Rapport sur la situation internationale
Par IVe Internationale le Vendredi, 20 Février 2004 PDF Imprimer Envoyer

Rapport sur la situation internationale. François Ollivier, membre du Bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, section française de la IVe Internationale), a présenté ce rapport au nom du Bureau exécutif lors du plénum de février 2004 du Comité international de la IVe Internationale.

Ce rapport s’inscrit dans le cadre des résolutions et des rapports du XVème congrès mondial.

Il résulte des discussions et de l’activité des principales sections de l’Internationale, de nos points forts mais aussi de nos limites et de nos faiblesses.

Ce rapport n’est pas un " tour du monde exhaustif " de l’ensemble des problèmes de la situation politique mondiale couvrant les cinq continents.

Il traite des points-clés de la conjoncture internationale, qui peuvent avoir des incidences sur les grandes questions d’orientation auxquelles nous sommes confrontés.

Avant d’aborder les nouveaux développements de la situation mondiale depuis le XVème congrès mondial, rappelons les points de repère qui marquent le cadre général de notre analyse de la période, enregistrés lord du dernier congrès de l’Internationale :

— L’approfondissement de la contre-réforme libérale, de ses effets socio-économiques et politiques.

— La non-stabilisation d’un " nouvel ordre mondial " et l’émergence de nouvelles contradictions du système capitaliste international : dimension armée de la mondialisation capitaliste, contradictions économiques liées à la domination du capitalisme financier, contradictions inter-impérialistes, crises sociales et politiques " nationales ".

— Crise de légitimité des politiques libérales, résistances sociales, et évolutions structurelles du mouvement ouvrier traditionnel et des partis nationalistes bourgeois.

— Nouveaux espaces pour la construction de partis de la gauche radicale anticapitaliste et des courants ou organisations marxistes révolutionnaires.

1.La guerre en Irak

1.1. Une guerre qui structure la situation politique mondiale

La guerre d’Irak a confirmé :

— La mondialisation libérale : inextricablement, organiquement, liée à la mondialisation armée, elle se traduit par le recours à la force armée comme mode de gestion ordinaire des affaires internationales, d’où les notions de " guerre préventive " ou de " guerre illimitée ".

— Les enjeux stratégiques pour l’impérialisme américain : enjeux pétroliers, occupation de places fortes au Moyen-Orient et aux portes de l’Asie, nouvelles formes de colonisation, réalignements des puissances impérialistes sur les intérêts américains.

— La suprématie militaire des États-Unis, dopée par l’augmentation des budgets d’armement.

Il s’agit, pour les États-Unis, dans un monde où les formes de domination sont plus que jamais différenciées et hiérarchisées, de dominer les processus de création et d’appropriation de la valeur et des richesses.

1.2. L’enlisement irakien

Mais cette entreprise de domination se heurte à des contradictions.

L’occupation militaire américaine en Irak débouche aujourd’hui sur le chaos. Si la production de pétrole est remontée à 2,8 millions barils, plus que le niveau de production pétrolière sous l’embargo, la société irakienne se disloque : 70% de la population est au chômage, explosion de la pauvreté, disparition de l’aide alimentaire, résistance des partis politico-religieux, développement de formes de résistance militaire.

Actuellement, l’hypothèse la plus probable est celle d’un enlisement des États-Unis . Tout en prenant en compte les différences avec l’intervention américaine au Vietnam, la presse américaine commence à évoquer le " spectre " d’un nouveau Vietnam. Les développements de la situation aux États-Unis, même dans l’opinion publique et les classes populaires, jouent aussi dans ce sens : inquiétude sur la durée de l’occupation militaire, nombres de soldats tués, craintes d’une nouvelle conscription pour envoyer de nouveaux contingents...

2.Le développement des contradictions inter-impérialistes

2.1. La guerre en Irak , un point tournant ?

Ces contradictions ont explosé lors de la guerre en Irak. Elles tracent les grandes tendances de redéfinition des rapports mondiaux, entre les États et les peuples, les rapports entre l’Europe et l’Amérique, les relations entre les États-Unis, la Russie et la Chine.

Du côté américain, il s’agit de remettre en cause ce qu’on appelle, ce qu’il est convenu d’appeler, le " multilatéralisme ", un certain type de relations internationales, au travers d’institutions internationales – ONU, UNESCO, OMC, Banque mondiale, FMI. Ces organismes sanctionnent les rapports de forces mondiaux au profit des puissances impérialistes et constituent autant d’instruments de leur domination. Mais certains sont grippés par les contradictions internes au système.

Du côté européen, il ne s’agit pas d’une résistance de la " vieille Europe ", mais, schématiquement, d’une opposition entre deux axes : le premier autour de l’alliance franco-allemande qui s’oppose aux États-Unis….et le deuxième, autour de la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark et les pays de l’Est soutenant les États-Unis… Opposition schématique car les lignes peuvent bouger. Mais les contradictions États-Unis-Europe se combinent à des contradictions inter-européennes.

2.2. Signification et limites de ces tensions

Ces contradictions vont au-delà des conflits apparus pendant la guerre d’Irak. Elles expriment, sous les impératifs de la contre-réforme libérale, l’acuité des contradictions économiques, tant dans des secteurs-clés de l’économie — sidérurgie, industrie aéronautique, secteur agro-alimentaire — que dans les rapports entre la zone dollar et la zone euro. Elles traduisent aussi des conflits géopolitiques entre la domination américaine et les positions européennes

De nouvelles oppositions apparaissent entre les États-Unis, la Russie, la Chine mais aussi entre les États-Unis et de nouvelles " puissances " émergentes, telles que le Brésil ou l’Inde.

Sans oublier les oppositions armées entre puissances capitalistes avec les " capacités nucléaires " de certains États.

La nouvelle situation mondiale est lourde de tendances centrifuges contenues des années durant par un système d’équilibres entre l’impérialisme et la bureaucratie soviétique.

Elles expriment une des contradictions internes au système capitaliste. Elles n’ont pas l’importance des contradictions entre puissances impérialistes à la veille de la première et deuxième guerre mondiale. Ce n’est pas la première fois qu’apparaissent, lors de crises internationales, des conflits entre États capitalistes (les oppositions entre la politique américaine et celle de De Gaulle, dans les années soixante). Il ne faut pas en surestimer la portée parce que ces contradictions sont contenues par une intelligence bien comprise des intérêts fondamentaux des uns et des autres. Ainsi, si les États-Unis ont agi unilatéralement en Irak, si la France et l’Allemagne se sont opposées au passage en force américain pour la reconstruction de l’Irak, l’administration Bush ne peut s’exonérer de la coopération des autres puissances impérialistes, sous l’égide de l’ONU, en particulier.

Mais, contrairement à la vision du monde de ceux qui tablaient, après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, sur la construction d’un nouvel ordre mondial, d’une stabilisation socio-économique et politique, d’une diminution des contradictions de toutes sortes (de classes mais aussi entre États), la situation mondiale est marquée par l’augmentation des conflits et des désordres de toutes sortes.

Le monde est devenu de plus en plus ingouvernable pour les classes dominantes.

La guerre en Irak a révélé le caractère erroné de toute vision de la situation politique mondiale comme une nouvelle période de stabilisation historique. Elle infirme des notions comme celle de " super-impérialisme " — une domination sans contradictions d’un seul impérialisme, l’impérialisme américain — ou celle de " l’Empire ", un réseau de multinationales financières qui se substitueraient aux États. La guerre en Irak a confirmé la réalité des États impérialistes, de la domination de l’impérialisme américain mais aussi des contradictions inter-capitalistes.

Celles-ci ne sont pas les contradictions principales. Elles résultent des contradictions fondamentales, entre les peuples et les puissances impérialistes, entre les intérêts des classes dominantes et ceux des classes populaires.

Prendre en compte ces contradictions inter-capitalistes est fonctionnel, principalement pour les deux raisons suivantes :

a) Pour comprendre les espaces ouverts par les conflits et crises aux mobilisations sociales. Les contradictions au sein de l’OMC, par exemple, ont permis aux mouvements altermondialistes de redéployer leurs mobilisations. Durant la guerre contre l’Irak, les contradictions entre les États-Unis, d’une part, et la France et l’Allemagne, d’autre part, ont ouvert de nouveaux espaces aux mobilisations anti-guerre.

b) Pour combattre toute politique d’union sacrée autour des classes dominantes qui, au compte de leurs propres intérêts capitalistes, s’opposent à ceux de l’impérialisme dominant. Il est particulièrement important de s’opposer à toute politique de soutien du mouvement ouvrier ou syndical à une Europe-puissance qui serait un contre-modèle de civilisation démocratique opposé au modèle américain ou à d’autres modèles. Tout en utilisant les contradictions internes au système, notre objectif reste une politique d’unité et d’indépendance des classes populaires vis-à-vis de leurs classes dominantes.

Enfin ces oppositions créent des fissures, des tensions, des réévaluations. La prochaine élection présidentielle américaine sera un moment propice pour analyser le niveau de ces tensions. La politique de contre-réforme libérale et de mondialisation armée avait commencé avant l’administration Bush. N’oublions pas que le congrès américain — voix républicaines et démocrates mêlées — a approuvé, à l’unanimité moins une voix, l’intervention américaine. Mais les effets contre-productifs, les impasses, et les risques de déstabilisation de la politique du clan Bush sont aujourd’hui dénoncés par des secteurs des classes dominantes américaines. Ces tensions conduiront-elles à des réévaluations, à des changements d’administration ou seront-elles balayées ? C’est un des enjeux de l’élection américaine.

3. L’approfondissement de l’offensive capitaliste

Nous aborderons cette question au travers des développements de la politique économique américaine, de la construction européenne, et de la situation latino-américaine.

3.1. Quelques remarques sur la situation économique américaine

Les chiffres indiquent une reprise de la croissance en 2003. Cette nouvelle phase de croissance a des limites. Elle ne crée pas d’emplois. Les restructurations liées à la recherche de nouveaux gains de productivités, comme les incertitudes de cette reprise, ne conduisent pas à la création massive d’emplois. L’investissement industriel et informatique n’est pas au rendez-vous. Mais surtout, cette nouvelle phase de croissance est modelée par les déséquilibres fondamentaux de l’économie américaine. La croissance américaine est liée avant tout à la captation par les États-Unis de l’essentiel des flux de capitaux mondiaux sur la place de Wall Street.

Cette captation des capitaux mondiaux permet de compenser des déficits gigantesques : celui des comptes courants, le déficit budgétaire et indirectement le crédit à la consommation des ménages. La dette externe des États-Unis reste à des niveaux très élevés, près de 30 % du PIB. Les déficits augmentent sous la pression des budgets militaires et de la politique fiscale au service des plus riches.

Cette captation de capital mondial est liée aux rapports de forces politico-militaires des plus favorables pour la puissance américaine. Aussi le modèle de croissance économique américain ne peut être exporté. Plus, cette pression financière sur l’économie américaine implique, à l’extérieur, de renforcer la concurrence au profit des groupes financiers et industriels américains, et, à l’intérieur, d’accentuer l’exploitation des travailleurs pour assurer un taux de profit et de rentabilité optimum. D’où une pression accrue sur les salaires, une réduction des budgets publics, des restructurations visant à la suppression d’emplois dans des secteurs stratégiques comme l’automobile ou au développement de la sous-traitance.

3.2. L’accélération de la contre-réforme libérale en Europe

Les impératifs propres aux classes dominantes des pays d’Europe et les effets de la concurrence internationale, en particulier Europe-Amérique, poussent les gouvernements européens à porter une nouvelle attaque contre les salariés et les chômeurs : démantèlement de l’État social, éclatement de la Sécurité sociale en France et en Allemagne, réformes des retraites, déréglementation des relations sociales, remise en cause du code du travail en France

Cette politique est menée aujourd’hui par des gouvernements de droite — comme ceux de Raffarin en France, Aznar en Espagne, Berlusconi en Italie — mais aussi des gouvernements de gauche sociaux-libéraux — le gouvernement Blair en Grande-Bretagne et Schröder en Allemagne, gouvernement SPD-Verts.

Cette nouvelle attaque durcit les conditions des luttes de classes. Elle conduit à réduire l’État social pour plus d’État pénal, plus de répression contre les travailleurs, les immigrés et leurs organisations et associations. Elle pousse les coalitions des partis de droite à déployer des politiques autoritaires. Dans une situation de recul global d’un mouvement ouvrier traditionnel qui s’est adapté au libéralisme capitaliste, les partis fascistes ou néofascistes connaissent un développement notable. Dans une série de pays comme l’Italie ou l’Autriche, leur recyclage dans des coalitions de droite autoritaire renforce la politique d’attaque contre les classes populaires.

Sur le plan politique et institutionnel, les bourgeoisies européennes mènent aujourd’hui un débat pour évaluer le type d’instruments nécessaires pour assurer leur domination. L’échec des discussions de la convention Giscard montre les difficultés à unifier les projets de toutes les bourgeoisies dans un ensemble de vingt-cinq pays. Il montre par ailleurs, autour de l’axe franco-allemand, la volonté de certains secteurs bourgeois d’avancer dans la construction d’une " Europe-puissance " (1).

3.3. La crise latino-américaine

La situation latino-américaine est marquée par une profonde instabilité, la brutalité des politiques néolibérales, l’explosion de luttes et de mouvement sociaux, l’illégitimité, dans des secteurs importants de la population, de la contre-réforme libérale et des crises sociales et politiques " nationales ", dans le sens de crises généralisées.

Les pressions de l’administration américaine, combinées à celles des institutions internationales — FMI et Banque mondiale — contraignent les gouvernements à renforcer les politiques d’ajustement et de restructurations libérales. Le cadre imposé de la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) ou de la " ZLÉA light " favorise la partie nord-américaine dans la production et le commerce interaméricain, les exigences du paiement de la dette extérieure conduisent à réduire les budgets sociaux, à démanteler les services publics, à généraliser les privatisations.

La dernière réunion de la ZLÉA a vu l’ensemble des gouvernements latino-américains s’aligner sur les États-Unis, sauf le Venezuela de Chavez.

Le gouvernement Lula a confirmé la continuité des engagements de l’État brésilien avec le FMI. Il est même considéré comme un de ses meilleurs élèves.

En Argentine, le FMI poursuit son chantage à l’aide économique en exigeant de nouvelles restructurations de l’appareil administratif visant une plus grande rentabilité !!

En Bolivie, c’est la privatisation d’une des principales ressources naturelles qui est en jeu : le gaz naturel.

Le chaos en Haïti montre, de manière particulièrement saisissante, jusqu’où peuvent aller les conséquences combinées d’une domination impérialiste séculaire, d’une décomposition de l’État, et des derniers effets de la politique ultra-libérale.

Cette pression aggrave corruption et parasitisme dans les sommets des classes dominantes et des États. Les trafics politico-financiers, appuyés sur des maffias, sont partie intégrante de ce type de domination.

Cette nouvelle gouvernance interaméricaine, sous la pression des États-Unis, implique, là aussi, de gigantesques transferts de divers types de ressources vers les grands groupes impérialistes et leurs filiales. Le refus de ces transferts est un des ressorts des mobilisations populaires, en Bolivie (refus des privatisations du gaz) ou au Venezuela (contrôle de la production pétrolière).

Enfin l’instabilité produite par les chocs des politiques libérales implique un tournant dans la stratégie politico-militaire de l’impérialisme américain : stratégie de contre-insurrection en Colombie et au Venezuela, préparation de coup d’État en Bolivie, déstabilisation en Argentine et au Brésil. Là aussi, les impératifs économiques et stratégiques de la domination américaine rétrécissent de plus en plus les espaces et les marges de manœuvre des gouvernements, en particulier pour toutes les expériences de type " social-libérales "…

4. Les évolutions de la gauche traditionnelle ou du nationalisme bourgeois

4.1. Changements social libéral dans le mouvement ouvrier

Les changements du mode d’accumulation capitaliste et l’accélération des contre-réformes libérales ont provoqué et continuent à provoquer des changements structurels dans le mouvement ouvrier et dans les partis nationalistes traditionnels.

La logique interne des rapports mondiaux et des intérêts des classes dominantes de chaque pays exerce une telle pression sur les États et les gouvernements que les partis de la gauche gouvernementale se sont adaptés au libéralisme. Il n’y a pas de choix : si ces partis veulent gérer l’économie et les institutions capitalistes, ils doivent accepter les nouvelles règles du jeu…

Au gouvernement, ils sont les relais de la politique des classes dominantes et de leurs engagements vis-à-vis des institutions internationales ou de structures comme l’Union européenne ou l’Accord du libre-échange nord-américain (ALENA).

4.2. Des marges de manœuvre réduites

Les marges de manœuvres socio-économiques se rétrécissent. Il n’y a pas d’espace pour de nouvelles politiques keynésiennes, où une combinaison du développement des services publics, de l’augmentation des salaires, de la stimulation de la consommation des ménages pourrait relancer la demande.

Les gouvernements Jospin et Lula — même si le PS français et le PT brésilien ne sont pas de même nature — se sont adaptés à la logique de la contre-réforme libérale : réduction des budgets publics, politique fiscale pour les plus riches, privatisations, réforme de la sécurité sociale et des retraites, accord du gouvernement Lula avec les critères imposés par le FMI, notamment dans le remboursement de la dette extérieure.

Le nationalisme péroniste, au-delà de telle ou telle initiative contre l’administration

Bush, intègre sa politique dans le cadre des exigences du FMI.

Dans ce processus, ces partis connaissent des changements qualitatifs, changements de leur base sociale, décrochage de secteurs de l’électorat populaire, interpénétration de plus en plus forte avec les sommets du capital financier et de l’État. Ces changements structurels ne les rayent pas, pour autant, de la carte politique. Ces partis peuvent revenir ou se maintenir au pouvoir face à la crise des droites traditionnelles. Ils continuent à représenter des secteurs des classes populaires, ce qui continue à poser les problèmes d’unité d’action dans les luttes et dans les mouvements sociaux. Mais ces partis constituent, dans le cadre de l’alternance bourgeoise, un des instruments de domination des classes dominantes.

4.3. Une pression accrue sur les partis communistes et autres courants " anti-libéraux "

Cette pression s’exerce aussi sur les partis communistes qui ont tendance à connaître un déclin inexorable. Le PCF, le PCE, le PDS allemand ont maintenant accepté une " satellisation stratégique " par la social-démocratie. Cette tendance est encouragée par la politique d’intégration de la CES (Confédération européenne des syndicats) dans la construction de l’Europe libérale.

Fait nouveau, cette pression s’exerce aussi sur le parti de la Refondation communiste d’Italie, dont la direction est en train de définir une politique d’intégration dans une éventuelle coalition gouvernementale de centre gauche dirigée par Prodi, président de la très libérale Commission européenne.

Enfin, il faut noter les évolutions négatives de courants ou directions qui se réclamaient de " l’anti-libéralisme " sans se réclamer d’une politique anticapitaliste, d’unité et d’indépendance vis-à-vis de l’économie et des institutions capitalistes. Ces courants, face à la question du gouvernement ou du pouvoir, ont tendance à s’adapter à la logique de la " gouvernabilité capitaliste ". C’est le cas du gouvernement Lula au Brésil, de Lucio Gutierrez en Équateur qui a été jusqu’à appuyer la guerre de Bush en Irak, et aujourd’hui des oscillations d’Evo Morales en Bolivie.

5. Des résistances sociales qui se maintiennent

Malgré l’offensive capitaliste, les luttes sociales et démocratiques restent un des facteurs-clés de la situation politique mondiale. On peut noter une série de mobilisations et de luttes sociales qui ont pesé sur la situation.

5.1. Des luttes qui ont marqué la situation politique

Grande première, le 15 février 2003 a constitué une des grandes journées de mobilisation contre la guerre en Irak, à l’échelle mondiale. Plus de 10 millions de personnes ont manifesté à tous les coins de la planète.

Les mobilisations contre les conséquences des réformes néolibérales ont marqué la situation de nombreux pays : grèves contre les réformes des retraites en France et au Brésil, mobilisation pour la défense de la sécurité sociale en Allemagne, contre les déréglementations du marché du travail en Espagne et en Italie, grèves semi-insurrectionnelle en République Dominicaine pour une augmentation des salaires.

Mobilisation des mouvements paysans comme le MST brésilien pour l’occupation des terres, de mouvements de chômeurs comme les piqueteros en Argentine.

" Crises nationales " en Bolivie sur les questions de la privatisation des ressources naturelles ou de la terre, au Venezuela autour du pouvoir de Chavez, en Haïti pour renverser Aristide.

Développement de mouvements de masse en Irak contre l’occupation militaire américaine, le plus souvent, sous la direction des partis politico-religieux réactionnaires islamistes., développement d’autres formes de résistances sociales

Maintien de la résistance palestinienne à l’occupation militaire israélienne.

Enfin, il faut souligner les succès répétés des " forums sociaux mondiaux ". Dans une situation politique internationale difficile pour l’ensemble des mouvements sociaux, les " Forums sociaux " restent un point de repère pour les mobilisations populaires internationales, un lieu de convergences anti-libéral, anticapitaliste, anti-guerre, la démonstration pratique que l’on peut résister à la mondialisation capitaliste. Le succès du dernier Forum de Mumbai (Bombay) l’atteste. D’un certain point de vue, ces forums expriment, même si c’est de manière déformée, des rapports de forces plus globaux entre les classes, la volonté d’une série de secteurs des mouvements sociaux de résister aux attaques capitalistes.

5.2. Forces et limites des résistances sociales

Ces résistances sociales indiquent le niveau de réactivité des classes populaires face à la contre-réforme. Elles traduisent et nourrissent à leur tour une crise de légitimité des classes dominantes, de leurs États, gouvernements et institutions internationales, mais ces résistances n’inversent pas les tendances lourdes des rapports de forces mondiaux. Ces mouvements sociaux peuvent " gripper la machine ", mais ils se concluent le plus souvent par des reculs ou des défaites sociales et politiques pour le mouvement ouvrier. Ces luttes sont décisives pour réorganiser les mouvements sociaux mais ne produisent pas de croissance organique de syndicats, associations ou partis " réformistes " ou révolutionnaires ".

Il y a des éléments-clés de réorganisation dans ces luttes mais elles ne sont pas encore en mesure de créer les conditions pour modifier en profondeur les rapports de forces au sein du monde du travail comme entre les classes fondamentales. Des espaces s’ouvrent, laissés libres en particulier par l’évolution libérale de la social-démocratie, des partis nationalistes et le déclin accéléré des partis ex-staliniens, mais les forces radicales rencontrent encore des difficultés pour les occuper pleinement. Nous continuons à payer le prix des défaites du siècle passé, la reconstruction est longue.

6. Quelques pistes pour nos tâches politiques

Elles s’ordonnent autour de trois axes :

— une politique d’unité d’action ;

— des éléments de programme anticapitaliste ;

— des propositions de rassemblement de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire.

6.1. Unité d’action

Notre politique d’unité d’action de l’ensemble des travailleurs et de leurs organisations doit être une dimension permanente de notre intervention. L’intégration dans les luttes de masse, les associations, syndicats, bref l’intégration dans le " mouvement réel des masses " est la première condition pour agir politiquement. Cela suppose aussi d’assurer l’autonomie des mouvements de masse par rapport aux partis politiques pour préserver leur unité et leur efficacité. Nous devons, sur ce point, tirer les leçons de l’expérience argentine, où chaque parti politique, y compris et surtout les organisations se réclamant du trotskysme, a sa propre projection dans le mouvement de masse (en particulier dans le mouvement des piqueteros), aggravant ainsi la division au sein même des forces populaires.

6.2. Combiner des réponses anticapitalistes

Mais, il faut aller au-delà de l’intervention indispensable dans les luttes de résistance et dans l’animation des mouvements sociaux. Il faut avancer des réponses plus substantielles sur le plan programmatique ou stratégique. Les conditions de ce débat ont été modifiées ces dernières années. Dans le mouvement altermondialiste, il faut combiner en même temps la construction de mouvements unitaires et des réponses anticapitalistes, notamment face aux courants " réformistes ", " régulationnistes " (qui n’ont pour objectif que la correction des excès du système capitaliste) ou à des courants nationalistes. Il faut faire émerger une réponse radicale et internationaliste. Nous voulons un autre monde, disent les altermondialistes… il faut dire lequel.

Cela passe par un programme qui mette au centre la question sociale, qui reprenne le fil de la lutte de classes, pousse jusqu’au bout les revendications sociales et démocratiques : contre les licenciements, pour les augmentations de salaires, pour une autre répartition des richesses, contre les privatisations… et cette logique pose les problèmes d’incursion dans la propriété capitaliste, du contrôle des travailleurs et de la population.

En France, nous avançons un plan d’urgence anticapitaliste comme plate-forme électorale et programme de lutte social.

L’expérience argentine pose les problèmes d’occupation des entreprises, de leur remise en marche après leur abandon par les patrons, et du contrôle des travailleurs.

Au Venezuela ou en Bolivie, les crises sociales et politiques de ces pays mettent à l’ordre du jour des revendications contre les privatisations, pour l’appropriation publique et sociale des ressources naturelles — gaz, eau, pétrole —, et en même temps l’affirmation de la souveraineté nationale et populaire contre le pillage des richesses par l’impérialisme américain.

Cette orientation doit s’appuyer sur des propositions unitaires et d’autodétermination et auto-organisation des classes populaires. Mettre à l’ordre du jour, dans des situations de luttes aiguës ou de crises, des structures qui annoncent la construction " d’un pouvoir d’en bas " est décisif pour avancer dans la voie d’une issue positive à ces crises.

Cette orientation générale a aussi sa projection au niveau du gouvernement et du pouvoir. Nous nous opposons à toutes les formules de gestion de l’État et de l’économie capitaliste, nous défendons la perspective d’un gouvernement des travailleurs s’appuyant sur la mobilisation des travailleurs et de leurs organisations. Ce positionnement nous permet de rejeter les politiques de soutien ou de participation à des gouvernements " socio-libéraux " tout en posant réellement la question du gouvernement ou du pouvoir, à la différence de tous les courants qui veulent cantonner les mobilisations dans le contre-pouvoir ou dans l’illusion de " changer le monde sans conquérir le pouvoir ", positions d’Holloway et d’autres, dans une série de pays ou dans le mouvement altermondialiste…

6.3. Poursuivre notre politique de rassemblement anticapitaliste

Les derniers développements de la situation politique internationale mettent à l’ordre du jour, d’une part, la clarification de certains débats — les évolutions du gouvernement Lula ou de la direction de Refondation communiste d’Italie —, d’autre part, la volonté d’une série de courants révolutionnaires ou anticapitalistes de discuter, échanger, agir en commun, ce qu’a traduit la conférence des partis anticapitalistes de Bombay-.

Nous devons poursuivre dans la même voie tant sur le plan de la conférence anticapitaliste de la gauche européenne que de la conférence internationale, qui a tenu sa première réunion à Bombay, même si les formes, les rythmes et les forces politiques concernées sont différents. Nous devons mettre l’accent sur les deux critères qui ont présidé à notre travail jusqu’à maintenant :

a) des conférences anticapitalistes dont le centre de gravité relève d’une orientation " lutte de classes ",qui combine revendications radicales, internationalisme, démarcation nette vis-à-vis du social-libéralisme et du soutien à des coalitions gouvernementales de ce type ;

b) des conférences ouvertes et représentatives aux formations politiques qui sont en transition ou recherchent des lieux d’échanges ou d’action. C’est dans ce sens, tout en préservant le centre de gravité " lutte de classes " des conférences de la gauche radicale européenne, que ces conférences sont le lieu de discussion avec des forces comme Refondation communiste ou tel PC qui recherche la discussion.

Parallèlement, nous devons multiplier les relations entre organisations révolutionnaires ou anticapitalistes, organisations qui sont sur la base d’une orientation radicale mais non sectaire, intégrées en particulier au mouvement altermondialiste. En effet, notre orientation n’est pas celle de l’unité des révolutionnaires sur les seules références abstraites à la révolution, mais des rapprochements sur la base d’une " compréhension commune des événements et des tâches ". C’est dans ce sens qu’ont participé, à ce Comité international, des organisations comme le courant ISM du SSP écossais, le DSP australien, l’ISO des États-Unis. C’est aussi dans ce sens, que nous poursuivrons le travail avec d’autres organisations comme le DEA grec ou le LPP pakistanais. Enfin, sur un autre plan, nous poursuivrons nos relations avec d’autres organisations comme le SWP ou établirons des relations avec les organisations de la conférence internationale.

Pour conclure, les nouveaux espaces pour la gauche radicale, les réalignements dans le mouvement ouvrier, les enjeux politiques et stratégiques mettent à l’ordre du jour la perspective de partis larges anticapitalistes, comme éléments-clés de direction de processus politiques de masses, dans des conditions de durcissement des luttes de classes, dans les mois et années qui viennent. Cela suppose de fortifier le contenu lutte de classes des partis ou formations larges en construction, notamment en tirant toutes les leçons du social-libéralisme, et cela implique aussi de poursuivre le processus engagé au dernier congrès de l’Internationale : relancer nos organisations, rassembler les marxistes révolutionnaires, construire nos sections, pour féconder ces processus plus larges.

1. Voir également le rapport sur l’Europe

Voir ci-dessus