Cinquantenaire du Traité de Rome - L’Europe au pilori
Par Patrick Tamerlan le Dimanche, 25 Mars 2007 PDF Imprimer Envoyer

Les célébrations du cinquantième anniversaire de la signature du Traité de Rome, le 25 mars, suscitent bien des interrogations. Car, en un demi-siècle, les lendemains européens ne chantent plus pour les 50 millions de pauvres, les 15 millions de chômeurs et, plus généralement, les salariés. Aussi, est-il plus que jamais l’heure de rouvrir un large débat sur l’avenir de l’Union européenne et de s’interroger sur les finalités de sa construction.

Avant qu’elle ne se concrétise en un projet politique, l’idée européenne resta limitée à un cercle de philosophes et d’intellectuels visionnaires. La perspective des « États-Unis d’Europe », selon la formule de Victor Hugo en 1849, correspondait à un idéal humaniste et pacifique. Les tragiques conflits qui brisèrent le continent durant la première moitié du xxe siècle ont apporté un brutal démenti à cet idéal. Dans un article prémonitoire de La Pravda, le 30 juin 1923, Trotsky écrivait qu’il était « opportun de poser parallèlement au mot d’ordre de gouvernement ouvrier-paysan, celui des États-Unis d’Europe ».

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans une Europe ruinée et balkanisée, alors que la France victorieuse n’était obsédée que par le paiement inique des réparations par l’Allemagne des dommages de guerre, Trotsky reconnaissait déjà la nécessité d’une coopération économique plus étroite des peuples, notamment le besoin d’allier le fer de la Ruhr et le charbon de Lorraine, au sein d’une fédération ouvrière et paysanne européenne. Dès les années 1920, Trotsky posait ainsi les principales thématiques du futur projet européen : la gestion commune des matières premières, la nécessité de définir un cadre politique et institutionnel continental et l’opposition à l’Amérique capitaliste. Mais Trotsky écrivait également que ce cadre fédératif de l’Europe avait pour perspective l’union avec l’Union soviétique, jetant par là un pont solide entre l’Europe et l’Asie. Mais c’était en 1923, quelques années avant la contre-révolution stalinienne...

Du mythe à la réalité

Il aura fallu attendre les réflexions issues des mouvements de résistance au totalitarisme, pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour voir émerger un nouvel espoir : dépasser les antagonismes nationaux, créer les conditions d’une paix durable, assurer la prospérité. De 1945 à 1950, ce projet ambitieux a brutalement été récupéré et dévoyé par l’idéologie libérale. Les valeurs humanistes, sociales et démocratiques se brisèrent face à la cynique et égoïste réalité de la création, par les États, d’un espace de libre-échange économique pour les grands groupes industriels. La signature du Traité de Paris, en 1951, instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), consacra la construction d’une Europe dominée par les logiques économiques, une Europe hémiplégique bafouant les questions sociales et démocratiques.

Le Traité de Rome, signé en 1957 par les six États fondateurs1, créant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté de l’énergie atomique (Euratom) ne fit qu’approfondir le processus de construction d’une Europe dominée par le marché. Ce traité fondateur tire les leçons du recul du dirigisme économique et de l’échec politique de la supranationalité de la CECA. La CEE, dont l’inspiration est clairement libérale, sera mise en œuvre par étapes plus que par secteurs, sous l’autorité du Conseil composé de ministres représentant les gouvernements des États membres. La perspective reste cependant la même : sur la base d’une union douanière et d’un marché unique il s’agit de progresser sur la voie de l’union économique, voire de l’union politique. Le Traité de Rome ouvre la voie à l’écriture et à la ratification des futurs traités européens au contenu néolibéral revendiqué : l’Acte unique de 1986 dont l’objectif était la création d’un marché unique en 1993, les traités de Maastricht de 1992 et d’Amsterdam de 1997 instituant l’Union européenne et l’euro (janvier 2002), le pacte de stabilité et la Banque centrale européenne.

« Ensemble depuis 1957 » ?

L’Union européenne, sous présidence allemande, célèbre en grande pompe, ce 25 mars à Berlin, le cinquantième anniversaire de la signature du Traité de Rome avec des références aux « pères fondateurs »2 et aux valeurs humanistes et sociales de l’Union européenne. Mais le mythe ne parvient plus à dissimuler la réalité aux citoyens. Le double « non » français et hollandais au référendum sur le traité constitutionnel illustre la défiance vis-à-vis d’un marché où la concurrence « libre et non faussée » assurerait à chacun la satisfaction de ses besoins élémentaires. Il est vrai qu’en cinquante ans, l’Europe du marché aura empêché tout nouveau conflit militaire d’ampleur entre les puissances européennes. Mais la paix, aussi importante qu’elle puisse être, ne doit pas exonérer l’Union européenne de son bilan démocratique et social avec ses millions de pauvres, de précaires et de chômeurs, son modèle productiviste, la marchandisation des services publics, la faillite démocratique, la domination sur le Sud, la fracture écologique, ou encore son aventurisme guerrier. La cérémonie de Berlin ne pourra pas faire l’impasse sur cette situation.

Chaque jour qui passe montre que le slogan choisi par la Commission européenne, « Ensemble depuis 1957 », ne correspond guère à la réalité. Car le bilan et les perspectives sont en effet loin d’être partagés par les 27 États. Il est difficile de s’enorgueillir des « réussites » de l’euro, de la levée des contrôles aux frontières ou encore des résultats contrastés des élargissements successifs aux pays d’Europe centrale et orientale alors que, globalement, l’Union européenne, en s’attaquant systématiquement aux conquêtes sociales et démocratiques, fruits de deux siècles de luttes et de combats, n’a fait que servir docilement et activement les marchands, les patrons et les égoïsmes des nations.

1. France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg.

2. Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Winston Churchill, etc.


Les principales étapes économiques de l’Europe

8 avril 1951 : création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

25 mars 1957 : Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE).

4 avril 1962 : politique agricole commune (PAC).

1er juillet 1968 : union douanière.

21 octobre 1991 : constitution de l’Espace économique européen, marché de 370 millions d’habitants, regroupant les douze pays de la CEE et six autres pays européens.

7 février 1992 : Traité de Maastricht marquant le début de l’Union économique et monétaire (UEM).

1er janvier 1993 : entrée en vigueur du marché unique. I juin 1997 : Pacte de stabilité et de croissance.

1er juin 1998 : création de la Banque centrale européenne.

1er janvier 1999 : instauration d’une monnaie unique, l’euro (mise en circulation des billets et pièces le 1er janvier 2002)

mars 2000 : adoption de la « stratégie de Lisbonne » (marché unique européen, le plus concurrentiel du monde).

Voir ci-dessus