John Lennon le radical
Par Gary Fraser le Samedi, 10 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

Il est intéressant de se pencher sur l’héritage politique de l’ex-chanteur des Beatles, vingt-cinq ans après son assassinat à New York. Nous reproduisons ici un article du « Scottish Socialist Voice ».

Il y a 25 ans, John Lennon était assassiné au pied de son immeuble, à New York. De nombreux textes en souvenir de l’ancien chanteur des Beatles ont été publiés ces derniers temps : le 9 octobre, Lennon aurait également fêté son 65e anniversaire. La plupart de ces hommages traitent de Lennon en tant que musicien ou ex-membre des Beatles. Mais ils omettent de parler de sa radicalité politique. La période radicale de John Lennon se situe entre 1969 et 1973. Son mariage avec Yoko Ono a joué un rôle clé dans son développement politique. Durant les premières années passées avec Yoko, Lennon s’est doté d’un profil radical et d’une voix politique sur de nombreux sujets.

En 1969, il est à la pointe du mouvement contre la guerre du Viêt-nam, avec Give Peace a Chance, qui allait connaître un véritable succès. À partir de 1970, l’engagement de Lennon devient plus déterminé et s’imprègne d’un caractère de classe. Dans Power to the People, il écrit : « Des millions de travailleurs travaillent pour rien. Nous devons leur donner ce qui leur revient. » La même année, Lennon écrit une œuvre majeure, Working Class Hero, où fusionnent les sentiments politiques et psychologiques générés par l’appartenance à la classe ouvrière. C’est peut-être la première fois dans l’histoire de la pop qu’une chanson illustre aussi bien le vécu de la classe ouvrière : « Ils te blessent à la maison et ils te cassent à l’école. Ils te détestent si tu es intelligent et ils te méprisent si tu es idiot. Jusqu’à ce que tu deviennes complètement déjanté et que tu ne puisses plus suivre leur règle ! »

À chacun selon ses besoins

La conscience politique de Lennon ne se limitait pas à la musique et, au début des années 1970, il était très actif. Pendant la guerre du Viêt-nam, il dénonce l’impérialisme britannique en Irlande du Nord. Et il soutient politiquement et financièrement les salariés d’Upper Clyde (1) lors de l’occupation des chantiers navals dans lesquels ils travaillent. En 1971, Tariq Ali, du magazine Red Mole - encore underground à cette époque -, recueille l’interview d’un Lennon ouvertement à gauche. Le chanteur y évoque la formation de sa conscience politique : « J’ai toujours eu une préoccupation politique et j’ai toujours été opposé au statu quo. Lorsque l’on a été élevé comme je l’ai été, c’est assez simple de fuir et de détester la police - ennemi éternel -, ou bien de considérer l’armée comme quelque chose de méprisant, qui nous envoie nous faire tuer n’importe où. »

Concernant la révolution et la manière de détruire le système capitaliste, Lennon prend part au débat : « Je pense que c’est seulement en faisant prendre conscience aux travailleurs qu’ils se trouvent dans une situation objectivement difficile et en cassant leurs illusions. Ils pensent qu’ils sont dans un pays magnifique, où l’expression est libre. Ils ont leur voiture et leur télé. Ils ne veulent pas croire qu’il y a quelque chose d’autre à vivre. Ils sont prédisposés à ce que les patrons les exploitent et à voir leurs enfants foirer à l’école. Ils rêvent le rêve de quelqu’un d’autre. À partir du moment où ils commencent à réaliser tout cela, on peut commencer à faire quelque chose. Les travailleurs peuvent commencer à prendre le dessus. Comme Marx l’a dit : “À chacun selon ses besoins.’’ »

Essence même du socialisme

En 1972, Lennon publie son album le plus politique, Some Time in New York City, dans lequel les chansons parlent de l’impérialisme britannique en Irlande (The Luck of the Irish), de la révolte des prisonniers à New York (Attica State) et de la lutte du mouvement pour les droits des femmes (Woman is the Nigger of the World). Cette dernière chanson, inspirée d’une réflexion de Yoko, est un classique féministe trop peu connu : « On la fait se peindre le visage et on la fait danser. Si elle ne veut pas devenir esclave, on dit qu’elle n’aime pas. On lui dit que sa maison est l’unique endroit où elle doit être. Après, on se plaint qu’elle soit trop indigne pour être notre amie. On l’insulte tous les jours à la télé et on se demande pourquoi elle n’a ni cran ni confiance en soi. Quand elle est jeune, on tue sa volonté, pour ne pas avoir à lui dire de ne pas être aussi intelligente. On la dénigre en la traitant de conne. » Malgré Woman is the Nigger of the World, Some Time in New York City est assez décevant d’un point de vue musical. Cela conforte le vieux cliché selon lequel de bonnes positions politiques n’engendrent pas forcément de la bonne musique.

S’il y a une chanson qui peut résumer politiquement Lennon, c’est Imagine, sortie en 1971. Imagine est l’hymne politique de la génération d’aujourd’hui. Je sais que les vieux gauchos aiment lever leur bon vieux poing et chanter l’Internationale. Mais pour moi, Imagine est la chanson qui résume le mieux les raisons pour lesquelles je suis socialiste. La beauté de cette chanson réside dans sa simplicité, alors que Lennon chante un monde délivré de la famine, de l’avidité, de la guerre et de la religion. Aucune autre chanson ne saisit aussi bien l’essence même du socialisme. Enquête après enquête, Imagine est constamment élue « meilleure chanson de tous les temps » , et c’est important pour les socialistes : cette chanson est bien, tant au niveau musical que sur le plan politique.

Le terrible assassinat de Lennon, en 1980, nous enlève l’un des meilleurs paroliers de la période contemporaine, ainsi qu’un artiste radical et un penseur politique. C’est vraiment dommage que Lennon n’ait pas été là dans les années 1980. Je suis sûr qu’il aurait eu beaucoup à en dire sur la cupidité, l’hypocrisie et le cynisme qui ont caractérisé cette période. Aujourd’hui, ses positions sur Bush, Blair et l’Irak auraient été intéressantes. L’establishment occulte délibérément l’aspect politique de Lennon, qui n’a peut-être pas été pertinent sur tous les sujets politiques, mais qui reste, dans le vrai sens du terme, radical. Et c’est pour cette raison que la gauche devrait se servir de son héritage politique et culturel. Après tout, le but ultime des socialistes devrait être la construction du genre de monde que John Lennon nous a aidés à imaginer.

Traduit par Thomas Mitch

(1) En 1971, les salariés des chantiers navals d’Upper Clyde (« Upper Clyde Shipbuilders ») ont repris en main la gestion de la production après que la direction a déposé le bilan, sur la rivière Clyde à Glasgow (Écosse), NDT.

Voir ci-dessus