L’EFSA discrédite l’étude Séralini sur la toxicité des OGM - Autorité de Sécurité Alimentaire… ou instrument de Monsanto ?
Par Daniel Tanuro & Collectif le Vendredi, 05 Octobre 2012 PDF Imprimer Envoyer

La publication à la mi-septembre des résultats d’une étude universitaire sur la toxicité d’une variété de maïs génétiquement modifié et de l’herbicide Roundup a causé un choc violent dans l’opinion publique. L’équipe de chercheurs dirigée par Gilles-Eric Séralini, de l’université de Caen, en France, mettait en évidence que le maïs NK603 et le RoundUp ont à long terme sur la santé des rats des effets graves – tumeurs, maladies des reins et du foie- que n’identifient pas les tests officiels, réalisés sur des périodes plus courtes. Les photos des énormes tumeurs développées par les rongeurs ont fait le tour du monde.

La riposte a été foudroyante. Dès le lendemain, l’étude de Séralini faisait l’objet d’un tir de barrage extrêmement nourri de la part d’autres scientifiques. Leurs critiques étaient très largement répercutées par les médias (tandis que les réponses à ces critiques, par contre, ne trouvaient pas ou peu d’écho). Cette affaire vient de connaître une première conclusion provisoire : ce 4 octobre, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a jugé "insuffisante" l'étude des chercheurs français et leur a demandé de fournir davantage d'informations sous peine de la rejeter. Sous ses  dehors catégoriques, ce jugement dicté par Monsanto dissimule en réalité un embarras considérable et une volonté d’étouffer ce qui pourrait devenir un scandale majeur.

Un étrange communiqué

Selon l’EFSA, l’étude de Séralini est « d’une qualité scientifique insuffisante pour être considérée valide pour l'évaluation des risques". "La conception, le système de rapport des données et l'analyse de l'étude, tels que présentés dans le document, sont inadéquats", explique-t-elle dans un communiqué. En même temps, l’Autorité "invite les auteurs à lui fournir la documentation sur laquelle ils se sont basés ainsi que les procédures relatives à leur étude afin que l'EFSA acquière la compréhension la plus complète possible de leurs travaux. Sans ces « informations additionnelles essentielles », il est « peu probable que l'étude se révèle fiable, valide et de bonne qualité". (1)

Voilà un communiqué bien étrange : d’un côté, l’EFSA rejette l’étude en termes très catégoriques («d’une qualité scientifique  insuffisante pour être considérée valide » !), de l’autre… elle demande aux chercheurs de lui fournir les éléments « essentiels » sans lesquels « il est peu probable que l’étude se révèle valide ». La contradiction saute aux yeux. Comment peut-on condamner une étude quand on manque à son sujet de certaines « informations essentielles » à la « compréhension la plus complète » ? De plus, l’étude a été soumise à un comité de lecture composé de spécialistes avant sa publication… dans la revue où Monsanto publie les résultats de ses études.  L’EFSA considère-t-elle que les reviewers sont eux aussi « d’une qualité scientifique insuffisante » ?

Insoutenable légèreté

C’est peu dire que la prise de position de l’EFSA témoigne d’une insoutenable légèreté. Car enfin, il s’agit de santé publique. L’Autorité a pour mission de donner aux citoyen-ne-s le maximum de garanties qu’ils et elles consomment des aliments qui ne nuiront pas à leur santé et à celle de leurs enfants. Or, selon l’étude de Gilles-Eric Séralini, ce n’est pas le cas. Un des deux maïs OGM dont l’EFSA a autorisé la consommation et la culture en Europe pourrait être sérieusement toxique. Le problème serait que les tests sur base desquels l’EFSA a donné ces autorisations ne permettent pas de déceler cette toxicité, parce qu’ils sont menés sur une période trop courte (90 jours). Les tumeurs et autres affections apparaissent chez les rats de laboratoire après un an, dit Séralini.

Dans ces conditions, l’EFSA devrait s’interroger en premier lieu sur la qualité scientifique des études précédentes, qui ont conclu à l’innocuité du NK603, études sur lesquelles elle a basé ses décisions en les considérant comme valides. En effet, si l’étude de Séralini était effectivement « d’une qualité scientifique insuffisante », alors il faudrait estimer que les autres études sont d’une qualité plus mauvaise encore, et la conclusion à tirer serait : stop aux OGM, on arrête tout et on réalise en toute transparence une nouvelle étude toxicologique approfondie, de longue durée, indépendante, donnant des garanties de validité incontestables. Mais c’est justement cette conclusion que l’EFSA veut éviter à tout prix… parce qu’elle nuirait à la compétitivité du secteur des biotech.

La main de Monsanto

Dans son communiqué, l’EFSA ne fait que reprendre les critiques qui ont été formulées très vite –étonnamment vite -  contre les travaux de Séralini. Le Dr Joël Spiroux, co-auteur et directeur adjoint de l’étude, président du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendant sur le génie génétique), a déjà répondu à la plupart d’entre elles (2). Comme le note le Réseau européen de Scientifiques pour la responsabilité sociale et environnementale (ENSSER), « la plupart des arguments qui tentent d’invalider l’étude de Séralini et al. ne résistent pas à un examen plus attentif. Les critiques soulevées sont pour la plupart fausses ou appliquent de doubles standards. »(3) On se contentera ici de reprendre deux exemples qui montrent un acharnement malhonnête :

-        « La souche de rat utilisée dans cette étude est sujette à développer des tumeurs au cours de son espérance de vie d'environ deux ans », écrit l’EFSA - Oui, mais tout le monde utilise ces mêmes rats, y compris Monsanto ;

-        « Le nombre de rats étudiés (200 animaux, dix lots de vingt) est trop faible » - Oui, mais ce nombre d’animaux est égal ou supérieur à celui qui est utilisé par Monsanto pour prouver en trois mois que les OGM ne nuisent pas à la santé…

Il n’y a aucun doute qu’une campagne visant à discréditer délibérément l’étude du Professeur Séralini a été orchestrée par Monsanto. L’ONG CEO (Corporate Europe Observatory), qui scrute l’action des lobbies patronaux dans l’Union Européenne, a divulgué un e-mail envoyé tout de suite après la publication de l’étude, dans lequel un dirigeant de la multinationale fait connaître une liste de dix-huit commentaires scientifiques (dont dix émanant de personnes non-identifiées), tous défavorables à Séralini et son équipe.

Ce recueil de commentaires n’a pas été établi directement par Monsanto mais par le « Science Media Center ». Cet organisme basé à Londres se donne une image d’objectivité, mais celle-ci ne résiste pas à l’analyse : 70% du financement du SCM provient de l’industrie, et toutes les firmes de biotechnologie y contribuent… Les critiques des scientifiques pro-OGM coïncident d’ailleurs point par point avec celles qui sont formulées par Monsanto elle-même dans ses « commentaires » au sujet de l’étude de Séralini. N’empêche que l’astuce a fonctionné : l’agence de presse Reuters a repris les attaques fournies par le SMC, et la grande presse a embrayé.

D’énormes enjeux

La perversité, la brutalité et la malhonnêteté des attaques contre Séralini et son équipe s’expliquent évidemment par l’énormité des enjeux économiques. On n’a pas besoin d’OGM pour nourrir la planète. Les 400 experts qui ont rédigé pour les Nations Unies une Evaluation internationale des connaissances, des technologies et de la science agricole pour le développement (le rapport IAATD) ont même conclu que les OGM étaient inappropriés à ce but. Les belles paroles sur les OGM comme moyen-de-supprimer-la-faim ne sont que basse propagande et rideau de fumée. Le véritable objectif de Monsanto et des autres multinationales du « génie génétique » est l’industrialisation totale de l’agriculture dans le but de maximiser leurs profits en imposant des prix de monopole.  Il va de soi que, si cet objectif était atteint, l’humanité verrait ses conditions fondamentales d’existence complètement subordonnées aux intérêts d’une puissance capitaliste concentrée, d’une ampleur sans précédent.

Pour aller dans ce sens - qui, il faut y insister, découle spontanément de la concurrence capitaliste dans la recherche d’investissements générateurs de valeur ajoutée -  l’industrie biotechnologique doit s’approprier les espèces cultivées (d’où l’importance du combat sur les semences), transformer les paysans en simples pions de son projet  et supprimer toute science indépendante. Elle doit aussi contrôler le pouvoir politique, qui donne les autorisations nécessaires à la consommation et à la culture des transgéniques. L’affaire des OGM montre comment ces deux derniers  points sont imbriqués, puisque Monsanto réalise ou fait réaliser elle-même les études sur base desquelles les pouvoirs publics décident ensuite que ses plantes GM ne présentent aucun danger.

Science avariée, pouvoirs gangrenés

C’est peu dire qu’il y a lieu ici de se poser des questions sur l’évolution de la science, ou plutôt des sciences... La concurrence entre chercheurs pour les crédits et la mainmise croissante de l’industrie sur la recherche jouent un rôle évident (cet aspect de la politique néolibérale devrait être dénoncé davantage par la gauche radicale). Cependant, comme le dit le biologiste Jacques Testart, « il serait trop simple d’imaginer que tous ces chercheurs (ceux qui flinguent Séralini) sont payés pour défendre les intérêts de l’industrie des plantes GM. La situation est plus grave parce qu’elle relève rarement du délit mais presque toujours de l’idéologie ». Une idéologie difficile à combattre parce qu’elle habite la pensée scientifique elle-même : « la révolution génétique a conduit à une conception atomisée du vivant, écrit Testart : les secrets de la vie, des spécificités individuelles, des pathologies et des traitements, tout serait décelable et modifiable dans la molécule d’ADN, d’où la naissance d’un réductionnisme triomphant ». (4)

En même temps, ce réductionnisme, qui « nie la complexité du vivant », n’est qu’une forme particulière de l’idéologie utilitariste et réifiante du capitalisme, avec sa rationalité partielle (au niveau des entreprises) et son irrationalité globale. C’est pourquoi les conflits d’intérêt – les vrais, avec de l’argent à la clé - ne sont jamais très loin des dérives idéologiques. Au cours d’une conférence de presse, Gilles-Eric Séralini a mis en doute « la compétence, et même l’honnêteté » des experts de l’EFSA. Cette attaque frontale ne tombe pas du ciel. L’EFSA est truffée de partisans des OGM, liés à l’industrie biotechnologique ou à diverses officines soumises à celle-ci. Le CEO a montré que plus de la moitié des experts qui ont donné le feu vert au maïs NK603 avaient des liens avec l’industrie (5). En mai dernier, Diana Banati, Présidente de l’EFSA, était contrainte à la démission en raison de ses liens avec  l’ILSI (International Life Science Institute). Décrit par le Canard Enchaîné comme « le plus puissant groupe de lobbying alimentaire avec 400 adhérents dont Monsanto, Unilever, Syngenta, Bayer, Nestlé… », l’ILSI est au cœur de plusieurs affaires de conflits d’intérêt. (6)

Le comité scientifique  de l’ILSI compte notamment dans ses rangs un autre chercheur pro-OGM : le français Gérard Pascal, ancien toxicologue à l’INRA, devenu consultant pour Danone et Nestlé. Interrogé sur l’étude de Séralini par le quotidien Le Monde, Pascal déclarait avec ironie : « Si les résultats se confirment, c’est le scoop du siècle. Et dans ce cas, il faudrait interdire les OGM dans le monde entier ». En effet, cher monsieur, tel est bien l’enjeu ! Mais en plus, un nombre incalculable de victimes pourraient exiger réparation, une série d’experts qui ont fait passer leurs intérêts avant le bien public seraient mis sur la sellette, et les politiciens qui ont décidé de n’écouter que ces experts-là devraient rendre des comptes, eux aussi.  L’affaire du sang contaminé, à côté de ça, c’est de la roupie de sansonnet… Voilà sans doute pourquoi le CERES, une association fondée par les grands groupes français de la distribution, aurait avancé les premiers fonds pour l’étude réalisée à Caen.(5)

Pour une mise à plat

Gilles-Eric Séralini refuse de donner à l’EFSA les « informations complémentaires » qu’elle lui demande. Il réclame au contraire que l’Autorité européenne « fournisse au public les éléments qui lui ont permis d'autoriser cet OGM, et ce pesticide en particulier »(7). Cette réplique intransigeante risque de lui coûter cher, mais elle est pleinement justifiée. Le communiqué du 4 octobre de l’EFSA dit que « l’examen préliminaire publié aujourd'hui constitue la première étape d’un processus » et qu’une « seconde analyse, plus complète, sera publiée d'ici la fin octobre 2012.» Etant donné que l’EFSA invoque contre l’étude de Séralini des vices qui n’en sont pas pour elle lorsqu’ils entachent – et plus gravement- des études pro-OGM, le « deux poids deux mesures » est clair, et la conclusion coule de source : ce n’est pas une controverse scientifique, et la « seconde analyse, plus complète » de l’EFSA ne fera que confirmer la première.  Il n’y a aucune raison pour un chercheur de collaborer à une mascarade aussi grossière.

Comme le dit la « Lettre Ouverte » sur l’affaire Séralini, que nous publions en annexe, « une grande part de la culpabilité ultime pour cette controverse réside chez les régulateurs - l'EFSA en Europe et l'EPA (Environmental Protection Agency) ainsi que la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis - qui ont adopté des protocoles ayant peu ou pas de potentiel pour détecter les conséquences néfastes des OGM (8)». L’affaire est donc politique. Il faut en finir avec un système qui permet aux industries agroalimentaires de faire elles-mêmes les études d’accréditation de leurs OGM selon des procédures  mises en place par elles. Il est inacceptable que les pouvoirs publics discréditent un chercheur alors qu’ils ne se sont jamais soucié d’organiser une recherche sérieuse et indépendante sur les impacts sanitaires (et écologiques) à long terme de transgènes qui – c’est le fond de l’affaire – ne sont nécessaires que dans le cadre de la course au profit du complexe agro-industriel capitaliste.

Ecrit par Daniel Tanuro


(1) http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/121004.htm

(2) http://www.ogm-alerte-mondiale.net/OGM-9-critiques-et-9-reponses-sur

(3) Communiqué ENSSER, 5 oct. 2012

(4) http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte911

(5) http://corporateeurope.org/news/study-monsantos-gm-maize-intensifies-concerns-about-efsas-reliability-monsanto-strikes-back-pr

(6) http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice/280912/polemique-sur-la-toxicite-des-ogm-ces-conflits-dinterets-qui-nuise

(7) http://www.tendanceouest.com/caen/actualite-41892-ogm-gilles-eric-seralini-en-donnera-pas-plus.html

(8) http://independentsciencenews.org/health/seralini-and-science-nk603-rat-study-roundup/



Séralini et la science : une lettre ouverte

(Collectif)

Une nouvelle publication de l’équipe française de Gilles-Eric Séralini décrit les effets nocifs chez des rats d’aliments contenant du maïs génétiquement modifié (variété NK603), avec et sans l'herbicide Roundup, ainsi que du Roundup seul. Cette étude soumise à la peer review, a été critiquée par certains scientifiques dont les opinions ont été largement rapportées dans la presse populaire. Séralini et ses collègues amplifient le travail d'autres études démontrant la toxicité du Roundup et /ou ses impacts sur le système endocrinien.

La publication de Séralini et l'attention médiatique qui en résulte rehaussent le niveau des défis fondamentaux auxquels les scientifiques sont confrontés dans un monde de plus en plus soumis à l'influence des entreprises. Ces défis sont importants pour l'ensemble de la science, mais ils sont rarement abordés dans les rencontres scientifiques.


1) Histoire des attaques contre les études dévoilant des risques (technologiques Ndt). Séralini et ses collègues ne sont que les derniers d'une série de chercheurs dont les conclusions ont déclenché des campagnes orchestrées de harcèlement. Des exemples limités aux quelques dernières années sont ceux d’Ignacio Chapela, à l’époque professeur assistant  à Berkeley, dont la publication sur la contamination GM du maïs au Mexique a suscité une intense campagne sur Internet, dans le but de le discréditer. Cette campagne aurait été orchestrée par le groupe Bivings, une firme de relations publiques spécialisée dans le marketing viral, souvent recrutée par Monsanto.

La brillante carrière du biochimiste Arpad Pusztai a pris fin de facto lorsqu'il a tenté de présenter ses conclusions contradictoires sur les pommes de terre GM. Bâillonnement  pratique, retraite forcée, saisie de données et harcèlement par la British Royal Society ont été utilisés pour empêcher la poursuite de ses recherches. Des menaces de violence physique ont même été proférées plus récemment contre Andres Carrasco, professeur d'embryologie moléculaire à l'Université de Buenos Aires, dont les recherches ont identifié les risques sanitaires du glyphosate, l'agent actif du Roundup.

Il n'est donc pas surprenant que les 26 entomologistes spécialistes du maïs qui ont pris en 2009 la décision sans précédent d'écrire directement à l’EPA (Agence US de Protection de l’Environnement, Ndt) pour se plaindre du contrôle que l'industrie exerce sur l'accès de la recherche aux cultures OGM aient décidé de procéder par lettre anonyme.

2) Le rôle des médias scientifiques. Un aspect important mais souvent inaperçu de cette intimidation est qu'elle se fait fréquemment de concert avec les médias scientifiques. Commentant la publication de Séralini, les titres sans doute les plus prestigieux des médias scientifiques - le New York Times, le New Scientist, et le Washington Post – ont été unanimement incapables de respecter un équilibre, même minime, entre la critique de la recherche de Séralini et le soutien apporté à sa publication. Pourtant, des médias ayant moins de ressources, tels que le quotidien britannique Daily Mail, semblent n’avoir eu aucun mal à trouver un avis scientifique positif sur cette étude.

3) Présentations médiatiques trompeuses. Un scénario caractéristique dans le cas d’études révélant des risques (technologiques) est que les critiques formulées dans les médias sont souvent biaisées (red herrings), trompeuses ou mensongères. Ainsi, des méthodologies courantes sont dépeintes comme indicatrices d’une science de pacotille lorsqu'elles sont utilisées par Séralini, mais pas quand elles sont utilisées par l'industrie. L'utilisation d'arguments biaisés paraît avoir pour but de semer le doute et la confusion chez les non-experts. Par exemple, Tom Sanders du Kings College de Londres aurait déclaré: «Cette souche de rat est très sujette aux tumeurs mammaires, en particulier lorsque l'apport alimentaire n'est pas restreint». Il a omis de signaler, ou ignorait, que la plupart des études sur l'alimentation réalisées par l'industrie utilisent (ces mêmes) rats Sprague-Dawley. Dans ces études et d'autres réalisées par l’industrie, la prise alimentaire était illimitée. Les Commentaires de Sanders sont importants car ils ont été largement cités et qu'ils faisaient partie d'une réponse à l'étude de Séralini orchestrée par le Science Media Centre de la British Royal Institution. Le Science Media Centre possède une longue histoire d’étouffement  des controverses sur les OGM et on trouve parmi ses bailleurs de fonds de nombreuses entreprises qui produisent des OGM et des pesticides.(1)

4. La culpabilité du régulateur. Selon nous, une grande part de la culpabilité ultime pour cette controverse réside chez les régulateurs. Les régulateurs, tels que l'AESA (Agence Européenne de Sécurité Alimentaire) en Europe et l'EPA (Environmental Protection Agency) ainsi que la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis, ont adopté des protocoles ayant peu ou pas de potentiel pour détecter les conséquences néfastes des OGM.

Les OGM sont tenus de subir quelques expériences, quelques critères d'évaluation sont examinés, et les tests sont effectués uniquement par le demandeur ou ses agents. En outre, - hormis le caractère cible - les protocoles actuels de réglementation sont simplistes et basés sur des hypothèses conçues pour manquer la plupart des changements au niveau de l'expression génétique induits par le processus d'insertion du transgène.

Puzstai et d'autres ont défendu de façon cohérente que des expériences d'alimentation sérieuses sont l'un des meilleurs moyens de détecter ces changements imprévisibles. Pourtant, ces expériences d'alimentation ne sont pas requises pour l'approbation par le régulateur, et la crédibilité scientifique de celles qui ont été publiées à ce jour a été contestée. Par exemple, Snell et al. (2012), qui ont évalué la qualité de 12 expériences de longue durée (plus de 96 jours) et de 12 études multigénérationnelles, ont conclu: «Les expériences examinées ici sont souvent liées à une mauvaise conception expérimentale qui a des effets néfastes sur l'analyse statistique ... Les insuffisances majeures incluent non seulement le manque d'utilisation de lignées quasi isogéniques (ayant quasiment le même matériel génétique, Ndt), mais aussi la sous-estimation de la robustesse statistique [et], l'absence de répétitions ... ".

Apparemment, les mêmes problèmes de conception et d’analyse expérimentales qui ont été soulevés face à l’étude de Séralini n'ont pas préoccupé les critiques lorsqu’étaient publiées des études n’identifiant pas de risque (des OGM), et entraînant une mauvaise information des décideurs. Il s’agit en fin de compte, d’un problème majeur pour la science et pour la société dans la mesure où les protocoles actuels de réglementation autorisent des cultures OGM sur base de données qui ne permettent pas ou peu d’en évaluer l'innocuité.

5) La science et la politique. Les gouvernements se sont habitués à utiliser la science comme un ballon de football politique. Par exemple, une étude menée par la Royal Society of Canada, à la demande du gouvernement canadien, a identifié de nombreuses faiblesses de la réglementation sur les OGM. Le gouvernement canadien a été incapable d’apporter une réponse valable aux nombreux changements recommandés. De même, les recommandations des experts auteurs du rapport international IAASTD, produit par 400 chercheurs en plus de 6 ans de travail, selon lesquelles les OGM ne conviennent pas à la mission de faire progresser l'agriculture mondiale, ont été résolument ignorées par les décideurs (l’IAASTD - International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development -  est une initiative de la FAO, Ndt)... Ainsi, tout en proclamant que leurs décisions sont fondées sur des preuves scientifiques, il est fréquent que les gouvernements utilisent la science uniquement quand cela les arrange.

6) Conclusion: Quand ceux qui ont un intérêt établi tentent de semer un doute déraisonnable sur des résultats gênants, ou quand des gouvernements exploitent des opportunités politiques en faisant le tri parmi des preuves scientifiques, ils fragilisent la confiance du public dans les méthodes scientifiques et dans les institutions, tout en mettant en danger leurs propres citoyens.  Les tests de sécurité, la régulation basée sur la science et le processus scientifique lui-même dépendent de façon cruciale de la confiance généralisée dans un corps de scientifiques fidèles à l'intérêt public et à l'intégrité professionnelle. Si, au contraire, le point de départ de l’évaluation scientifique des produits est un processus d'approbation truqué en faveur du demandeur, et étayé par l’élimination systématique des scientifiques indépendants qui travaillent dans l'intérêt public, alors il ne peut y avoir de débat honnête, rationnel ou scientifique.


Les Auteurs: Susan Bardocz (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie); Ann Clark (Université de Guelph, ret.); Stanley Ewen (histopathologiste Consultant, Grampian University Hospital), Michael Hansen (Consumers Union); Jack Heinemann (Université de Canterbury), Jonathan Latham (The Bioscience Resource Project); Arpad Pusztai (4, rue Arato, Budapest, 1121 Hongrie), David Schubert (Salk Institute); Allison Wilson (The Bioscience Resource Project )


Notes

(1) En outre, les scientifiques américains qui publient des résultats d’études montrant des effets environnementaux négatifs sont souvent violemment attaqués par d'autres scientifiques pro-OGM. Comme le souligne un rapport publié dans la revue Nature, qui traite de nombreux exemples, «Les publications suggérant que les plantes GM pourraient nuire à l'environnement attirent une grêle d’injures de la part d'autres scientifiques. Derrière ces attaques se trouvent des scientifiques qui sont déterminés à empêcher les publications qu'ils estiment avoir des défauts d’influencer les décideurs. Quand un papier sort dans lequel ils voient des problèmes, ils réagissent rapidement, le critiquent sur des forums publics, écrivent des lettres de réfutation, et les envoient aux responsables politiques, aux organismes de financement et aux éditeurs de journaux. De fait, lorsqu'un de nous a écrit il y a dix ans un commentaire dans Nature Biotechnology suggérant que davantage d'attention soit accordée aux effets potentiels indésirables de la mutagenèse artificielle, nous avons reçu un déluge de réponses, et un administrateur du Salk institute a même dit que cette publication "mettait en péril le financement de son institution". Des attaques similaires ont accueilli des études sur les effets néfastes des toxines Bt sur les coccinelles et les larves de chrysope, études sur lesquelles les autorités allemandes se sont basées pour interdire la culture du MON810, un maïs Bt de Monsato (les initiales Bt désignent la manipulation génétique qui consiste à rendre des plantes « insecticides » en insérant dans leur génome le gène d’une bactérie – Bacillo thurigensis- qui produit naturellement une substance toxique - Ndt). En 2009, un groupe de 26 entomologistes du secteur public a envoyé une lettre à l'Agence américaine de protection de l'environnement, déclarant ceci : «Aucune recherche vraiment indépendante ne peut être légalement menée sur de nombreuses questions critiques impliquant ces cultures [en raison de restrictions imposées par les entreprises] ». Il n’est pas surprenant que cette lettre ait été envoyée anonymement, les scientifiques craignant des représailles par les entreprises qui financent leur travail. De plus, le contrôle de l'industrie sur la recherche qui peut être menée aux États-Unis signifie que les résultats défavorables peuvent de facto être supprimés. Un exemple cité dans l'article est celui de Pioneer, producteur d'une toxine binaire Bt contre la chrysomèle du maïs. En 2001, Pioneer passait contrat avec des laboratoires universitaires pour tester les effets indésirables sur une coccinelle. Les laboratoires ont constaté que 100% des coccinelles mouraient après huit jours d'alimentation. Pioneer interdit aux chercheurs de publier les données. Deux ans plus tard, Pioneer a reçu l'approbation pour une variété de maïs Bt (produisant la même toxine, Ndt) et présenté des études montrant que les coccinelles alimentées durant sept jours n’en souffraient pas. Les scientifiques n'ont pas été autorisés à refaire l'étude après que la plante GM ait été commercialisée. Dans un autre exemple, Dow AgroSciences a menacé un chercheur de poursuites judiciaires s'il publiait des informations reçues de l'EPA. Comme le souligne l'article, «L'information portait sur une variété de maïs résistant aux insectes connue sous le nom TC1507, fabriquée par Dow et Pioneer. Les entreprises ont suspendu les ventes de TC1507 à Porto Rico après avoir découvert en 2006 que la chenille légionnaire avait développé une résistance à celui-ci. Tabashnik a pu examiner le rapport que les sociétés ont déposé auprès de l'EPA en s’appuyant sur le Freedom of Information Act (une loi obligeant les agences fédérales à transmettre leurs documents à quiconque en  fait la demande - Ndt). "J'ai encouragé un employé de la société [Dow] à publier les données et ai mentionné que, en échange, je pourrais citer les données », explique Tabashnik." Il m'a dit que si je citais l'information ... je serais l'objet de poursuites par la société ", dit-il.« Ce genre de déclarations fait froid dans le dos ".


Toutes les informations et affirmations de la version originale en anglais de cette Lettre Ouverte sont référencées. Pour la facilité de la lecture, nous les avons supprimées à la traduction. Les personnes intéressées peuvent en prendre connaissance à l’URL suivante : http://independentsciencenews.org/health/seralini-and-science-nk603-rat-study-roundup/

La liste des signataires est en ligne à la même adresse.

Traduit de l’anglais par D. Tanuro pour le site lcr-lagauche




Voir ci-dessus