Russie: Un match nul pour Ford, mais une victoire pour tous
Par Boris Kagarlitsky le Jeudi, 03 Janvier 2008 PDF Imprimer Envoyer

La grève à l’usine Ford de Vsevolozhsk, juste en dehors de Saint-Pétersbourg, s’est achevée le 14 décembre. Ce fut la plus longue et la plus intense depuis la chute de l’URSS. La grève commença le 20 novembre, et se poursuivit pendant trois semaines. D’après les militants du syndicat, les chaînes de production furent entièrement paralysées. La direction avait rassemblé une équipe composée d’employés de bureau et, jusqu’à la fin de la grève, une seconde équipe pour maintenir la chaîne en route. Mais le département du contrôle-qualité poursuivit la grève, ce qui signifie que les voitures produites durant cette période pourraient ne pas remplir tous les standards techniques.

Pendant la grève, seul un petit nombre de voitures sont sorties de la chaîne d’assemblage, et la firme peut s’attendre à de lourdes pertes. Les travailleurs en grève, pour leur part, sont moralement et physiquement exténués après cette longue bataille contre la direction. Le fond de grève du syndicat n’était pas prêt pour un aussi long combat. Les forces spéciales (OMON) ont harassé les piqueteurs et les organisateurs de la grève furent menacés de poursuites judiciaires.

Finalement, une assemblée générale des ouvriers en grève de Ford a voté à bulletins secrets la cessation de la grève, et l’administration de la compagnie a promis d’augmenter leurs salaires. Les deux camps ont signé un accord prohibant les actions punitives contre les participants.

Le syndicat et la compagnie se sont promis de résoudre tous les désaccords avant le 1er février. Le dirigeant syndical Alexei Etmanov a déclaré que l’administration de Ford était prête à indexer les salaires pour compenser l’inflation et à mieux rémunérer les heures supplémentaires et l’ancienneté dans l’entreprise.

Etmanov a qualifié tout cela de victoire, disant : « Cette grève s’est avérée être la plus longue des 10 dernières années. Je pense que la direction devrait accorder des concessions. Je doute qu’ils veuillent voir la grève reprendre au printemps. ».

Mais le syndicat a obtenu beaucoup moins que prévu. En plus des concessions acquises, les travailleurs avaient demandé une augmentation de salaires de 30%, de plus hautes pensions et des changements aux horaires et au temps de travail.

Il semblerait que la confrontation s’achève sur un match nul. La direction n’est pas parvenue à briser le syndicat, et les grévistes ne sont repartis qu’avec des résultats modestes, surtout comparés avec l’effort et les risques formidables qu’ils ont consenti pour obtenir ce qu’ils voulaient.

Le conflit à l’usine Ford a eu des conséquences bien au-delà de l’organisation elle-même, et même au-delà de l’industrie de la production automobile en Russie. Les medias de tout le pays ont largement couvert l’histoire.

Ce fut la première grève offensive depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code du Travail, il y a plusieurs années. Ce fut également la première grève que les autorités n’ont pas écrasé et dans laquelle les participants ont obtenu la garantie de ne pas être la cible de représailles. Une fois de plus, la grève a démontré que les lois sont faites contre les syndicats, mais elle a aussi prouvé que des organisations ouvrières puissantes peuvent contourner une grande partie de ces restrictions.

En définitive, le conflit à Ford a forcé de nombreuses personnes à reconnaître que les ouvriers sont honteusement sous-payés en Russie – pas seulement en comparaison avec ceux d’Europe occidentale, mais aussi par rapport à ceux d’usines automobiles semblables dans les pays d’Amérique latine.

Les issues fondamentales de cette grève ne concernent pas que les travailleurs et la direction de Ford, mais la société dans son ensemble. Même si l’usine Ford travaille de nouveau et que les choses semblent être revenues à la normale, nous devons  tirer ces importantes conclusions de cette grève et comprendre qu’il reste de sérieux problèmes sociaux dans le pays. La première pierre a été jetée dans l’eau, et les vagues continueront à ondoyer pendant longtemps.

Boris Kagarlitsky est le Directeur de l’Institut d’Etudes sur la Globalisation

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