Débâcle Dexia: tout un système d'escroquerie et de tricherie
Par Peter Van Pelt le Jeudi, 10 Mai 2012 PDF Imprimer Envoyer

Tout qui prend connaissance de l’affaire Dexia ne peut qu’être stupéfait de l’incroyable accumulation de décisions erronées, d’attentes disproportionnées, de déclarations trompeuses et parfois aussi d’inférences platement stupides qui caractérise ce dossier. Mais ce qui saute aux yeux par-dessus tout, c’est l’avidité à courte vue et dénuée de tout scrupule.

Aveuglement

En 2007 – après l’éclatement de la crise financière mondiale- la direction du groupe Dexia écrivait dans son rapport annuel : « L’agitation financière au cours de l’année 2007 a été un test sérieux (…) Les résultats de ce test ont été vraiment réjouissants ». La direction se frappait la poitrine et assurait chacun du fait que le groupe « pouvait tirer parti de la crise (…) du fait des rendements plus élevés ». Elle semblait ignorer la menace de risques possibles pour son propre service interne de Risk Management. La crainte exprimée par un membre du comité d’audit interne comme quoi « une crise de liquidités pourrait se produire » était balayée d’un revers demain : « Dexia n’aura pas de problème de liquidités, ni à court ni à long terme ».

Autosuffisance

En 2008 les risques n’ont fait que grandir. En même temps, les menaces se précisaient  quant à la dégradation de la situation de la filiale américaine FSA. La direction déclarait cependant qu’il n’en « découlerait pas de vraies pertes »

Cette autosuffisance allait rapidement se heurter aux faits. Mais il fallut attendre juin 2008 pour que le conseil de direction se penche sur l’inquiétante diminution du rating de FSA et sur d’autres éléments de dégradation des résultats financiers.

En dépit de tous les discours rassurants, les comptes de l’année 2008 se clôturèrent sur une perte de 3,3 milliards d’Euros. Quant à la valeur des actions, elle plongea de 3 à 4 Euros en 2001 vers un Euro à peine en 2008. Mais ce n’était que le début de la fin.

Contrôle ?

Du fait que le groupe Dexia est une holding financière et pas une banque, il n’existait pas de système de contrôle cohérent, imposé par la loi. En lieu et place existaient une série de protocoles non obligatoires dans le cadre de la soi-disant « corporate governance ». Ce qui est frappant ici est que la filiale américaine FSA (qui pose les plus grands problèmes) ne tombait pas sous le coup de ces protocoles. FSA n’était contrôlée que par les autorités américaines et françaises.

L’instance belge de contrôle, la CBFA, a bien constaté en 2008 que le contrôle sur FSA était « à améliorer », mais sans faire de propositions concrètes. Ces circonstances ont permis à FSA de considérer le début de la crise financière aux Etats Unis comme « une opportunité ».  Par conséquent, la filiale américaine s’est encore plus exposée aux produits financiers toxiques. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas été supervisés par le service de validation interne au groupe Dexia.

La raison pour cette  accumulation de négligences ne doit pas être cherchée bien loin : à elle seule, FSA a rapporté en 2006 et 2007 7 à 8% des revenus du groupe Dexia, améliorant de 10 à 12% le résultat net de celui-ci. En d’autres termes, on a cru que cet arbre pourrait pousser jusqu’au ciel.

Les doutes éventuels ont été écartés à coups de grandes phrases vides. C’est ainsi que le rapport annuel 2007 parlait d’une « politique de gestion prudente » « coordonnée au niveau du groupe en vue d’un contrôle de risque cohérent et de qualité au niveau du groupe ».

Le lundi noir de 2008

La faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a fait s’effondrer tout le château de cartes, de sorte que le groupe dit « florissant » a dû être sauvé par l’Etat belge.

Ce sauvetage par l’Etat ne changera pourtant pas grand-chose, de sorte d’un deuxième sauvetage s’avèrera indispensable. Au cours de ce même lundi noir, les agences de rating ont aussi baissé la note d’AIG, le plus gros assureur de risques bancaires au monde. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Dans le monde entier, la confiance dans le secteur financier en a pris un coup. Ce qui était jusqu’alors vu comme une crise purement financière a dès lors été reconnu partout comme une vraie crise systémique. En partie pour cette raison, toute transaction entre banques est devenue plus risquée.

Le marché interbancaire est dès lors tombé presque complètement en panne, empêchant les banques d’avoir accès à des crédits à court terme. Là-dessus est intervenue la faillite frauduleuse de Maddoff. Fortis, Ethias, KBC et le groupe dexia ont plongé dans les problèmes. Vu l’intérêt de ces institutions pour le système, l’Etat belge a volé à leur secours avec des garanties et des apports en capital.

Augmentation de capital

Le 3 octobre 2008, le capital du groupe Dexia été augmenté de 6 milliards d’euros. Ces moyens finn aciers étaient fournis par l’Etat belge, l’Etat français et les principaux actionnaires.

La ventilation de cet apport en capital était la suivante : 1 milliards d’euro de l’Etat français, 1 milliard d’euros des actionnaires français (Caisse des Dépôts et Consignations et CNO Assurances), 1 milliard de l’Etat fédéral belge, 1 milliard des régions belges (500 millions de la région flamande, 350 millions de la région wallonne et 150 millions de la région de Bruxelles capitale) et 1 milliard des actionnaires belges (Holding Communal pour 500 millions, Arco Groupe pour  350 millions et Ethias pour 150 millions d’euro).

Faiblesse des actionnaires belges

Les actionnaires belges étaient particulièrement faibles. Ethias avait elle-même besoin d’aide, tandis que le Holding communal et le groupe Arco ne disposaient que de très peu de fonds propres et étaient en grande mesure dépendants des revenus de leur portefeuille Dexia. Pour financer leur apport à la hausse de capital de Dexia, ils ont dû recourir à des emprunts… auprès de Dexia banque!

On peut se demander si c’est bien légal. La banque Dexia elle-même ( !) a fait savoir le 19 octobre 2011, par lettre, que « une banque peut valablement financer l’achat d’actions de sa holding mère ». Ni l’organisme belge de contrôle bancaire ni la Commission Européenne n’ont jamais contredit cet avis de la banque.

Garantie d’Etat

L’apport de capital a été approuvé par la Commission Européenne comme une forme d’aide publique temporaire. En même temps, les Etats belge, luxembourgeois et français donnaient leur garantie sur les financements à court terme jusqu’à un montant maximum de 150 milliards d’Euros. La part de la Belgique dans cette garantie est plafonnée à 90,75 milliards d’euro (60,5 %, contre 36,5 % pour la France et 3 % pour le Luxembourg). Le 14 octobre 2009 cette garantie d’Etat a été prolongée jusqu’au 31 octobre 2010, en même temps que le montant maximal garanti était ramené à 100 milliards d’euros, selon la même clé de répartition. La Commission Européenne a ramené toutefois cet allongement à la fin février 2010. L’espoir était que cela suffirait à sauver le groupe Dexia. Cet espoir ne s’est pas concrétisé.

Restructuration interne

Après l’augmentation de capital, et avec la couverture de la garantie d’Etat, la direction du groupe Dexia a commencé une restructuration interne. Là aussi on a gravement traîné.  Après avoir débattu oiseusement pendant des mois sur une possible scission entre une soi-disant  « bonne banque» et une « mauvaise banque », il fut décidé d’appliquer un plan de la Commission Européenne (le plan dit «deleveraging", autrement dit d’amincissement »). Selon ce plan, il fallait d’urgence se débarrasser de toute une série d’actifs, tout en maintenant les parties profitables. L’avantage de ce plan était de permettre un démantèlement graduel jusqu’en 2014.

Efforts mous

Dans le cadre du "deleveraging-plan" plusieurs parties de la banque ont été vendues, dont la filiale problématique US FSA, le 31 juillet 2009. D’autres ventes planifiées (entre autres celle de la Crediop en Italie et de l’hispano-portugaise Sabadell) ce sont heurtées à difficulté de se dégager rapidement de la crise des dettes souveraines, surtout dans les PIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et  Espagne). L’Etat belge et l’UE n’ont en tout cas pas eu le sentiment que dexia mettait tout en œuvre pour concrétiser la vente de ces deux filiales.

L’impression régnait que la direction du groupe Dexia ne faisait que des efforts mous parce qu’elle préférait se préoccuper de sauvegarder sa filiale turque DenizBank, au point même de désavantager la banque dexia. Au cours de  cette période, 80 millions d’Euros ont été payés au consultant Bain & Company pour qu’il étudie une réorganisation interne, tandis qu’on ne jugea visiblement pas nécessaire de faire appel à un intermédiaire pour la vente de Crediop et de Sabadell. En 2010, la situation sur le marché des titres de la dette publique commença à se dégrader, amenant avec elle de nouveaux risques. Les ventes d’actifs financiers commencèrent alors à s’arrêter.

Le 7 juillet 2011, l’agence de notation S&P parle de perspectives négatives pour Dexia, parce que le groupe est très exposé à un élargissement de la dette publique de la Grèce à d’autres pays de l’eurozone (Portugal, Espagne et Italie). Le démantèlement du groupe Dexia devient une possibilité de plus en plus réelle, sinon une nécessité.

Loi d’expropriation

C’est dans ces circonstances que le 2 juin 2010 est adoptée une loi pour « l’élargissement des mesures  de redressement pour les entreprises du secteur bancaire et financier » (Moniteur belge du 14 juin 2010). Cette loi donne au « régulateur la possibilité de s’adresser au conseil des ministres pour, en cas d’extrême besoin, exproprier des institutions financières qui menacent de mettre en danger la stabilité financière du pays ».

Cette loi d’expropriation visait à faire peur aux actionnaires du groupe Dexia dans les négociations, afin qu’ils acceptent une restructuration à leurs dépens. Cette loi ouvrait donc la possibilité de faire payer les actionnaires pour leur gestion irresponsable du risque, ce qui les aurait ruiné. La menace d’appliquer cette loi  n’a cependant jamais été agitée sérieusement, pour ne pas parler de l’appliquer.

Grossières sous-estimations

A l’été 2011, la situation s’est encore dégradée. Tous les indicateurs sont passés au rouge. Les données que le management de Dexia a communiquées à l’époque apparaissent aujourd’hui comme de grossières sous-estimations. On est parti de l’idée que le groupe perdrait 11,6 milliards d’Euros. On sait aujourd’hui que l’ardoise est de 16,4 milliards. Les fonds propres ont donc été estimés de façon différente par tout le monde: le CEO Mariani les estimait à 7,6 milliards, les experts de l’époque à 2,8 milliards. L’actuel réviseur d’entreprise les estime à … -2 milliards d’euros! En d’autres termes : le groupe dexia ne valait plus rien, tandis que son passif cumulé se montait à 403 milliards d’euro (!), pesant sur le résultat. Une faillite totale.

Rachat de Dexia-banque  et deuxième garantie d’Etat

En octobre 2011, l’Etat belge a donc racheté la banque Dexia pour 4 milliards d’euro. En même temps, une nouvelle garantie d’Etat était accordée pour certaines dettes du groupe Dexia, et ce pour un montant de 54,45 milliards d’euro, soit 15 % du produit National Brut (estimé à 363 milliards d’euro). Tout cela s’est fait par un arrêté royal adopté en conseil des ministres le 18 octobre 2011  (Moniteur belge 24/10/2011), sans aucun débat parlementaires, pour ne pas parler d’un débat citoyen.

Pouvoirs spéciaux

Cet arrêté royal pose cependant un certain nombre de petits problèmes. Premièrement les dates qui sont garanties ou pas ne sont pas claires. L’AR dit que c’est le ministre des Finances qui le déterminera. Deuxièmement, le groupe dexia doit certes verser une indemnité pour cette protection contre ses créanciers, mais… le montant de cette indemnité n’est pas fixé et sera déterminé par… le ministre des Finances. En bref, via cet arrêté-royal, le gouvernement (et pas le parlement !)- octroie au ministre des Finances des pouvoirs spéciaux qui ne sont pas sous contrôle public, alors que le public risque de devoir supporter les conséquences de ces décisions !

De plus, la garantie accordée reste valable jusqu’au 31 décembre 2031, sauf si… elle est prolongée. Comme la garantie est payable à première requête par un créancier reconnu, il en découle que les créanciers sont en fait encouragés à prolonger leur comportement à risque, puisqu’ils bénéficient d’une protection complète.

Consultant externe

Comme le ministre des Finances ne peut évidemment pas s’occuper des heurs et malheurs du groupe dexia (le pauvre homme a déjà assez de travail avec la restructuration de son propre ministère), on a cherché un consultant externe pour se charger de l’affaire. Le gouvernement prétend avoir trouvé l’oiseau idéal en la personne de la banque UBS, qui recevra pour cela la bagatelle de 5 millions d’Euros. Une enquête récente sur la fraude fiscale en France révèle cependant qu’UBS est impliquée dans un énorme système de détournement de l’impôt et de fraude fiscale via les paradis fiscaux. Depuis 2000, la branche française d’UBS serait ainsi coresponsable d’une perte de 85 millions d’euros dans les rentrées fiscales de l’Etat.

De plus, l’Etat belge a choisi UBS parce que celle-ci connaît bien Dexia. En 2008-2009 a contribué à l’analyse de Dexia et a aidé l’Etat belge dans le rachat de Dexia banque en 2011. Ces « bons services » n’ont pas aidé à empêcher la chute du groupe dexia. On peut donc se demander si c’est vraiment une bonne idée de faire à nouveau appel à ce même « consultant ».

Indemnité ?

Comme on l’a dit, le ministre des finances peut déterminer lui-même le montant de l’indemnité que le groupe Dexia doit payer annuellement pour bénéficier de la garantie de l’Etat. Selon des indiscrétions, il semble que le ministre ait décidé de fixer cette indemnité à un demi pour cent du montant de la garantie et ce sur une période de trente ans. Cela signifie concrètement  300 millions par an. La direction de dexia holding dit qu’elle ne peut apporter qu’un dixième de cette somme! Mais la somme de 300 millions est inscrite au budget de l’Etat, et l’entrée de cette somme est indispensable pour que le déficit budgétaire reste au-dessous de 3%, comme imposé par l’Europe.

C’est donc à juste titre que le journal De Standaard écrit ceci : "Le gouvernement est donc coincé : il veut une indemnité plus élevée, mais cela signifie que Dexia doit recevoir plus de capitaux frais. Si les pouvoirs publics doivent aider à recapitaliser Dexia aux cours boursiers actuels, qui sont très bas, alors ils deviendront actionnaire principal, et le bilan de Dexia groupe (403 milliards de dette fin décembre) devra être comptabilisé dans les finances publiques. Cela reviendrait à peu près à doubler la dette publique ».

Argent bon marché

Toute cette histoire est d’autant plus ahurissante que depuis quelques temps de l’argent vraiment bon marché est mis à disposition des banques. La banque Centrale Européenne prête de l’argent aux banques au taux extrêmement bas de 1%. Dexia s’est ainsi procuré en 2011 20 milliiards d’euros et 30 milliards encore un peu plus tard. Avec cet argent, la garantie de l’Etat pourrait être commuée sans difficultés. Mais dexia préfère l’employer pour prêter de l’argent – y compris à l’Etat belge- à des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Le ministre des finances ne voit de toute évidence aucun problème là-dedans. Il ne se préoccupe pas davantage des chasseurs de bonus qui continuent à bénéficier de parachutes dorés qui leur ont été octroyés généreusement et de façon irresponsable par les serviteurs du capital.

Plainte

Une série de groupes d’action ne veulent plus supporter cette comédie. Ils ont déposé plainte auprès du Conseil d’Etat contre l’arrêté royal du 18/10/2011, sur les garanties de l’Etat. Cet arrêté est en effet une loi de pouvoirs spéciaux illégale qui fait courir un risque d’explosion (même de doublement) de la dette publique et qui échappe à tout contrôle démocratique.

Ces groupes d’action demandent comme alternative un audit citoyen de la dette publique dans son ensemble. Ils espèrent ainsi mobiliser la population autour du constat qu’une partie de la dette est illégitime est doit par conséquent être annulée. Cette annulation dégagerait alors des moyens  pour répondre aux énormes besoins insatisfaits dans la société  dans l’enseignement , la santé, le logement, le transport, l’emploi, etc. A côté de cela, il semble indispensable d’abattre définitivement « le mur d’argent » en soumettant complètement le secteur bancaire, des assurances  et du crédit au contrôle public. Il est inacceptable que les richesses produites par tous soient accaparées au seul profit des grands prêtres du capital, qui se soucient comme un poisson d’une pomme des catastrophes qu’ils provoquent.

Résistance

La non-application des possibilités de la loi d’expropriation du 2 juin 2010, ensemble avec l’arrêté royal antidémocratique du 18 octobre 2011, font que les champions autoproclamés de la gestion du risque (qui continuent de courir avec l’argent des autres), ces coupables de la crise, restent hors d’atteinte, ne sont même pas visés. Cette politique cautionne la course au profit la plus débridée et sans scrupules. Via le danger d’une hausse spectaculaire de la dette publique, elle fait planer une menace grave de nouvelles offensives d’austérité contre le monde du travail. Les droits économiques et sociaux de la majorité de la population sont ainsi foulés au pied ; Bref, cette politique installe un régime de terreur financière et de tyrannie politique. Il est grand temps d’entrer en résistance contre ce régime, il est grand temps – pour reprendre les termes de Marx- d’en finir avec ce système de tromperie et d’escroquerie.


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