Appel discret à l’immigration
Par Eric Matrige le Mercredi, 20 Avril 2005 PDF Imprimer Envoyer

L'immigration en Europe depuis le milieu des années '70 est officiellement limitée au regroupement familial, au permis de travail exceptionnel et à la demande d'asile de plus en plus restrictive. Pourtant, le nombre de vagues de régularisation dans la zone des 25 s'élèvent à 26 depuis cette époque. Et les exceptions pour l'admission de travailleur-euses non européen-nes pleuvent.

L'immigration légale est interdite dans les pays de l'Union depuis '74-'75. Seules des conditions exceptionnelles basées sur le bon vouloir des états permettent l'immigration -toujours pour des raisons économiques. Mais cela se fait dans la plus grande discrétion. La politique officielle des gouvernements est “la barque est pleine, ça suffit”. Pourtant, la pratique des gouvernements des 25 se révèle être exactement l’inverse. L'appel à l'immigration est devenu un leitimotv des politiques. Les raisons invoquées sont variées: besoin de main-œuvre spécialisée ou pour une période déterminée (JO d'Athènes), veillissement de la population locale, … Et la concurrence s'exerce de plus en plus entre immigration choisie et immigration extra-légale.

Les pays de l'UE (les 15 à l'époque) ont pratiqué 26 régularisations depuis le début des années '80, toujours pour normaliser les relations de travail et pour raisons humanitaires. Une et demi par an. Certains pays, comme la Grèce, expliquent qu'ils ne pourraient pas fonctionner sans immigration. Dans ce pays, d'après le gouvernement, 10,5% des travailleur-euses sont en situation illégale et, sans la présence de ceux-ci, l'économie et la sécurité sociale s'écrouleraient. Le gouvernement grec de droite, comme son prédecesseur "socialiste" ne s'occupe pas de la condition de ces travailleurs illégaux.

L'Espagne régularise

Le 7 février de cette année, l'état espagnol a lancé une vaste campagne de régularisation. D'après le premier ministre Zapatero, il s'agit d’"en finir avec l'emploi illégal, de faire affleurer l'économie souterraine et de mettre un terme aux coûts sociaux que provoque le travail clandestin". Le porte-parole du gouvernement pronostique la régularisation de 800 000 clandestin-es pendant sur trois mois. Les gouvernements allemand, français, italien ont protesté contre l'acte unilatéral du gouvernement espagnol. Cette décision politique est soutenue dans l'état espagnol par les principales fédérations patronales et les principaux syndicats. S'y opposent les organisations de défense des sans-papiers, le syndicat agricole Soc et la CGT.

Mais que contiennent ces propositions ? La régularisation se fait sur base individuelle (sauf pour les enfants à charge). Il est nécessaire d'être inscrit à la commune de domicialiation au moins six mois avant l'ouverture de la procédure de régularisation. En Espagne, jusqu’à aujourd’hui, l'inscription à la commune n'entrainait pas l'inscription à un registre central mais permettait de scolariser ses enfants.

La possession d’un casier judiciaire vierge en Espagne et dans le pays d'origine est une deuxième condition. Voilà un hic, sachant que l'appartenance à des organisations politiques, sociales ou syndicales peut être condamnable dans certains pays d'Amérique latine (les latinos constituent la majorité des immigrés en Espagne) et que le franchissement illégale de frontières est condanable en Afrique du nord (franchir le détroit de Gibraltar sans papiers…).

La troisième condition posée par le gouvernement Zapatero montre bien la voie qui se dessine en Europe. Il faut être en possession d'un contrat de travail d'au moins six mois au moment de la demande de régularisation. Ce contrat devra être s'étendre ensuite sur une période d'un an. Des exceptions sont introduites pour le secteur agricole.

Le gouverenement socialiste lie cela à des mesures contre le travail en noir. Mais les amendes supplémentaires qui échoient à un patron ne représent qu’environ 30% de la part non payée pour un travailleur-euse en noir. Pour un patron, quel est l’avantage à déclarer un travailleur clandestin ? Le gouvernement Zapatero ment: il promet la régularisation de 800 000 clandestins alors que les chiffres du ministère de l'intérieur et du travail parlent d’un million et demi de clandestin-es en Espagne. De plus, la régularisation ne fonctionne pas: on estime à 100 000 le nombre de Marocain-es qui pourraient introduire une demande de régularisation et seuls 10 000 l'ont fait sur base des critères susmentionnés. Pour les organisations anti-racistes espagnoles, le chiffre avancé par le gouvernement ne sera jamais atteint et ne servira qu'à stigmatiser ceux qui n'ont pas obtenu le précieux sésame.

Et L'Europe

La commission européenne a pondu un livre vert sur "une approche communautaire de la gestion des migrations économiques" qui a été discuté en février par les ministres de la justice et de l'intérieur des 25. Ce livre est un mélange d'idées absurdes et rododondantes. Il vise "à lancer le débat public" sur l'immigration "par une approche ascendante plutôt que descendante". Tandis que l'objectif est d'harmoniser "les politiques envers tous les migrants économiques dans l'UE". En dehors de ce fatras de délacarations, de livres et de notes, l'UE a bien une politique migratoire. Certes, elle n'est pas encore unifiée mais, dans chaque pays, elle résonne de la même façon. Il s'agit d'ouvrir les frontières de l'UE et des pays membres à une immigration économique.

Le débat se situe à deux niveaux. Comment faire passer la pilule d'une nouvelle migration après avoir dit pendant 30 ans qu'elle était impossible et inamissible, le taux de chômage restant extrêment élevé. Evidemment, si l'on voit cela sous l'angle de la concurrence entre travailleurs... L'autre débat est celui de la durée de l’immigration et du profit que les patrons peuvent en tirer. L'idée est simple: il s’agir d’instaurer une immigration CDD. Les travailleur-euses non européens viennent pour un job de plusieurs années et retournent à la fin de leur contrat dans leur pays d'origine. Et, lors de leur retour, la législation sociale redevient celle du pays d'origine.

La situation en Belgique

La Belgique n'a connu que deux régularisations depuis la fermeture des frontières. La première, en '74-'75 suite à une grève de la faim, a régularisé autour de 9 000 personnes qui séjouraient déjà en Belgique et qui, pour la plupart, avaient un emploi. Cette grève de la faim a généralisé pour les migrant-es et leur famille le permis de travail de catégorie C (renouvelable tous les 10 ans sans demande de l'employeur). Cet élement déchargeait les non-belges et non-européens d'avoir à trouver un patron avant toute demande de permis de travail ou de séjour.

La deuxième régularisation fut votée par la loi de décembre 1999. Lente d'application et pleine de pièges, elle fut obtenue suite à la pression des sans-papiers et des organisations qui les soutenaient. Elle a permis la régularisation d'un peu moins de 45 000 personnes, ce qui est loin des chiffres qui révèlent l'immigration clandestine et sa progression.

La grève de la faim des demandeur-euses d'asile afghans en juillet-août 2003 à l'église Ste-Croix à Bruxelles a relancé la question de la régularisation. Le ministre de l'intérieur, P. Dewael, a du céder face à la détermination des grévistes et du comité de soutien. La régularisation de ces personnes était basée sur l'article 9.3 de la loi sur les étrangers de 1980 qui permet de donner un titre de séjour pour raisons exceptionnelles.

Mais, si Dewael a cédé cette fois, comme lors de la grève de la faim des iranien-nes à l'ULB, il n'a eu cesse de remettre en question les accords signés avec les Afghans. Le 20 décembre 2004, les conseillers du ministre Dewael ont reçu les représentants du FAM (Forum Asile et Migrations) pour leur exposer les nouvelles options prises par le ministre. Il s'agit purement et simplement d'une remise en question des accords passés. Dans un premier temps, une différence est faite entre les personnes ayant introduit une demande d'asile avant 2001 et les autres. Même pour la première catégorie, des contre-indications sont ajoutées . Il est aussi précisé dans cette note que le demandeur d'asile doit expliquer les raisons pour lesquelles il ne peut demander un titre de séjour à son pays d'origine (une procédure longue pour la demande d'asile étant prise en compte). La demande de l'application 9.3 se voit liée à l'abandon de la procédure d'asile. Pour rappel, l'application du 9.3 est laissée à la discrétion de l'office des étrangers et, en dernière analyse, du ministre.

La deuxième partie du texte concerne les demandes d'asile qui datent d'après 2001. Si les conditions de régularisation gardent les mêmes bases, les pièges se font de plus en plus nombreux. Le ministre exige la preuve formelle d'une volonté d'intégration (sic, et resic). La durée d'une procédure d'asile constitue un élément mais ce n'est pas suffissant. La régularisation suite à une longue procédure pour les dossiers introduits après le 01/01/2001 n'est accordée qu'à titre temporaire. Cette permission (sic) n'est valable que pour un an au bout duquel le demandeur d'asile devra prouver qu'il a trouvé un job...

Voir ci-dessus