Russie : après le 4 mars…
Par Matilde Dugauquier le Mardi, 19 Juin 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le 4 mars dernier, Vladimir Poutine remportait l’élection présidentielle russe au premier tour, et ce, en dépit de la contestation à laquelle il fait face depuis la victoire de son parti Russie Unie aux législatives du 4 décembre dernier, invalidée par des observateurs indépendants. Le mouvement né cet hiver et qui s’est rassemblé autour du comité « Pour des élections honnêtes » a échoué à se présenter comme une véritable alternative politique. Mais le malaise est bien là et il ne cessera de grandir sous le 3ème mandat de Vladimir Poutine qui s’annonce déjà comme un bain de sang social. La Russie en colère découvre donc de nouvelles façons de s’organiser et de lutter…

Le 5 mars, 20 000 personnes se sont rendues au meeting de protestation organisé à Moscou, ce qui représente une très nette diminution par rapport aux mobilisations de décembre et de février.  L’opposition libérale démocratique s’obstine à dénoncer une fraude électorale qui, si elle a bien eu lieu, n’a pas été déterminante dans le résultat du scrutin de la veille. C’est plutôt l’incapacité du mouvement à avancer des revendications programmatiques et à intégrer les thématiques sociales qui est à mettre en cause. La peur du lendemain et du changement qui caractérise la société russe depuis l’implosion de l’URSS ainsi que le manque d’expérience d’auto-organisation auront fait le reste… et Vladimir Poutine aura très bien su en profiter.

OkkupaïAbaï

Pourtant, le 6 mai dernier, à la veille de l’inauguration officielle du mandat de ce dernier, environ 70 000 personnes venues de différentes villes prennent à nouveau les rues de Moscou pour dire non au « nouveau » président et au système de la « démocratie dirigée », subtile mélange d’éléments de démocratie et d’autoritarisme, qu’il incarne. La journée s’achève par des affrontements spectaculaires avec la police, des centaines de personnes sont arrêtées, des dizaines d’autres blessées. Mais les habitants de Moscou reviennent envahir les principales artères de la ville le lendemain et le surlendemain, en dépit des arrestations massives. Le 9 mai, des camps sont dressés sur la Place Koudrinskii et le Boulevard Tchistye Proudy, au pied du monument à Abaï Kounanbaev. OkkupaïAbaï voit le jour.

La vie s’y organise peu à peu sous l’impulsion des différentes organisations de gauche particulièrement actives : un centre d’information, un service d’ordre ainsi qu’une cuisine et une caisse de solidarité sont créés. Environ 1000 personnes occupent chacun des deux camps en permanence. Elles sont rejointes en soirée par un grand nombre de Moscovites qui quittent leur travail. À Tchistye Proudy, on compte jusque 10 000 visiteurs en fin de journée. Dépassée, la police veille au grain mais n’intervient pas. Les gens se rencontrent, s’asseyent et discutent. Les Assemblées Générales quotidiennes qui se tiennent au centre du camp finissent par attirer des centaines de travailleurs/euses, étudiant-e-s et lycéen-ne-s qui passent par là. À l’ordre du jour : structuration du mouvement, règlement d’ordre intérieur du camp, solidarité avec les personnes arrêtées et, surtout, la « réforme de l’enseignement » qui se prépare en hautes sphères et qui prévoit une privatisation progressive des écoles « non rentables » du jardin d’enfants à l’université. Parallèlement, individus et collectifs organisent leurs propres activités, séminaires, débats, concerts, projections, etc. Le 16 mai, le camp de Tchistye Proudy est finalement délogé. Il se réinstallera sur la Place des Barricades et tiendra encore une semaine, jusqu’à l’essoufflement du mouvement. Depuis la dissolution des deux camps, les différentes structures et groupes de travail mis en place continuent de se réunir périodiquement, et les Assemblées Générales ont toujours lieu.

Poutine acte III, le dernier ?

Quelles leçons tirer de tout cela ? Il semble qu’une frange de l’opposition à Poutine soit lassée des discours creux et de l’incapacité de l’opposition libérale démocratique à donner des perspectives au mouvement. Nombreux sont désormais prêts à participer à des actions non-autorisées, à occuper l’espace publique. Nombreux sont également ceux et celles qui ont compris la nécessité de s’auto-organiser démocratiquement et durablement ainsi que celle de formuler des revendications à caractère social. Des expériences similaires ont également eu lieu dans d’autres villes de Russie. Bien que le nombre de participants reste infime à l’échelle du pays, cela marque un nouveau tournant dans le réveil politique qui a lieu depuis cet hiver et qui, au regard de l’apathie qui régnait jusqu’alors, n’est pas anodin. Soulignons enfin que l’implication importante des organisations de gauche a permis de faire entrer « l’idée de gauche » – radicale ou réformiste – dans un débat public dont elle était jusqu’à présent totalement absente.

Car pour faire tomber Vladimir Poutine et son système, il ne suffira pas de crier indéfiniment à l’illégitimité. Poutine est toujours bien majoritaire et il faut lui arracher cette majorité. La composition de son nouveau cabinet ministériel, où se côtoient joyeusement technocrates issus du monde des affaires et bureaucrates en charge de l’artillerie répressive et propagandiste, montre que la facture sera lourde pour l’ensemble de la population. Les semaines à venir verront s’enchainer coupes sombres dans les budgets sociaux, privatisations et marchandisation définitive de l’enseignement et la santé, tout comme elles verront le mécontentement grandir. Les différentes fractions de l’opposition se réuniront le 12 juin pour une manifestation nationale dont le mot d’ordre est « La Russie sans Poutine »…






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