Lode Van Outrive: “On peux oublier le CAP“
Par David Dessers et M.Lievens le Dimanche, 02 Septembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Ensemble avec Jef Sleeckx et George Debunne, Lode Van Outrive, ex-parlementaire SP.a, a été à l’origine du Comitee voor een Andere Politiek (CAP). Aujourd’hui il constate avec amertume et déception que cette tentative de construire une alternative politique de gauche a totalement échoué. “Nous voulions arriver à une seule liste de gauche”, raconte-t-il dans une interview accordé à La Gauche, “mais le PTB refusait l’unité et dans le CAP on a fait sauter les ponts avec notre partenaire francophone Une Autre Gauche.” Lode craint que de cette manière la gauche restera longtemps sans voix au parlement. “Les groupes de gauche n’apprendront vraisemblablement jamais”. Interview par David Dessers et M. Lievens

Le CAP a décidé de participer aux élections du 10 juin dernier. Nous avons eu l’impression que tu te tenais plutôt à l’écart pendant cette campagne…

Lode Van Outrive: Je n’étais plus du tout d’accord avec l’évolution prise par le CAP. Si tu compares avec le but original, le CAP s’est mué en tout autre chose. Que voulions-nous, Sleeckx, Debunne et moi-même ? Qu’émerge pour toute la gauche une seule liste, aussi bien en Flandres, en, Wallonie qu’à Bruxelles.Nous avions trouvé un excellent partenaire en Belgique francophone, avec Une Autre Gauche (UAG).

Au congrès du CAP du 28 octobre 2006 nous avons approuvé trois choses. D’abord la fondation d’un nouveau mouvement politique. Deuxièmement, une aussi bonne collaboration que possible avec UAG. Et tertio, là où c’est possible, participer aux élections. Voilà le but.Mais nous avons dû constater par après que l’initiative a pris un tout autre tournant. Pour moi, c’est au moment où le PTB à refusé d’arriver à une liste unitaire que le cours a été vicié. C’était le début. Ce parti voulait collaborer à Anvers uniquement, et à condition que Jef Sleeckx soit sur la liste. Pendant les discussions il est devenu rapidement clair qu’il se confirmait une fois de plus que le PTB voulait se présenter seul. A mes yeux, ce refus était le début de toute la faillite de cette entreprise CAP.Il y a eu des discussions avec d’autres groupes, discussions très inégales.

Entre-temps nous avons vu comment le MAS/LSP voulait également suivre son propre cours. Ils se sont plus ou moins emparés du CAP sous le prétexte que: « C’est quand même nous qui faisons le travail !» Et effectivement, ils avaient à peu près tout en main. Puis il y eut cette rupture entre le MAS et UAG, pour des raisons qui ne sont pas encore si claires pour moi. Le MAS forme une seule organisation nationale avec le LSP et j’avais quand même fortement l’impression que le MAS se retirait d’UAG parce qu’il ne réussissait pas à en prendre seul la direction, comme c’était le cas au CAP. Cela me semble encore aujourd’hui la raison fondamentale de cette rupture du MAS d’avec UAG. Après cette rupture, le MAS a alors entamé immédiatement la construction des CAP en Wallonie sous sa propre direction. J’y étais opposé depuis le début, pour la simple raison que nous avions un accord avec UAG, que je voulais respecter. A partir de la construction des CAP francophones, l’affaire a vraiment commencé à se déglinguer.

En outre, Sleeckx, Debunne et moi-même, nous ne nous imaginions pas participer aux élections à notre âge. Debunne est âgé et sa santé est ébranlée. Je connais mes propres petits problèmes de santé. Et Jef avait des problèmes familiaux qui l’empêchaient d’être candidat. Tu sais, j’ai fait de la politique avant. J’ai vu ce qui est exigé quand on s’y engage. C’est le jour et la nuit. Quand tu veux bien faire, la politique te préoccupe sans arrêt. Nous ne nous sentions plus les forces de nous engager de cette façon.

Pourtant le CAP a continué la préparation des élections …

Lode Van Outrive: En effet, poussé principalement par le LSP/MAS. Il y a eu deux réunions du CAP. Je ne trouvais pas du tout que c’était une bonne idée, puisque cela allait à l’encontre des accords avec UAG. Et c’est ainsi que nous sommes allés vers ces élections. Cela n’a rien rapporté. Ici et là un chiffre intéressant. Cela s’est fait principalement parce qu’en Flandre surtout il y eut quand même quelques indépendants qui ont franchi le pas pour être candidat sur la liste.Maintenant, la plupart de ces indépendants – et j’en connais un bon nombre - ne savaient pas du tout de quoi ils retournaient.

C’était en premier lieu des personnes qui en avaient soupé du SP.a parce qu’ils trouvaient que ce parti était devenu un parti néo-libéral comme les deux autres partis traditionnels. Ils voulaient en premier lieu construire une alternative au SP.a, se présenter contre le SP.a. Voilà leur motivation. Ces personnes n’avaient aucune idée du rôle que le LSP/MAS jouait dans le CAP. Ils ne le connaissaient pas et ne l’ont pas vu. Ce sont pourtant ces personnes qui ont marqué quelques résultats spectaculaires, comme au Limbourg.

La conclusion pour moi: avec tous ces groupes de gauche tu n’avances pas. Le SAP/LCR a quant à lui décidé de ne pas se présenter. Le CAP aurait dû être aussi intelligent qu’UAG, qui n’a pas déposé de liste. Dans le Hainaut, il y avait trois ou quatre listes de gauche. C’était donc très intelligent de ne pas déposer encore une liste à côté des autres. Le CAP aurait mieux fait de suivre cet exemple.A un certain moment je me suis retiré du débat. Je n’ai plus rien dit, ni en pour ni en contre. C’était surtout par respect pour les indépendants, dont un nombre de bons amis, qui ont quand même décidé de participer à la campagne. La tête de liste à Louvain, Danny Carleer, est devenu un bon ami. Je ne voulais pas abandonner ces personnes, mais chacun savait que je n’étais pas du tout d’accord avec la façon dont les choses évoluaient. Jef Sleeckx était plus hésitant que moi. Il pensait évidemment aussi aux indépendants, dont il avait apporté un bon nombre. Mais bon, voilà donc mon jugement sur le CAP. Notre initiative a échoué. Point.

Le 10 juin le SP.a a encaissé un rude coup de ses électeurs. Es-tu étonné par ces pertes ?

Lode Van Outrive: Que le SP.a ait ramassé des coups, c’est parce qu’il les à largement mérités. C’est ce qui se passe quand un parti pareil ne veut plus être socialiste mais néo-libéral. Ce parti pêche ses voix complètement au centre, comme les autres grands partis. Regarde à la tête de liste à Anvers (Christine Van Broekhoven, ndlr). Tu mets ce genre de personne en avant quand tu ne vises plus les travailleurs et les pauvres. Le SP.a a commis une grosse gaffe en se détournant des secteurs défavorisés de la population.

Il est très possible que nous allions vers une tripartite. L’orange bleue est difficilement réalisable pour un tas de raisons. N’oublions pas que le CD&V a une aile travailleuse importante qui ne va pas tout accepter sans broncher. Je suis sûr que cela joue déjà aujourd’hui dans les négociations (l’interview date du16 août, ndlr). Mais les médias n’en parlent presque pas. Les négociations tourneront donc probablement au fiasco.

Après, « dans l’intérêt de la nation », ils formeront une tripartite. Ce gouvernement fera passer une réforme d’Etat, qui ne sera qu’un vague écho de ce qu’on a entendu avant les élections. Le cas de Bruxelles-Hal-Vilvorde sera reporté aux calendes grecques. Ils créeront probablement une « commission BHV » et ils pourront dire :”Nous nous en occupons”. Ce sera donc un nouveau gouvernement néo-libéral, guère plus, guère moins.

La situation de la gauche ne s’est pas améliorée depuis le 10 juin. En Flandre, le SP.a à fortement reculé, Groen! n’arrive qu’à peine au-dessus du seuil électoral. Mais le PTB+ n’a pas non plus obtenu un score brillant…Lode Van Outrive: Si le PTB continue de cette façon, ce parti obtiendra sûrement un siège ici ou là, dans le courant du siècle prochain….

Le CAP a obtenu un score encore bien pire, alors qu’un groupe de personnes de gauche, actifs, des syndicalistes etc. y avaient cru. Que faut-il faire aujourd’hui selon toi ?

Lode Van Outrive: C’est une autre question. Je pense que l’expérience du CAP a clairement montré qu’il y existe une base pour une formation politique de gauche conséquente. Mais si nous avions vraiment voulu atteindre ce public dans ces élections, nous aurions dû proposer une véritable liste unitaire. Je répète encore une fois: le PTB a refusé notre proposition de liste unitaire. Si ce parti avait participé, nous aurions sûrement pu bâtir une liste unitaire. Alors il n’y aurait probablement eu aucun groupe à rester sur le carreau.

J’éprouve donc, avec beaucoup d’autres personnes, une déception énorme à l’égard de tous ces groupements de gauche, quels qu’ils soient! Nous vivons dans une démocratie, je ne veux pas nier à aucun de ces groupes le droit d’exister. Mais ils n’ont toujours pas compris. Vont-ils comprendre un jour ? Je n’en sais rien….

C’est le tour à une autre génération.Nous n’allons pas recommencer, n’y pensons même pas. Déjà en juin, on nous reprochait que nous étions un club du troisième âge. C’était même exact dans un certain sens. Nous avons tous les trois atteint un certain âge. Parmi les indépendants, il y a sûrement un nombre de personnes qui sont prêtes à recommencer, mais pas tout de suite avec ces groupements de gauche. Et je leur donne raison sur ce point. En 2009, il y aura de nouvelles élections. Cela donne une nouvelle chance. Mais si je lis bien les groupes de gauche; ils sont encore et toujours convaincus d’avoir tout à fait raison. Donc je dis : ne compte pas sur eux. Tu y trouveras par la force des choses des personnes qui pourront apporter une contribution valable. Mais construire une alternative via ces groupes de gauche, je n’y crois absolument plus.

Nous avons participé assez longtemps au CAP pour comprendre ton dégoût de certaines pratiques. La question est de savoir si on peut coller la même étiquette à toutes les organisations de gauche. Le bilan que la LCR/SAP fait de toute l’opération CAP recoupe pour une bonne partie celui que tu fais. C’est la raison pour laquelle nous plaidions déjà en février contre la participation électorale. C’était déjà clair pour nous à ce moment là que l’unité n’allait pas se réaliser, que le lien avec UAG était rompu, que le CAP courrait beaucoup trop vite et sans préparation sérieuse vers ces élections. En outre, pour arriver un jour à une liste unitaire, il faudra bien y impliquer ces organisations de gauche….

Lode Van Outrive: J’ai dit quels groupes portaient selon moi la plus grande responsabilité dans l’absence d’une alternative de gauche. C’est très clair pour moi. Je pense donc que la colonne vertébrale d’un nouveau mouvement de gauche doit être formé par des personnes indépendantes, des syndicalistes, des ex des partis socialistes. Ils devront donner la première impulsion, et peut-être que des personnes des groupes de gauche pourront ensuite y être impliquées.

Dans sa forme actuelle, le CAP n’a en aucun cas une chance de survie. C’est devenu, vers l’extérieur, un petit groupe de la petite gauche comme les autres. Le MAS-LSP veut le maintenir en vie, mais ce sera sans moi… Je trouve d’ailleurs que ce ne serait pas très correct si une fraction des personnes que nous avons rassemblées continue avec le CAP qui sera alors entièrement devenu une couverture du MAS-LSP.

Je connais notre histoire, tu sais. Nous savions que les tentatives du passé n’avaient connu que des échecs. Nous avons essayé encore une fois. Hélas, nous avons dû constater qu’on n’a toujours pas compris, et qu’on préfère la division à l’unité. Jamais cela réussira de cette manière. C’est à une nouvelle génération de lancer une tentative. Pour faire quelque chose en 2009, il faut commencer dès aujourd’hui. Mais nous le ferons plus. C’est exclu. Une nouvelle génération doit s’y coller. Peut-être goûtera-t-elle au succès.

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