Vers une Cinquième Internationale?
Par Michael Löwy le Jeudi, 15 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

La «Cinquième Internationale» n'est pas aujourd'hui un « spectre rouge qui hante l'Europe et le monde » pour paraphraser Marx dans le Manifeste communiste. Mais c'est une idée qui commence à faire son chemin. Il y a peu, une revue patronale française - le bulletin des industriels de la métallurgie - évoquait le danger de voir apparaître une Cinquième Internationale.

Mais avant d'évoquer une possible Ve Internationale, il est nécessaire de faire un bilan rapide des quatre internationales historiques. Qu'en reste-t-il en ce début de XXIe siècle?

La Première Internationale (l'Association Internationale des Travailleurs - AIT) a été fondée en 1864 à Londres et elle avait trouvé en Marx l'auteur de son Manifeste inaugural qui se terminait par la célèbre formule: « L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes».

Les partisans de Marx et de Proudhon ont travaillé ensemble dans l'AIT - y compris lorsque le premier avait acquis une plus grande influence et rédigé quelques uns des principaux documents de l'Internationale - et leurs relations ne furent pas uniquement conflictuelles.

Lors du Congrès de Bruxelles (1868), l'alliance entre marxistes et proudhoniens de gauche, comme Eugène Varlin, futur héros de la Commune de Paris, avait permise l'adoption d'un programme collectiviste, c'est à dire qui proposait l'appropriation collective des moyens de production. Les relations avec Bakounine et ses partisans furent plus complexes, ce qui provoqua des scissions et la dissolution de l'AIT après son malheureux transfert en 1872 aux Etats-Unis (une mauvaise idée de Marx!).

L'Association Internationale des Travailleurs n'a survécue que dans sa dissidence anarchiste, qui se considère comme l'héritière de celle qui fut fondée à Londres en 1864. Si son existence n'est plus aujourd'hui que symbolique, les courants rénovateurs du socialisme libertaire, plus dynamiques et ouverts, ont réussit à établir, à partir de 2001, un réseau: Solidarité Internationale Libertaire (SIL) qui comprend des organisations importantes telles que la Confédération Générale des Travailleurs (CGT-Etat Espagnol), Alternative Libertaire (France), la Fédération anarchiste d'Uruguay, etc. De plus, au cours de ces dernières années, des courants anarchistes se sont significativement développés au sein du mouvement anti-néolibéral. Certains sont affiliés à l'AIT et d'autres à la SIL, mais la plupart n'ont pas de liens internationaux.

La Seconde Internationale, fondée par Friederich Engels en 1889, se décompose en 1914 avec l'adhésion de la majorité de ses sections à la guerre impérialiste. Elle se reconstitue dans les années '20, avec une orientation définitivement réformiste et s'est de nouveau réorganisée après la IIe Guerre Mondiale, sous une nouvelle forme, pour devenir l'Internationale Socialiste (IS). L'IS est aujourd'hui une collection assez hétérogène de partis et de mouvements, présents surtout en Europe et en Amérique latine et qui vont de fronts de libération nationale - comme le Front Sandiniste ou le Front Farabundo Marti - jusqu'à des partis pro-impérialistes, comme le Labour Party de Tony Blair. Mais c'est la social-démocratie modérée, c'est à dire social-libérale, qui prédomine avec des partis tels que le Parti Social-Démocrate allemand, le PS français, le PSOE espagnol. Son objectif n'est plus, comme à l'époque d'Engels, de Wilhelm Liebknecht et de Jean Jaurès, la suppression du capitalisme et la transformation socialiste de la société, mais bien la gestion « sociale » du capitalisme néolibéral. L'Internationale Socialiste ne fonctionne pas comme une organisation politique effective mais plutôt comme un club de discussions, un espace de négociations politico-diplomatiques.

La IIIe Internationale a été la tentative la plus importante de créer une association internationale de partis prolétariens à vocation anti-impérialiste et révolutionnaire. Malgré plusieurs traits autoritaires et une discipline de type militaire, elle a été durant ses premières années - 1919-1924 - un véritable organisme internationaliste, dans lequel ont participé des figures telles qu'Antonio Gramsci, Clara Zetkin, Andrés Nin et José Carlos Mariatégui. Après la mort de Lénine, elle s'est progressivement transformée, sous la coupe de la bureaucratie stalinienne, en un instrument de la politique soviétique de construction du « socialisme dans un seul pays ». Malgré cela, des traits internationalistes authentiques du militantisme communiste ont survécu, comme l'a démontré son importante participation dans les Brigades Internationales en Espagne (1936-1938).

En 1943, afin de satisfaire les exigences de ses alliés Churchill et Roosevelt, Staline a dissous l'Internationale Communiste, sans pour autant que cela réduise la dépendance politique, idéologique et organisationnelle totale des partis communistes du monde envers le Parti Communiste d'Union Soviétique (PCUS). Avec la désintégration du très mal nommé « socialisme réel » à partir de 1989, les héritiers de la IIIe Internationale sont entrés dans une crise qui les a mené, avec très peu d'exceptions, à la marginalité politique ou à la conversion vers la social-démocratie. Seuls des partis comme Refondation Communiste en Italie échappent à la règle car ils ont opéré une véritable réorientation en rompant avec leur passé stalinien et en prenant une nouvelle voie, radicale et ouverte aux apports des mouvements sociaux.

La IVe Internationale, fondée par Léon Trotsky en 1938, est née de l'Opposition de Gauche Internationale; une tendance anti-bureaucratique au sein de l'Internationale Communiste. Affaiblie par l'assassinat de Trotsky et de bon nombre de ses dirigeants - à la fois par le fascisme et le stalinisme - et par d'innombrables scissions, elle n'a jamais réussie à devenir un mouvement de masses. Mais ses militants ont joué un rôle important dans les événements de Mai 1968 en France, dans le mouvement contre la guerre du Vietnam aux Etats-Unis et dans la résistance contre les dictatures dans plusieurs pays d'Amérique latine. La « Quatre » a tenté de sauvegarder du désastre stalinien l'héritage de la Révolution d'Octobre et de rénover - avec des militants et des dirigeants tels qu'Ernest Mandel, Livio Maitan, Hugo Blanco, Raoul Pont, Alain Krivine et Daniel Bensaïd - la théorie et la pratique du marxisme-révolutionnaire.

La IVe Internationale - dont l'auteur de ces lignes fait partie - s'est renforcée au cours de ces dernières années et elle existe dans plusieurs dizaines de pays. Mais elle continue à être une organisation limitée en nombre et en ressources. Avec des exceptions telles que les Philippines et le Sri Lanka, l'essentiel de ses forces se concentre en Europe et en Amérique latine. Ses militants y ont participé, comme courants organisés, dans la fondation de regroupements plus larges: Refondation Communiste en Italie, l'Alliance Socialiste en Grande-Bretagne, le Boc de Gauche au Portugal, le Frente Amplio d'Uruguay, le Parti des Travailleurs au Brésil, l'Alliance Rouge-Verte au Danemark, etc. Contrairement à d'autres organisations ou sectes qui se réclament du trotskysme, la « Quatre » ne se considère pas comme l'unique avant-garde révolutionnaire et elle a pour objectif de contribuer à la formation d'une nouvelle Internationale de masses, dans laquelle elle ne serait qu'une de ses composantes.

La question de la résistance internationaliste contre le capital a acquis de nos jours une actualité évidente. Jamais auparavant le capital n'avait réussi à exercer un pouvoir aussi absolu et illimité sur toute la planète. Jamais auparavant il n'avait pu imposer, comme aujourd'hui, ses règles, ses politiques, ses dogmes et ses intérêts à toutes les nations du monde. Jamais auparavant il n'avait existé un réseau aussi dense d'institutions internationales - comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale (BM), l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) - destinées à contrôler, gouverner et administrer le destin de l'humanité selon les strictes règles du libre-marché capitaliste et du libre profit. Jamais auparavant les firmes multinationales et les marchés financiers n'avaient pu exercer de manière aussi brutale leur dictature globale. Et, enfin, la puissance et le pouvoir de l'unique superpuissance impériale, les Etats-Unis d'Amérique, n'ont jamais été aussi arrogants.

L'offensive du capital et des gouvernements néolibéraux à son service - offensive qui a débutée dans les années 1980 avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher - a connu son sommet après la chute du Mur de Berlin et la restauration capitaliste dans les pays de l'Est. Dans toutes les capitales occidentales fut alors triomphalement proclamée « la mort des utopies » (ou de la « révolution », du « marxisme », etc.) et la « fin de l'Histoire ».

Dans ce contexte de déroute et de désorientation de la gauche surgit alors, comme une étincelle de lumière dans l'obscurité, le soulèvement zapatiste de 1994. Deux années plus tard s'est tenu dans les montagnes du Chiapas la Première Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme - un événement qui a eu un impact mondial et qui a rassemblé, pour la première fois depuis de nombreuses années, des militants, des activistes et des intellectuels de plusieurs tendances, du Nord et du Sud, d'Amérique latine, des Etats-Unis et d'Europe. De cette Rencontre est sorti l'appel historique à «dresser l'internationale de l'espoir » contre « l'internationale de la terreur que représente le néolibéralisme ». Comme le souligne la Seconde Déclaration de La Realidad, la tâche - immense - est de créer « un réseau collectif de toutes nos luttes et résistances particulières. Un réseau intercontinental de résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental pour l'humanité. Ce réseau intercontinental cherchera, tout en acceptant les différences et en soulignant les points communs, à entrer en écho avec d'autres résistances partout dans le monde. Ce réseau intercontinental sera le moyen avec lequel les diverses résistances s'appuieront les unes sur les autres ».

On peut considérer la Rencontre au Chiapas de 1996 comme le premier acte du grand mouvement de lutte anti-libéral qui s'exprime aujourd'hui activement aux quatre coins de la planète. Bien que l'initiative n'a pas eu de suite directe - les tentatives d'organiser d'autres rencontres de ce type, inspirées par l'exemple zapatiste, en Europe ou en Amérique latine, n'ont pas eu de succès - elle fut malgré tout le point de départ, l'acte de naissance d'un nouvel internationalisme, anti-néolibéral et anti-impérialiste.

Quelques années plus tard se tiendra la grande mobilisation de Seattle (1999) et c'est alors que commence à se développer le principal vecteur de ce nouvel internationalisme, que l'on pourrait qualifier comme « Mouvement de résistance globale » - et qui fut faussement qualifié par la presse comme le mouvement « anti-mondialisation » ou « globalophobe ». C'est ce « mouvement des mouvements » qui va donner naissance aux mobilisations de Prague, Stockholm, Bruxelles, Bangkok, Washington, Barcelone, Gênes et, plus récemment, Florence - avec la participation d'un million de manifestants - ainsi que du Forum Social Mondial de Porto Alegre (2001, 2002, 2003), du Forum Social Européen (2002) et d'autres assemblées du même genre à l'échelle locale, nationale ou continentale.

Ce mouvement « alter-mondialiste » - pour un autre monde - est fort large et, nécessairement, hétérogène. Mais il surgit immédiatement avec un caractère mondial, international, internationaliste. Malgré sa diversité, il s'est unifié au travers de quelques principes fondamentaux: « le monde n'est pas une marchandise », « un autre monde est possible », « non à la guerre », etc. Ce sont des principes très généraux, mais s'ils sont défendus sérieusement, ils possèdent alors un potentiel subversif profond. L'unité se réalise également autour de revendications concrètes: abolition de la dette des pays du Sud, suppression des paradis fiscaux, imposition d'une taxe sur les transactions financières, moratoire sur les produits transgéniques, etc. (la liste est assez longue). Il existe, enfin, un large consensus dans l'identification de l'adversaire; le néolibéralisme, le FMI, la Banque Mondiale, l'OMC, l'impérialisme étasuniens. Sur les alternatives à l'ordre dominant, il existe un large panel de réponses qui vont de la « régulation » du système jusqu'à sa transformation révolutionnaire et socialiste.

La diversité peut être un obstacle mais elle est également une richesse. Dans le Mouvement de résistance globale participent des syndicalistes, des féministes, des marxistes, des anarchistes, des écologistes, des chrétiens pour la libération, des socialistes de diverses tendances, des mouvements paysans, indigènes et populaires, des ONG, des intellectuels et de nombreux jeunes, femmes et travailleurs qui n'ont aucune affiliation à un parti ou à une organisation mais qui ont envie de protester, de lutter et de discuter avec d'autres. Le mouvement est une occasion unique pour la rencontre, le débat, l'apprentissage mutuel - un processus d'échange mutuel culturel dans lequel chacun, sans abandonner ses idées et ses convictions, découvre celles des autres et tente de les intégrer dans sa réflexion et sa pratique.

Du mélange et de la fusion de tous ces ingrédients est en train de naître un cocktail explosif; la nouvelle culture internationaliste du Mouvement de résistance globale. Évidemment, ce processus n'en est qu'à ses débuts, mais si nous sommes encore loin d'avoir une orientation commune, on perçoit par contre la formation d'un esprit commun dans le mouvement, radical, combatif et hostile à la récupération institutionnelle.

Le Mouvement de résistance globale, ou du moins son expression la plus organisée, le Forum Social Mondial (FSM), compte déjà avec un certain degré d'organisation internationale. Il existe un Comité exécutif international du Forum et il s'est formé un Forum Parlementaire International. Mais ces organismes, comme le Forum lui-même, sont très hétérogènes, et ils ne fonctionnent pas comme une force politique internationale. Leur objectif est plus limité: l'organisation du FSM et des Forums continentaux. Plus important est le réseau des mouvements sociaux - parmi lesquels Via Campesina (qui comprend le Mouvement des Sans Terre - MST - brésilien ou la Confédération paysanne française); la Centrale Unique des Travailleurs du Brésil (CUT), le mouvement international ATTAC, etc. Ce sont eux qui constituent les principales forces au sein du FSM et qui produisent, à la fin de ce dernier, des documents (les « Appels des mouvements sociaux ») qui comportent quelques éléments d'analyse politique - anti-impérialistes, anti-libéraux - et un appel à des initiatives, des campagnes et des mobilisations communes.

Sommes-nous ici virtuellement en présence d'une « Ve Internationale »? Non, et pour deux raisons évidentes: 1) Il s'agit ici de mouvements sociaux et non d'organisations politiques avec des projets de transformation sociale globale. 2) Le Mouvement de résistance globale et ses instances sont beaucoup trop hétérogènes - et il doit en être ainsi - puisqu'ils comprennent des secteurs qui croient en la possibilité d'un capitalisme « régulé », « humanisé » ou « national/démocratique », etc. C'est cette même hétérogénéité que nous retrouvons également dans le Forum Parlementaire International.

Ce qu'il manque pour une véritable Internationale, c'est un réseau d'organisations politiques - partis, fronts, mouvements - qui puisse proposer, au sein du Mouvement, un projet alternatif au-delà du capitalisme et la perspective d'une société nouvelle, sans oppresseurs ni opprimés. Quelque chose dans ce genre commence déjà à exister en Europe: il s'agit de la Conférence de la gauche anticapitaliste européenne dont font partie Refondation Communiste (Italie); la Ligue Communiste Révolutionnaire (France); le Bloc de Gauche (Portugal); l'Alliance Socialiste (Angleterre), le Parti Socialiste Ecossais; l'Alliance Rouge-Verte (Danemark) et plusieurs autres. Malgré leurs différences, ces courants partagent un même rejet de la globalisation capitaliste, des politiques néolibérales et des guerres impérialistes. Ils partagent également la même aspiration à une alternative « positive » anticapitaliste; anti-patriarcale, écologique et internationaliste: « une société socialiste et démocratique, sans exploitation du travail et sans oppression des femmes, basée sur un développement soutenable: un socialisme par en bas, autogestionnaire. » (Déclaration de la Conférence de la gauche anticapitaliste européenne de juin 2002).

Si l'on pouvait étendre cette expérience à d'autres continents et construire un réseau qui incluerait, de manière large, les sensibilités politiques les plus radicales du Mouvement de résistance globale, nous aurions alors notre « Nouvelle Internationale », qui ne devrait pas nécessairement s'appeler « Cinquième » car tous les courants intéressés ne se reconnaissent pas forcément dans l'histoire des internationales ouvrières et socialistes du passé. Elle pourrait s'appeler « Conférence Internationale de la gauche Anticapitaliste (CIA!) ou «Tendance pour une Nouvelle Internationale » (TNT...) ou quelconque autre nom que puisse inventer l'imagination créative de ses participants.

Cette nouvelle internationale pourrait intégrer - de manière séléctive - les apports positifs des quatre internationales prolétariennes. Elle serait l'héritière de Babeuf et de Fourrier, de Marx et de Bakounine, de Blanqui et d'Engels, de Rosa Luxemburg et de Lénine, d'Emma Goldmann et de Buenaventura Durruti, de Gramsci et de Trotsky, d'Emiliano Zapata et de José Carlos Mariatégui, d'Augusto César Sandino et de Farabundo Marti, d'Ernesto Che Guevara et de Camilo Torres, de Ho-Chi-Minh et de Nazim Hikmet, de Mehdi Ben Barka et de Malcolm X et de beaucoup d'autres encore. Mais sa principale référence serait les mouvements sociaux actuels, et en premier lieu le Mouvement de résistance globale au néolibéralisme.

De toutes les Internationales du passé, ce serait sans doute la Première qui lui donnerait le plus d'inspiration - bien que, évidemment, les conditions sociales et politiques d'aujourd'hui sont totalement différentes - car l'AIT fut un mouvement multiple, diversifié et démocratique dans lequel des opinions politiques distinctes ont pu converger dans la réflexion et dans la pratique. Cela ne signifie pas que la forme avec laquelle s'est constitué et a fonctionné l'AIT peut se reproduire aujourd'hui. Il est en effet impossible de prévoir la forme organisationnelle que pourrait avoir cette nouvelle force internationaliste - fédération décentralisée, réseau organisé ou simplement conférence avec des réunions périodiques? Une chose est sûre du moins, elle devra nécessairement être flexible, ouverte et sans structures bureaucratiques formelles. Idéalement, elle ne comprendrait pas seulement des partis ou des fronts, mais également des revues de gauche, des groupes de chercheurs, des organisations du mouvement social, des intellectuels.

Comment pourrait-on délimiter le champ politico-social de cette nouvelle internationale? Il me semble évident que l'anti-impérialisme et l'anticapitalisme - c'est à dire la conviction que la suppression du capitalisme en tant que système mondial est la condition nécessaire, bien qu'insuffisante, pour abolir les injustices sociales, l'exploitation et les oppressions - sont des critères essentiels. La perspective d'une nouvelle société, libre, démocratique, égalitaire, solidaire, écologique, féministe - qui, pour nous est une société dénommée socialiste, mais cela peut être une question ouverte - est un autre élément essentiel. Mais c'est dans le processus même de formation de ce réseau ou de cette fédération que se définiront les bases communes et la plate-forme politique de la Nouvelle Internationale.

L'une des premières tâches de ce courant serait de contribuer au développement, au renforcement, à l'élargissement et à la radicalisation du grand Mouvement de résistance globale, en agissant en son sein de manière unitaire, démocratique et respectueuse de sa diversité.

Au-delà des divergences, la nouvelle internationale aura beaucoup de choses à apprendre avec l'expérience zapatiste. Avant tout, avec l'esprit de révolte, d'anti-conformisme, d'opposition irréconciliable avec l'ordre établi. La Rencontre « Intergalactique » de 1996 avait définit le combat contre le capitalisme néolibéral - c'est à dire contre la marchandisation du monde et de l'être humain lui-même - comme un objectif commun à tous les exclus et opprimés, aux travailleurs, aux paysans, aux indigènes, aux femmes, bref, virtuellement à toute l'humanité victime de la folie néolibérale. Cette lutte est ainsi une lutte pour l'humanité, c'est à dire pour la dignité des êtres humains: un concept qui a à voir avec l'humanisme révolutionnaire de Marx et du Che Guevara, mais aussi avec l'expérience des communautés indigènes du Chiapas.

Un autre grand apport de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) est l'articulation entre le local - la lutte des indiens du Chiapas pour leur autonomie -; le national - le combat pour la démocratie au Mexique et contre la domination impérialiste étasunienne -; et l'international - la guerre contre le néolibéralisme et pour l'humanité. Dans la réflexion et dans la pratique des zapatistes, ces trois moments sont intimement associés dans le cadre d'une vision beaucoup plus dialectique que la pauvre formule de quelques ONG: « pensez global, assigez local ».

En dernier lieu, le zapatisme apporte à l'internationalisme du XXIe siècle un nouvel universalisme, non plus abstrait et réducteur, mais qui repose sur la reconnaissance des différences: l'aspiration pour « un monde qui contienne beaucoup de mondes ».

Par où devons-nous commencer? Comme le soulignait notre camarade Daniel Bensaïd (dans son livre « Les Irréductibles: Théorèmes de la résistance à l'air du temps », Textuel, 2001), le point de départ est la force irréductible d'indignation, le rejet inconditionnel de l'injustice, la non-résignation: « L'indignation est un début. Une façon de se mettre debout et de commencer à marcher. On s'indigne, on se révolte, et puis on voit »

Si nous parvenons à unir les forces qui, au quatre coins du monde, sont motivées par l'indignation contre le système existant, la rébellion contre les puissants et l'espérance d'un autre monde possible, nous aurons alors les composantes d'une Nouvelle Internationale - avec ou sans numéro.

Voir ci-dessus