Les travailleurs et la patrie
Par Roman Rosdolsky le Dimanche, 16 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Roman Rosdolsky est surtout connu pour son livre magistral sur les Grundrisse de Marx. Mais il fut de formation et de vocation plutôt historien, et a laissé de nombreux travaux historiques marxistes d'une grande valeur, notamment sur la question nationale en Europe centrale au moment de la révolution de 1848 (ouvrage qui, nous l'espérons, paraîtra bientôt en français), sur l'absolutisme de Joseph II, Empereur d'Autriche, et sur les conséquences en Autriche de l'agitation de Trotsky au moment des négociations de la Paix de Brest-Litovsk. L'article que nous publions ci-dessous donne la mesure de Rosdolsky en tant qu'historien marxiste engagé.

Roman Rosdolsky est surtout connu pour son livre magistral sur les Grundrisse de Marx. Mais il fut de formation et de vocation plutôt historien, et a laissé de nombreux travaux historiques marxistes d'une grande valeur, notamment sur la question nationale en Europe centrale au moment de la révolution de 1848 (ouvrage qui, nous l'espérons, paraîtra bientôt en français), sur l'absolutisme de Joseph II, Empereur d'Autriche, et sur les conséquences en Autriche de l'agitation de Trotsky au moment des négociations de la Paix de Brest-Litovsk. L'article que nous publions ci-dessous donne la mesure de Rosdolsky en tant qu'historien marxiste engagé.

Le passage dont il sera question ici est celui dans lequel les auteurs du Manifeste dépeignent le rapport du prolétariat à la patrie. Voici ce passage : «En outre, on accuse les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n 'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit, en premier lieu, conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe nationalement dirigeante, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot.

Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qui y correspondent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation. Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation. En même temps que l'antagonisme des classes à l'inférieur de la nation, l'hostilité des nations entre elles disparaîtra.»

Et quelques pages plus haut, il est dit : «La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu'elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, en revêt cependant tout d'abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie.»

Les phrases ci-dessus ont été citées d'innombrables fois dans la littérature socialiste le plus souvent pour fonder sur elles l'attitude négative du mouvement ouvrier envers le patriotisme et le chauvinisme bourgeois. Mais on a aussi parfois cherché à affaiblir le langage vigoureux de ces phrases et de leur attribuer un sens nationaliste opposé.

Le théoricien social-démocrate allemand connu H. Cunow nous servira ici d'exemple. Dans son livre «La théorie de Marx de l'histoire, de la société et de l'Etat», il traite entre autres aussi des passages ci-dessus. Selon lui, Marx et Engels voulaient, par leurs développements, simplement dire :

«Aujourd'hui (1848), l'ouvrier n'a pas de patrie, il n'a aucune part propre dans la vie de la nation, il est encore exclu de ses biens matériels et spirituels. Mais la classe ouvrière acquerra un jour le pouvoir politique et occupera une position dominante dans l'Etat et dans la nation, et alors quand elle se sera dans une certaine mesure (!) elle-même constituée en tant que nation, elle sera aussi nationale et se sentira nationale, même si son nationalisme sera d'une autre nature que celui de la bourgeoisie.»

Cette interprétation de Cunow s'effondre sur un petit mot, vraiment le tout petit mot «encore» («Comme le prolétariat... deviendra lui-même la nation, il est encore par là national») qui, en fait, signifie tout un monde et différencie l'internationalisme prolétarien du nationalisme bourgeois.

L'interprétation de Cunow a fait école dans le camp réformiste ; mais, après la Deuxième Guerre mondiale, elle aussi a trouvé accès dans les cercles communistes. Ainsi, dans l'"introduction" à l'édition du Manifeste parue en 1946 aux éditions StemVerlag de Vienne, nous lisons :

«Lorsque Marx dit dans le Manifeste communiste ; "Comme le prolétariat doit, en premier lieu, conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe nationalement dirigeante, il est encore par là national", nous nous trouvons précisément aujourd'hui à l'époque où la classe ouvrière se présente nationalement comme la colonne vertébrale de la nation dans la lutte contre le fascisme et pour la démocratie. La classe ouvrière d'Autriche lutte à présent avec tout le peuple laborieux pour conquérir sa patrie autrichienne par la création d'une Autriche indépendante, libre et démocratique.».

Il est évident que cette interprétation est tout à fait la même que celle de Cunow, elle renchérit même sur elle. En totale opposition à ces tentatives d'interprétation nationalistes, on trouve l'explication des phrases mentionnées du Manifesté dans l'essai de Lenine, « Karl Marx »:

«Les nations sont le produit inévitable et la forme inévitable de l'époque bourgeoise du développement de la société. La classe ouvrière ne pourrait se renforcer, entrer dans l'âge adulte sans "se constituer elle-même en nation", sans être "nationale" (quoique nullement au sens bourgeois du mot). Mais le développement du capitalisme détruit de plus en plus les limites nationales, anéantit l'isolement national et remplace les antagonismes nationaux par les contradictions de classe. Dans les pays impérialistes développés, il est par conséquent tout à fait vrai que "les prolétaires n’ont pas de patrie" et que "l'action unie" du prolétariat, du moins des pays civilisés, est une des premières conditions de son émancipation.»

Cette interprétation de Lénine, tout en étant par son contenu bien dans l'esprit du marxisme, n'est toutefois également pas satisfaisante. Une chose apparaît aussitôt ici : tandis que, dans le Manifeste, le prolétariat est, même après la conquête du pouvoir étatique, «encore national», l'«être national» de la classe ouvrière chez Lénine s'applique seulement aux débuts du mouvement ouvrier, avant que la classe ouvrière soit entrée dans son «âge adulte». C'est seulement dans le capitalisme développé que les ouvriers n'auraient, selon Lénine, «pas de patrie» !

Restons-en là sur les interprétations à ce jour des phrases mentionnées du Manifeste. Il peut peut-être ne pas paraître surprenant que l'on ait cherché à baser la signification de ces phrases sur des interprétations de celles-ci. Beaucoup plus surprenant est cependant le fait qu'elles soient devenues avec le temps une sorte d'article de foi d'où découlaient des mots d'ordre programmatiques de très grande portée sans que, dans la plupart des cas, on ne se soit donné beaucoup de peine sur le véritable sens de ces phrases. Cela est particulièrement vrai pour la phrase selon laquelle les ouvriers n'auraient pas de patrie. Plus il semblait simple de la répéter avec persévérance, et plus il était difficile d’expliquer cette phrase apparemment simple et de la mettre à l'unisson de la praxis des partis socialistes (et plus lard aussi des partis communistes). Cette praxis semblait démentir toujours plus fréquemment les auteurs du Manifeste.

Quel est donc le sens réel des déclarations en question du Manifester ? Pourquoi la classe ouvrière n'a-t-elle «pas de patrie» et pourquoi, malgré cela, restera-t-elle provisoirement «encore nationale» après sa conquête du pouvoir? Pour répondre à ces questions, il est, a notre avis, tout d'abord nécessaire de soumettre à un examen la terminologie du Manifeste.

On sait que les termes «nation» et «nationalité» ne sont pas employés toujours et partout dans le même sens. Tandis que, par exemple, en Angleterre et en France, on entend d'ordinaire par «nation» la population d'un Etat et par le mot «nationalité» tantôt le synonyme d'appartenance a un Etat, tantôt la désignation d'une communauté ethnique-linguistique («peuple»), chez nous les deux termes sont appliqués à des communautés ethniques-linguistiques (3).

Marx et Engels ont, notamment dans leurs écrits de jeunesse, presque toujours suivi l'usage des langues anglaise et française. Par le terme «nation» se trouve désigné chez eux le plus souvent la population d'un Etat, c'est-à-dire une communauté qui possède son propre Etat (4). (Par exception, ce terme est appliqué chez eux aussi à des peuples "historiques", comme par exemple la Pologne, dont l'Etat a été déchu). La «nationalité», par contre, signifie pour eux : a) l'appartenance à un Etat ou à un peuple-Etat (Staatsvolk), la «condition» d'un peuple-Etat, d'une nation au sens politique (5) ; la communauté ethnique-linguistique, c'est-à-dire l'appartenance à une telle communauté. C'est pourquoi ils emploient presque exclusivement ce terme quand il s'agit de peuples «sans histoire» comme les Slaves d'Autriche (Tchèques, Croates, Ukrainiens, etc.) ou de «fragments de peuple» (comme les Celtes, les Bretons, les Basques). Précisément, cette conception de la «nationalité », en opposition à la «nation» comme désignation d'un peuple-Etat «historique», est particulièrement caractéristique de la terminologie de Marx et Engels. En voici quelques exemples :

«Les Celtes des Highlands et les Gallois, écrivait Engels en 1866 dans la publication « The Commonwealth », se différencient sans aucun doute par la nationalité des Anglais, mais il n'est venu à l'idée de personne de désigner comme nations ces restes de peuples disparus depuis longtemps ou même les habitants celtiques de la Bretagne en France.»

Mais, des Slaves d'Autriche, il dit dans son article «L'Allemagne et le panslavisme» (1855) :

«Les Slaves d'Autriche se divisent en deux catégories. Une partie d'entre eux est composée de fragments de nationalités dont la propre histoire appartient au passé et dont le développement historique actuel est lié à celui de nations de races et de langues différentes... Par conséquent, ces nationalités, bien que vivant exclusivement sur le territoire autrichien, ne sont aucunement constituées en nations différentes »

Encore un autre passage : «Ni la Bohême ni la Croatie n’étaient assez fortes pour exister comme nations indépendantes. Leurs nationalités, minées peu à peu par le jeu des causes historiques grâce auxquelles elles sont fatalement absorbées par des populations plus énergiques, ne pouvaient espérer recouvrer une certaine indépendance que par l'alliance avec d autres nations slaves.» (6).

On peut donc voir par la phrase citée du « Commonwealth » dans laquelle il fonde la déférence et l'opposition entre "question nationale" et "question des nationalités" et principe national et "Principe des nationalités", le grand poids qu'Engels attribuait à la délimitation terminologique des notions "nation" et "nationalité". Le premier principe est seul affirmé par lui, le second par contre, est résolument repoussé.

Dans le Manifeste Communiste, on trouve aussi plusieurs exemples de l'usage exposé par nous du vocabulaire. Par exemple, quand le Manifeste parle des «industries nationales» auxquelles le développement du capitalisme coupe l'herbe sous le pied il est visible qu'il s'agit là des industries limitées au territoire d'un Etat donné. Il faut comprendre naturellement dans le même sens les «fabriques nationales» mentionnées à la fin de la deuxième partie.

Egalement dans la phrase : «Des provinces indépendantes tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, un seul intérêt national de classe derrière un seul cordon douanier», le mot «nation» (tout comme le mot «national») se rapporte à l'Etat, au peuple-Etat et non à la nationalité au sens ethniquement linguistique. Enfin, quand Marx et Engels parlent dans le Manifeste d'une lutte «nationale» du prolétariat, cela signifie tout autre chose que ce que pensent les commentateurs réformistes et néo-réformistes du Manifeste. Cela résulte déjà du passage suivant qui décrit le devenir de la lutte de classe prolétarienne :

«La lutte est engagée d'abord, y est-il dit, par des ouvriers isolés, ensuite par les ouvriers d'une même fabrique, enfin par les ouvriers du même métier, dans une même localité contre le bourgeois qui, directement, les exploite... Or, il suffit de cette prise de contact pour transformer les nombreuses luttes locales, qui revêtent partout le même caractère, en une lutte nationale à direction centralisée, en une lutte de classes.» Ici, la lutte «nationale» du prolétariat (c'est-à-dire menée à l'échelle de tout l'Etat) est directement identifiée a la lutte de classe parce que seule une telle centralisation des luttes des ouvriers a l'échelle de l'Etat permet d'opposer les ouvriers comme classe à la classe bourgeoise et d'imprimer sur ces luttes mêmes le sceau de luttes politiques (7).

Pour revenir au passage cité au début de cet article, en caractérisant la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie comme une lutte «en premier lieu nationale» Marx et Engels ont manifestement en vue une lutte menée en premier lieu dans le cadre d’un Etat. Cela découle clairement de la motivation de cette phrase selon laquelle «le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie». Mais, de ce point de vue, la phrase «s'ériger en classe nationale dirigeante», «devenir lui-même la nation», acquiert également une signification tout à fait définie (8).

En fait, elle ne dit rien d'autre que le prolétariat doit se dresser tout d'abord dans les frontières d'Etat existantes, s'ériger en classe dirigeante à l'intérieur des Etats existants. C'est pourquoi il sera «encore national», provisoirement, «quoique nullement au sens de la bourgeoisie» qui aperçoit son objectif dans les séparations politiques entre les peuples et dans l'exploitation des nations étrangères par sa propre nation. En opposition à cela, la classe ouvrière victorieuse agira dès le début en vue d'éliminer les séparations nationales et les oppositions entre les peuples et créera par sa domination les prémisses pour que disparaissent, «avec l'opposition des classes au sein de la nation», en même temps aussi «les attitudes hostiles des nations les unes envers les autres».

De ce point de vue, et seulement de ce point de vue, peut-il être question en général de «l'abolition» ou de «l'annihilation» de la nationalité - dans la mesure où il faut comprendre par cela non l'élimination de la formation linguistique-ethnique existante (ce qui serait tout-à-fait insensé !) mais au contraire des séparations politiques entre les peuples (9). Dans une société où, selon les termes du Manifeste, «l'autorité publique perd son caractère politique», où l'Etat en faut que tel «dépérira», il ne peut en tout cas plus y avoir de place pour des Etats nationaux distincts !

L'examen de la terminologie du Manifeste s'est donc avéré, comme nous le pensions, être fructueuse. Il nous montre que les phrases qui étaient en question concernaient avant tout la «nation» et la «nationalité» au sens politique et, pour cette raison, ne pouvaient pas bien s'accorder avec les interprétations présentées jusqu'alors. Cela concerne en particulier l'interprétation tout à fait arbitraire et sophistiquée de Cunow qui veut déduire précisément du Manifeste un «nationalisme prolétarien» spécifique et réduire la nature internationale du mouvement ouvrier à une aspiration vers la coopération internationale des peuples (10).

Mais on peut tout aussi peu conclure du Manifeste qu'il y est question d'un «nihilisme» du prolétariat envers la question nationale, ni prêcher son indifférence envers les mouvements nationaux: «l'inexistence de la patrie» dont il parle concerne l'Etat national bourgeois, mais pas le peuple, la nationalité au sens ethnique. Les ouvriers n'ont «pas de patrie» parce qu'ils doivent considérer l'Etat national bourgeois comme une machine d'oppression dirigée contre eux (11) ; ils n'auront «pas de patrie» (au sens politique) aussi après la prise du pouvoir dans la mesure où, selon Marx, les Etats nationaux socialistes distincts ne représenteront qu'une étape transitoire sur la voie de la société sans classe et sans Etat de l'avenir et que la construction de cette société n'est possible qu'à l'échelle internationale.

L'interprétation «indifférente» du Manifeste, telle qu'elle était usuelle dans les cercles marxistes «orthodoxes» (12) n'est donc nullement justifiée. Si, malgré cela, cette interprétation grosso modo a peu porté préjudice au mouvement socialiste, et même l'a fait avancer, cela tenait à ce qu'elle reflétait fût-ce sous une forme défigurée la tendance cosmopolite (12) inhérente au mouvement ouvrier révolutionnaire, à son aspiration à surmonter la «limitation nationale» et les «séparations nationales et les oppositions des peuples». Dans ce sens, elle est incomparablement plus près de l'esprit du Manifeste et du marxisme que l'interprétation nationaliste bornée de Bernstein, Cunow et autres.

Quatrième Internationale n°1, 38e année, juillet-août-septembre 1980

(1)Cunow n'était pas vraiment le premier qui interprétât le Manifeste dans ce sens. Comme beaucoup d'autres novations réformistes, celle-ci remonte au père du réformisme. Edouard Bernstein. Dans son article «La Social-démocratie allemande et tes Troubles de Turquie», Die Neue Zelt, 1896-97, n0 4, p. 111), nous lisons : «La phrase selon laquelle le prolétaire n'a pas de patrie est modifiée à partir du moment et dans la mesure où celui-ci a, comme citoyen à droits entiers, le droit de participer au gouvernement et à la législation de son pays et de pouvoir modifier les structures de celui-ci selon ses désirs. »

(2)Que la classe ouvrière d'Autriche, à qui ladite «patrie autrichienne» fut imposée par la victoire des Alliés, peut quelque peu lutter pour la réalisation du socialisme n'entre pas dans l'esprit de l'auteur de«l'introduction».

(3)«La notion de nation, écrit Kautsky, est également difficile à délimiter. La difficulté n 'est pas diminuée par le fait que deux structures sociales sont désignées par le même mot et la même structure par deux mots différents. En Europe occidentale, avec sa vieille culture capitaliste, la population de chaque Etat se sent solidement liée à lui. On y désigne comme nation la population d'un Etat. Dans ce sens, on parle par exemple d'une nation belge. Plus on se dirige vers l'Est de l'Europe, plus nombreuses deviennent les parties de la population d'un Etat qui ne veulent pas lui appartenir et qui constituent dans celui-ci des communautés nationales. On les nomme aussi bien «nations» que «nationalités». Il serait bien plus approprié d'appliquer à ces communautés cette dernière désignation» (La Conception matérialiste de l'Histoire).

(4)Une signification qui correspondrait au plus près de la définition de Fr. Naumann : dans le sens politique «La nation caractérise l'ensemble des citoyens d'un Etat. ...à savoir spécialement d'un tel Etat civilisé dont la population par son noyau constitue une nation (au sens propre et originel du mot) ou...qui apparaît capable de créer une nation au sens propre.» (Volk und Nation, 1888).

(5)En 1943 Marx écrit : «Tandis qu'en Angleterre et en France le problème est économie politique ou domination de la société sur la richesse, en Allemagne il est : économie nationale ou domination de la propriété privée sur la nationalité». Par «nationalité» n'est certainement pas entendu ici une structure ethnique-linguistique. Comparer Marx Discours sur la Pologne du 22 février 1848 : «Les trois puissances (c'est-à-dire la Prusse, l'Autriche et la Russie) ont marché avec l'histoire. En 1846, lorsqu'on incorporant Cracovie à l'Autriche ils confisquèrent les derniers débris de la nationalité polonaise...» Là aussi, comme en beaucoup d'autres endroits, chez Marx et Engels «nationalité» ne signifie rien d'autre que la citoyenneté.

(6)«Révolution et contre-révolution en Allemagne.

(7)Cf. l'Idéologie allemande : «La bourgeoisie, parce qu 'elle est une classe et n 'est plus un ordre, est déjà obligée de s'organiser nationalement et non plus locale-ment. et de donner une forme générale à ses intérêts moyens. »

(8)Dans la traduction anglaise, revue par Engels, du Manifeste de l'année 1888, la «classe nationale» est traduite par les mots «leading class of the nation».

(9)Dans ce sens, Engels écrit en 1846 : «Seuls les prolétaires peuvent supprimer la nationalité, seul le prolétariat s'éveillant peut faire fraterniser les différentes nations.» De même dans L'Idéologie allemande le prolétariat est caractérisé comme une classe qui «est déjà l'expression de la dissolution de toutes les classes, les nationalités, etc. au sein de la société actuelle», dans laquelle «la nationalité est déjà annihilée».

(10)Au comble de la déformation du Manifeste par Cunow on peut volontiers indiquer le passage suivant de son livre : «On peut tout aussi peu déduire du mot d'ordre "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous" (pour réaliser leur émancipation) que Marx avait voulu dire par cela que l'ouvrier se situe en dehors de communauté nationale, tout aussi peu que l'on pourrait dire que l'appel : "Journalistes, médecins, philosophes, etc. unissez-vous en associations Internationales pour la réalisation de vos tâches et que les adhérents de ces associations professionnelles ne devraient pas se sentir liés à leur nationalité."» (op. cité) Cf. La Critique de Marx du Programme de Gotha dont le point 5 disait : «La classe ouvrière travaille à son affranchissement tout d'abord dans le cadre l'Etat national actuel, sachant bien que la conséquence nécessaire de son effort, qui est commun aux ouvriers de tous les pays civilisés, sera le fraternité internationale des peuples. » Ce sur quoi Marx écrivit : «Contrairement au Manifeste Communiste et à tout le socialisme antérieur, Lasalle avait conçu le mouvement ouvrier du point de vue le plus étroitement national. On le suit sur ce terrain et cela après l'action de l'Internationale ! Il va absolument de soi que, pour pouvoir lutter d'une façon générale, la classe ouvrière doit s'organiser chez elle en tant que classe et que l'intérieur du pays est le théâtre immédiat de sa lutte. C'est en cela que sa lutte de classe est nationale, non pas quant à son contenu, mais comme le dit le Manifeste Communiste, "quant à sa forme". Mais le "cadre de l'Etat national actuel", c'est-à-dire de l'Empire allemand, entre lui-même à son tour, économiquement "dans le cadre du marché mondial", politiquement "dans le cadre du système des Etats". Le premier marchand venu sait que le commerce allemand est en même temps commerce extérieur et la grandeur de M. Bismarck réside précisément dans une sorte de politique internationale. Et à quoi le parti ouvrier allemand réduit-il son internationalisme ? A la conscience que le résultat de son effort "sera la fraternité internationale des peuples " - phrase empruntée à la bourgeoise Ligue de la liberté et de la paix, et qu 'on fait passer comme un équivalent de la fraternité internationale des classes ouvrières contre les classes dominantes et leurs gouvernements. Des fonctions internationales de la classe ouvrière allemande, pas un mot !

(11)Dans un de se cahiers de notes, Marx inscrivit le passage de Brissot de Warville : «II y a une observation que pressentent en premier lieu ceux qui veulent établir des programmes d'éducation pour le peuple, à savoir que rien de bon ne peut survenir alors que les 3/4 du peuple sont dépourvus de propriété, car sans propriété il n'y a pas de patrie, que sans patrie tout est contre lui et que, pour sa part, il doit être armé contre tous... Comme ceci est le luxe des 3/4 de la société bourgeoise, il s'ensuit que ces 3/4 ne peuvent avoir ni religion ni morale ni dévouement au gouvernement...» (traduit de l'allemand). (12) «Quand on utilise cette désignation (marxisme orthodoxe) on ne doit pas oublier qu 'elle a été forgée dans la polémique par les adversaires et que les "orthodoxes " ne repoussent pas...la critique en tant que telle mais seulement la 'critique" des éclectiques». (Lénine).

(12)Le cosmopolitisme passe cependant, depuis Staline, pour le pire vice bourgeois. Cependant un certain Fr. Engels avait soin de parler «des intérêts cosmopolites communs du prolétariat» (lettre à Sorge des 12-17 septembre 1874), et la société d'Engels nous est plus chère que celle de Staline et de ses successeurs.

Voir ci-dessus