Quand l'Europe ne sert pas à la paix. Euromilitarisme non!
Par Christian Varin le Jeudi, 20 Octobre 2005 PDF Imprimer Envoyer

Le 15 février 2003, alors que la grande majorité des gouvernements occidentaux s'apprêtait à suivre Bush dans la sale guerre d'Irak, des manifestations pour la paix d'une ampleur inégalée dans l'Histoire ont eu lieu dans le monde entier. Pendant ce temps, se vérifiait une nouvelle fois la distance entre la prétention "humaniste" et la réalité catastrophique des institutions européennes actuelles.

Le projet de "traité instituant une Constitution pour l'Europe" nous est présenté comme un instrument essentiel pour défendre la paix dans le monde. Son préambule proclame : "L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples [...]. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'Homme, en particulier ceux des enfants, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies."

Les promoteurs de l'Union européenne (UE) se parent du fait qu'après les deux guerres qui ont ravagé l'Europe au XXe siècle, la paix règne désormais en son sein. Pour autant, le monde dans lequel nous vivons est de manière croissante un monde de guerres et de misère. Loin d'accepter la légende d'une Europe qui s'opposerait de manière déterminée à cette situation, de plus en plus de mouvements sociaux et démocratiques sont conscients que la mécanique actuelle de l'UE, loin de favoriser l'avènement de la paix et du développement humain, accompagne au contraire la montée des périls...

La paix, une valeur confirmée de l'Europe ?

En 1945, l'Organisation des Nations unies (ONU) a été investie de la responsabilité principale d'éviter les guerres. Pourtant, les puissances européennes sorties gagnantes de la Deuxième guerre mondiale ont très vite montré les limites de leur volonté de paix dans leurs sphères d'influence coloniale, à commencer par la France : sanglantes opérations militaires à Madagascar, en Syrie, en Indochine, en Algérie... Le contexte de guerre froide qui s'est installé entre le "bloc occidental" et le "bloc soviétique" a également débouché sur l'affrontement ouvert en Corée en 1950 et beaucoup d'autres conflits visant à contrecarrer la lutte des peuples dominés pour leur indépendance. Mais les défaites française en Algérie (1962), étatsunienne au Viêt-nam (1973) et portugaise en Afrique australe (1974) ont sanctionné la difficulté pour les puissances occidentales à s'imposer et à faire assumer par leurs peuples le coût humain et moral de ces guerres.

Pendant toute cette période, la pérennité d'un noyau franco-allemand de stabilité renforçait et élargissait la construction européenne. Mais tant l'ONU que l'Europe politique montraient leur inefficacité patente à résoudre les conflits dans le tiers monde, comme celui lié au refus par Israël du droit du peuple palestinien à son Etat, ou ceux directement liés au soutien aux dictatures corrompues en Afrique ou au Moyen-Orient, sans parler des politiques coloniales en Irlande du Nord et en Kanakie. Parallèlement, l'Europe a confirmé son alliance militaire privilégiée avec les Etats-Unis dans le cadre de l'Otan, au nom des "valeurs partagées" de démocratie représentative et de libéralisme économique.

Avec la chute du bloc soviétique en 1990, un double processus s'est emballé : une lame de fond de la propagande pour la libre concurrence comme solution à tous les problèmes économiques et la montée de l'interventionnisme impérialiste sous couvert d'"humanitaire" et de "droit international". Premier produit de cette nouvelle situation, la guerre du Golfe de 1991 a invalidé la prétention des gouvernements européens à la paix : après avoir armé Saddam Hussein pendant des années, ils ont entériné une propagande éhontée et une prise en compte à géométrie variable du droit international. Après des bombardements qui ont fait des dizaines de milliers de morts mais laissé le régime en place, ils ont appliqué pendant des années un embargo économique qui a projeté l'Irak trente ans en arrière et provoqué la mort d'au moins 500 000 enfants...

En Europe centrale et orientale, l'encouragement à la concurrence, y compris pour l'adhésion à l'Union européenne, a facilité l'éclatement de l'ex-Yougoslavie dans des conditions qui ont poussé à la guerre. Et les bombardements et interventions militaires derrière les Etats-Unis et l'Otan, sous couvert de l'ONU, en Bosnie comme au Kosovo n'ont ni empêché les massacres, ni résolu fondamentalement les problèmes. De même, en Afrique centrale, les responsabilités des pompiers pyromanes français dans le génocide des Tutsis au Rwanda sont évidentes.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis au clan Bush de légitimer la doctrine de la "guerre contre le terrorisme" et provoqué le déluge de feu sur l'Afghanistan puis sur l'Irak, et la mise en place de juridictions d'exception aux Etats-Unis comme en Europe. Si la guerre en Irak a mis en évidence des divergences d'intérêts réelles entre la direction Bush et les gouvernements français et allemand, ces guerres n'ont en aucun cas validé l'Union européenne comme alternative "pacifiste" à la politique étatsunienne actuelle.

La meilleure illustration des limites de ces frictions est donnée par la politique du gouvernement Blair, à la fois alignée sur Bush dans la guerre en Irak et plaidant pour le recours à l'ONU pour résoudre les conflits, à la fois intégrée au dispositif militaro-industriel US et en pointe avec Chirac pour une armée européenne. Mais aussi par la lâcheté de l'UE face à l'écrasement du peuple palestinien par Sharon...

La construction militaire de "l'Europe puissance"

La politique de sécurité et de défense commune européenne introduite par le traité de Maastricht, en 1992, devait permettre de décider (à l'unanimité) de missions armées de rétablissement de la paix dans le monde. Le sommet de Nice en 2000 a été plus loin en décidant de créer un noyau d'armée européenne de 60 000 hom-mes, mobilisable sur un terrain d'opération en deux mois et capable d'y rester un an : la Force de réaction rapide. Est ainsi affirmée la création d'une Europe-puissance qui défendra "ses valeurs et ses intérêts" partout dans le monde. Et comme il est dit dans les traités et dans le projet de Constitution européenne, elle agira de concert avec les Etats-Unis dans le cadre de l'Otan en optimisant ce que ses Etats membres ont fait individuellement tout au long du siècle passé.

Nous sommes radicalement opposés à cette armée européenne, tout comme à l'Otan et à notre propre armée nationale. La création d'une industrie militaire européenne capable de rivaliser avec les Etats-Unis aurait pour première conséquence une augmentation vertigineuse du budget militaire et un transfert de la recherche scientifique et technologique vers le secteur militaire. Les peuples européens ont tout à perdre dans cette "nouvelle" visée impériale de l'UE. A ce couple infernal concurrence-militarisme qui mène le monde au désastre, nous opposons une logique de développement et de coopération solidaire pacifique entre le Nord et le Sud, entre les classes exploitées de tous les pays.


Lutte "contre le terrorisme"

L'administration Bush a utilisé le drame du 11 septembre 2001 pour tenter d'imposer sa croisade antiterroriste en construisant tout un arsenal de lois et de pratiques sécuritaires. Comme on pouvait s'y attendre, l'Union européenne est entrée dans la danse, accélérant l'adoption de règlements liberticides déjà en projet avant ces attentats. L'essentiel du dispositif a été accepté par l'écrasante majorité du Parlement européen (à l'exception de la majorité du groupe GUE dont nos eurodéputés, d'une minorité de Verts et de quelques isolés).

En premier lieu, un règlement du 27 décembre 2001 a fixé une définition commune du terrorisme : "un acte qui peut gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale" . Selon les rapports de forces, cela permet de criminaliser tout mouvement mettant en cause le capitalisme et ses institutions. Une première liste d'organisations déclarées "terroristes" par la CIA a été greffée à ce texte, dont les critères d'évolution échappent au Parlement.En fonction des circonstances s'y ajoutent des organisations palestiniennes, basques ou kurdes. Et la liste n'est pas close.

La deuxième décision liberticide a été l'adoption au sommet de Laeken du Mandat d'arrêt européen. Alors qu'il n'existe aucune harmonisation du droit en Europe (par exemple l'avortement est pénalisé en Irlande), il a été décidé une reconnaissance mutuelle de décisions de justice pour 32 infractions, dont le terrorisme défini plus haut. Sur cette base, il y aura extradition immédiate, sans jugement et sans recours, à la simple exigence du pays demandeur.

Le troisième grand train de mesures a été un renforcement de la coordination des polices et de la justice à travers l'extension des mandats d'Europol et d'Eurojust. Il faut aussi mentionner l'article 3 de la Convention de Schengen qui prévoit de rétablir le contrôle aux frontières des citoyens européens si la sécurité d'un Etat est "menacée", et qui a permis de bloquer le passage des manifestants lors des sommets de Nice et de Gênes... Enfin, même quand le Parlement européen a un sursaut démocratique et s'oppose au fichage généralisé des passagers aériens atterrissant aux Etats-Unis, le Conseil passe outre et cède aux autorités étatsuniennes. Sur toutes ces attaques contre les libertés, les eurodéputés de la LCR ont été en première ligne pour alerter l'opinion publique.


Défense et industrie militaire européennes

L'article 40 de la première partie du projet de traité constitutionnel issu de la Convention européenne porte sur la Politique de défense et de sécurité commune. Entre autres perles, on peut y lire : "Les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires." Dans une résolution votée en novembre dernier sur les équipements de défense, le Parlement européen, à son tour, "insiste sur la nécessité pour l'UE de se doter de capacités militaires garantissant la crédibilité des objectifs de sa politique étrangère", en affirmant que "le succès de ce processus réside dans un engagement des Etats membres à investir dans leurs dépenses militaires sur la durée". Il défend le "développement d'une industrie européenne des équipements de défense, compétitive et viable" et conclut qu'il faut promouvoir "des programmes communautaires d'appui au rééquipement de la défense".

Ces plaidoyers vibrants visent à faire croire que la paix du monde peut reposer sur une compétition militaire de l'Europe unie face aux Etats-Unis ou tout autre "bloc". C'est faire l'impasse sur le fait que l'armement des Etats européens est déjà en partie intégré technologiquement et stratégiquement avec celui des USA. C'est surtout donner la priorité aux intérêts des marchands de canons et de leurs actionnaires sur la satisfaction des besoins sociaux. Les dépenses militaires dans le monde dépassent déjà les 800 milliards d'euros, dont 20 % pour l'UE et le double pour les Etats-Unis. A titre de comparaison, l'aide publique au développement n'atteint pas 10 % de ce montant. Il faudrait accroître encore les dépenses de destruction pour servir la paix ? Pour notre part, nous défendons une politique de désarmement massif et de reconversion des industries militaires, pour allouer les ressources ainsi dégagées à la création d'emplois, d'infrastructures et de co-développement avec les pays du Sud.

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