur du Parlement. Ce n’est que vers minuit que les parlementaires ont pu quitter l’édifice par un couloir ouvert par la police. Les occupants affirment qu’ils ne quitteront pas la place Syntagma « tant que le gouvernement, la troïka et la dette ne s’en iront pas ». Ils exigent une « Démocratie directe, maintenant ! », ainsi que l’«Egalité, la justice et la dignité ! » (voir l’appel ci-dessous). Des manifestants ont accroché un immense calicot sur la façade du Ministère des finances avec le slogan : « Luttez pour le renversement : Grève générale ! ».

Ce mardi également, une manifestation de soutien aux occupants de la Place Syntagma a eu lieu à l’Université d’Athènes, avec la participation du chanteur le plus célèbre du pays, Mikis Theodorakis. Dans sa prise de parole, le chanteur a dénoncé la vente du patrimoine de l’Etat et vertement critiqué la caste politicienne grecque. « Nous vivons une immense tragédie nationale et je rend responsable les deux principaux partis d’avoir placé la Grèce au bord de l’abîme » a déclaré Theodorakis.

Parallèlement, d’autres mobilisations sectorielles se poursuivent, comme celle du mouvement des chômeurs et une nouvelle grève de 24 heures est convoquée pour le 15 juin par les organisations syndicales.

Echec des politiques d’ajustement

La mobilisation populaire des « indignés » grecs se produit dans l’attente d’un accord entre le gouvernement et la troïka afin de débloquer la cinquième tranche « d’aide » de 12 milliards d’euros prévue pour ce mois de juin. En 2010, la Grèce a été forcée de demander l’aide de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI et a obtenue un prêt de 110 milliards d’euros en échange d’un plan d’austérité et de réformes radicales.

Malgré huit grèves générales de protestation, ces mesures ont provoqué un « bain de sang social » en supprimant des milliers d’emplois publics, une vague de privatisations sans précédent et la réduction du niveau de vie et des droits sociaux des travailleurs grecs. En 2010, la population a vu ses revenus baisser de 9% et le taux de chômage officiel est passé de 9% en 2009 à plus de 13% en 2011.

Les élites capitalistes font monter la pression pour exercer leur odieux chantage sur le peuple grec ; le FMI vient d’annoncer son refus de verser sa quote-part de 3,3 milliards d’euros à la Grèce tant qu’il n’y aura pas de garanties d’un remboursement de ces sommes. Le Premier ministre grec, Georges Papandréou, a affirmé quant à lui que si ces 12 milliards d’euros n’étaient pas débloqués au plus vite, la Grèce sera « en faillite » dès juillet prochain. L’octroi de cette nouvelle tranche impliquerait à nouveau des hausses des taxes, suppressions d’emplois publics, réduction des salaires et privatisations.

En dépit (ou plutôt à cause) de tous les « sacrifices » déjà imposés aux travailleurs depuis plus d’un an, l’économie grecque est au plus mal, le déficit public est de 10,5% et la dette publique s’élèvera à 166% du PIB en 2012 selon les prévisions. Après que l’UE a repoussé tout scénario de restructuration de la dette grecque, les agences de cotation viennent une fois de plus d’abaisser la note du pays, estimant qu’il est au bord du « default » de remboursement et qu’il n’est pas encore « apte » à demander de l’argent sur le marché, contrairement à ce qui avait été prévu il y a un an au moment du prêt accordé par l’UE et le FMI.

Autrement dit, les « marchés » et leurs laquais de la « troïka » exigent aujourd’hui d’accélérer un « remède » qui, sans surprise, s’est révélé pire que le mal. Le peuple grec a donc mille fois raison d’exiger « qu’ils s’en aillent tous !».

Georges Kopp


Déclaration de l’Assemblée Populaire de la Place Syntagma à Athènes, 27-28 mai

Depuis longtemps, on prend des décisions pour nous, sans nous.

Nous sommes des travailleurs, des chômeurs, des pensionnés, des jeunes… Nous sommes venus sur la place Syntagma pour lutter pour nos vies et pour notre futur.

Nous sommes ici parce que nous sommes conscients que les solutions à nos problèmes ne peuvent venir que de nous-mêmes.

Nous faisons un appel à tous les Athéniens, travailleurs, chômeurs et jeunes, pour qu’ils viennent à Syntagma et pour que toute la société remplisse les places et prenne sa vie entre ses mains.

Là, sur ces places, nous donnerons forme à nos pétitions et revendications.

Nous lançons un appel à tous les travailleurs qui vont faire grève à l’avenir pour qu’ils viennent et restent à Sintagma.

Nous ne quitterons pas les places tant que ceux qui n’ont amenés à venir ici ne seront pas partis : le gouvernement, la Troïka (FMI, Banque mondiale, Union européenne), les banques et tous ceux qui nous exploitent.

Nous leur envoyons un message : la dette n’est pas la nôtre.

Démocratie directe, maintenant !

Egalité, justice et dignité !

On ne perd une lutte que lorsqu’on ne la commence pas!

Assemblée Populaire de la Place de Syntagma

Athènes, 28 mai 2011. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


La solidarité internationale s’exprime à Athènes pour mettre fin à l’asservissement par l’endettement

C’est dans une salle bondée d’Athènes que la députée Sofia Sakorafa, récemment exclue du parti socialiste au pouvoir PASOK pour avoir refusé de voter les mesures d’austérité, introduit la conférence « Dette et austérité : du Sud global à l’Europe  ». D’entrée, elle donne le ton en déplaçant la problématique de l’endettement au-delà des frontières et du clivage Nord / Sud : “La dette est liée à la question de classe”. En effet, l’enjeu de cette activité qui s’est déroulée du 6 au 8 mai 2011, un an, presque jour pour jour, après le « sauvetage » de la Grèce par le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne (C.E), est de tirer un enseignement des expériences du Sud contre la dette illégitime qui affecte en premier lieu les classes pauvres et de mobiliser pour son annulation. Il s’agit d’établir un lien entre le « Tiers-monde » et la périphérie de l’Europe en voie de « Tiers-mondialisation » (Grèce, Irlande, Portugal…), d’apprendre des expériences en Amérique latine et d’ailleurs pour tenter de récupérer une souveraineté dérobée aux citoyens et à l’Etat par leurs créanciers, d’établir des solidarités en Europe pour mieux lutter contre une dette oppressante envers les plus pauvres, et enfin, d’impulser une commission d’audit en Grèce afin de répudier la part illégitime de la dette qui n’a pas bénéficié à la population.

Au cours de ces 3 jours de conférence, se sont enchaînées les interventions souvent très radicales et, lorsque de la salle le public prend la parole, on sent une rage incommensurable contre l’injustice persistante de la dette. De ces débats ressort une volonté affirmée d’en finir avec l’oppression capitaliste. Il n’y a pas lieu ici de parler de réformisme mais bien d’un changement radical débouchant sur une réelle justice sociale sans asservissement par l’endettement. La restructuration de la dette ne changera pas le modèle d’exploitation qui se fait sur les épaules des plus faibles, cela ne résoudra pas le problème mais l’amplifiera en prolongeant d’autant l’échéance des remboursements. Il faut une annulation et l’audit est l’outil nécessaire pour y parvenir. L’audit est le préalable indispensable pour déterminer la part illégitime qui doit être déclarée irrecevable et nulle en droit. C’est un outil potentiellement très puissant, capable d’apporter une réponse à la crise, pour peu que ses travaux soient menés de manière indépendante, transparente et démocratique et que la commission soit à l’écoute des revendications portées par les citoyens afin d’être au service de ceux-ci.

Dans un pays qui, dans l’histoire du monde a donné naissance à une forme de gouvernement démocratique, l’immixtion de la Troïka (terme communément utilisé en Grèce pour désigner le trio FMI, Commission Européenne, Banque Centrale Européenne) dans les affaires de l’Etat reste très impopulaire et donne lieu à une lutte acharnée de la part de la gauche à la gauche du parti socialiste au pouvoir. La Troïka n’a pas de mandat du peuple pour imposer ses politiques, la dette qui en découle n’est pas le résultat de négociations démocratiques, ce sont des négociations entre individus qui s’expriment au nom d’institutions non démocratiques. La différence est de taille et la Troïka qui occupe politiquement et économiquement la Grèce pourrait être expulsée afin de débarrasser les citoyens grecs de cette présence illégitime. Alors que le peuple grec se saigne aux quatre veines pour rembourser une dette dont il n’a pas ou très peu bénéficié, la Grèce achète du matériel militaire à ses voisins européens censés l’aider, les droits des travailleurs sont détruits et le taux de suicide est passé de 1 par jour en 2009 à 2 par jour en 2010.

Il est temps de dire stop au pillage capitaliste par la dette qui opère un transfert de Capital depuis ceux qui produisent la richesse vers ceux qui spéculent et influencent les marchés ! Voilà un peu en substance, ce que l’on pouvait ressentir au cours des différentes interventions de ce séminaire. L’expérience de l’audit en Equateur en 2007 et 2008 qui a permis d’annuler une part importante de la dette illégitime et d’économiser 300 millions de dollars par an pendant 20 ans constitue un riche enseignement pour une alternative à construire en Grèce… Plusieurs représentant-e-s de l’Irlande, où l’Etat prévoit 6 milliards de nouvelles coupes budgétaires en 2011, ont motivé l’assemblée en annonçant qu’une commission d’experts indépendants portée par les associations AFRI, la coalition Debt and Development Ireland et le syndicat Unite avait déjà commencé à préparer le terrain pour un audit citoyen dans leur pays. Pour rappel, l’UE et le FMI ont engagé un plan de 85 milliards d’euros de prêt à l’Irlande, réparti sur plusieurs années, destiné notamment à renflouer le secteur bancaire.

Le peuple grec, au même titre que le peuple tunisien, peut, au regard du droit international, refuser le remboursement de la dette odieuse contractée sous un régime dictatorial qui a servi à maintenir et enrichir des tyrans au pouvoir tout en réprimant la population. Mais au-delà, peut-on demander réparation ? Le prêt de 110 milliards d’euros accordé par Bruxelles et le FMI à la Grèce en échange de l’austérité imposée à la population est-il légitime ? La dette aggravée par des « plans de sauvetage  » pour porter secours aux banques est-elle légale ? Quelle est la priorité budgétaire de l’Etat, doit-elle aller en premier lieu vers le remboursement aux créanciers et les dépenses en armement ? Toutes ces questions alimentent le débat en Grèce pour un « audit indépendant » de la dette qui intègre des représentants de la société civile. Elles sont les prémices à autant d’arguments, qui avancés sur le plan juridique, doivent poser ces dettes comme irrecevables et nulles en droit. Et si la justice ne le fait pas, la pression populaire peut l’y contraindre. Le bouleversement de rapport de force, produit par un audit efficace, entre les détenteurs de richesse et ceux qui la produisent ne pourra qu’œuvrer pour une juste répartition. C’est un préalable utile qui appelle d’autres mesures fortes et nécessaires pour emprunter la voie d’une société radicalement différente, basée sur le partage des richesses, la justice et la solidarité, et qui reste à construire par et pour le peuple.

Jérome Duval. Publié sur : www.cadtm.org

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