La limite historique de la loi de la valeur. L'ordre social socialiste dans l'oeuvre de Marx
Par Roman Rosdolsky le Jeudi, 07 Juillet 2005 PDF Imprimer Envoyer

D'après le plan primitif de Marx, le dernier livre de son œuvre devait s'achever avec la recherche de ces éléments qui « vont au-delà de la base antérieure » et « entraînent l'adoption d'une nouvelle forme historique». Il devait ainsi traiter de la « dissolution du mode de production et de la formation sociale fondés sur la valeur d'échange » et de leur passage au socialisme (1). La question centrale est ici naturellement la question sur les destinées de la loi de la valeur et c'est avant tout cette question que nous allons prendre en considération dans ce chapitre.

1. Marx, au sujet du développement de l'individualité humaine dans le capitalisme.

Il est connu que les fondateurs du marxisme refusèrent toute « prophétie du futur » socialiste, dans la mesure où il s’agissait là d’imaginations de systèmes socialistes tout faits, dérivés des principes éternels du Droit et des lois invariables de la nature humaine. Pour nécessaires et justifiés qu'aient été de tels systèmes au temps de leur apparition, ils devinrent un obstacle pour le mouvement ouvrier ascendant, dès que celui-ci se créa une base scientifique dans la conception matérialiste de l'histoire fondée par Marx et Engels, qui était bien supérieure aux doctrines des socialistes utopiques et à partir de laquelle la question de la constitution du futur socialiste devait aussi se montrer sous une tout autre lumière. Le socialisme n'est plus apparu alors comme un simple idéal, mais comme une phase nécessaire du développement de l'humanité, phase à laquelle s'opposait l'histoire elle-même jusqu'alors, et il ne pouvait plus ainsi être question de la nouvelle formation socialiste de la société que dans la mesure où, de manière visible, des germes de cette nouvelle formation pouvaient être découverts déjà dans l'histoire présente et dans ses tendances de développement.

Cela ne signifie naturellement pas que Marx et Engels (comme l'ont prétendu si souvent les épigones opportunistes) ne se seraient fait aucune représentation de l'ordre économique et social socialiste et auraient simplement laissé tout cela à nos petits-enfants, ni que le caractère scientifique de leurs doctrines consisterait justement en cela! Au contraire - ces représentations jouaient précisément dans le système du marxisme, comme on peut s'en persuader par l'étude des œuvres principales de ses fondateurs, un rôle éminent. Par exemple dans Le Capital de Marx qui aussi bien est né du désir de rechercher la structure interne et les lois de développement du mode de production capitaliste, mais aussi pour apporter la preuve de la possibilité f et de la nécessité de la « grande révolution » » qui devait amener la suppression de « l'aliénation » humaine et par laquelle les hommes deviendraient « conscients et les vrais maîtres de la nature et de leur propre socialisation » (Engels). C'est pourquoi nous trouvons toujours dans Le Capital et dans les travaux préparatoires à cette œuvre, de nouvelles digressions et remarques qui concernent les problèmes de l'ordre social socialiste et qui font apparaître de façon particulièrement évidente aussi bien la parenté avec les doctrines des socialistes utopiques que la différence avec eux.

La méthode dialectique-matérialiste de Marx, qui veut concevoir chaque phénomène social dans "le courant de son devenir, de son existence, et de sa disparition, rendait déjà ces digressions nécessaires. C'est pourquoi cette méthode insiste par elle-même sur « les modes de production historiques primitifs » (2) et, d'autre part, sur ces « points par le mouvement de devenir desquels s'ébauche la suppression de la forme présente des rapports de production - et ainsi qui anticipent le futur (3). Si, d'une part, les phases pré-capitalistes apparaissent comme seulement historiques, i.e. comme des bases supprimées, alors les conditions présentes de la production apparaissent comme se supprimant elles-mêmes et par-là comme posant des bases historiques pour un nouvel état social (4). »

La considération dialectique-matérialiste des rapports de production capitalistes conduit donc directement à l'opposition do ce mode de production avec les formations sociales pré-capitalistes d une part, et avec l'ordre social socialiste qui remplace ce mode de production, d'autre part. « L'échange privé des produits du travail, des richesses et des activités est opposée aussi bien à la répartition fondée sur une domination et une subordination des individus entre eux (quel que soit le caractère que prend cette domination et cette subordination = patriarcal, antique ou féodal) qu'à l'échange libre des individus qui sont associés sur le fondement de l'appropriation collective et du contrôle collectif des moyens de production (5). » II en résulte une classification de toute l'histoire de l'humanité sous la forme d'une triade dialectique en trois degrés: « Les rapports de dépendance personnels » (d’abord d'origine tout à fait naturelle) sont les premières formes sociales, dans lesquelles la productivité humaine ne se développe que dans une faible étendue et concernant des points isolés. L'indépendance personnelle fondée sur la dépendance objective est la seconde grande forme dans laquelle se construit d'abord le système des échanges sociaux généraux, des rapports universels, des besoins universels et des richesses universelles. L’individualité libre, fondée sur le développement universel des individus et sur la domination de leur productivité commune, sociale, en tant que leur richesse sociale, est le troisième degré. Le second crée les conditions du troisième (6).»

Ici donc l'histoire de l'humanité sera conçue dans son résultat essentiel, comme un procès nécessaire de développement de la personnalité humaine et de sa liberté. Mais ce qui importai surtout du point de vue de Marx n'était pas tant de prouver la nécessité de ce procès (celle-ci était déjà connue de la philosophie classique allemande) que plutôt de libérer cette connaissance de toutes les illusions idéologiques et de la poser sur la base solide de l'histoire réelle c'est-à-dire du développement des rapports sociaux de production. Et cette tâche ne pouvait être résolue qu'avec l'aide de la méthode matérialiste.

« Quand on considère les rapports sociaux », est-il dit dans L’Ebauche, « qui produisent un système non développé de l'échange, de la valeur d'échange et de l'argent » (donc des rapporte pré-capitalistes), «[...] Il est clair a priori que les individus bien que leurs rapports apparaissent plus personnels, n'entrent en rapport ensemble que comme individus ayant une détermination, en tant que suzerain et vassal, propriétaire terrien et serf, etc., ou en tant que membres d'une caste, etc., ou en tant que membres d un ordre social, etc. Dans les rapports d'argent dans le système développé de l'échange (et cette apparence pervertit la démocratie) les liens de dépendance personnels sont en fait rompus, brisés, ainsi que les différences de sang, de culture, etc. et les individus apparaissent indépendants (7), libres de se rencontrer et, dans cette liberté, d'échanger; mais ils apparaissent ainsi seulement pour celui qui fait abstraction des conditions, des conditions d'existence dans lesquelles ces individus entrent en rapport.

La détermination qui apparaît dans le premier cas comme limitation personnelle de l'individu par un autre, apparaît, dans le dernier cas, constituée comme une limitation objective de l'individu par des rapports indépendants de lui et reposant sur eux-mêmes. Comme l'individu particulier ne peut se dépouiller de sa détermination personnelle mais peut bien surmonter et se subordonner les rapports extérieurs, ainsi sa liberté paraît plus grande dans le second cas. Mais une recherche plus approfondie de ces rapports extérieurs, de ces conditions, montre aux individus d'une classe, etc., l'impossibilité de les surmonter en masse sans les supprimer. L'individu particulier peut, accidentellement, en venir à bout, non pas la masse de ceux qui sont dominés par ces rapports, puisque leur simple existence exprime la subordination et la nécessaire subordination des individus sous ces rapports. Ces rapports extérieurs sont si peu une suppression des rapports de dépendance qu'ils sont seulement la dissolution de ceux-ci dans une forme générale, bien plus, l'extériorisation du fondement général des rapports de dépendance personnelle [...] (8). »

« II a été dit et il pourra être dit de nouveau », lisons-nous dans une remarque marginale de L'Ebauche, qui concerne la recherche du « pouvoir objectif de l'argent » -  « que ce qu'il y a de supérieur, c'est cet échange matériel et intellectuel d'origine naturelle et indépendant du savoir et du vouloir des individus et qui est précisément leur rapport présupposant leur indépendance et leur indifférence réciproques. Et certainement ce rapport objectif est à préférer à leur absence de rapport ou à un rapport seulement local fondé sur des relations de nature raciale, de domination et d'asservissement. Il est certain aussi que les individus ne peuvent pas se soumettre leurs propres rapports sociaux (9) avant qu'ils les aient eux-mêmes créés. Mais il est absurde de concevoir ce rapport seulement objectif comme le rapport d'origine naturelle, inséparable de la nature de l'individualité et immanent à elle. Il appartient à une phase déterminée de son développement. Le caractère étranger et l'indépendance dans lesquels il existe encore à l'égard des individus démontre seulement que ceux-ci sont encore en train de créer les conditions de leur vie sociale, au lieu d'avoir commencé cette vie sociale à partir de ces conditions. C'est le rapport... des individus à l'intérieur de rapports de production déterminés, bornés ».

En effet « aux premiers degrés du développement, l'individu apparaît plus complet, parce que précisément la plénitude de ses rapports n'est pas encore extériorisée et il ne s'est pas encore opposé des pouvoirs et des rapports sociaux indépendants de lui. Aussi est-il ridicule de regretter cette plénitude originaire, aussi ridicule est la croyance de devoir en rester à ce vide complet (10) qui caractérise la modernité". Le point de vue bourgeois n'a jamais dépassé l'opposition à ce point de vue romantique et c'est pourquoi celui-ci l'accompagnera comme opposition légitime jusqu'à sa fin bienheureuse (12) ».

Ce dont souffre le plus le concept bourgeois de liberté est maintenant devenu clair = c'est du mode de pensée anhistorique de ceux qui le soutiennent, qui absolutisent le développement propre de l'individualité d'une époque déterminée et d'un mode de production déterminé et le confondent avec la réalisation de la « liberté prise absolument » (« tout comme celui qui croit à une religion déterminée, voit en elle la religion prise absolument et, en dehors d'elle, seulement de fausses religions (13) »). Ils ne comprennent précisément pas que la liberté bourgeoise - loin de représenter l'incarnation de la « liberté en général » - est plutôt le produit le plus proprement spécifique du mode de production capitaliste et c'est pourquoi elle partage avec celui-ci toutes ses limitations. Car - libérés des limites précédentes, les hommes sont soumis dans le capitalisme à une nouvelle entrave, à la domination objective de leurs propres rapports de production qui les ont dépassés, au pouvoir aveugle de la concurrence et du hasard (14), de telle sorte qu'ils sont devenus, certes, à un point de vue plus libres, mais à un autre point de vue au contraire plus asservis.

Ce mode de pensée anhistorique se montre bien le plus clairement dans la manière dont les économistes bourgeois (et l'idéologie bourgeoise en généra!) jugent la concurrence capitaliste. Bien que la concurrence, dit Marx, apparaisse « historique-ment comme la dissolution de la contrainte corporative, de la réglementation gouvernementale, des douanes intérieures et autres choses semblables à l'intérieur d'un pays, et sur le marché mondial comme suppression des barrières, de l'interdiction et de la protection », elle n'a jamais « été considérée par ce côté simplement négatif, simplement historique » ; et cela a conduit d'une part à l'absurdité encore plus grande de la considérer comme la rencontre des individus libérés de leurs entraves, dé-terminés seulement par leurs propres intérêts - comme la répulsion et l'attraction des individus libres les uns pour les autres - et ainsi comme la forme de l'être-là absolue de l'individualité libre dans la sphère de la production et de l'échange ».

« Rien ne peut être plus faux », ajoute-t-il. Car d'abord « quand la libre concurrence a dissout les limites des rapports et modes de production précédents, on doit d'abord (15) considérer que ce qui était pour elle des limites, était pour les modes de production précédents des frontières immanentes dans lesquelles ils se développaient et se mouvaient de façon naturelle. Ces frontières sont devenues des limites seulement après que les forces productives et les rapports de production se sont suffisamment développés pour que le capital comme tel puisse commencer à apparaître en tant que principe réglant la production. Les frontières qu'il a renversées étaient des limites pour son mouvement, son développement, sa réalisation. C'est pourquoi il n'a en aucune façon supprimé toutes les frontières; mais seulement celles qui étaient des frontières ne correspondant pas avec lui, celles qui étaient pour lui des limites (16).

A l'intérieur de ses propres frontières - quoiqu'elles apparais-sent d'un point de vue plus élevé comme des limites de la production - il se sent libre, sans limites, c'est-à-dire borné seulement par lui-même, seulement par ses propres conditions de vie. Tout comme l'industrie corporative, au temps de sa prospérité, trouvait entièrement dans l'organisation corporative la liberté dont elle avait besoin, c'est-à-dire les rapports de production qui lui correspondaient. Elle-même les posait hors d'elle et les développait comme ses conditions immanentes et par là en aucune manière comme des limites extérieures et gênantes. Le moment historique de la négation de la corporation, etc., par le moment du capital, au moyen de la libre concurrence, ne signifie rien d'autre que le fait que le capital suffisamment fort renverse, par le mode de circulation qui lui est adéquat, les limites historiques qui gênaient et entravaient le mouvement qui lui est adéquat ».

Pourtant, la concurrence n'a, en aucune manière, seulement cette signification négative, seulement historique; elle est aussi par essence la réalisation du mode de production capitaliste"! Si donc cela signifie « qu'à l'intérieur de la libre concurrence les individus, en suivant purement et simplement leurs intérêts privés, réalisent les intérêts collectifs ou plutôt'8 les intérêts généraux (19) », c'est alors seulement une illusion. Car, « ce ne sont pas les individus qui se posent comme libres dans la libre concurrence, mais c'est le capital qui se pose comme libre. Aussi longtemps que la production reposant sur le capital est la forme nécessaire et par là la plus appropriée pour le développement de la force productive sociale, le mouvement des individus à l'intérieur des conditions pures du capital apparaît comme leur liberté ; mais liberté qui est ensuite affirmée dogmatiquement comme telle par une réflexion constante sur les limites renversées par la libre concurrence (20)». Il en résulte l'absurdité de considérer la libre concurrence comme le dernier développement de la liberté humaine ; et la négation de la libre concurrence = la négation de la liberté individuelle et de la production sociale fondée sur la liberté individuelle.

C'est précisément seulement le libre développement sur une base bornée - la base de la domination du capital. Cette espèce de liberté individuelle est par là en même temps la suppression la plus complète de toute liberté individuelle et l'asservissement complet de l'individualité sous les conditions sociales qui prennent la forme de pouvoirs objectifs, de choses ayant un pouvoir supérieur. Le développement de ce qui est la libre concurrence^ est l'unique réponse rationnelle à son adoration par les prophètes de la bourgeoisie (21) ou à sa malédiction par les socialistes (22) ». En réalité, « l'affirmation que la libre concurrence = la dernière forme du développement des forces productives et par là de la liberté humaine ne signifie rien d'autre que le fait que la domi-nation de la bourgeoisie (22) est la fin de l'histoire du monde - pensée évidemment agréable pour les parvenus d'avant-hier (23) ».

On voit que ce que nous lisons ici est seulement une suite de ce cours des pensées que nous connaissons déjà depuis L'idéologie allemande, à savoir que, dans le cours de l'histoire humaine, le développement des forces productives a conduit au remplacement des rapports de dépendance primitifs, personnels par des rapports de dépendance objectifs, et au remplacement du rapport local et national des hommes par un rapport universel. Déjà dans L'idéologie allemande, Marx et Engels ont souligné le caractère contradictoire, ambigu du progrès social jus-qu'à maintenant, qui a eu pour conséquence, d'une part. la construction d'un individu social plus capable de développement et plus riche en besoins, mais d'autre part, l'aliénation et la dépossession les plus poussées de cet individu. Et enfin on trouve là aussi ce cours de pensées selon lequel la libération des hommes amenée par le capitalisme par rapport aux limites féodales et autres est égale à une liberté apparente et que la complète liberté, le « développement original et libre des individus » ne peut devenir réelle que dans le communisme. « Dans la représentation, lisons-nous dans L'Idéologie allemande, les individus sous la domination bourgeoise sont plus libres qu'auparavant, parce que leurs conditions de vie sont pour eux accidentelles ; dans la réalité, ils sont naturellement non libres, parce que davantage subordonnés au pouvoir objectif. » Et précisé-ment ce droit de pouvoir se réjouir en toute tranquillité de la contingence à l'intérieur de certaines conditions, on l'a nommé jusqu'à présent liberté personnelle (24). Cette conception sera justement développée davantage dans L'Ebauche de Marx; seulement avec la différence que l'autre côté, le côté positif de la contradiction - le progrès effectif qu'a apporté « l'apparence bourgeoise de liberté » - s'exprime beaucoup plus fermement et sans équivoque.

On le reconnaît le mieux dans le passage remarquable qui  traite du « juvénile monde antique » en opposition au monde moderne du capitalisme. « Nous ne trouvons jamais dans le monde antique - dit ici Marx - une recherche sur la question de savoir quelle forme de la propriété foncière, etc., crée la richesse la plus productive, la plus grande. La richesse n'apparaît pas comme le but de la production, bien que Caton puisse très bien chercher quelle culture du champ est la plus lucrative, ou même Brutus puisse prêter son argent aux meilleurs intérêts. La recherche est toujours: quel mode de propriété crée les meilleurs citoyens »... Il en est tout autrement dans le monde moderne. Ici la richesse apparaît « sous toutes les formes... sous la forme objective, qu'elle soit une chose, ou qu'elle soit un rapport au moyen de la chose, qui se trouve extérieurement et accidentellement auprès de l'individu. Ainsi l'intuition antique, où l'homme, quelle que soit sa détermination bornée, nationale, religieuse, politique, apparaît aussi toujours comme but de la production, cette intuition antique apparaît beaucoup plus élevée face au monde moderne où la production apparaît comme le but de l'homme et la richesse comme le but de la production.

Mais dans la réalité (25) quand la forme bourgeoise bornée est supprimée, qu'est-ce que la richesse sinon l'universalité des besoins, des aptitudes, des jouissances, des forces productives, etc. des individus, - universalité produite dans l'échange universel ? Sinon le complet développement de la domination humaine sur les forces de la nature, aussi bien celles de la prétendue nature que celles de sa propre nature ? Sinon l'extériorisation absolue de ses dispositions créatrices, sans autre base que le développement historique précédent et qui change en son propre but cette totalité du développement, c'est-à-dire du développement de toutes les forces humaines comme telles, non mesurées au schéma donné antérieurement ? où le but ne se reproduit pas dans une détermination, mais produit sa totalité ? qui ne cherche pas à rester quelque chose de devenu, mais est dans le mouvement absolu du devenir ? Dans l'économie bourgeoise, et dans la période de la production qui lui correspond, cette complète extériorisation de l'intériorité humaine apparaît comme la complète dépossession, l'objectivation universelle comme l'aliénation totale, et le renversement de tous les buts unilatéraux déterminés comme le sacrifice du but propre, en faveur d'un but tout à fait extérieur. C'est pourquoi, d'une part, le juvénile monde antique apparaît comme le plus élevé. D'autre part, il l'est partout où est cherchée la figure, la forme close, et la limitation donnée. Il est la satisfaction d'un point de vue borné; tandis que le monde moderne reste non satisfaisant, ou bien là où il est en soi satisfaisant, il est commun (27) ».

Ici s'exprime d'une façon particulièrement claire la différence entre la critique romantique du capitalisme et celle de Marx. Car ce que Marx reprochait aux romantiques n'était pas seulement leurs « larmes sentimentales (28) » et pas seulement le fait que, dans une intention démagogique, « ils agitaient la besace prolétarienne comme un drapeau dans leurs mains », en cachant en même temps derrière leur dos « les vieux blasons féodaux (29) » ; mais, et surtout, que les romantiques étaient absolument incapables de comprendre « le cours de l'histoire moderne», c'est-à-dire la nécessité et le progrès historique de l'ordre social bourgeois qu'ils critiquaient et au lieu de cela se limitaient à une condamnation moralisante de cet ordre social bourgeois.

Il est vrai que la domination du capital repose sur la plus brutale extorsion de surtravail, sur l'exploitation et l'oppression des masses populaires. Sous ce rapport, cette domination dépasse certainement, « en ce qui concerne l'énergie, la démesure et l'efficacité, tous les systèmes de production précédents reposant sur le travail forcé direct » (30). Mais c'est seulement le capital qui « a enfermé le progrès historique dans le service de la richesse (31) ». C'est seulement la forme de production capitaliste qui « devient un mode d'exploitation faisant époque, qui dans son développement historique, par l'organisation du procès de travail et la formation gigantesque de la technique, bouleverse toute la structure économique de la société et surpasse de manière in-comparable toutes les époques précédentes (32) ».

C'est donc par son caractère universel, sa tendance au bouleversement continuel des forces productives matérielles que la production capitaliste se distingue fondamentalement de tous les modes de production antérieurs. En effet si les étapes pré-capitalistes de la production n'étaient jamais capables - à cause de leurs méthodes de travail non développées et primitives - d'accroître essentiellement le travail au-delà de la mesure nécessaire pour l'entretien de la vie immédiate, alors « le grand moment historique du capital » consiste justement dans le fait de «créer ce surtravail, ce travail superflu du point de vue de la simple valeur d'usage, de la simple subsistance », et il remplit cette tâche en développant, dans une mesure jamais égalée jusque-là, d'une part les forces productives sociales, d'autre part les besoins et les capacités de travail des hommes.

La « détermination historique du capital, est-il dit dans un passage particulièrement caractéristique de L'Ebauche, est remplie dès que, d'une part, les besoins sont développés jusqu'à un point tel que le surtravail qui dépasse le nécessaire devienne lui-même un besoin général et provienne des besoins individuels eux-mêmes - d'autre part, dès que l'activité générale du travail, sous la discipline sévère du capital par laquelle les générations qui se suivent sont passées, est développée comme propriété commune de la nouvelle génération (33) » ; et enfin dès que « le développement des forces productives du travail, qui stimule continuellement le capital dans sa recherche illimitée de richesse, ainsi que les conditions dans lesquelles seulement il peut réaliser cette richesse, est avancé à un point tel que la possession et la conservation de la richesse générale, d une part, n'exigent qu'un court temps de travail pour toute la société, et que la société qui travaille se comporte de façon scientifique à l'égard du procès de sa propre reproduction progressive, de sa reproduction dans des quantités constamment plus élevées ; donc dès que le travail où l'homme fait ce qu'il peut faire faire par des choses, a cessé d'être.

En tant qu'aspiration sans repos à la forme générale de la richesse, le capital pousse le travail au-delà des frontières de son besoin naturel, et crée ainsi les éléments matériels pour le développement de l'individualité riche, qui est universelle tant dans sa production que dans sa consommation et dont le travail n'apparaît donc même plus comme travail, mais comme plein développement de l'activité elle-même (34); dans laquelle la nécessité naturelle dans sa forme immédiate a disparu, parce qu'un besoin produit historiquement a pris la place du besoin naturel. C'est, pourquoi le capital est productif ; cela signifie qu'il est un rapport essentiel pour le développement des forces productives sociales. Il cesse d'être en tant que tel seulement lorsque le développement de ces forces productives trouve une limite dans le capital lui-même (35) ».

En d'autres termes : tandis que tous les modes de production antérieurs s'accordaient avec un état des forces productives qui ne progressait que très lentement ou même restait stationnaire a travers de longues époques (36), le capital a son point de départ dans « le bouleversement continuel de ses bases présentes comme base de sa reproduction. Bien que borné lui-même selon sa nature, il tend à un développement universel des forces productives et devient ainsi la base d'un nouveau mode de production qui ne se fonde pas sur le développement des forces productives pour reproduire un état déterminé et tout au plus 1’élargir mais où le développement libre, sans entraves, progressif et universel des forces productives forme lui-même la base de la société et par là de sa reproduction; où la seule base est le dé-passement du point de départ (37)». Mais c'est seulement sur ce nouveau fondement que « l'universalité de l'individu » deviendra possible, « non pas comme universalité pensée et imaginée, mais comme universalité de ses relations réelles et idéelles; par là aussi deviendra possible la compréhension de sa propre histoire en tant que procès et connaissance de la nature (qui existe aussi comme pouvoir pratique sur elle) en tant que son corps réel (38) » Ainsi c'est le développement du capitalisme lui-même qui prépare la solution du problème, posé par l'histoire, de la personnalité humaine et de sa liberté. Mais, de ce point de vue, on ne peut jamais estimer assez le rôle historique du capitalisme - que Marx souligne si souvent et avec insistance.

2. Le rôle du machinisme en tant que base matérielle de la société socialiste.

« Si dans la société telle qu'elle est, dit Marx dans L'Ebauche nous ne trouvions pas enveloppées les conditions matériel-les de la production et les rapports de production correspondants en vue d'une société sans classes, tous les efforts (39)» pour briser la société présente seraient une « donquichotterie ».

Quelles sont maintenant les conditions matérielles de production qui rendent possible et même nécessaire le passage a une société sans classes ? La réponse doit être cherchée avant tout dans l’analyse marxienne du machinisme. Cette analyse nous a montré, d une part comment le développement du machinisme automatique rabaisse le travailleur particulier à être un rouage de la machine, un simple moment du procès de travail; mais, d'autre part, comment le même développement crée en même temps les bases pour que la dépense de force humaine dans le procès de production soit réduite au minimum et qu'aux travailleurs atomisés d'aujourd'hui se substituent des individus universellement développés pour lesquels les différentes fonctions sociales sont des modes d'activité qui se remplacent les uns les autres. Tout cela le lecteur peut le trouver aussi bien dans L'Ebauche que dans le livre 1 du Capital. Mais il y a, dans L'Ebauche, des exposés sur le machinisme qui manquent dans Le Capital ; exposés qui - bien qu'écrits il y a plus de cent ans - ne peuvent être lus aujourd'hui qu'en retenant son souffle, parce qu'ils contiennent une des visions les plus hardies de l'esprit humain.

« L'échange du travail vivant contre le travail objectif, c'est-à-dire la détermination du travail social dans la forme de la contradiction du capital et du travail salarié, écrit ici Marx, est le dernier développement du rapport de valeur et de la production reposant sur la valeur. La base est et reste la masse du temps de travail immédiat, le quantum de travail utile, en tant que facteur déterminant de la production de la richesse. Mais dans cette mesure où la grande industrie se développe, la création de la richesse réelle devient moins dépendante du temps de travail et du quantum de travail utile, comme du pouvoir des agents qui sont mis en mouvement pendant le temps de travail, et encore une fois, elle-même - dont l'efficacité est gigantesque - ne se trouve dans aucun rapport au temps de travail immédiat que sa production coûte, mais plutôt dépend de l'état général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production...

La richesse réelle se manifeste plutôt - et cela révèle la grande industrie - dans la disproportion monstrueuse entre le temps de travail utile et son produit, ainsi que dans la disproportion qualitative entre le travail réduit à une pure abstraction et le pouvoir du procès de production qu'il garde. Le travail ne paraît plus tellement enfermé dans le procès de production, en tant que l'homme se comporte comme le gardien et le régulateur du procès de production lui-même. Il n'y a plus ce travailleur qui interpose entre l'objet et lui l'objet naturel modifié ; mais le procès de nature qu'il transforme en un procès industriel, il l'interpose comme moyen entre lui et la nature inorganique, dont il s'empare. Il se place à côté du procès de production, au lieu d'être son agent principal. Dans ce bouleversement, ce n'est ni le travail immédiat, que l'homme exécute lui-même, ni le temps pendant lequel il travaille, mais l'appropriation de sa propre force productive générale, sa compréhension de la nature et la domination de celle-ci par son être-là en tant que corps de la société - en un mot le développement de l'individu social, qui apparaît comme le grand support de la production et de la richesse.

Le vol du temps de travail d'autrui, sur quoi repose la richesse actuelle, apparaît comme un fondement misérable en face de ce fondement d'un développement nouveau, créé par la grande industrie elle-même. Dès que le travail sous sa forme immédiate a cessé d'être la grande source de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d'être sa mesure et par-là la valeur d'échange de la valeur d'usage. Le surtravail de la masse a cessé d'être la condition pour le développement de la richesse générale, de même que le non-travail de quelques-uns a cessé d'être la condition pour le développement des pouvoirs généraux de l'intelligence humaine (41). C'est pourquoi la production reposant sur la valeur d'échange s'effondre et le procès de production matériel immédiat est dépouillé de la forme de l'insuffisance et de la contradiction. Le libre développement des individualités est, par conséquent, non pas la réduction du temps de travail nécessaire afin de poser le surtravail, mais, en général, la réduction du travail nécessaire de la société à un minimum, réduction à laquelle correspond alors la formation artistique, scientifique, etc. des individus par le temps devenu libre pour tous et par les moyens créés».

Et dans un autre passage de L'Ebauche, il est dit: « La création du temps de loisir (42), extérieur au temps de travail nécessaire pour la société en général et chaque membre de cette société (c'est-à-dire l'espace pour le développement des forces productives complètes du particulier, ainsi que de la société), cette création de temps de non-travail apparaît du point de vue du capital, comme de toutes les époques précédentes, comme temps de non-travail, temps libre, pour quelques-uns. Avec le capital, s'ajoute le fait que le temps de surtravail de la masse s'améliore par tous les moyens de la technique et de la science, parce que sa richesse consiste directement en l'appropriation du surtravail, que son but est directement la valeur, non la va-leur d'usage. Il aide ainsi (44), malgré lui, à la création des moyens du temps de loisir social, afin de réduire le temps de travail pour toute la société à un minimum décroissant et ainsi de rendre le temps de tous libre pour leur propre développement. Mais sa tendance est toujours d'une part de créer du temps de loisir, d'autre part de le transformer en surtravail (45). Si ceci lui réussit trop bien, alors il souffre de surproduction, et le travail nécessaire est interrompu, parce qu'aucun surtravail (46) ne peut être mis en valeur par le capital (47). D'autant plus cette contradiction se développe, d'autant plus il devient évident que le développement des forces productives ne peut plus être lié à l'appropriation du surtravail d'autrui, mais la masse des travail-leurs elle-même doit s'approprier son surtravail. Lorsqu'elle aura fait cela - et que par-là le temps de loisir cessera d'avoir une existence antagonique - alors, d'une part, le temps de travail nécessaire aura sa mesure dans les besoins de l'individu social; d'autre part, le développement des forces productives s'accroîtra si rapidement que, bien qu'alors la production vise la richesse de tous, le temps de loisir de tous s'accroît. Car la richesse réelle est la force productive développée de tous les individus. Ce n'est alors plus du tout le temps de travail, mais le temps de loisir qui est la mesure de la richesse. Le temps de travail, en tant que mesure de la richesse, pose la richesse elle-même comme fondée sur la pauvreté et le temps de loisir comme existant dans et par le moyen de la contradiction du sur-travail, c'est-à-dire la détermination de tout le temps d'un individu comme temps de travail et la dégradation de celui-ci par conséquent en un simple travailleur sa subsomption sous le travail (48) ».

Telle est l'analyse marxienne des changements historiques qui se sont produits grâce au rôle du machinisme dans le procès de production capitaliste. Il n'est aujourd'hui - dans le courant d'une nouvelle révolution industrielle - presque plus nécessaire de souligner la portée prophétique de cette conception extraordinairement dynamique et, dans son fondement, optimiste. Car ce que rêvait le révolutionnaire allemand solitaire, en exil à Londres en 1858, est aujourd'hui - seulement aujourd'hui - entré dans le domaine du possible immédiat! Seulement aujourd'hui, grâce au développement de la technique moderne, sont données les bases pour que « le vol du travail d'autrui » soit supprimé sans reste et définitivement; et seulement aujourd'hui, les forces productives de la société peuvent être stimulées si puissamment que, en fait dans un avenir pas si lointain, non plus le temps de travail mais le temps de loisir devienne la mesure de la richesse sociale. Tandis que jusqu'à présent toute méthode, par laquelle la productivité du travail humain était accrue, se montrait en même temps, dans la praxis capitaliste, comme méthode d'une dégradation toujours croissante, d'une dépendance et d'une dépersonnalisation du travailleur; aujourd'hui, le développement technologique est parvenu à un point où les travailleurs peuvent enfin être libérés du « serpent de leur supplice - de la torture du travail à la chaîne et du travail aux pièces et, de simples appendices du procès de production, en devenir les dirigeants réels. C'est pourquoi jamais les conditions pour une transformation socialiste de la société ne furent aussi mûres, jamais le socialisme ne fut aussi absolument nécessaire et économiquement réalisable qu'aujourd'hui! - On se souvient de l'objection bourgeoise toujours ressassée, selon laquelle l'ordre social socialiste devrait briser la nécessité des travaux durs et désagréables, dont chacun s'efforcerait de se décharger sur les autres (49).

Comme cette objection, qui part de la nature de l'homme normal bourgeois, doit apparaître risible en regard du développement aujourd'hui prodigieux des forces productives ! Assurément, aussi longtemps que l'eau devait être apportée dans les maisons dans des seaux, il y a eu certainement beaucoup de gens qui essayaient de rejeter sur les autres ce dur travail ; avec la construction de conduites d'eau, au contraire, le travail du porteur d'eau particulier est devenu superflu. Maintenant, le développement de la technologie nous conduit manifestement vers un état où la part de travail qui jusqu'à présent estropiait l'homme et, avec elle, tous les travaux durs, disparaissent ; et, à leur place, le travail peut être déterminé comme activité libre les forces productives intellectuelles et corporelles. Et comme il serait insensé - pour revenir à la comparaison que Trotsky faisait avec esprit - que les pensionnaires d'une bonne pension, au cours d'un bon déjeuner, se restreignent mutuellement le beurre, le pain et le sucre ; ainsi aussi insensé et sans but économique apparaît le « vol du temps de travail d'autrui », l'exploitation de l'homme par l'homme. Mais ce n'est qu'alors que la construction d'un ordre social réellement sans classes, réellement socialiste, est définitivement assurée. (50)

3. Le dépérissement de la loi de la valeur dans le socialisme

Même là, ce n'est certes pas le travail comme tel, mais seulement le surtravail des masses en faveur et sous le commande-ment d'une minorité qui disparaîtra. Car, en tant que « condition naturelle éternelle de la vie humaine » souligne Marx, le travail est « indépendant de chaque forme de cette vie humaine, ou plu-tôt il est également commun à toutes ses formes sociales».

"Tu travailleras à la sueur de ton front (51). » fut la malédiction de Jéhovah à Adam. Et c'est aussi comme une malédiction que A. Smith considère le travail. Le « repos » apparaît comme l'état adéquat, comme identique à la «liberté», au « bonheur ». Que l'individu dans son état normal de santé, de force, d'activité, de talent, d'habileté (52), ait en outre le besoin d'une portion normale de travail et de suppression du repos, cela semble à A. Smith absolument à écarter. Sans doute la mesure du travail elle-même paraît donnée extérieurement, par le but à atteindre et les obstacles à surmonter, par le travail, en vue d'atteindre le but. Mais que ce dépassement des obstacles soit en soi activité de la liberté - et que, en outre, les buts extérieurs se dépouillent de l'apparence d'une nécessité naturelle simplement extérieure et soient déterminés en tant que buts que détermine d'abord l'individu lui-même - donc comme réalisation de soi, objectivation du sujet, et par conséquent liberté réelle, dont l'action est précisément le travail"- cela A. Smith l'ignore tout autant. D'ailleurs il a raison, en ce sens que dans les formes historiques du travail comme travail de l'esclavage, de la corvée et travail salarié, le travail apparaît constamment comme repoussant, constamment comme travail forcé extérieur et, au contraire, le non-travail comme liberté et bonheur.»

« Cela vaut doublement, continue Marx : pour ce travail contradictoire, et, ce qui en découle, pour ce travail qui ne s'est pas encore créé les conditions, subjectives et objectives, par lesquelles le travail serait travail attractif, réalisation de soi de l'individu, ce qui en aucune façon ne signifie qu'il soit simple plaisir, simple amusement, comme Fourier, tout à fait à la manière d'une grisette, le conçoit naïvement. Le travail réellement libre, par exemple le travail composé, est justement en même temps l'austérité la plus réprouvée, l'effort le plus intensif (56). " - Et Marx en revient plus loin à parler encore une fois de la conception de Fourier : « Le travail ne peut pas être un jeu, comme Fourier le veut... Le temps libre - qui est aussi bien temps de loisir que temps pour une activité supérieure - a naturellement transformé son possesseur en un autre sujet et, c'est en tant que cet autre sujet qu'il entre alors aussi dans le procès de production immédiat. Il est en même temps le sujet de cette discipline, considérée en rapport avec l'homme en de-venir, - telle que: la pratique, la science expérimentale, la science créatrice et s'objectivant matériellement, en rapport avec l'homme devenu, dans la tête duquel existe le savoir accumule de la société (57). »

Même dans le socialisme, l'activité productive humaine, le travail, sera ainsi d'une signification décisive. Il expérimentera certainement des changements qualitatifs et quantitatifs considérables. Qualitativement, il se différenciera de la forme capitaliste du travail, que Smith comprenait de façon si juste comme un « sacrifice de la liberté et du bonheur », en ce que, premièrement, il fera du travailleur le dirigeant conscient du procès de production et la tâche de celui-ci se limitera toujours davantage au simple contrôle des gigantesques machines qui exécuteront la production et des forces de la nature; et, deuxièmement, par   ( son caractère de travail immédiat socialisé, collectivisé dont le produit ne s'opposera plus au producteur sous la forme d'une chose étrangère qui le domine (58). Aussi le travail dans le socialisme, sera-t-il libéré des scories du passé, il perdra la marque» pénible de travail forcé et deviendra travail attractif au sens de Fourier et d'Owen (59). Mais, quantitativement, cette transformation du travail s'exprimera dans une limitation essentielle du temps de travail et une création et extension du temps de loisir qui s'ensuivra. Car, même si la société socialiste ne peut en "aucune façon renoncer au surtravail (60), elle sera cependant en état, grâce au complet développement des forces productives, de réduire le quantum de travail, pour le membre social particulier, à un minimum. Mais, par là, non seulement la traditionnelle division du travail, avec sa séparation des hommes en travailleurs manuels » et « intellectuels » disparaîtra, mais aussi la différence entre temps de travail et temps de loisir perdra le caractère de contradiction qui lui est maintenant attaché, puisque le temps de travail et le temps de loisir se rapprocheront toujours davantage et se compléteront l'un l'autre (61).

Sans doute, même le travail ainsi modifié et réduit au minimum nécessaire sera-t-il réparti entre les différentes branches de la production et les différents individus ; il devra aussi être comparé aux résultats de production obtenus et il nécessitera par conséquent d'être soumis constamment à une mesure par un moyen de mesure homogène. « La production communautaire étant posée, la détermination du temps reste naturellement essentielle. D'autant moins de temps la société exige pour produire du blé, du bétail, etc., d'autant plus de temps elle gagne pour une autre production, matérielle ou intellectuelle. Comme dans le cas d'un individu particulier, l'universalité de son développement, de sa jouissance et de son activité dépend de l'épargne du temps. Une économie du temps, en quoi se résout finalement toute économie. De même la société doit régler son temps d'après son but, afin d'obtenir une production conforme travailleurs et des capitalistes. (Mais) les économistes bourgeois sont si en-fermés dans les représentations d'un degré de développement historique dé-terminé de la société que la nécessité de l'objectivation des puissances sociales du travail leur apparaît inséparable de la nécessité de leur aliénation face au travail vivant. » (Grundrisse, p. 716.) à la totalité de ses besoins (62); de même que le particulier doit régler son temps correctement, afin d'acquérir des connaissances dans des proportions convenables ou de satisfaire les différentes exigences de son activité. Aussi bien l'économie du temps" que la répartition planifiée du temps de travail entre les différentes branches de la production restent donc une première loi économique sur le fondement de la production sociale. Ce sera même une loi d'un degré bien supérieur. Cependant cela est essentiellement différent de la mesure de la valeur d'échange (des travaux et des produits du travail) par le temps de travail (64). »

Nous en venons donc à parler de la question, déjà soulevée plusieurs fois, de l'effectivité de la loi de la valeur. Il est (ou plutôt il était en son temps) connu en général que la valeur était tenue par les fondateurs du marxisme pour une catégorie économique qui « est l'expression la plus développée de l'asservissement du producteur par son propre produit » (Anti-Dühring). Il en résulte déjà que l'effet de la loi de la valeur ne peut en aucune façon s'étendre aussi à la société socialiste (ou communiste). Au contraire : toute éternisation du concept de la valeur a été toujours de nouveau combattue par eux comme une utopie petite-bourgeoise : « Là où le travail est communautaire, lisons-nous dans les Théories, les rapports des hommes dans la production sociale ne se présentent pas comme une valeur des choses (65). » « La nécessité elle-même de transformer d'abord le produit ou l'activité des individus, dans la forme de la valeur d'échange, en argent, prouve doublement 1) que les individus ne produisent encore que pour la société et dans la société ; 2) que leur production n'est pas immédiatement sociale, n'est pas l'oeuvre de la communauté (66) qui partage entre eux le travail (67). » Dans une société productrice de marchandises, « le travail est donc d'abord déterminé, par l'échange, comme travail général... La médiation entre les travaux privés particuliers a lieu par l'échange de marchandises, par la valeur d'échange, par l'argent, qui sont tous des expressions d'un seul et même rapport ». Dans le socialisme au contraire, « le travail du particulier est déterminé a priori comme social. C'est pourquoi il n'a aucun produit spécial à échanger. Son produit n'est pas une valeur d'échange. Le produit n'a pas d'abord à être métamorphosé en une forme spéciale, pour prendre pour le particulier, un caractère général. A la place d'une division du travail, qui se produit nécessairement dans l'échange des valeurs d'échange, a lieu une organisation du travail, qui a pour conséquence la part du particulier à la consommation de la communauté (68) ». C'est pourquoi la mesure du travail d'après le temps de travail sera ici (aussi importante qu'elle puisse d'habitude apparaître juste-ment pour la société socialiste) seulement un moyen de planification sociale (69) et n'aura naturellement plus rien de commun avec la « très célèbre valeur » (Engels) et la loi de la valeur.

Il ressort de ce qui a été dit que, dans la société socialiste, la mesure du travail par le temps de travail peut manifestement remplir deux fonctions différentes. Premièrement, elle servira, dans le procès de production lui-même, à établir le quantum de travail exigé pour la production des différents biens, afin de pouvoir être d'autant plus économe de ce travail vivant; et, deuxièmement, cette mesure peut aussi être considérée comme un moyen de distribution à l'aide duquel les parties du produit social consommable sont réparties entre les producteurs particuliers.

Elle peut l'être, mais elle ne le doit pas, car si la société socialiste future se sert de ce mode de distribution, elle dépendra manifestement du degré de développement des forces productives sociales, donc avant tout de « la qualité qui est à ré-partir (70) ». « Le mode de cette répartition, lisons-nous dans Le Capital, sera modifié avec le mode propre de l'organisme social y de production lui-même et le niveau de développement historique correspondant des producteurs. C'est seulement en parallèle ; avec la production de marchandises, ajoute Marx, que nous présupposons que la part de chaque producteur est déterminée d'après son temps de travail [...] (71). »

II est toutefois évident que, dans ce dernier cas, Marx a en vue une société socialiste « non pas comme elle s'est développée sur son propre fondement, mais, au contraire, comme précisément elle est issue de la société capitaliste; qui donc, dans chaque rapport, économique, moral, intellectuel, est encore marquée de symptômes originaires de la vieille société du sein de laquelle elle est née ». Cette société a certes exproprié les capitalistes et transformé les moyens de production en propriété commune, en propriété du peuple; mais elle n'était encore absolument pas capable de réaliser le principe de répartition communiste: «Chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. » Son mode de répartition est par conséquent toujours encore dominé par le droit bourgeois qui, comme tout droit, est, par son contenu, un droit de l'inégalité (72) ». Ici donc le producteur particulier « reçoit - après les retenues - exactement » ce qu'il donne à la société. « Ce qu'il lui a donné est son quantum de travail individuel... Il reçoit de la société un certificat attestant qu'il a fourni tant de travail et, avec ce certificat, il retire, de la réserve sociale, des moyens de consommation qui coûtent autant de travail (74). » Donc de simples certificats de travail dont l'unique but consiste à régler la répartition sociale d'après le principe du travail. Mais même dans une telle société il ne peut y avoir aucune place pour une loi de la valeur, parce qu'ici se présente une forme de production absolument différente de la production des marchandises et parce qu'ici la réglementation de la production et de la répartition n'est pas abandonnée au jeu aveugle du marché, mais se soumet au contrôle conscient de la société elle-même.

Il serait certainement tentant d'aborder dans ce rapport la question de l'effet de la loi de la valeur en Union soviétique et dans les démocraties populaires. Ce thème cependant sort du cadre de notre travail. Mais, de plus, nous ne croyons pas que nous puissions dire quoi que ce soit sur cette question qui puisse se mesurer en clarté et en profondeur à l'oeuvre bien connue de l'économiste national le plus renommé de la Révolution russe, E. Préobrajensky (75). L'idée principale de ses exposés consiste en ce que chaque révolution anticapitaliste dans un pays industriellement retardataire doit s'accomplir dans les conditions d'une lutte constante entre la loi de la valeur héritée du passé capitaliste et le principe de la planification socialiste qui lui est antagoniste et que le sort du socialisme dépend précisément de l'issue de cette lutte. Et si aujourd'hui de nombreux économistes du bloc soviétique élèvent justement, d'une manière marxiste vulgaire, la loi de la valeur au rang d'un principe socialiste de la répartition, cela ne montre pas seulement quelle profonde dis-tance théorique les sépare de Préobrajensky et de ses contemporains, mais aussi cela signifie combien les rapports socio-économiques en Union soviétique se sont déjà écartés des buts originaires de la Révolution d'Octobre 1917.

Résumons: Ce qui différencie la conception marxiste du socialisme (76) de celle de tous ses prédécesseurs, c'est avant tout son caractère scientifique - la façon dont il fait résulter son image du futur socialiste de la connaissance de l'ordre social existant, de l'analyse des rapports de production capitalistes. L'objet de la recherche était le même dans les deux cas : la société moderne capitaliste ; seulement il s'agissait dans un cas de sa forme pré-sente, dans l'autre cas de la société future qui germe en elle. Nous voyons donc à quel point les rapports économiques étudiés par Marx doivent être compris comme loi de développement dialectique (et en fait ne peuvent absolument être compris qu'en tant que tels). « L'historicisme », souvent mentionné, de la critique marxiste de l'économie politique se montre par là seulement dans son vrai sens: comme une méthode qui veut rechercher aussi bien les conditions du présent que les limites historiques du capitalisme et dont les conclusions socialistes portant sur le renversement du capitalisme n'apparaissent pas moins essentiel-les pour la totalité du système de Marx que sa recherche et sa critique des catégories économiques elles-mêmes.

Traduit de l'allemand par E. Escoubas

1. Grundrisse, pp. 139 et 175.

2. Cf. chapitre 20, note 3.

3. Dans le texte : « foreshadowing du futur ».

4. Grundrisse, pp. 364-365.

5. Ibid, pp. 76-77.

6. Ibid., pp. 75-76.

7. « Cette indépendance, ajoute Marx dans une parenthèse, qui n'est absolument qu'une illusion et devrait plus correctement s'appeler indifférence - Gleichgultigkeit - dans le sens de la non-différence - Indifferenz - ».

8. Grundrisse, pp. 80-81: « Ces rapports de dépendance objectifs au contraire des rapports de dépendance personnels, lisons-nous plus loin dans le texte, apparaissent aussi tels (le rapport de dépendance objectif n'est rien que les rapports sociaux qui de façon autonome s'opposent aux individus apparemment indépendants, c'est-à-dire leurs rapports de production réciproques rendus indépendants face à eux-mêmes) que les individus sont maintenant dominés par des abstractions, tandis que d'abord ils dépendaient les uns des autres. L'abstraction de l'idée n'est rien que l'expression théorique de ces rapports matériels qui la dominent. Des rapports peuvent naturellement être exprimés en idées et ainsi les philosophes ont conçu sa domination par les idées comme le propre de la modernité et ont identifié l'engendrement de l'individualité libre avec l'effondrement de la domination des idées. L'erreur était d'autant plus facile à commettre, d'un point de vue idéologique, que cette domination des rapports (cette dépendance objective, qui d'ailleurs se transforme de nouveau dans des rapports de dépendance personnels déterminés, débarrassés seulement de toute illusion) apparaît dans la conscience des individus eux-mêmes comme domination par les idées, et que la croyance à l'éternité de ces idées, c'est-à-dire de ces rapports de dépendance objectifs, est naturellement inculquée, nourrie, raffermie par les causes dominantes, dans chaque mode de production. Ibid., pp. 81-82. (Cf. L'idéologie allemande, p. 47.)

9. C'est-à-dire ne peuvent pas passer à l'ordre social socialiste.

10. Dans le même sens, Marx écrivait dans Le Capital au sujet de l'ouvrier: « Même la facilitation du travail devient un moyen de torture, la machine ne libérant pas le travailleur de son travail, mais son travail de son contenu. L'habileté dans le détail de l'ouvrier individuel dépossédé disparaît en tant que chose accessoire, face à la science, aux monstrueuses forces de la nature et au travail social de masse qui sont incarnés dans le système du machinisme et, avec lui, construisent le pouvoir du maître. » (Le Capital. I, pp. 445-446.1

11. Cf. Contribution à la Critique, p. 76. « Ce sont si peu des rapports pure-ment individuels qui s'expriment dans le rapport de l'acheteur et du vendeur, que tous deux n'entrent dans ce rapport que dans la mesure où leur travail individuel est nié, à savoir : en tant que travail d'aucun individu particulier, devient argent. De même qu'il est insensé de concevoir ces caractères de l'économie bourgeoise des acheteurs et des vendeurs comme des formes sociales éternelles de l'individualité humaine, de même il est absurde de les déplorer comme suppression de l'individualité. »

II est intéressant de noter qu'un passage disant la même chose se trouve chez le jeune Hegel. Ainsi Hegel écrivait-il dans son texte, dont ne restent que des fragments (publiés seulement récemment) sur « la constitution de l'Allemagne» (1798-1799), au sujet de la situation « de la «liberté allemande » primitive avant l'Etat : « C'est aussi lâche et faible de dénommer veules, malheureux et sots les fils de cette situation, et de nous croire finalement plus humains, plus heureux et plus intelligents, qu'il serait puéril et stupide d'aspirer au retour à une telle situation - comme si elle était la nature elle-même - et de ne pas savoir considérer cette situation, on les lois dominent, comme nécessaire et comme une situation de la liberté. Cité d'après G. Lukacs, Le Jeune Hegel, p. 192.

12. Grundrisse, pp. 79-80.

13. Théories, II, p. 529.

14. Cf. le Saint-Max (Stirner) de Marx : « On lui a déjà fait remarquer que dans la concurrence, la personnalité elle-même est un hasard et le hasard une personnalité. » (L'Idéologie allemande, p. 360.)

15. Dans le texte : « d'abord ».

16 Même dans ce cas (le rapport réciproque des frontières et les limites il s agit, comme cela a été déjà mis en évidence plus haut d'une utilisation des concepts hégéliens.

17. Cf. p. 64 de ce travail.

18. Dans le texte : rather.

19.Dans la terminologie de Marx (cela vaut surtout pour le jeune Marx) le «général» n’est en aucune façon identique au « communautaire » mais désigne plutôt ce qui - dans une société de propriétaires privés atomisés – naît de la rencontre des « intérêts communs » et des « intérêts particuliers. (cf. L’Idéologie allemande p. 34 : « Précisément parce que les individus cherchent leur intérêt particulier qui ne s'accorde pas pour eux avec leur intérêt commun, et surtout parce que le général est la forme illusoire de la communauté, celui-ci est tenu pour un intérêt "étranger" et "indépendant" d'eux pour un intérêt général "lui-même toujours particulier et spécifique" »

20. Dès que, en outre, ajoute Marx, l'illusion sur la concurrence comme la forme prétendue et absolue de la libre individualité disparaît cela est la preuve que es conditions de la -concurrence, c'est-à-dire de l'a production fondée sur le capital, sont déjà éprouvées et pensées comme limites et par la le sont effectivement déjà et le deviennent de plus en plus »

21. Dans le texte : « Middle-class ».

22. Cf. Les proudhoniens et autres.

23. Grundrisse, pp. 542-545.

24. L'idéologie allemande, pp. 76 et 74.

25. Dans texte : « in fact ».

26. « En quoi consiste l'aliénation du travail ? D'abord, en ce que le travail est extérieur au travailleur, c'est-à-dire n'appartient pas à son essence, que le travailleur ne s'affirme pas dans son travail, mais se nie, ne se sont pas heureux mais malheureux, ne développe aucune énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. Le travailleur se sent chez soi non seulement hors du travail et, dans le travail, il se sent hors de soi. De cet état de choses dans la société capitaliste provient alors l'inversion de toutes les valeurs humaines. Le bestial devient l'humain et l'humain devient le bestial. Manger, boire, produire, etc. sont, il est vrai des fonctions humaines. Mais dans leur abstraction qui les sépare du reste du monde des activités humaines, et en fait lé but dernier et général, elles sont bestiales. »(Manuscrits de 1844, pp. 54-55.)

27. Grundrisse, pp. 387-388.

28. Manuscrits de 1844, p. 46.

29. Le Manifeste communiste, p. 483.

30. Le Capital, l, p. 328.

31. Grundrisse, p. 484.

32. Le Capital, II, p. 42.

33. « Le Capital, lisons-nous dans un autre passage de L'Ebauche s'il est bien compris, apparaît comme condition pour le développement des forces productives, aussi longtemps qu elles ont besoin dune stimulation extérieure qui apparaît en même temps comme leur frein. 34. « Le travail, dit Marx dans L'idéologie allemande, est libre dans tous les pays civilisés ; il ne s agit pas de libérer le travail, mais de le supprimer p1 293.)

35. Grundrisse, p. 231. Toutes les formations sociales jusqu'à présent ont disparu par le développement de la richesse ou, ce qui est la même chose des forces productives sociales... Seul le développement de la science - ie de la forme la plus solide de la richesse, à la fois produit et producteur de la richesse était suffisant pour dissoudre cette essence commune . (ibid pp 438 439)

37. Ibid., p. 438.

38. Ibid., p. 440.

39. Ibid., p. 77.

40. Dans le texte : « powerful effectiveness ».

41. Cf. le chapitre 17 de ce travail.

42. Grundrisse, pp. 592-593.

43. Dans le texte : « disposable time ».

44. Dans le texte : « instrumental in creating the means of social disposable time ».

45. Dans le texte : « to convert it into surplus labour ».

46. Dans le texte : « surplus labour ».

47. Cf. Le Capital, 111, p. 266 : « Surproduction du captai ne signifie jamais autre chose que surproduction des moyens de production, de travail et des moyens de vivre - qui peuvent fonctionner en tant que capital, c'est-à-dire peuvent être tournés vers l'exploitation du travail en un taux d'exploitation donné ; tandis que la baisse du taux d'exploitation au-dessous d'un point donné fait naître des perturbations et des arrêts du procès de production capitaliste, des crises et des destructions du capital. »

48. Grundrisse, pp. 595-596.

49. Déjà Blanqui remarquait méchamment que l'objection de la critique bourgeoise : « Qui donc dans le socialisme, portera les vases de nuit ? » se réduit au fond dans la simple question : « Qui donc portera mon vase de nuit ? »

50. Cf. La Révolution trahie, p. 46.

51. Le Capital, I, p. 198.

52. Marx se rapporte au passage suivant de l œuvre de Smith : " An Inquiry into the nature and causes of the wealth of Nations ». New York, 1937, p. 33.

53. Cf. Théories, III, p. 253 - « Mais le temps libre, temps dont on dispose, est la richesse elle-même - en partie dans la jouissance des produits, en partie dans l'activité libre, qui n'est pas déterminée comme le travail par la contrainte d'un but extérieur qui doit être accompli — dont l'accomplissement est une nécessité naturelle ou un devoir social, comme on veut. »

54. C'est-à-dire conditionné par une contradiction de classes.

55. Anglicisme : bedeutet  meint.

56. Grundrisse, pp. 504-505.

57. Ibid., pp. 599-600.

58. « L'accent est placé, est-il dit dans L'Ebauche, non pas sur l'être-objectif mais sur l'être étranger, aliéné, extériorisé; sur la non-possession par le travailleur de la gigantesque puissance objective, mais possession de celle-ci par les conditions de production personnifiés, c'est-à-dire le capital - puissance que le travail social lui-même s'est opposé comme un de ces moments. Aussi longtemps que, du point de vue du capital et du travail salarié, l'engendrement de ce corps objectif de l'activité se produit en opposition avec la richesse immédiate du travail - ce procès d'objectivation apparaît en fait comme procès de l'aliénation du point de vue du travail, ou de l'appropriation du travail d'autrui du point de vue du capital - cette inversion et cette perversion est une réelle inversion et perversion et non pas une inversion et une perversion simplement pensées, existant seulement dans la représentation

59. « II va de soi, dit Marx dans les Théories, que le temps du travail lui-même, par le fait qu'il est limité à une mesure normale, se produit en outre non plus pour un autre, mais pour moi-même, avec la suppression des contradictions sociales entre le maître et l'esclave, etc., comme travail réellement social, enfin comme base du temps libre, prend un tout autre caractère devient plus libre et que le temps de travail d'un homme qui a du temps libre doit avoir une qualité beaucoup plus élevée que celui d'une bête de somme.» (Théories, lll, p. 253.)

60. « La suppression de la forme de production capitaliste, est-il dit dans le livre l du Capital, permet de limiter la journée de travail au travail nécessaire. Cependant ce dernier étendrait son espace, dans des circonstances qui restent par ailleurs les mêmes. Parce que d'une part les conditions de vie du travailleur sont plus riches et ses exigences vitales plus grandes. D'autre part une partie du surtravail d'aujourd'hui ferait partie du travail nécessaire, à savoir le travail nécessaire à la réalisation d'un fonds social de réserve et d'accumulation. » Le Capital, I, p. 552.

61. «Que d'ailleurs le temps de travail immédiat lui-même ne peut rester dans une contradiction abstraite avec le temps libre - comme il apparaît du point de vue de l'économie bourgeoise - c'est évident. » Grundrisse, p. 599.

62. C'est seulement là où la production se trouve sous le contrôle réel de la société qui la détermine à l'avance, que la société crée le rapport entre la totalité du temps de travail social utilisé à la production d'un article déterminé et la totalité des besoins sociaux à satisfaire par cet article. » Le Capital, III, p. 197.

63. Cette économie du temps est considérée aussi par Marx sous un autre aspect: «L'économie réelle consiste dans l'épargne du temps de travail... mais cette épargne s'identifie avec le développement de la force productive. Donc en aucune façon avec le renoncement à la jouissance, mais au développement du pouvoir, des capacités de production et par là aussi des capacités des moyens de jouissance. La capacité de jouissance est fondement pour la jouissance elle-même. Et cette capacité est développement d'une disposition, est force productive. L'épargne du temps de travail est la même chose que l'accroissement du temps libre, c'est-à-dire temps pour le complet développement de l'individu et qui lui-même, en tant qu'il est la plus grande force productive, réagit en retour sur la force productive du travail. Ce temps peut du point de vue du procès de production immédiat, être considéré comme production du capital fixe, ce capital fixe étant l'homme lui-même » Grundrisse, p. 599.

64. Le passage du tome III du Capital plusieurs fois cité et dirigé contre Storch doit être compris dans le sens mentionné: « Deuxièmement, après la suppression du mode de production capitaliste, mais avec la conservation de la production sociale, la détermination de la valeur prédominante, dans le sens où la réglementation du temps de travail et la répartition du travail social parmi les divers groupes de production et enfin la comptabilité de tout cela devient plus essentielle que jamais. » C'est là, pour le remarquer en passant, le seul passage dans Marx que peuvent invoquer, de façon apparemment justifiée, des économistes comme Léontiev, Lange ou J. Robinson qui lui imputent la représentation de la loi de la valeur dans le socialisme ». Il leur suffit manifestement que dans le passage cité le mot « détermination de la va-leur » apparaisse. Mais de façon apparemment aussi justifiée, à partir des passages isolés où Marx - « pour discuter avec l'économie vulgaire » - parle du «capital» dans l'Antiquité (ou même dans le socialisme), ils pour-raient conclure aussi que d'après lui le capital n'est pas une catégorie historique, mais éternelle...

65. Theories, III, p. 127.

66. Dans le texte : « the offspring of association ».

67. Grundrisse, p. 76.

68. Ibid.. pp. 88-89.

69. Que « l'équilibre du rendement et de la dépense de travail, quant a la décision sur la production, remarque Engels, est tout ce qui subsiste du concept de valeur de l'économie politique dans une société communiste, je l'ai déjà dit en 1844 » (dans le célèbre article » Ebauche d'une critique de l'économie nationale» in MEN, t. l, p. 517). « Mais le fondement scientifique de cette phrase n'est devenu possible que par Le Capital de Marx » (Anti-Dühring, pp. 288-289).

70. Cf. la lettre d'Engels à C. Schmidt, VIII - 1890 - « II y a eu aussi dans le Volkstribune une discussion sur la répartition des produits dans la société future : si elle se fait selon le quantum de travail ou autrement. On a pris la chose d'une façon très matérialiste contre certaines expressions juridiques idéalistes. Mais d'une manière étonnante il n'est venu à l'idée de personne que le mode de répartition dépend cependant essentiellement de la quantité à répartir et que celle-ci se modifie absolument avec les progrès de la production et de l'organisation sociale, donc aussi que le mode de répartition pourrait se modifier entièrement. Mais la société socialiste n'apparaît pas, pour aucun des participants, comme une chose saisie dans un changement et un progrès continuels, mais comme une chose stable, fixée une fois pour toutes, qui donc doit aussi avoir un mode de répartition fixé une fois pour toutes. Pourtant d'une manière rationnelle on peut seulement 1°) chercher à découvrir le mode de répartition avec lequel elle a commencé et 2°) chercher à trouver la tendance générale dans laquelle le nouveau développement se meurt. Mais de cela je ne trouve pas un mot dans tout le débat. » MEN, t. 37, p. 436.

71. Le Capital, I, p. 93.

72. Cf. le commentaire important à ce sujet dans Lénine, L'Etat et la Révolution et Trotsky, La Révolution trahie.

73. Parmi ces « retenues », Marx énumère : « 1°) la provision de remplace-ment des moyens de production consommés. 2°) une partie supplémentaire pour l'extension de la production. 3°) le fonds de réserve ou fonds de sécurité contre les accidents ou catastrophes dus aux événements naturels, etc. "C'est seulement le reste du produit total qui est « déterminé à servir de moyen de consommation ». De ce reste, cependant, se détachent en outre « avant qu'il n'arrive au partage individuel : 1°) les coûts d'administration généraux qui n'appartiennent pas à la production. 2°) ce qui est déterminé en vue de la satisfaction collective des besoins, comme les écoles, les établissements de santé, etc. 3°) un fonds pour les improductifs, etc. Nous en venons à la répartition seulement alors, à savoir à la partie des moyens de consommation qui sera partagée entre les producteurs individuels de la communauté «Critique du programme de Gotha, MEN, t. 19, p. 19.

74. Critique du programme de Gotha, p. 20.

75. Cf. « La Nouvelle Economique ». 1926.

76. Nous avons surtout en vue « l'Ebauche » de Marx. C'est pourquoi de très nombreux passages consacrés à la société communiste dans Le Capital, les Théories, L'Anti-Dühring et d'autres textes de Marx et Engels n'ont été pris en considération qu'occasionnellement

77. « A l'intérieur de la société bourgeoise reposant sur la valeur d'échange, lisons-nous dans L'Ebauche, s'engendrent des rapports d'échange et des rapports de production qui sont autant de mines à faire sauter. Une masse de formes contradictoires de l'unité sociale dont le caractère contradictoire ce-pendant ne peut jamais sauter par une métamorphose paisible. » D'où la signification violente de la lutte de classe prolétarienne et du procès idéologique qui est à sa base : « La reconnaissance des produits comme ses propres pro-, duits et la critique de la séparation des conditions de sa réalisation comme séparation inadéquate et par contrainte, est une puissante prise de conscience et à la fois le glas qui annonce sa suppression - de même qu'avec la prise de conscience de l'esclave qu'il ne peut pas être la propriété d'un tiers, sa conscience comme personne, l'esclavage a seulement continué à végéter d'une existence artificielle et a cessé de pouvoir continuer à être la base de la production, » Grundrisse, p, 77 et pp. 366-367.) 

Voir ci-dessus