Le nouveau capitalisme » et le marxisme
Par Yvan Lemaître le Jeudi, 15 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

« Le nouveau capitalisme » tel est l’intitulé du dernier numéro de Manière de voir, supplément du Monde diplomatique, qui se donne deux objectifs : « identifier de la façon la plus claire et la plus pédagogique possible les contours de ce « nouveau capitalisme » et souligner combien, depuis le début, notre journal s’est intéressé à la prolifération d’une doctrine qui devait, pour le malheur de millions de personnes, envahir le monde ».

On trouve dans ce numéro une critique efficace et utile de cette doctrine du néolibéralisme comme de ses méfaits mais la critique se limite à une dénonciation, à un combat idéologique comme si la politique de la classe capitaliste obéissait à un modèle et non à la défense d’intérêts de classe, à la logique du système.

Le nouveau capitalisme ne se définit pas comme un modèle ou comme une doctrine mais bien comme le résultat d’une évolution des rapports de classe qu’il nous faut restituer dans leur histoire. C’est la méthode de Marx qu’il faudrait reprendre: « l’exposé critique du système de l’économie bourgeoise. C’est à la fois l’exposé du système et, par cet exposé, la critique du système. »

Se situant du point de vue des rapports de classes, elle est plus à même et de comprendre le système et de trouver en son sein les moyens de le transformer. La critique de l’idéologie bourgeoise, des justifications de l’inhumanité du système ne saurait épargner la critique des lois internes qui l’ont engendré en s’attachant à l’histoire concrète des faits, de leur évolution, de leurs liens réciproques pour, en conséquence, tenter d’anticiper leur développement futur… La critique débouche sur l’action, c’est-à-dire mettre à jour « pour les millions de personnes » qui souffrent du système les moyens de le transformer.

La propagande des classes dominantes : apologie de l’économie de marché, de la liberté d’entreprendre et… d’exploiter

Au lendemain de l’effondrement du mur de Berlin puis de l’ex-URSS, la propagande bourgeoise se contentait de fustiger la dictature du collectivisme, l’échec du communisme, du « socialisme réel » qui n’était réellement pas socialiste, pour vanter l’économie de marché synonyme d’abondance et de démocratie. Il suffisait d’identifier économie de marché et économie des pays riches pour tenter de faire miroiter aux peuples pauvres un avenir sinon radieux du moins prometteur… Et d’oublier d’expliquer que cette richesse des pays développés était pour beaucoup le résultat du pillage, c’est-à-dire… de la misère des pays pauvres.

Manière de voir cite Milton et Rose Friedman en 1990 : « Il y a dix ans, beaucoup de gens croyaient que le socialisme était un système viable, et même plus prometteur que les autres pour garantir la prospérité matérielle et le liberté humaine. Rares sont ceux qui croient encore cela. La foi idéaliste dans le socialisme persiste, mais confinée à certaines tour d’ivoire de l’occident et à quelques uns des pays les plus retardataires […] Aujourd’hui, l’opinion la plus courante est que le capitalisme constitue au contraire le seul système permettant d’atteindre ce double objectif […] La roue a tourné mais pas assez fort encore, loin de là, pour garantir à la liberté humaine un avenir radieux. »

Avec le temps cette propagande pour le moins manichéenne a subi l’épreuve des faits, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression de Manière de voir, « une régression historique ». L’avenir radieux a pris le visage de la guerre, des inégalités, de la misère et l’argumentation est moins triomphante ! Dès lors, l’idéologie dominante n’a plus que des arguments d’autorité et se résume pour l’essentiel à faire de l’habitude une loi naturelle de l’économie et de la société.

L’économie de marché serait « l’état naturel de la société » selon une formule d’Alain Minc reposant, comme le disait Adam Smith, sur une « certaine propension de la nature humaine à troquer et échanger une chose contre une autre ». Les inégalités, le chômage… ne seraient que les faux frais de ces lois naturelles de l’économie. L’idéologie des classes dominantes fait des rapports de domination dont elle jouit une loi naturelle, vérité de tous les temps, immuable même si, bien évidemment, chacun en rejette les inévitables excès…

Marx qualifiait de « Robinsonnades » ces fausses évidences sur la nature humaine qui prétendent justifier l’économie de marché, la propriété bourgeoise, au nom du fait qu’échanger et posséder seraient, pour l’homme, naturel…Il est évident, répondait-il, que « toute production est une appropriation de la nature par l’individu au sein et au moyen d’une forme déterminée de société. » Il y a là, certes, quelque chose de naturel, l’homme étant un animal social, mais il ne reste plus qu’à en déterminer les formes concrètes.

Ces formes concrètes de production ou d’échange sont un ensemble produit d’une histoire. « Chaque forme de production engendre ses propres statuts juridiques, ses propres formes gouvernementales. Etablir des rapports accidentels, purement spéculatifs, entre des facteurs qui forment un ensemble organique ne peut être que le résultat d’une stupidité et d’une incompréhension totale. » C’est bien de cette réalité concrète dont il s’agit de faire la critique.

Débattre de modèle idéologique ou de la lutte de classe

Pour l’essentiel, les articles regroupés par Manière de voir en restent à la réfutation des arguments idéologiques du libéralisme tout en leur accordant un rôle sans rapport avec la réalité. Leur propre argumentation en reste au niveau du combat idéologique.

Ignacio Ramonet dénonce « la prolifération d’une doctrine » dans l’éditorial intitulé « Une régression ». « Tout a commencé le 15 août 1971. Ce jour-là, le président américain Richard Nixon annonce que les Etats-Unis suspendent la convertibilité du dollar en or. » écrit-il. Et il poursuit pour souligner le rôle de la « révolution conservatrice » de Thatcher-Reagan. « Ils vont affirmer un néolibéralisme agressif doublé d’un anti-keynésisanimse militant pour venir à bout de la longue tradition d’intervention économique de l’Etat. »

La dénonciation à quel point légitime devient une explication qui laisse à penser que l’évolution de la société tient plus du libre-arbitre et des choix idéologiques des chefs d’Etat que des rapports économiques et sociaux. Il ne reste plus qu’à expliquer pourquoi la décision du 15 août 71 ou pourquoi la révolution conservatrice. Choix idéologique ? Choix de doctrine ? Ou plus concrètement une politique de classe telle qu’elle se formule à nu dans ce qui deviendra « le consensus de Washington », accord établi au début des années 80 entre multinationales, banques de Wall Street, la Réserve fédérale des Etats-Unis et les organismes financiers internationaux. Les effets pratiques de ce consensus furent les plans d’ajustements successifs et divers destinés à faire payer les intérêts de la dette aux pays pauvres.

« La mondialisation n’est pas seulement l’irruption dans l’histoire de nouvelles techniques et de nouveaux marchés. C’est aussi l’aboutissement d’un long et patient travail intellectuel dont certains effet se manifestent dès les années 70, avant même l’arrivée au pouvoir de Mme Margaret Thatcher et de M. Ronald Reagan. » Certes, mais ce travail intellectuel n’a-t-il pas comme seule fonction de justifier auprès de l’opinion une politique exclusivement au services des intérêts des classes riches et privilégiées ? N’est-ce pas la politique du capital pour donner une légitimité à sa domination ?

Critiquer le nouveau capitalisme sans chercher à le décrire au cœur de la production, dans les rapports d’exploitation d’où naissent les profits, sans s’engager dans la lutte sociale du point de vue des exploités, sans penser la lutte de classe, n’est-ce pas se limiter à des condamnations idéologiques, morales, à des raisonnements hors de l’histoire qui ne peuvent ouvrir de perspectives ? Comment changer les choses, faire évoluer la société ? Par la force des idées ? La force des utopies ? Comment les consciences peuvent-elles évoluer ?

Avoir prise sur les événements suppose comprendre ce qui conditionne leur évolution comme l’évolution des consciences des hommes ou les décisions des chefs d’Etat… Une critique radicale ne peut se contenter de la critique de l’idéologie dominante et des propriétés inégalitaires des marchés pour décrire les rapports économiques et sociaux qui les produisent. C’est faire la critique de l’économie de marché et des rapports d’exploitation capitaliste.

La loi de la valeur et la théorie de la plus-value

La démarche de Marx a été de rechercher au sein de l’anarchie du marché où se rencontrent des individus, les mécanismes et les lois sociales qui permettent une régulation des échanges, un équilibre entre la production et les besoins et cela en partant de l’analyse de l’objet même du marché : la marchandise.

La loi de la valeur définit le facteur qui donne une rationalité sociale aux comportements des différents acteurs privés qui agissent pour un marché anonyme, où chacun ignore les besoins sociaux globaux et n’agit qu’en fonction de ses propres intérêts ou besoins. Marx reprend l’opposition entre valeur d’usage et valeur d’échange.

« La valeur d’usage n’exprime pas de rapport de production social », nous dit Marx, mais « elle est directement la base matérielle sur laquelle s’élève un rapport économique déterminé : la valeur d’échange. » C’est la valeur d’échange qui définit le rapport social et se pose alors la question : en fonction de quel critère les marchandises s’échangent-elles ? Qu’y a-t-il de commun à l’ensemble des marchandises ?

« Comme valeurs d’échange, écrit Marx, toutes les marchandises ne sont que des mesures déterminées de temps de travail cristallisé. » Toutes les marchandises ont en commun d’être le produit du travail humain et elles s’échangent selon le temps de travail social qui leur est incorporé.

Le capitalisme industriel moderne se développe sur la base d’un rapport de classe où les détenteurs de capital ont les moyens d’acheter une marchandise particulière, la force de travail des prolétaires, ceux qui n’ont rien d’autre à vendre, dont la valeur d’usage est de produire plus de valeur qu’elle n’en coûte.

Le prix de cette marchandise, le salaire, est déterminé là aussi par le temps de travail socialement nécessaire pour la produire et l’entretenir. La différence entre le prix de la force de travail et la valeur qu’elle produit, c’est la plus-value, du travail gratuit, non payé. Là est le rapport d’exploitation que cherche à masquer l’idée que le salaire serait le juste prix du travail.

Le capitaliste n’achète la force de travail qu’à condition qu’il soit sûr qu’elle produise plus de valeur (la valeur ajoutée) qu’elle ne lui en coûte. Il cherche en permanence à diminuer les coûts en intensifiant le travail, en augmentant ou en régulant en fonction de ses besoins le temps de travail, ou plus directement en diminuant le prix de la force de travail.

Le nouveau capitalisme, c’est la généralisation de ce rapport marchand, c’est l’extension du rapport d’exploitation à un niveau jamais atteint qui s’accompagne d’une exacerbation du caractère parasitaire de la domination de la bourgeoisie, un nouveau stade du capitalisme plus qu’un nouveau capitalisme. La valeur d’échange domine et étouffe la valeur d’usage. Le parasitisme financier et spéculatif étouffe l’économie réelle. « L’argent en tant que forme générale du travail bourgeois implique la possibilité de développer ses contradictions. ». Sous la forme du capital financier, il devient la forme la plus achevée du parasitisme bourgeois…

La portée philosophique de la loi de la valeur

La loi de la valeur telle que l’expose Marx est bien plus qu’une analyse économique, elle relève d’une conception philosophique, matérialiste de la place de l’homme dans la nature comme de l’évolution des sociétés humaines. Dissocier les analyses économiques de Marx de cette conception matérialiste revient à les amputer de leur caractère révolutionnaire.

Sa méthode inclut l’exposé critique du capitalisme et la polémique contre les justifications idéologiques du système. « Les conditions juridiques et les formes politiques ne peuvent s’expliquer par elles-mêmes, ni par ce qu’on appelle l’évolution générale de l’esprit humain ; elles ont au contraire leurs fondements dans les conditions de la vie matérielle… »

Aux justifications idéologiques sécrétées par les intellectuels des classes dominantes, Marx oppose l’homme comme animal social qui a su s’organiser collectivement pour produire ce dont il a besoin pour perpétuer l’espèce. Cette philosophie matérialiste et évolutionniste critique les interprétations, illusions, idéologies justificatrices des rapports d’oppression, religion, c’est-à-dire les démarches intellectuelles à travers lesquelles s’exprime l’aliénation de l’homme. Elle pense l’homme comme sujet et objet, animal social dont les rapports avec le reste de la nature s’expriment dans le travail et les rapports qui se construisent autour de son organisation.

Le travail est l’activité à travers laquelle l’homme s’approprie les richesses naturelles pour satisfaire ses besoins, assurer la production et la reproduction de l’espèce. « Dans la production sociale de leur vie, écrit Marx, les hommes entrent en rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives… »

Les lois de développement des société humaines

Les rapports de production sont donc déterminés par le degré de développement des forces productives, des techniques, et constituent « la structure économique de la société, la base réelle sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle répondent des formes sociales et déterminées de conscience. »

Quand le développement des techniques rentre en opposition avec le cadre social, juridique et politique existants, s’ouvre une période de révolution qui ouvre la voie à de nouveaux progrès. La révolution bourgeoise balaya les vestiges de la féodalité pour créer les conditions du développement du capitalisme industriel. Aujourd’hui, l’internationalisation de la production, la révolution des nouvelles technologies rentrent en contradiction avec l’existence des Etats nationaux et le parasitisme de la domination de la classe capitaliste, une nouvelle ère de révolution s’ouvre…

La longue évolution des sociétés humaines s’est jusqu’alors opérée à travers la division de la société en groupes antagonistes, en classes et a été la résultante de leurs luttes. « Les conditions de production bourgeoises constituent la dernière forme antagonique du procès de production sociale…

Or, les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles qui permettent de résoudre cet antagonisme. Avec cette formation sociale se termine donc la préhistoire de la société humaine. » Pour nous l’analyse du capitalisme vaut surtout en tant qu’analyse des conditions possibles du socialisme, c’est-à-dire du dépérissement de l’antagonisme de classe.

Les lois du développement capitaliste

Dans le mode de production capitaliste « la base technique est révolutionnaire écrit Marx, tandis que celles de tous les modes de production antérieurs furent essentiellement conservatrices. A travers les machines, les procédés chimiques et d’autres méthodes se transforment en permanence avec la base technique de la production les fonctions des ouvriers et les articulations sociales du processus du travail. Ainsi se révolutionne également en permanence la division du travail au sein de la société. »

Cette révolution en permanence des rapports sociaux s’opère sous le fouet de la lutte contre ce que Marx appelle la chute tendancielle du taux de profit. La modernisation de la production pour faire face à la concurrence et rester compétitif contraint les capitalistes à investir dans de nouvelles machines, de nouveaux bâtiments… Plus ces investissements (le capital fixe) augmentent, moins la masse salariale (le capital variable) rapporte de profit proportionnellement à l’investissement global.

Le taux de profit qui indique ce rapport entre la plus-value et l’ensemble du capital investi a tendance à diminuer avec le développement économique. La lutte contre cette baisse du taux de profit est l’obsession des capitalistes, lutte vaine qui se résout dans les crises qui rythment la marche cyclique du capitalisme.

Les crises sont expression du dédoublement de la marchandise en valeur d’usage - valeur d’échange. Elles sont crises de surproduction au sens où l’incapacité du capitalisme à supprimer « la pauvreté et la limitation de consommation des masses » prive les marchandises de réaliser leur valeur. Le marché s’engorge, il y a mévente. Mais la crise est d’abord une crise de valorisation du capital. Les capitaux qui ne peuvent réaliser un profit suffisant sont éliminés par la faillite et la ruine de leurs détenteurs.

La concurrence entre les capitalistes entraîne ainsi une concentration croissante du capital parallèlement au développement technique. Loin de répartir la propriété, le capitalisme la concentre en expropriant les petits propriétaires de mille et une façons mais aussi les capitalistes eux-mêmes.

Cette concentration du capital et de la production s’accompagne de liens toujours plus étroits avec le pouvoir politique qui lui-même se concentre pour mieux servir les intérêts de la minorité à laquelle il est soumis. Parallèlement, cette concentration s’accompagne d’une extension du rapport capitaliste donc du salariat par l’expropriation de masses toujours plus nombreuses et donc le développement du prolétariat comme classe de plus en plus internationale, mondialisée. La contradiction entre la socialisation croissante de la production et appropriation privée est accentuée. Elle « se manifeste comme l’antagonisme du prolétariat et de la bourgeoisie. »

La courbe réelle du développement capitaliste : du capitalisme de libre concurrence au libéralisme impérialiste en passant par l’impérialisme

La capitalisme de libre concurrence qui prit naissance en Angleterre et dont Marx décrivit le fonctionnement mais aussi l’histoire et les tendances, cède la place à l’issue de la longue crise de la fin du XIX° siècle à l’impérialisme, un stade supérieur de son développement que Lénine a appelé « le stade suprême » pour indiquer l’idée que ce stade déboucherait sur un nouveau mode de production, le socialisme.

Le déroulement de la lutte de classe en décida autrement. La survivance du capitalisme impérialiste aboutit à la crise de 29, au fascisme et au stalinisme, à la deuxième guerre mondiale. L’intervention étatique, dont Keynes fit la théorie, fut la réponse des classes capitalistes et de leurs Etats pour faire face à la crise de leur propre système, aux menaces révolutionnaires.

Ce n’est qu’au prix d’une longue période de guerres incessantes, de destructions immenses, d’une politique de surarmement que le capitalisme réussit à écraser les menaces révolutionnaires pour reprendre l’offensive. Obéissant à sa nature, il se préparait à « une guerre sans limite » contre les freins que les travailleurs et les peuples avaient imposés à son avidité et à sa cupidité, à sa soif illimitée de domination, de possession.

Les dépenses pour la guerre du Vietnam, les investissements dans la production en pleine expansion au cours des « trente glorieuse » aboutirent à la fin des années 60 puis dans les années 70-80 à chute de la rentabilité du capital. L’intervention des Etats entretenait l’inflation. Ils finançaient l’économie capitaliste à crédit par l’émission monétaire. La dernière monnaie qui était restée convertible en or, et seulement pour les banques centrales, le dollar, fut déclarée par Nixon, ce fameux 15 août 1971, inconvertible.

Après une décennie de crise, commença « la révolution conservatrice » dont la droite comme la gauche, en particulier Mitterrand, se firent les serviteurs. L’offensive pour rétablir la rentabilité du capital, déréglementation, ouverture des frontières, nouvelle technologie, ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation, la marchandisation du monde, façonna le libéralisme impérialiste.

Quel est ce nouveau capitalisme ? Il combine les traits du capitalisme dans sa jeunesse, la libre concurrence, avec une concentration croissante du capital. Les trusts apparus durant la période impérialiste sont devenus des multinationales. Cette combinaison entre une concentration inégalée du capital dans les multinationales et la libre concurrence à l’échelle internationale, confère au capitalisme aujourd’hui une puissance destructrice sans précédent. Il devient synonyme de « régression sociale ».

Il exprime au plus haut niveau la contradiction entre appropriation privée et socialisation à travers ses principales caractéristiques :

* parasitisme financier sans précédent avec un gigantesque développement du capital fictif, bulle financière, endettement généralisé, gonflement du crédit…

* développement des sociétés multinationales au sein desquelles activités financières, commerce et production s’interpénètrent

* réorganisation et délocalisation de la production grâce à l’emploi des nouvelles technologies extension du prolétariat comme classe internationale

* libre concurrence entre multinationales à l’échelle internationale qui déstabilise les Etats nationaux

* hégémonie mondiale des USA qui garantissent une relative stabilité dans l’anarchie de la concurrence internationale au prix d’une militarisation croissante du monde

* accentuation de la division de la société en deux classes antagonistes, une classe toujours plus minoritaire, la classe capitaliste, opposée à la classe salariée de plus en plus nombreuse. Cet antagonisme exacerbé s’exprime dans une crise généralisée de la démocratie.

La contradiction fondamentale du capitalisme est exacerbée. Ce stade pourrait être le stade ultime du capitalisme.

La marchandisation du monde est la conséquence du développement du rapport d’exploitation capitaliste, le salariat, et de la généralisation du rapport marchand. Sa critique, c’est la critique de ce rapport d’exploitation et de l’économie de marché, critique à strictement parler constructive au sens où elle tend à dégager de la société actuelle les éléments d’une société moderne. Elle est théorique et pratique. Elle se situe du point de vue du prolétariat afin qu’il prenne conscience de lui-même, de son rôle historique, se pense comme classe révolutionnaire.

« Notre utopie contre la leur » est le titre de l’article de conclusion de Manière de voir signé de Serge Halimi. Si les prétentions à la démocratie et à la liberté du libéralisme relèvent d’une utopie pour le moins cynique et brutale, justification de la société d’exploitation, notre réponse au libéralisme ne saurait être « une autre utopie ».

Engels y répondait déjà en 1892 : « Les forces de production nouvelles, ont déjà débordé les formes bourgeoise de leur emploi ; et ce conflit entre les forces productives et le mode de production n’est pas un conflit né dans la tête des hommes comme, par exemple, celui du péché originel et de la justice divine : il est là, dans les faits, objectivement, en dehors de nous, indépendamment de la volonté ou de la marche même de ceux des hommes qui l’ont provoqué. Le socialisme moderne n’est rien d’autre que le reflet dans la pensée de ce conflit effectif, sa réflexion, sous forme d’idées, tout d’abord dans les cerveaux de la classe qui en souffre directement, la classe ouvrière. »

Texte publié dans « Le Débat Militant », bulletin intérieur d'un courant de la LCR-France)

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