Villes et multiculturalisme. Autour de Bruxelles-Halle-Vilvoorde
Par David Dessers le Mercredi, 22 Juin 2005 PDF Imprimer Envoyer

Ces dernières semaines, le débat politique a été dominé par la question de la scission de la circonscription de Bruxelles-Halle-Vilvoorde. Le gouvernement fédéral a lâché le morceau. Les partis flamands se sont crispés. Ce dossier est une conséquence logique de la structure fédérale de l'Etat mais il n'apporte aucune réponse adéquate à "l'art de vivre ensemble" entre différentes communautés.

De quoi s'agit-il? La réforme constitutionnelle de 1970 a ouvert la voie à la construction de structures gouvernementales calquées sur les zones linguistiques. Ainsi, les électeurs wallons votent pour des listes francophones et les électeurs flamands pour des listes flamandes. Ce n’est qu’à Bruxelles que des partis flamands et francophones peuvent se présenter à tous les électeurs.

Il y a néanmoins une exception qui nous amène au problème "BHV". Pour les élections fédérales et européennes, les électeurs de 35 des 65 communes du Brabant flamand (province officiellement unilingue) peuvent aussi voter pour des partis francophones car l'ouest du Brabant flamand (Halle-Vilvoorde) fait partie d’un grand arrondissement électoral avec Bruxelles-Capitale. Une anomalie si l'on tient compte de la logique du fédéralisme belge.

Il y a donc quelque chose qui cloche. Ou les frontières linguistiques ont été mal dessinées ou l'arrondissement Bruxelles-Halle-Vilvoorde a été mal défini. La division en régions linguistiques a été négociée et approuvée par les politiciens flamands et francophones et a été inscrite dans la Constitution. Conclusion ? Il faut diviser la circonscription. Si tout le monde était d'accord sur le fait que Halle et Vilvoorde fasse partie du Brabant flamand, il n'y aurait aucune raison que l’on puisse y voter pour des listes francophones.

Remous politiques

Mais pourquoi diable la scission de l'arrondissement BHV provoque autant de remous politiques ? Parce que beaucoup de francophones vivent dans ces 35 communes du Brabant flamand. Lors des récentes élections, 73.000 électeurs y ont voté pour des listes francophones. Les francophones ont même la majorité dans six communes "à facilités" autour de Bruxelles.

Presque tous les partis francophones sont d'avis qu'il y a peu de différence entre les francophones résidant dans les 19 communes de Bruxelles et ceux de la région flamande autour de Bruxelles. Il s'agit de francophones qui se sont installés autour de Bruxelles et qui doivent pouvoir voter pour des listes francophones comme les habitants de Bruxelles-Capitale. Selon eux, il s'agit d'une conséquence logique de l'extension géographique de la métropole bruxelloise, une extension qu'on ne peut arrêter. En d'autres mots: les partis francophones remettent en question l'accord constitutionnel sur les régions linguistiques. Soit on ne change rien soit il faut étendre la région de Bruxelles en y incluant au moins une partie des ces 35 communes. Ce sont de facto des communes bilingues, il faut donc le reconnaître.

En Flandre, c'est un autre son de cloche. Pratiquement tous les partis politiques sont favorables à une scission. Ce point de vue est évidemment lié à l'histoire des Flamands en Belgique. Il ne faut pas être nationaliste pour reconnaître que les Flamands et leur langue ont été opprimés dans ce pays. La lutte contre l'oppression est une lutte légitime. Chacun/e doit pouvoir suivre un enseignement dans sa langue maternelle, avoir le même accès à un emploi, etc.

Identité culturelle

Dès qu'un grand nombre de personnes a une histoire commune, parle et pense dans une même langue et que cette dernière est opprimée par l'Etat, la lutte contre cette oppression est légitime. Des identités culturelles naissent, évoluent, peuvent se joindre à d'autres identités culturelles et peuvent aussi disparaître. Le verlan des jeunes issus de l'immigration des banlieues françaises peut avoir autant de valeur culturelle que la plus ancienne variante du breton. Quand une identité culturelle existe, la lutte contre son oppression est légitime.

L'histoire des Flamands en Belgique est l’histoire d'une oppression et d'une lutte contre cette oppression. Le français était la langue de la classe dominante et de l'Etat. Très tôt néanmoins, le mouvement flamand a pris un virage très à droite, ce qui n'a pas facilité l'affaire. Mais cela ne signifie pas que la lutte était illégitime.

Les Flamands en Belgique

Les Flamands sont-ils encore "opprimés" dans la Belgique d’aujourd’hui ? En Flandre, cette question ne se pose même plus. Mais en ce qui concerne Bruxelles et les communes périphériques, le problème n'est pas totalement résolu. Malgré le fait que Bruxelles soit officiellement bilingue, tout le monde sait que les services de l'Etat, la justice et les services de santé ne sont pas entièrement bilingues. Les Flamands qui ne maîtrisent pas le français ont le droit d'avoir des services publics dans leur langue maternelle.

L'influence grandissante de francophones dans certaines communes flamandes touche également à la question sociale: bon nombre d'eurocrates s'installent dans ces communes où ils font augmenter les prix immobiliers et ne participent guère à la vie sociale. On ne peut pas nier ce problème simplement en adoptant un discours multiculturel.

Racisme

Mais la rhétorique des partis flamands est contaminée par des arguments racistes et égoïstes. Leur langage musclé ressemble de plus en plus à une politique délibérée de harcèlement des francophones. Ils apparaissent comme des partisans de l'épuration ethnique qui considèrent l'arrivée de francophones sur le "territoire flamand" comme une menace. C'est un langage ultra-réactionnaire.

Après la crise, le gouvernement flamand a décrété une série de mesures pour renforcer le "caractère flamand" des communes autour de Bruxelles, dont des moyens supplémentaires pour des habitations sociales pour les seuls Flamands. C'est inacceptable. Il faut des habitations sociales pour tous les habitants en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, pour tous ceux qui en ont besoin. Des habitations sociales "alleen voor Vlamingen" constituent une discrimination ethnique.

Multiculturalité

Le débat interfère avec un autre débat actuel autour de la multiculturalité. Prenons Bruxelles où bouillonne un riche mélange de cultures et où les Flamands sont en minorité. Bruxelles ne sera plus jamais "une ville flamande". La composition culturelle de la capitale est le résultat de multiples facteurs, entre autres liés à l'évolution du capitalisme international et de la globalisation. Il ne s'agit pas d'une exception belge; dans toutes les grandes métropoles se pose le débat du “comment faire vivre ensemble” avec des cultures plurielles, des langues et des identités extrêmement diverses. C'est un débat qui touche aux questions des droits démocratiques et culturels pour les minorités, de la relation entre les identités culturelles, etc.

Tout indique que ces évolutions, avec les migrations et la constitution d'une "société mondiale" ("Le monde est un village"…), ne s'arrêteront pas aux frontières existantes et, pour des marxistes, ce n'est certainement pas là une évolution négative. Nous ne sommes pourtant qu'au début d'une longue évolution qui touchera, demain, tous les grands centres urbains. De quoi relativiser la polémique "BHV", surtout lorsqu'on prend en compte que la Flandre compte moins d'habitants que des villes comme Londres ou Paris...

Bruxelles restera sans aucun doute encore longtemps une région bilingue et c'est tant mieux. Mais il est nécessaire que de plus en plus de droits spécifiques soient accordés aux "minorités" culturelles (des droits religieux, culturels et démocratiques). Est-il impensable que les habitants arabes de Bruxelles aient un jour des documents officiels dans leur langue maternelle (ce qui est le cas pour les Chinois dans certaines villes aux Etats-Unis) ? Est-il impensable que des groupes de certaines minorités puissent organiser un enseignement en deux langues (leur propre langue maternelle et la langue officielle du pays) pour faciliter leur intégration ? Vu la complexité culturelle des sociétés futures, il est probable que les droits civils seront de plus en plus liés aux personnes et de moins en moins au territoire et à la culture dominante du territoire où se trouvent ces personnes. Ce qui est le cas à Bruxelles actuellement.

Ces questions se poseront, tôt ou tard, avec force également en Flandres. Que fera-t-on ? Mettre en évidence le caractère uni-linguistique avec un train de mesures pour "notre propre peuple" ? Ou construire une société viable et émancipée qui tient compte de toutes ces réalités ?

Nous ne sommes pas opposés en soi à une scission de Bruxelles-Halle-Vilvoorde en tant que dernière étape de la fédéralisation de l'Etat belge unitaire. Le POS ne s'est pas opposé à la réforme fédérale, mais nous avons toujours remis en cause le fait qu'elle se soit déroulée dans le cadre d'un Etat bourgeois historiquement incapable de résoudre la "question nationale". Aussi, nous ne pensons pas que la scission de BHV soit une réponse adéquate aux questions qui se poseront très vite. Dans un monde globalisé, le concept d'Etats-nations uni-lingues devient dépassé. Du passé, faisons table rase; le monde va changer de base...

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