La famine en Afrique de l’Est n’est pas une fatalité!
Par Paul Martial, Catherine Faivre d’Arcier le Mercredi, 27 Juillet 2011 PDF Imprimer Envoyer

La famine qui s’abat sur l’Afrique de l’Est est en passe d’être la pire crise humanitaire depuis les années 1960. Plus de 12 millions de personnes sont menacées en Somalie, au Kenya, en Éthiopie mais aussi à Djibouti et en Érythrée. Le camp de Dadaab au Kenya est devenu en quelques mois le plus grand camp de réfugiés au monde. Près de 400.000 personnes y sont installées, alors qu’il est prévu pour 90.000. Les conditions de vie et d’hygiène y sont épouvantables et les organisations humanitaires n’ont pas les moyens de faire face à l’arrivée quotidienne de milliers de nouveau réfugiés. Le gouvernement kenyan s’est refusé à ouvrir d’autres structures et beaucoup de Somaliens se retrouvent bloqués dans les postes frontières, sans pouvoir bénéficier d’aucune aide.

Les responsabilités de cette dramatique situation incombent très largement aux responsables gouvernementaux. Sur le court terme déjà, en novembre 2010, plus de 80 000 personnes s’étaient réfugiées dans le camp de Dadaab. Le flux ne cessait d’augmenter et aucun plan d’action n’a été déclenché. C’est seulement maintenant que les pays riches promettent des dons qui sont par ailleurs bien loin de répondre aux exigences du terrain.

Les populations d’Afrique de l’Est payent les conséquences du dérèglement climatique. Les sécheresses ont toujours existé, mais elles deviennent plus longues et plus fréquentes. Ainsi, deux saisons consécutives ont connu l’absence de pluie. Cette situation fragilise fortement les populations. De plus, les prix des denrées alimentaires et du carburant sont très élevés et se situent au niveau de 2008 (ce qui avait provoqué à l’époque des émeutes de la faim dans une vingtaine de pays). Ce niveau des prix empêche les paysans les plus pauvres de se nourrir correctement en attendant la prochaine récolte.

En Éthiopie et au Kenya, les gouvernements largement corrompus qui s’agrippent au pouvoir via des élections truquées, le clientélisme et les divisions ethniques, n’ont jamais eu de politique visant à aider l’agriculture familiale. Bien au contraire, cédant aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale, ils ont préféré une agriculture intensive d’exportation, l’exemple le plus connu étant la production de fleurs au Kenya. Ainsi des régions entières de ces pays ont été délaissées, aucune aide ni investissement n’y ont été réalisés dans les infrastructures, comme les routes goudronnées, les centres de santé, les écoles ou les forages de puits. Lors des sécheresses, les organisations humanitaires sont obligées d’affréter des camions citernes remplis d’eau pour approvisionner les villages délaissés.

Pire, ces gouvernements sont en train de brader à de grands groupes capitalistes les terres arables de leur pays, entraînant les expropriations des paysans et l’impossibilité pour les éleveurs de nourrir leurs troupeaux.

Quant à la Somalie, l’état de guerre dans lequel se trouve ce pays est en grande partie de la responsabilité des puissances occidentales, notamment les USA, qui ont décidé de renverser le gouvernement des tribunaux islamiques pour le remplacer par un gouvernement provisoire fantoche et corrompu, combattu par une kyrielle de groupes islamistes shebab.

La famine, pour des millions de personnes, est certainement une des preuves les plus révoltantes de la faillite du capitalisme.

Paul Martial

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 112 (21/07/11)


Matières premières et souveraineté alimentaire

La régulation des marchés dérivés de matières premières est un des chantiers du G20 qui demande aux ministres de l’Agriculture de plancher sur « la volatilité des prix des denrées alimentaires » et de faire face à l’évolution de la demande mondiale de produits de base. Une partie de la hausse est due à la spéculation.

Les prix des matières premières ne cessent d’augmenter : 83% entre 2006 et 2008 et l’indice des prix de la FAO a grimpé brutalement de 32% au second semestre 2010, laissant présager une crise alimentaire similaire à celle de 2008. Pourtant, au niveau mondial, la production agricole a dépassé la croissance de la population. Elle a été multipliée par 2, 7 en 60 ans contre 2, 4 pour la population. Le problème n’est donc pas, comme on voudrait nous le faire croire, le manque de nourriture mais la répartition et l’accès pour la moitié de la population mondiale déjà concernée par la crise alimentaire.

Les propositions de la présidence française du G20 ne feront pas trembler l’économie libérale mondialisée : transparence accrue sur les marchés, dialogue amélioré entre producteurs et consommateurs, étude des produits dérivés et de leurs mécanismes…

Il y aurait pourtant des causes évidentes à combattre immédiatement :

- La spéculation sur les matières premières dont 30% sont d’origine agricole : ce marché spéculatif a succédé à ceux de la « bulle Internet » puis de l’immobilier qui ont éclaté consécutivement. Elle représenterait aujourd’hui entre 55 et 75% des transactions.

- L’augmentation du cours du pétrole qui a provoqué l’augmentation des prix des engrais et des transports. De plus, l’industrie capitaliste a choisi de miser sur la production de combustibles d’origine végétale qui confisque 5% de la production mondiale de céréales.

- Les accidents dus au changement climatique (sècheresse, inondations, vagues de froid...) qui provoquent de brusques baisses de l’offre et la montée des cours. Nous devons diminuer rapidement nos émissions de gaz à effet de serre pour endiguer la multiplication de ces phénomènes.

Un nouveau modèle de développement

D’autres causes plus structurelles ont mis à mal la souveraineté alimentaire des pays du nord comme du sud :

- Le développement d’un modèle agricole productiviste qui, s’il a permis au départ d’augmenter les rendements, n’a jamais fait diminuer la faim dans le monde. Il a précipité dans la misère les paysans en accaparant les terres et démantelant les systèmes agricoles traditionnels, concentré la production, renforcé la domination de l’agrobusiness, détruit 90 % de la biodiversité et provoqué la mort des terres cultivables.

- Les programmes d’ajustement structurel imposés au pays du sud pour assurer le remboursement de leur « dette » : ces pays ont été contraints d’augmenter les cultures exportatrices au détriment d’une agriculture vivrière.

- Le maintien des subventions agricoles dans le nord ainsi que la destruction des barrières douanières des pays du sud a permis que des productions, vendues à un prix inférieur à leur coût réel, viennent inonder les marchés des pays du sud, et anéantissent les possibilités de production locale rentable.

- Le démantèlement des politiques agricoles des pays du nord comme du sud sous l’égide de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC, qui détruit tous les systèmes de régulation et de protection.

La crise alimentaire actuelle est le produit de la politique néolibérale menée ces dernières années. Elle engraisse les multinationales qui contrôlent chaque maillon de la production (semences, engrais, pesticides, brevets), de la transformation et de la distribution de la nourriture, avec la complicité des institutions internationales qui préconisent une libéralisation accrue et l’intensification de l’utilisation de nouvelles technologies et de semences transgéniques.

Il faut rejeter les politiques imposées par les institutions internationales, les accords de libre-échange, interdire la spéculation financière sur les denrées alimentaires, l’accaparement des terres par des multinationales, la production d’agrocarburants et créer des mécanismes d’intervention et de régulation.

Nous devons revendiquer l’annulation de la dette des pays du sud et la souveraineté alimentaire de chaque pays :

  • contrôle par les paysans et les populations locales de leur terre, leur eau, leur semences  ;
  • redéfinition de nos besoins et de nos modes de consommation et maîtrise et répartition de la production;
  • redéploiement d’une agriculture locale agro-écologique respectueuse de son environnement et basée sur la généralisation des petites fermes : elle permettra d’économiser les combustibles et de lutter contre le réchauffement climatique.

Vers un nouveau modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable!

Catherine Faivre d’Arcier

Publié dans : Revue Tout est à nous ! 21 (mai 2011).

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