Derrière le drame du Darfour ; le changement climatique
Par Bruno De Wit le Samedi, 01 Septembre 2007 PDF Imprimer Envoyer
Les Nations Unies (ONU) s’apprêtent à envoyer une force internationale au Darfour. Depuis l’éclatement de la violence dans la région il y a eu au moins 200.000 morts et plus de 2,5 millions de personnes ont pris la fuite. À côté de ce conflit il y a aussi les conséquences de 20 ans de guerre civile entre le Nord et le Sud du Soudan, une guerre qui a coûté environ 2 millions de vies humaines. Généralement, ce conflit est réduit à une lutte entre le Nord « islamique » (gouvernement) et le Sud « chrétien-animiste ». Notre ministre des affaires étrangères Karel De Gucht (Open VLD), comme le reste de la « communauté internationale », use et abuse de ce simplisme. Il est un farouche partisan de l’envoi d’une force internationale pour mettre fin à la violence. Mais si cette « communauté internationale » se limite seulement à une « imposition de la paix », appelée pacification par euphémisme, sans examiner les causes qui se cachent derrière, cette opération est condamnée à l’échec.

L’International Crisis Group[1] présente aussi une forme de myopie : « Une paix durable ne peut être atteinte que si la solution politique tient compte de l’équilibre fondamental des forces entre le centre et la périphérie, qui est à la base de quasi tous les conflits au Soudan…»

Le changement climatique mène à la guerre

Le drame du Darfour est un miroir où on aperçoit l’avenir qui nous attend avec le réchauffement climatique. Achim Steiner[2], le directeur exécutif du Programme pour l’Environnement de l’ONU (UNEP), met en garde face à l’apparition de nouvelles guerres à travers le monde du fait du réchauffement climatique qui provoque, au Soudan, la hausse du niveau de la mer dans l’Océan Indien et l’extension du désert dans la ceinture du Sahel.

Dans un volumineux document[3] publié en juin il affirme que le monde est confronté à la première guerre en partie causée par le changement climatique. Ce document établit un lien direct entre le changement climatique et le conflit au Darfour. Depuis les années ’80 le Soudan et la Corne de l’Afrique sont frappés par une sécheresse dévastatrice. Depuis lors les précipitations ont diminué de 40% au Soudan, ce qui est selon les scientifiques un résultat du réchauffement climatique. Au Nord du Darfour les précipitations ont diminué d’un tiers au cours des 80 dernières années. Ce qui a mené à une extension du désert d’environ 100 km vers le Sud dans les 40 dernières années. Ajoutez à cela la surexploitation des sols rendus vulnérables par une augmentation explosive des troupeaux : de 27 millions de bêtes on est passé à environ 135 millions aujourd’hui!

D’autres zones vulnérables ont été touchées par la « crise de la déforestation » : en 15 ans à peine, 12% de la forêt du Soudan ont été perdus. Certaines régions du Soudan seront totalement déboisées au cours des dix prochaines années. Les modèles climatiques pour le Nord-Kordofan (une autre région du Soudan) indiquent une hausse de la température de 0,5° à 1,5° C entre 2030 et 2060, ce qui se combine à une diminution des précipitations de 5%.

 

Cause et conséquence

 

En conséquence de ces changements dramatiques du climat et de l’environnement, les paysans ont commencé à clôturer leurs terres sur lesquelles les nomades avaient auparavant accès. Du fait du rétrécissement des ressources, les nomades d’origine arabe sont entrés en conflit avec les paysans principalement africains.

 

La sanglante crise actuelle du Darfour a été attisée par un soulèvement de quelques groupes de la population du Darfour suivi d’une réaction militaire cruelle du gouvernement de Karthoum. Les changement écologiques dramatiques au Darfour ont bien été un facteur décisif.

 

Steiner écrit à ce sujet : « Ce que nous remarquons au Darfour c’est que les changements de l’environnement ont mis les communautés locales sous pression. Combinez cela avec des tensions possibles et vous avez rapidement un puissant mélange où des tensions qui augmentent dégénèrent en conflit. La situation qui survient au Darfour surviendra dans d’autres endroits du monde ». Selon lui, d’autres pays risquent de se retrouver à feu et à sang si on ne prend pas conscience à temps du problème.

 

Ailleurs dans le monde

Certaines petites îles dans l’Océan Pacifique sont dès à présent menacées d’une hausse du niveau de la mer ou sont déjà évacuées[4]. Dans une indifférence quasi-générale d’ailleurs. Pire encore, le gouvernement australien a purement et simplement refusé aux réfugiés environnementaux de l’atoll de Tuvalu d’immigrer sur son territoire. « Qu’ils se noient » pense-t-on à Cambera!

Un autre conflit probable est en gestation en Asie et dans la ceinture du Sahel. Les scientifiques prédisent que la plupart des glaciers de l’Himalaya disparaîtront au cours des 35 prochaines années. Environ 500 millions de personnes seront directement touchées et 250 millions autres personnes en aval des grandes rivières qui prennent leur source dans l’Himalaya.

Un autre foyer de conflit est le Bangladesh. L’Inde a déjà commencé la construction d’un mur à la frontière afin d’empêcher que les gens ne la traversent depuis le Bangladesh. Avec la hausse prévue du niveau de la mer d’un demi mètre environ 34 millions de personnes ne seront plus en état de rester où elles habitent. Où iront-elles ? Elles se cogneront à toutes les frontières fermées.

 

L’Afrique souffre le plus

 

Avec la hausse prévue du niveau de la mer environ 30% des côtes seront ravagées, tandis qu’entre 25 et 40% des zones naturelles d’habitation en Afrique seront perdues en 2085. Des conflits se préparent dès maintenant dans toute l’Afrique du fait de la pénurie de ressources naturelles. Ainsi au Ghana il y aura de plus en plus de conflits entre les paysans et les bergers Fulani si les ressources se font de plus en plus rares. Dans la région du Mont Elgon au Kenya 40.000 personnes ont dû déménager après que des combats aient éclaté entre différents groupes de population avec la terre pour enjeu.

 

Pour conclure, le rapport de l’UNEP montre que le changement climatique pose aussi des problèmes après un conflit. Ainsi la majorité des réfugiés et personnes déplacées ne seront plus jamais en état de retourner dans leurs maisons. En ce moment des milliers de personnes vivent à la frontière du Kenya et de la Somalie dans des camps de réfugiés où elles sont coincées depuis des années. Le retour en Somalie n’est pas possible étant donné le chaos qui y règne, et le Kenya ferme hermétiquement ses frontières. Elles sont condamnées à y rester et y mourir ! Ce qui conduit à des situations explosives.

 

L’impact des camps de réfugiés sur l’environnement est par ailleurs élevé, selon le rapport, du fait de la déforestation pour l’obtention de bois de chauffage. Ainsi l’étude de l’UNEP démontre qu’au Darfour la déforestation à grande échelle se répand jusqu’à 10 km autour d’un camp. La situation est encore aggravée par la fabrication de fours en pierre dans certains camps. Ce qui prouve que beaucoup de gens ne peuvent plus retourner chez eux et doivent s’établir définitivement.

 

Changer le monde, pas le climat!

 

Les chercheurs du Hadley Centre for Climate Prediction[5] de Londres - qui ont mis sur pied un nouveau modèle climatique démontrant qu’à côté des activités humaines les variations naturelles jouent aussi un rôle - sont venus à la conclusion que le climat a déjà changé et continuera de changer. Selon eux les gens ont besoin de la meilleure information pour s’adapter à ces changements. Ils auraient bien fait d’inclure aussi l’étude de l’UNEP dans leurs conclusions. Parce que nous avons vu quelles « adaptations » ont lieu au Darfour : le meurtre à grande échelle.

Le Darfour est une fenêtre sur ce monde à venir qui change sans contrôle. Il est urgent d’agir dès maintenant afin de le changer également, mais de manière consciente et dans un sens progressiste.

 

 

[1] International Crisis Group, De Morgen, 7/8/07.

[2] Climate change and the fight for ressources will set world aflame, The Independent, 21/6/07.

[3] www.unep.org/sudan

[4] Inprecor, n° 527, 2007.

[5] De Morgen, 13/8/07

Voir ci-dessus