Dossier : La Russie des luttes sociales
Par Carine Clément, Ilya Boudraïtskis et Mariya Kourzina le Lundi, 03 Décembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

La réélection de Vladimir Poutine marque la continuité des politiques autoritaires de restauration capitaliste dans l'ex-URSS. Mais il est une Russie dont les médias dominants ne parlent jamais: celle des luttes sociales. Un tour d'horizon sur ces dernières avec les analyses d'un conflit emblématique récent et la place des syndicats et des mouvements sociaux dans la Russie d'aujourd'hui.

Grève à Ford: Un vent de luttes souffle sur la Russie

 

Le 20 novembre à minuit la chaîne de montage s’est arrêtée. Sur les 2200 salariés de l’usine Ford-Vsevolojsk (région de Saint-Pétersbourg), 1500 participent à la grève. La direction a réagi en interdisant l’entrée de l’usine aux ouvriers du poste du matin. Elle a même fait appel aux OMONs (les CRS russes) pour bloquer l’entrée. Depuis, chaque jour, des centaines d’ouvriers tiennent meeting permanent devant l’usine, veillant à ne pas laisser passer d’éventuels briseurs de grève. Dans un élan d’enthousiasme, ils dansent et chantent. Les salariés de la cantine, en grève eux aussi, distribuent thé et sandwichs. Atmosphère euphorisante et enthousiasme de se retrouver ensemble uni au combat pour ses droits.

 

La principale revendication des grévistes porte sur le niveau de salaire, dont ils demandent un relèvement de 30%. Pour le moment le salaire moyen dans l’usine tourne autour de 19000 roubles (550 Euros). L’affaire fait beaucoup de bruit, en lien avec les mouvements massifs de grève en France et dans d’autres pays d’Europe – on peut entendre les ouvriers scander « la France nous montre la voie à suivre, hourra ! », et également en lien avec les prochaines élections parlementaires, qui se tiendront le 2 décembre.

 

Surtout, l’opinion publique et même les syndicats traditionnels de la Centrale FNPR, pourtant hostile par principe à tout conflit ouvert avec les directions d’entreprise, commencent à bouger. Une lettre publique signée par vingt sociologues du travail, demandant une libéralisation du Code du travail concernant la réglementation du droit à la grève, a été publiée par plusieurs journaux. Les syndicats et collectifs d’autres entreprises du pays, et également de l’étranger, envoient messages de soutien. Des piquets de soutien à la grève ont été organisés à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Le président de la FNPR, Mikhail Chmakov – allié de « Russie unie » aux élections – ose parler publiquement de la nécessité de réviser le Code du travail, adopté pourtant en 2001 par ses soins et ceux du parti du pouvoir.

 

En revanche, la direction de Ford Russie, pour le moment, déclare refuser toute négociation avant la cessation de la grève. Les grévistes ont été prévenus qu’ils ne seront pas payés. Ceux des salariés qui acceptent de signer une déclaration formelle de non-participation à la grève ont reçu la promesse de recevoir les deux-tiers de leur salaire pour « chômage forcé ».

 

Sentant que la grève allait se prolonger, les grévistes réunis en assemblée générale le 22 novembre ont décidé à l’unanimité de se scinder en deux groupes : l’un reprend le travail pour être rémunéré un minimum, l’autre poursuit la grève et le meeting permanent à l’entrée de l’usine.

 

« De toute façon, - explique Alexeï Etmanov, le président du syndicat de l’usine, ça ne suffira pas pour faire repartir la production et ne fera qu’aggraver les pertes financières dues à la grève ».

 

Le cas des « Fordistes » est assez unique et exemplaire pour la Russie. Un jeune syndicat sorti de la confédération traditionnelle FNRP il y a deux ans, un travail de terrain continu des leaders syndicaux pour faire comprendre aux ouvriers que le syndicat, c’est eux tous et non pas une agence de services en connivence avec la direction, une stratégie d’union syndicale offensive. A l’iniative de comité syndical de Ford est ainsi né cet été le Syndicat interrégional des travailleurs de l’automobile, regroupant des syndicats indépendants de plusieurs grandes entreprises, notamment l’usine Lada à Togliatti (où a eu lieu une grève – férocement réprimée – début août) et l’usine Renault-Autoframos à Moscou. C’est donc un cas exemplaire de syndicat combattif soutenu par la majorité des salariés.

 

C’est à la suite de la première grève des « Fordistes » (conclue par la signature d’un accord collectif), en février dernier, que le mouvement de grève a commencé à se développer dans le pays. Des dizaines de cas de grèves ont été répertoriés depuis. La plupart du temps, du fait de la législation du travail régressive et de la répression patronale, elles se sont terminées par des licenciements, des sanctions disciplinaires et des condamnations pour « grève illégale ».

 

Derniers exemples en date : la grève des dockers du port de Tuapse (4-7 novembre), puis de Saint-Pétersbourg (13-17 novembre), et celle de la Poste de St-Pétersbourg (26 octobre). Les deux premières ont été arrêtées par décision de justice. La troisième – grève du zèle en fait – s’est terminée par le licenciement de trois responsables du syndicat des camionneurs de la Poste. Mais l’épidémie se propage malgré les répressions. Le 28 novembre est annoncée une grève des cheminots appartenant au syndicat indépendant RPLBJ. La grève, même pas entamée, fait déjà l’objet d’un procès engagé par la direction. Les cheminots se déclarent néanmoins prêts à passer à l’acte. Les revendications portent sur la réglementation du salaire et sur le droit du syndicat minoritaire à participer aux négociations collectives.

 

Un vent de grèves souffle donc sur la Russie. Même si la dimension est moindre par rapport à ce que connaît la France, la radicalité du changement est à remettre dans le contexte russe, où les grèves avaient pratiquement disparu depuis le début des années 2000, date de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Changement dans les mentalités, dans la conception de ce qu’est un syndicat, dans les pratiques solidaires qui se mettent en place. Changement de génération aussi avec l’arrivée de jeunes ouvriers refusant de brader leur force de travail, revendiquant juste reconnaissance de leur qualification et moins imprégnés par les représentations paternalistes traditionnelles vis-à-vis du patronat et des syndicats.

 

Ces changements sont liés également aux évolutions socio-économiques. Une croissance économique stable, une élévation des profits et des salaires du management, une inflation galopante – tous ces facteurs s’accumulent pour faire monter le mécontentement. A cela s’ajoutent les incidences de la mondialisation en Russie. Les conflits du travail touchent particulièrement les multinationales, les ouvriers voyant comment fonctionnent les syndicats des autres pays et mesurant l’écart entre leurs salaires et ceux des ouvriers d’autres pays. Enfin, le facteur-clé est fourni par la seconde vague (après celle du début des années 90) de création de syndicats indépendants, constitués le plus souvent par la base, à partir d’un noyau d’ouvriers plus conscientisés que la moyenne.

 

En bref, si ce n’est pas comparable aux mouvements qui embrasent la France, les germes d’un changement de tendance sont indéniables. Et ni les élections, ni les répressions n’y feront rien. Les transformations, essentiellement qualitatives, sont bien plus profondes.

 


Gauche anticapitaliste et luttes sociales

 

Ilya Boudraïtksis et Mariya Kourzina sont membres de l’organisation « Vperiod » (« En avant »), qui a établi des relations avec la IVe Internationale. Cet article a tout d’abord paru dans Levaya Politika (Politique de gauche) n° 01 2007, revue trimestrielle dirigée par Boris Kagarlitsky.

 

Les organisations syndicales ont constitué la partie la plus grande et la plus avancée du mouvement social en Russie durant les dernières années de l’URSS et l’ère post-soviétique. Actuellement, elles apparaissent comme des forces sociales organisées et conséquentes dans leurs luttes, et leur importance grandit sans cesse. Cependant, une tentative d’appréciation objective (même quantitative) de l’envergure et du niveau d’activité des syndicats en Russie se heurte inévitablement à des difficultés non négligeables, qui relèvent en premier lieu de la méthodologie.

 

De nos jours, l’économie russe emploie environ 69 millions de personnes, auxquelles il faut ajouter sans doute environ 5 millions de chômeurs (les agences pour l’emploi en enregistrent environ 1,5 million). Le nombre de membres des différents syndicats réunis se monte à 31,5 millions de citoyens de la Fédération de Russie, si l’on reprend les données des syndicats eux-mêmes. Parmi eux, la FNPR (1) réunit 29 millions de membres (91,2 % de l’ensemble des syndiqués), la Confédération pan-russe du travail jusqu’à 1,5 million de membres (4,7 %), Sotsprof (2) jusqu’à 500 000 (1,6 %), les autres fédérations et les organisations indépendantes encore environ un demi-million (1,6 %).

 

Ainsi, l’activité syndicale concerne 42,5 % des travailleurs russes. Par comparaison, en France, aux Pays-Bas et en Espagne, ce chiffre ne dépasse pas 15 % ; en Allemagne, en Suisse, en Italie, au Portugal, en Autriche et en Grande-Bretagne, il est compris entre 20 % et 40 % ; en Norvège, en Belgique, au Danemark, en Suède, entre 50 % et 90 %. A première vue, le tableau semble pleinement rassurant. Mais, paradoxalement, le niveau de participation des travailleurs russes aux syndicats ne peut être considéré que comme extrêmement bas.

 

L’activité syndicale mondiale n’est nullement homogène. Il existe non seulement de sérieuses différences mais aussi des divergences dans les formes d’organisation, dans la pratique, dans l’importance du travail et du militantisme syndical. Les petits syndicats de France et d’Espagne apparaissent comme l’avant-garde des luttes ouvrières. Y militer, selon leur conception, ressemble à ce qu’ici conviendrait à l’appartenance à des organisations politiques. De plus, l’influence de ces syndicats, leur capacité de mobiliser et d’organiser les grèves s’étend considérablement au-delà de leur base militante stricto sensu. Les luttes collectives et les accords collectifs concernent dans ces pays 70 % à 90 % des travailleurs. Il existe en outre un modèle « scandinave » de syndicat : c’est une organisation pour qui le rôle de mécanisme de redistribution de l’État-providence s’inscrit dans l’ordre législatif, avec des effectifs importants (puisque l’obtention de la protection sociale dépend de l’appartenance à un syndicat), fortement centralisée, avec une machine lourde, dont les décisions se prennent rarement grâce à un débat ouvert, mais qui possède une influence directe sur l’organisation de la production en dehors des processus de discussions collectives.

 

Il est évident que la situation des syndicats russes ne relève ni de l’un, ni de l’autre schéma. Par conséquent, en règle générale, elle se rapproche plus ou moins des deux schémas à la fois. Il est certainement possible, bien que cela ne soit pas toujours pertinent, de dresser un parallèle entre les syndicats combatifs de France et les syndicats « alternatifs » de Russie (bien qu’ils ne soutiennent pas la comparaison aussi bien pour les effectifs que, de manière encore plus forte, pour l’influence, ils utilisent des méthodes semblables de lutte et d’organisation). Mais définir la FNPR, en suivant strictement le même parallèle, comme un syndicat « jaune » ou, mieux, comme un syndicat « à direction jaune », appelle des doutes sérieux et bien-fondés.

 

Les syndicats « alternatifs » sont en Russie issus de l’onde de la perestroïka et de l’essor du mouvement social, dans lequel ils jouèrent un rôle central. Cependant, le déclin rapide de l’activisme social, engendré par les cruelles désillusions des idéaux du « capitalisme démocratique », a eu pour conséquence que ces syndicats ne se sont pas formés comme des organisations massives de classe travailleuse. Ils ne parviennent à se maintenir en tant qu’organisations massives que dans quelques secteurs, là où la classe ouvrière est soudée et où l’on a une haute concentration ouvrière dans le cadre de l’entreprise : dans la branche charbon le NPGR (3), dans les transports le RPD (4), le RPLBJ (5), les syndicats de pilotes, des contrôleurs aériens. Dans tous les autres secteurs, les syndicats « alternatifs » ne sont que des petits groupes de la minorité consciente des travailleurs salariés.

 

Aujourd’hui, tous les syndicats indépendants ne représentent en Russie que 7-8 % des travailleurs organisés (c’est-à-dire 3 % à 3,5 % de l’ensemble des salariés). Pourtant c’est à l’intérieur de ce petit segment du mouvement social, que se produisent actuellement des processus extraordinairement importants pour l’ensemble de la société, et avant tout en lien avec l’apparition et le développement d’organisations ouvrières indépendantes dans les multinationales et les grandes corporations russes. C’est le syndrome de la demande toujours plus grande de l’auto-organisation collective de classe. De tels syndicats naissent dans des contextes nouveaux, dans le milieu des jeunes travailleurs, dans des entreprises qui connaissent le management de nouvelle génération (souvent étranger), c’est-à-dire en dehors des vieilles relations de travail fondées dans les entreprises « soviétiques » sur les intérêts interclassistes « de l’ensemble du personnel », du directeur à la femme de ménage.

 

Cette représentation s’est longtemps conservée à cause de la coïncidence partielle et paradoxale des intérêts des travailleurs et du vieux corps de direction sur la question de la préservation de l’entreprise, des lieux de travail, des rapports verticaux équipe-administration. Qui plus est, cette construction a atteint l’apogée de son développement quelques années après la fin de l’Union Soviétique, au milieu des années 1990, en plein mouvement de privatisations. « Ne nous donnons pas à des étrangers ! » : ce slogan rassemble les ouvriers et les directeurs « de l’ancienne génération », en lien avec l’équipe, dans des dizaines et des centaines d’entreprises, à l’image de la TsBK de Vyborg (6).

 

La FNPR, dans sa conception actuelle, c’est-à-dire, au fond, comme un ensemble de relations corporatistes à l’intérieur de l’entreprise, est le produit de cette contradiction et de cette situation paradoxale. Par conséquent au moment où le processus de redistribution de la propriété fut terminé, quand le conflit des dirigeants et propriétaires de « l’ancienne » et de « la nouvelle génération » est passé au second plan, au profit de l’opposition de classe, le terrain sur lequel cette organisation a grandi et s’est maintenu a disparu. Le reflet de cela se trouve dans le changement de l’appartenance partisane de la fédération, qui passe du KPRF (7) à Russie Unie (8). Le temps du paternalisme et de l’unité interclassiste passé, arrive le moment de se prosterner aux pieds du vainqueur.

 

Pour la bourgeoisie victorieuse la FNPR est ainsi apparue comme n’étant pas nécessaire. Elle ne défend pas les travailleurs (et même souvent trahit directement leurs intérêts), et en même temps elle est parfaitement inefficace comme instrument du patron. De fait, les uniques groupes sociaux qui restent directement intéressés par le travail de cette organisation sont les « couches intermédiaires » : les chefs d’équipe, les contremaîtres, les chefs d’ateliers et de services, les managers adjoints… La particularité de la situation de cette couche intermédiaire est qu’elle apparaît comme le « détachement d’avant-garde » de la direction dans l’entreprise. Sa tâche — motiver et surveiller — est extraordinairement complexe. La situation psychologique est plus qu’inconfortable car, alors qu’elle se trouve en permanence au milieu de simples travailleurs, elle doit suivre la ligne de la direction, bien que sa situation salariale la rapproche plus de ses subordonnés que de celle-ci. « Chez eux parmi des étrangers, étrangers parmi les leurs ». Dans cette situation, la FNPR en tant que structure corporatiste, d’atelier, tout en étant détenteur de moyens d’encouragement — poutiovki (9) etc. — et accélérateur de promotion, reste irremplaçable.

 

Ni par sa composition, ni par son rôle dans les rapports de production et dans la vie sociale, ni par sa politique, la FNPR ne peut prétendre à l’appellation de « syndicat ». Néanmoins elle joue un rôle très important dans le mouvement ouvrier et social en Russie. Mais ce n’est pas grâce à ses militants de base « de combat » mais comme réservoir énorme et presque sans fond pour la canalisation de la protestation sociale et aussi comme instrument le plus efficace pour discréditer le travail syndical en tant que tel.

 

Par conséquent, selon nous, on pourrait dire avec raison que les effectifs réels des organisations syndicales en Russie, d’après les décomptes les plus optimistes, ne dépasse pas 3 millions de personnes soit 4 % de l’ensemble des travailleurs. Cela représente les syndicats « alternatifs » et certains secteurs les plus sains de la FNPR.

 

Les syndicats « libres », dans la plupart des cas, rassemblent une minorité active de travailleurs de l’entreprise, ce qui les place sous les coups de l’administration, et ainsi ne leur permet pas de participer de plein droit à la conclusion d’accords collectifs. Souvent, les syndicats indépendants n’ont pas de « second échelon » d’animateurs et le licenciement de quelques leaders prive les membres de la base de la capacité de lutter et conduit souvent à la destruction de l’organisation qui disparaît avant de démontrer en justice l’illégalité du licenciement. D’un autre côté, les membres des syndicats « alternatifs », en règle générale, se distinguent par un haut niveau de conscience et par un désintéressement dans la lutte, plus unis et préparés à résister aux attaques contre l’organisation. Quant à l’appartenance en masse à la FNPR, bien souvent elle n’est pas produite par une aspiration délibérée à entrer dans une organisation de travailleurs mais par des motivations complètement différentes : suggestion du service du personnel, habitudes, perception du syndicat comme source de biens (poutiovki, places dans les jardins d’enfants…).

 

Les difficultés sérieuses tant pour les syndicats « alternatifs » que pour les syndicats combatifs de la FNPR résident dans les rapports avec leur propre direction. Ils apparaissent comme des organisations de classe et de combat au niveau local, mais leurs structures nationales ne sont souvent pas construites sur des bases transparentes et démocratiques. On observe un éloignement entre la direction et la base. La direction nationale joue un rôle de centre de coordination, de fournisseur d’informations, de soutien juridique et matériel mais pas réellement d’institution active et représentative sous contrôle des militants de base. L’indépendance de la direction permet à de simples individus d’utiliser cette situation à des fins personnelles. Les syndicats combatifs de la FNPR, en raison des particularités déjà décrites ci-dessus de la structure de cette organisation, en cas de radicalisation et d’opposition ouverte à l’employeur, entrent souvent en conflit direct avec la direction locale ou de branche, ce qui entraîne soit la défaite du militantisme actif, soit l’autonomisation du syndicat, qui quitte la Fédération.

 

Les mouvements sociaux

 

La stabilisation des rapports du travail et le réveil des syndicats n’ont pas par hasard coïncidé avec l’offensive contre la sphère sociale. A la fin des années 1990, la privatisation de la production se trouvait dans sa phase finale. Par contre les transports, les infrastructures, le logement, les organismes de santé, de formation, de science et de culture, le système des retraites, soit une tranche énorme de la propriété publique, n’avaient pas encore été touchés. En même temps, les garanties que l’État apporte au monde du travail et aux sphères sociales demeuraient un obstacle à l’adhésion de la Russie à l’OMC.

 

Le premier coup fut porté par le biais de la modification de la législation du travail et simultanément par la restriction des libertés démocratiques. Les actions de masse du début de la décennie n’ont pas encore été oubliées par l’élite russe. La restriction des droits d’organisation et de réunion ainsi que la mainmise sur l’espace médiatique avaient pour but de garantir sa domination et de légitimer la répression en cas de « fureur populaire ».

 

Ces contre-réformes ne furent pas menées de front, mais portaient atteinte à un secteur de la population tout en préservant l’indifférence de la majorité. L’adoption de ces lois a traîné des années. Ainsi, la modification du code du travail fut présentée par le gouvernement russe dès le milieu des années 1990 mais la nouvelle version ne fut adoptée qu’en 2001 ; la réforme des retraites a pris plus de cinq ans ; commencée en 1993, la réforme de l’éducation n’est toujours pas terminée. Plus tard, l’adoption forcée des lois antisociales, même moins destructrices, fut plus rapide, mais la société russe, vaincue par les coups du début des années 1990 et plongée dans la frustration, n’a pas été capable de construire une stratégie de résistance sur le long terme. Enfin, le contenu réel des projets de lois adoptés ne fut pas compris par de larges couches de la population, et le travail d’explication de l’opposition n’a pas été capable de rivaliser avec la propagande des mass media néolibéraux.

 

Au total, environ 300 000 personnes prirent part aux très massives « journées d’actions unifiées » contre le nouveau code du travail, organisées à l’appel des syndicats « alternatifs », mais seulement une minorité d’entre eux pris part aux meetings et aux grèves d’un jour. En réponse à la réforme des retraites seulement une protestation passive eut lieu : les citoyens ne placèrent pas leur argent dans les fonds non étatiques, ce qui a conduit à l’échec des plans du gouvernement.

 

La confiance croissante dans ses capacité a conduit l’élite bourgeoise à accélérer le rythme de l’élaboration des projets de réforme et de leur examen par le Parlement. La composition de la Douma d’État, transformée après les élections du printemps 2003 en un organe de pure forme, y a contribué. Ainsi, la tristement célèbre loi fédérale 122, déposé au Parlement a l’automne 2004, fut signée par le président la même année (10). Le code du logement, adopté en 2005, a franchi en une seule année toutes les étapes, de son élaboration à son entrée en vigueur (11) ; et le dispositif complexe de projets concernant la privatisation de l’éducation, de la science et de la culture fut déposé et examiné par le Parlement au cours de l’automne 2006.

 

Les conséquences de ces réformes ont déjà touché des couches très différentes de la population : des ouvriers, des retraités, des étudiants et les jeunes sans emploi. La révolte contre la loi fédérale 122 au début de 2005 fut le premier signal fort de la résistance venue de la base. Les actions de protestation, dont une majorité revêtit un caractère radical, se déroulèrent dans presque 600 villes, c’est-à-dire en fait dans tous les chefs-lieux de rayons. Les premières manifestations, qui commencèrent dès après les fêtes de fin d’année, revêtirent plus spécialement un caractère spontané et ne furent que faiblement marquées par l’influence des partis de l’opposition « officielle », qui n’ont pris conscience de l’importance des faits et tentèrent de reprendre le contrôle du mouvement seulement lorsque localement des organes d’auto-organisation se mettaient en place et en action . Et bien que le mouvement ait rapidement décliné, son importance fut décisive pour la suite du développement du mouvement protestataire.

 

Les coordinations des conseils (KS), formés sur la vague de la « révolution de coton », attirèrent des éléments les plus divers, depuis les militants de petits groupes de gauche jusqu’à des personnes qui pour la première fois témoignèrent de l’intérêt pour le processus social.

 

Dans ce contexte, eut lieu en avril 2005 le premier Forum social russe, réunissant plus de 1000 participants, sur la base de la représentation des KS régionaux. Ce fut un essai de structuration du mouvement au niveau national et de sa politisation, en élaborant un programme alternatif global à la politique antisociale du Kremlin.

 

L’adoption d’un nouveau code du logement et d’une série de lois connexes donna une nouvelle impulsion au développement de la protestation sociale. La particularité de cette réforme est qu’elle heurte de manière directe les intérêts de tous les citoyens de Russie. Autour de la question du logement des milliers d’initiatives ont eu lieu, concernant tant la gestion que les constructions, les problèmes des foyers, la situation du fonds des logements, les charges locatives (12), l’augmentation des loyers, le droit au logement, les droits des investisseurs dupés, etc. En dépit de la similitude des problèmes liés à l’habitation (la contradiction entre les intérêts des habitants et ceux des entreprises de BTP), on ne parvint pas à des revendications unifiées. Les tentatives répétées pour coordonner ces initiatives se sont heurtées à l’incompréhension réciproque et à la focalisation des conflits sur les problèmes locaux.

 

L’existence de contradictions entre les groupes sociaux particuliers, apparues au cours du mouvement de protestation, est en général un obstacle pour son développement. L’approfondissement du processus de privatisation de l’éducation, de la science et de la culture a entraîné de même la protestation sans ambiguïté des étudiants et des travailleurs de ce secteur. Cependant, l’élaboration d’une position de protestation coordonnée pose un grand problème. La réalisation de cette réforme suscite des craintes de différentes natures. Les étudiants sont mécontents de l’attaque contre la gratuité de l’éducation, alors qu’une partie importante des professeurs espère qu’elle améliorera leur situation matérielle. Dans le même temps, les professeurs du supérieur agissent contre l’introduction de la sélection d’accès aux études (13) et les parents d’élèves calculent que cela leur épargnera la nécessité de payer des répétiteurs. Les scientifiques qui s’occupent de sciences fondamentales sont inquiets de la perte d’indépendance de l’Académie des Sciences et craignent la fermeture de leurs instituts ; et leurs collègues spécialistes de la recherche appliquée ont un avant-goût de la réception de financement complémentaire. L’autofinancement de l’enseignement secondaire place de fait l’ensemble des travailleurs des écoles en situation de concurrence réciproque.

 

Lorsque la politique commence

 

Tout au long de l’histoire post-soviétique la nouvelle classe dominante, intrinsèquement liée à l’appareil d’État, fut le seul sujet qui a créé ses institutions politiques et ses représentations politiques dans la société en tant que telle. On peut considérer les années 1990 et le début des années 2000 comme une forme de « solitude de la bourgeoisie », édifiant les structures de prise de décision en coordination avec ses intérêts, sans impliquer de participation de la société en tant que telle. La guerre unilatérale contre la majorité, qui se manifeste par les privatisations, suppose la fondation d’un régime politique se trouvant disposé à faire preuve d’empressement dans l’agression et vis-à-vis de toutes les nouvelles attaques contre le milieu social, les lieux de travail et les niveaux de vie. Ce n’est pas par hasard que le commencement des contre-réformes sociales radicales a coïncidé avec les contre-réformes politiques, qui débutèrent par la fusillade du Parlement et l’introduction de l’état d’urgence de courte durée en 1993 (14). Un tel système, en raison de sa nature même, n’a pas laissé (et ne laisse toujours pas) de place à l’opposition par en bas dans sa dimension politique.

 

Pour les représentants des organisations ouvrières et du mouvement social, toute tentative de s’inscrire dans les politiques publiques existantes les soumet à la pression colossale de la corruption et de la manipulation des institutions actuelles. Chaque nouveau cycle électoral conduit à la création d’un panel de formations quasi politiques, qui, tel un tsunami, menace de noyer ce qui reste d’initiatives indépendantes. La grande question à laquelle nous sommes confrontés, c’est comment le mouvement peut dans ces conditions préserver son indépendance, demeurer hors de la culture politique dominante et élaborer des programmes alternatifs clairs capables d’assurer aux travailleurs un instrument indépendant qui parle de leur propre voix et qui lutte pour changer leur condition.

 

Cependant, actuellement, la gauche russe n’a pas les forces de proposer quoi que ce soit allant dans ce sens. En existant hors du champ politique construit pour la bureaucratie et les corporations, la gauche se trouve sous son influence permanente, en interagissant inconsciemment avec lui et en imitant sa stratégie dans les rapports avec les mouvements sociaux. En aspirant à l’autoaffirmation, les groupes de gauche tentent d’utiliser les syndicats et les initiatives à la base pour affirmer leur point commun : entériner des programmes particuliers. Les grèves et les actions de protestation dans le domaine du logement, les actions de solidarité ouvrière et les manifestations contre les conséquences des réformes sont des sommets attirants et accessibles pour être les premiers à y planter son drapeau ou ses logos partisans propres. Aux yeux des militants sociaux peu expérimentés, un semblable rapport efface souvent pratiquement les différences entre la gauche radicale et des politiciens bourgeois, intéressés par les succès électoraux ou le fait d’être les représentants de leurs intérêts commerciaux concrets.

 

Il faut essayer de dépasser la méfiance réciproque entre les mouvements sociaux et la gauche ainsi que la crainte d’une instrumentalisation mutuelle. La situation considérée comme usuelle aujourd’hui, et jouant le rôle d’une norme, conduit les syndicats ou les animateurs des mouvements sociaux à voir les militants politiques comme des auxiliaires gratuits, à l’image du « donne, apporte et va-t-en » (15), disponibles quand il faut conduire un piquet ou organiser une demande au député mais décidément inutiles voire nuisibles pour le travail « réel ». « Laissez la politique dehors !» et « Nous soutenons qui nous aide !», voilà deux slogans dans lesquels se reconnaît l’écrasante majorité des militants du mouvement social. En retour, la gauche leur rend la monnaie de leur pièce.

 

Ainsi, la toute première question pour les socialistes, pour les partisans d’un véritable changement de société, demeure la recherche de la liberté d’action dans le mouvement, d’une rupture véritablement décisive avec l’approche technicisée et consommatrice du mouvement social revendicatif. L’immersion dans le mouvement, la présence en son sein avec des positions indépendantes fondées sur une véritable alternative politique, est la seule réelle possibilité pour l’expression adéquate d’une perspective de gauche dans l’espace public. Une telle immersion, une présence au sein de la classe, non seulement ne signifie pas pour la gauche la perte de son identité ni le refus de toute forme d’offensive sur le plan politique mais, au contraire, réunit les conditions lui permettant de commencer à exister.

 

Le rôle de la gauche

 

On peut distinguer quatre points de départ qui marquent en même temps la faiblesse du mouvement social et de la gauche russes et la possibilité pour eux d’avoir un développement coordonné et une croissance commune : les problèmes de la diffusion et de la réception d’informations ; le faible degré de coordination et d’interaction ; l’insuffisance de militants préparés ; l’impossibilité d’avoir une mobilisation de masse.

 

Qu’il soit de gauche, social et revendicatif ou syndical, le mouvement en Russie se trouve aujourd’hui dans des conditions d’isolement médiatique. L’absence d’intérêt pour son activité et même la désinformation frontale auxquels se livrent les mass médias ne sont qu’une partie du problème, bien qu’il soit important du point de vue de la propagande et de l’organisation de la résistance massive. Non moins grave est la question de l’échange d’informations et d’expériences à l’intérieur même du mouvement. Le niveau actuel de communication permet à peine de faire connaître les faits concrets de répression. Pour des larges campagnes de longue durée cela est insuffisant.

 

L’information sur les événements fonctionne (surtout par Internet) à la manière d’un kaléidoscope, alors que nous avons besoin qu’elle soit généralisée, permette la recherche des tendances, des points de contacts, des revendications et des approches communes. Aujourd’hui ce travail est le fait des sociologues — en premier lieus il faut saluer le rôle joué par l’Institut d’action collective (16) — plus que des politiques, ce qui marque malheureusement son caractère.

 

Sans surmonter la réserve extrême du mouvement social et sans dépasser la sous-culture de la gauche, sans la création d’un espace général de communication, il est impossible de parler de perspectives de politisation des mouvements sociaux ni de la prise de conscience de leurs intérêts généraux. Dans ce contexte, les campagnes de solidarité jouent un rôle précis. Elles sont importantes et le resteront — et devraient être pour les mouvements sociaux non seulement une méthode de résolution de leurs problèmes spécifiques (pas toujours assez efficace), alors que la gauche ne devrait pas y voir uniquement une démonstration autosuffisante de leur lien formel avec la classe. De telles actions communes doivent au contraire devenir le champ de convergence active et successive de la conscience courante des mouvements protestataires et des syndicats, mettant à l’ordre du jour la question de leur représentation politique et, par conséquent, celle de l’alternative politique.

 

Par rapport à une campagne de isolée de solidarité, l’apparition des coordinations de conseils et des comités de solidarité syndicale a constitué un pas en avant. Conçus comme des lieux permanents pour échanger des opinions et élaborer des programmes d’action globaux, éditant des publications en commun, ils ont permis l’apparition de larges structures sur le plan national : les forums sociaux et l’Union des coordinations des conseils (SKS). L’efficacité de telles structures dépend des circonstances précises, des exigences du moment, exprimées à un certain niveau de conscience pour chaque forme concrète en tant que nécessité pratique. De plus, les militants politiques doivent encore lutter pour pouvoir participer à égalité avec les autres à ces initiatives.

 

Le défit de cadres formés est un problème général pour la gauche, le mouvement social et les syndicats. D’une part, il existe un manque criant de militants compétents des mouvements sociaux et un déficit de formation et d’auto-formation. Dans ce sens, la question de la pénurie de cadres s’entremêle à l’insuffisance d’information et d’analyse à l’intérieur du mouvement. D’autre part, la gauche manque en général de rapports avec les actions sociales en cours, même s’il ne s’agit pas d’une lutte purement pratique mais d’un mouvement social ou syndical (c’est-à-dire de la généralisation politique d’une telle lutte, sentiment qu’un mouvement unifié a souvent de lui-même).

 

Comme on le sait, la théorie marxiste n’est pas seulement un produit direct de la lutte de la classe ouvrière mais en même temps elle est la généralisation de toutes ses expériences du passé. C’est pourquoi la préservation du marxisme comme pratique d’analyse politique est possible seulement si chaque expérience individuelle nouvelle n’est pas disséquée selon les canons établis mais est traitée en tant que faisant partie d’une expérience sociale cohérente qui évolue à son contact. Ainsi la formation des cadres est inséparable de l’insertion de la gauche au sein du mouvement de masse et de l’obtention du soutien politique des militants sociaux et des dirigeants des syndicats combatifs.

 

Un des problèmes majeurs demeure la capacité des mouvements sociaux à organiser la mobilisation de masse d’une part et d’autre part la croissance extrêmement réduite des groupes de gauche, tant quantitativement que qualitativement. Aujourd’hui la mobilisation contre la commercialisation des services publics (17) est sans doute la seule expérience d’un réel mouvement de masse capable de donner une réponse adéquate à la situation et de formuler des revendications unifiantes de manière à mettre dans les rues des centaines de milliers de manifestants. En même temps, tant ce mouvement que quelques autres de grande ampleur d’un caractère plus local, furent liés à des situations concrètes et de courte durée. Les initiatives qui ont surgi sur la vague de ces mobilisations se sont montrées, dans leur majorité, incapables d’élargir qualitativement leur présence dans la vie publique ni de construire leur activité sur une base régulière et méthodique. Si l’on excepte des raisons objectives en lien avec les particularités de la conscience courante des masses, ces résultats modestes s’expliquent par un manque aigu d’un large mouvement politique organisé.

 

L’incapacité criante de la gauche d’être présente et de prendre part aux mouvements, bien qu’elle le fasse de plus en plus, explique l’insignifiance du nombre de ses militants et son impossibilité d’attirer vers elle de nouvelles forces. On peut dire avec certitude qu’aujourd’hui la gauche met à profit à un très faible degré le potentiel d’accroissement de l’intérêt pour les idées anticapitalistes parmi la jeunesse et ne se montre pas disposée à réagir activement aux problèmes sociaux actuels en y apportant une polémique ouverte et convaincante, en donnant avec éclat et sans hésiter une interprétation alternative au large spectre des questions actuelles. Cet « isolement splendide » conduit aussi bien à des tendances sectaires et à la « réduction » de la participation des militants, qu’à l’effacement complet de leur position politique dans l’action quotidienne en tant que « bon militants sociaux ».

 

Indépendamment de toutes les différences objectives, la méfiance envers les formes politiques, envers la dimension politique des questions, n’est pas un trait distinctif de la situation en Russie. Le rejet fondamental des organisations politiques européennes dont faisaient preuve les mouvements sociaux, caractéristique du début des années 2000, s’est réduit au moment où la logique même de la résistance a poussé à rechercher une alternative active. Ainsi, par le « non » décisif à la constitution européenne, la gauche organisée est précisément devenue cette force qui a pu exprimer la prise de conscience croissante par la société du lien organique de la privatisation et de l’offensive contre le milieu social avec ses manifestations institutionnelles au niveau des États nationaux et de l’Union Européenne. C’est ce qu’on peut appeler le « retour du parti », fondé sur le lien et l’interaction profonde de la théorie et de la pratique, de l’expérience quotidienne de la lutte et de la tradition socialiste. Un tel changement de situation était lié non seulement au réveil de la société mais aussi à une révision profonde par la gauche de son expérience passée et de sa pertinence envers les problèmes de la situation actuelle.

 

Une telle révision est possible seulement sur la base du travail quotidien au sein du mouvement, en faisant la preuve d’une influence décisive sur l’élaboration d’une alternative politique intelligible et mobilisatrice. C’est précisément là-dessus qu’est fondé le principe même du programme de transition, de l’avancement de revendications claires et conséquentes, qui s’adressent aux larges masses, intrinsèquement en lien, grâce aux opportunités du moment, avec la nécessité de lutter contre la logique du marché, la nécessité du renversement conscient et définitif du capitalisme.

 

Traduction du russe et annotations par Vincent B. Publié dans Inprécor

 

Notes

1. La Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), créée en mars 1991, est issue du Conseil central des syndicats de l’Union Soviétique, qui sous le nom de « syndicat » était une des courroie de contrôle sur les salariés. Elle en a gardé la majorité des adhérents, des cadres et du patrimoine. Elle est dépendante du gouvernement pour la sauvegarde de son statut institutionnel et de son patrimoine.

2. La confédération Sotsprof est fondée en 1989, en opposition au modèle syndical du syndicat unique et plus tard de la FNPR. Sa direction a soutenu la restauration capitaliste et les réformes néolibérales mais sa base est souvent très combative et en opposition à ses propres dirigeants. Cependant, elle se concentre sur la défense de ses propres adhérents.

3. Syndicat indépendant des mineurs de Russie. Il est fondé en 1990 sur la vague des grandes grèves des années 1989-1990. La direction du syndicat insiste sur l’apolitisme de la fédération, la base est souvent beaucoup plus combative. Par exemple, les militants du NPGR furent à l’initiative de la « guerre des rails » de l’été 1998 (piquets de grève, blocages de voies ferrées) et réclamèrent la démission de Boris Eltsine.

4. Syndicat russe des dockers.

5. Union syndicale russe des brigades des cheminots de locomotives.

6. Vyborg est une ville de 80 000 habitants à la frontière finlandaise, sur le golfe de Finlande. TsVK est le combinat cellulose de la ville, qui produit du papier. Une lutte entre les salariés et les propriétaires a amené les travailleurs à s’emparer de l’usine, de mars 1998 à janvier 2000. La production du combinat est de haute qualité et dispose d’importants débouchés d’exportation mais la spéculation menée par les propriétaires depuis sa privatisation en 1994 l’a mené à la faillite. Les 2200 salariés de l’usine ont élu un « directeur populaire » et ont pris le contrôle de l’usine. Devant l’opposition des propriétaires et des pouvoirs locaux, et après deux tentatives d’invasion de l’usine par la police, l’expérience autogestionnaire a tourné court (cette lutte est décrite par Carine Clément, Les ouvriers russes dans la tourmente du marché : 1989-1999 : destruction d’un groupe social et remobilisations collectives, Éditions Syllepses, Paris 2000).

7. Parti Communiste de la Fédération de Russie (KPRF) fut fondé en 1993 sur les décombres du PCUS par l’appareil bureaucratique intermédiaire qui ne parvint pas à se recycler dans la restauration capitaliste autour d’une idéologie conservatrice se réclamant du communisme (version stalinienne) et du nationalisme grand-russe. Il est dirigé d’une main de fer par Guenadi Ziouganov.

8. Russie Unie est un parti néoconservateur constitué en 2001 pour soutenir Vladimir Poutine et lui donner une majorité parlementaire. Depuis 2003 ce parti détient 305 des 450 sièges de la Douma et 88 des 178 sièges du Conseil de la Fédération (la chambre haute). C’est suffisant pour modifier la Constitution à son gré. Son président, Boris Gryzlov, est le président de la Douma.

9. Des bons pour bénéficier des offres du comité d’entreprise (camps de vacances, colonies pour les enfants…).

10. Loi sur la « monétarisation » (commercialisation) des droits sociaux, qui signifie en clair que les plus démunis seraient privés de l’aide de l’État. La gratuité de certains services (exemple : la santé, les médicaments) est remplacée par une « compensation » financière. L’entrée en vigueur de cette loi provoqua de grandes manifestations en janvier 2005.

11. Le Code du logement est entré en vigueur le 1er janvier 2006. Son objectif est la privatisation du parc immobilier communal. Il met un coup d’arrêt à l’accession gratuite à la propriété qu’avait encouragé Eltsine pour privatiser les logements le plus vite possible. En outre, la gestion d’immeuble peut passer à des sociétés privées, qui sont choisies par les mairies si les copropriétaires ne le font pas eux-mêmes. Pour plus d’informations sur la politique du logement et les mobilisations en 2005 et 2006, voir Le Messager syndical, n° 32, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article1777

12. Jilitchno-kommounalnoe khozaïstvo : ensemble des services domestiques attachés au logement (électricité, chauffage, espaces communs…).

13. EGE, Examen uni d’État. Introduit à partir de 2001, l’EGE est l’examen final des études secondaires et permet de faire une sélection à l’entrée de l’Université. Il sera généralisé en 2009.

14. Après son indépendance en juin 1991, la Fédération de Russie s’est placée dans la continuité institutionnelle de l’ancienne République Socialiste Fédérative de Russie (la RSFR, la Russie au sein de l’URSS), avec la même Constitution. Le dernier Soviet suprême de la RSFR a joué le rôle du Parlement. Composé majoritairement de communistes, il s’est opposé à la « thérapie de choc » néolibérale de Boris Eltsine. La situation a gravement dégénéré entre l’exécutif et le législatif et Eltsine envoya les chars bombarder le Parlement en 1993 et les troupes d’élite prendre le bâtiment d’assaut. On peut aujourd’hui voir au Musée d’Histoire Moderne de Moscou une des portes du Parlement criblée de balles. L’actuelle Constitution de la Fédération de Russie (présidentielle) fut promulguée à la suite de ce coup d’État.

15. L’expression russe « travail à la donne-apporte et va-t-en » désigne un travail de simple exécution du niveau le plus humble.

16. L’institut d’action collective est dirigé par la sociologue Carine Clément. Son site web (en russe : www.ikd.ru) publie des informations et des analyses des mouvements sociaux et des luttes syndicales ainsi que des bilans hebdomadaires.

17. Contre la loi 122 de janvier 2005, déjà mentionnée.

 

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