La force de la révolution syrienne entraîne la désintégration du régime
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Entretien avec Shadi Abu Fakher (un des fondateurs des coordinations des quartiers de Damas).

Peux-tu nous dresser un tableau de la situation aujourd’hui en Syrie ?

La majorité de la Syrie est en révolte. 70 % du territoire syrien est hors du contrôle du pouvoir. Il y a toujours des manifs partout, des manifs pacifiques, il y a aussi des campagnes de boycott du régime, par exemple pour ne pas payer ce qu’on doit à l’État (impôts, taxes)…

Des fonctionnaires ont arrêté d’aller à leur boulot, pas mal de militaires ont déserté l’armée. Il y a un divorce total avec le régime. Les coordinations se maintiennent malgré la répression. Elles regroupent des gens du même quartier, du même village, qui s’organisent eux-mêmes, pour manifester, pour gérer les relations locales, utiliser les médias…

On a adopté une forme horizontale d’organisation pour faire face au mieux aux dégâts causés par les arrestations. Dès qu’il y a une arrestation, une autre structure se met en place et prend contact avec le comité d’à côté.

L’Armée syrienne libre (ASL) est vue comme une composante de la révolution, sa force reste très faible par rapport à l’armée officielle, elle compte près de 100 000 hommes, des militaires qui ont déserté et aussi pas mal de civils volontaires ; leur armement n’a rien à voir avec l’armement de l’armée officielle, des kalachnikovs, quelques roquettes, des fusils de chasse…

Face aux manifestations, le régime est impuissant et s’enferre dans l’escalade de la répression. Il est passé à une étape de punition généralisée. Dès qu’il y a une manif, des roquettes sont lancées, on peut imaginer les dégâts des voitures piégées sur le passage des manifs, des exécutions sommaires filmées et diffusées pour terroriser la population. Les bombardements sur les villes contraignent pas mal de gens à fuir. Au début, il y avait une moyenne de 12, 15 victimes par jour, puis 25, 30, 50, puis 200 et il y a trois jours, dans un seul quartier de Damas, à Daraya, plus de 400 victimes.

Quelle issue face à ce déferlement de violence ?

Première chose, il faut arrêter l’intervention étrangère qui vient de la Russie, de la Chine, du Hezbollah, de l’Iran qui consolide le régime. Deuxième chose, il faut combattre la désinformation concernant la nature de la révolution syrienne et permettre à l’ASL de s’armer. Il faut secourir d’urgence la population. Pour le reste, la force de la révolution syrienne, nos idées, la mobilisation populaire entraînent la désintégration du régime. Face à un régime qui n’hésite pas à bombarder un quartier, une ville, nous avons besoin d’armes, d’entraînement aussi, parce que la plupart des gens de l’ASL sont des civils qui n’ont pas d’expérience militaire. Dernière chose, l’importance des secours face à 3 millions de réfugiés intérieurs qui ont fui les bombardements et ont besoin d’un abri, de nourriture. On risque d’avoir une réelle famine.

Que penses-tu du fait qu’Obama ait évoqué la possibilité d’une intervention militaire ?

Le souci de l’administration US n’est pas le sort de la révolution syrienne, mais celui des armes chimiques et des missiles quand le régime s’effondrera. Contre qui ils pourront être utilisés. Il n’y aura pas d’intervention militaire occidentale malgré quelques voix dans la résistance qui la demandent. Après la chute de Bachar el Assad, l’administration US, l’Otan, les forces occidentales, pourraient décider d’une intervention pour contrôler les armes chimiques, et aussi la mise en place d’un nouveau régime…

Quelles formes politiques pourrait prendre la révolution après la chute du régime ?

Il y a plus d’un mois et demi, une réunion a eu lieu au Caire avec toutes les forces révolutionnaires de l’intérieur du pays. Elles ont signé un accord sur la nécessité d’un État réellement démocratique, l’égalité entre tous les Syriens, indépendamment de leur appartenance ethnique, politique, religieuse, etc. Cet accord prévoit la création d’un conseil de 150 membres, une sorte de Parlement transitoire, jusqu’à des élections. Il devrait être composé de 25 % de forces de l’opposition, de 25 % des comités de coordination, 25 % de personnalités qui ont aidé la révolution, de leaders locaux et 25 % de technocrates de l’ancien régime à condition qu’ils ne soient pas mêlés à la répression. Un gouvernement transitoire serait mis en place composé de la même façon et un conseil militaire composé de 50 % de l’ASL et 50 % d’officiers de l’ancien régime qui n’ont pas été liés à des massacres, à la répression. Dernière chose, face à la peur que l’Armée syrienne libre puisse, après la révolution, être entre les mains des salafistes, des djihadistes, cette dernière a adopté, il y a deux semaines, un pacte qui interdit à ses membres d’entrer dans tel ou tel parti. Elle est là pour servir la révolution.

Quel bilan tires-tu de ta participation à l’Université d’été du NPA ?

Nous n’acceptons pas la position d’une partie de la gauche qui ne soutient pas la révolution syrienne. Je suis venu en France pour aider à faire connaître ce qui se passe en Syrie. Face à cette partie de la gauche qui considère le régime d’Assad comme opposé à l’impérialisme, j’ai trouvé la position du NPA la plus avancée dans le sens de la solidarité. C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai participé à plusieurs débats sur les révolutions du monde arabe. C’est pour moi très positif.

Propos recueillis par Yvan Lemaitre

Cet entretien a été publié sur le site du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) France: http://www.npa2009.org/

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