Oui au tram, non à l'autoroute!
Par François Schreuer le Lundi, 03 Décembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

La Région wallonne s'apprête à investir 800 millions d'euros d'argent public dans de nouveaux tronçons autoroutiers, dont 400 dans la construction d'une nouvelle autoroute à l'Est de Liège, entre Cerexhe-Heuseux et Beaufays (« CHB »). Une coordination d’associations et d’individus à commencé à organiser la résistance contre ce projet, notamment sur base d’une pétition « Oui au tram, non à l’autoroute ! » qui a récolté plus de 4.000 signatures. Entretien avec François Schreuer, initiateur de cet appel.

Tu as initié une pétition à l'attention du gouvernement wallon: «Oui au tram! Non à l'autoute !» (http://tramliege.be). Peux-tu expliquer tes motivations?

Je m'intéresse à la question des transports en commun depuis un bon bout de temps déjà, notamment autour de la question de la gratuité. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de constater que, bien souvent, la réponse qui est faite aux gens qui demandent une amélioration du service public de transports est le manque de budget disponible. Dans le cas présent, alors que le gouvernement wallon s'apprête à investir dans deux autoroutes inutiles un montant quasiment équivalent à celui qui est prévu pour le fameux « plan Marshall ». L'occasion est belle de montrer que le manque de moyens pour les transports en commun n'est pas une fatalité mais le résultat de choix politiques très clairs.

Un second élément qui me semble important, c'est que construire une autoroute est un choix très discriminant sur le plan social – seuls ceux qui ont une voiture peuvent en bénéficier. Or la dégradation des conditions de vie de la classe populaire est effrayante, visible à l'oeil nu. Investir dans les transports en commun, c'est faire, au contraire, un choix favorable à une société plus égalitaire, plus juste. Développer un service public de transports fort, efficace, rapide, agréable à utiliser, c'est garantir à tous le droit à la mobilité, dont on sait qu'il conditionne l'accès à beaucoup d'autres droits. On sait que le prix de l'énergie augmentera encore de façon significative (on parle au bas mot d'un facteur 2 ou 3 à une échéance de dix ans). Qui pourra encore circuler lorsque le litre d'essence coûtera 5 euros, ou plus ?

Un troisième élément, c'est bien sûr le changement profond de conjoncture que nous connaissons sur le plan climatique et environnemental en général. Face à ce qui est désormais une évidence scientifique incontestable, force est de constater que la plupart des responsables politiques occidentaux sont toujours dans le déni ou la schizophrénie. Alors que nous sommes littéralement en train de mettre l'avenir de l'humanité en danger, les politiques publiques – notamment en matière de mobilité – qui continuent d'être menées ressemblent à une suicidaire fuite en avant. « CHB » est un projet conçu à l'époque du pétrole bon marché et de la voiture triomphante. Il est incompréhensible de le maintenir dans les circonstances actuelles.

Qui fait partie du mouvement ?

Une coordination s'est mise en place qui regroupe pas mal de monde. Il y a des comités de quartier, notamment celui de La Brouck, un quartier populaire à Trooz, dans la vallée de la Vesdre, au-dessus duquel il est prévu de construire un viaduc de 70 mètres de haut (on notera au passage que le tracé décrit à cet endroit une large boucle pour évidence la très privilégiée cité de Chaudfontaine). Il y a aussi l'asbl « Groupement CHB » qui agit depuis 25 ans contre l'autoroute. Il y a encore des associations environnementales comme InterEnvironnement Wallonie ou Natagrora. On peut également citer le collectif « Quel pont pour Tilff ». Pour ma part, j'essaie d'apporter une sensibilité tournée vers la précarité.

Concernant Tilff, il est important de souligner que « CHB » ne constitue pas l'achèvement d'un hypothétique « ring » liégeois comme le prétend le gouvernement. Au contraire, avec CHB on entamerait la construction d'un ring qui, pour être achevé, demanderait la construction d'un tronçon terriblement destructeur entre Beaufays et Boncelles, au-dessus de Tilff, et la mise en autoroute du tronçon Boncelles-Sclessin-Seraing. La liaison sous Cointe ne peut en effet pas être considérée comme un ring dans la mesure où, loin de préserver le centre de la circulation automobile, ce tronçon est devenu la principale voie de pénétration dans Liège. Cette perspective, loin de relever du fantasme, est d'ores et déjà présente dans certains documents officiels wallons. La fuite en avant, je vous dis. J'espère qu'on en arrivera pas là.

Que demande concrètement le mouvement qui s'oppose à ce projet de la Région wallonne ?

Dans l'immédiat, nous demandons un moratoire sur les projets autoroutiers. C'est-à-dire : « On arrête tout et on réfléchit ». Travaillant sur Liège, c'est « CHB » qui retient notre attention, mais je pense qu'on peut sans difficulté généraliser le propos à la Wallonie et au-delà. À plus long terme, nous demandons l'annulation définitive du projet d'autoroute et la réorientation des crédits vers le développement de moyens de transports compatibles avec le respect de l'environnement et socialement moins discriminants qu'une autoroute. En particulier, il nous semble que la région liégeoise a absolument besoin d'un réseau de transports en commun structurant. Les principales lignes du réseau (les axes vers Ans, Seraing, Herstal, Fléron principalement) sont en effet saturées et, avec l'augmentation du prix de l'énergie et la paupérisation, la demande va croître de façon conséquente. Il importe de l'anticiper.

Différentes solutions techniques existent pour ce faire. Ma conviction est que, pour l'agglomération liégeoise, compte tenu de la morphologie du terrain et de la densité de population trop faible pour justifier un métro, le tram est la meilleure solution.

Au passage, profitons-en pour étouffer un canard : contrairement à ce que prétendent pas mal de personnalités politiques aujourd'hui, il n'est pas possible de réaliser à la fois « CHB » et un tram en région liégeoise dans un délai raisonnable. Les capacités d'emprunt wallonnes sont tout simplement insuffisantes.

La mobilité douce mérite également plus d'attention qu'actuellement. Le vélo notamment a un potentiel énorme qui est incroyablement sous-utilisé en Wallonie. En fait, il s'agit surtout de sortir d'une délétère culture de l'automobile qui reste omniprésente chez bon nombre de décideurs mais aussi dans une bonne partie de la population. Il faut casser la valorisation sociale de la bagnole, qui est un outil de mobilité dangereux, trop et mal utilisé et rien d'autre. Il faut rompre l'omerta sur les dégâts incroyables que cause la voiture, sur les 200.000 personnes qui meurent  chaque année en Europe des suites d'affections respiratoires liées à la pollution automobile, notamment les particules fines du diesel.

Nous sommes à la veille d'une manifestation nationale, le 8 décembre prochain à Bruxelles, en faveur d'une réponse politique efficace, sociale et solidaire au problème du climat, du réchauffement climatique dans le monde. Le collectif de personnalités et d'associations qui s'oppose à la construction de cette autoroute fait-il un lien entre son action et la mobilisation nationale et internationale contre le réchauffement climatique ?

Oui. Les membres du collectif seront présents le 8 et nous appelons nos sympathisants à faire de même. Il est bien évident que l'action très locale que nous menons n'a de sens que dans la perspective plus globale dont il sera question le 8 décembre. Inversement, il est absolument essentiel, à mon avis, que le message général et très fédérateur de la lutte contre le réchauffement soit décliné dans des actions locales. Pour deux raisons.

D'abord, il y a un vrai risque de double discours : d'une part, une approbation de grands principes écologiques tant qu'ils n'ont pas de conséquences ; d'autre part un soutien aux politiques anti-écologiques qui continuent d'être menées. Il est frappant de constater que les partis membres du gouvernement wallon ont signé le « pacte écologique » qui prévoit notamment l'arrêt de la construction d'autoroutes, tout en s'acharnant mordicus à en construire de nouvelles.

Ensuite, il est essentiel que l'enjeu écologique ne soit pas réduit à une affaire de choix individuel, comme c'est trop souvent le cas dans le discours médiatique. Un travailleur à qui on demande de se rendre tous les jours dans un zoning non desservi par les transports en commun a-t-il le choix de son mode de transports ? Il est essentiel de mettre en évidence la dimension collective des enjeux auxquels nous faisons face. Le choix entre une autoroute et un tram en est un bon exemple.

Où en est aujourd'hui le mouvement d'opposition à, ce projet de la région wallonne ? Quelles initiatives a-t-il prises jusqu'à présent ? Quelle est l'étendue et l'impact de mouvement ? A-t-il un espoir de faire reculer le gouvernement de la Région wallonne ?

Nous organisons une manifestation le dimanche 16 décembre à Liège (départ à 14h en face de la gare des Guillemins). Cette manifestation fera suite à plusieurs autres, mais nous espérons qu'elle aura une ampleur plus importante que les précédentes mobilisations.

Quant à faire fléchir le gouvernement wallon, l'espoir est ténu, sans doute. Mais pas totalement absent: même si le permis d'urbanisme est approuvé fin de ce mois, des recours sont encore possible, qui pourraient faire perdre du temps au projet et renvoyer la patate chaude au prochain gouvernement – sur lequel il sera sans doute plus facile de faire pression grâce à l'échéance électorale de 2009. Je suis persuadé que la réalisation de cette autoroute va devenir de plus en plus difficile à mesure que l'impératif écologique va devenir incontournable. La progression de la précarité, également, est difficilement contestable. La structuration de mouvements de précaires pourrait contribuer à faire changer le rapport de forces. Enfin, le coût des travaux publics est en augmentation très importante pour le moment. C'est une mauvaise nouvelle car, plus on attend, plus il sera difficile de construire, par exemple, un tram. Mais cela joue aussi contre l'autoroute, dont il est probable que le budget dépassera largement l'enveloppe annoncée. Comme l'explique l'Association pour l'étude du pic pétrolier (ASPO), c'est maintenant et pas dans dix ans qu'il faut réaliser une série d'investissement dont dépend notre avenir. Après, ce sera devenu très cher, trop cher peut-être.

J'aimerais que ces éléments incitent le gouvernement wallon à se poser quelques questions... et à changer de cap. 

Entretien par Denis Horman

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