Interview de Joe Higgins, député européen du Socialist Party (Irlande): "En tant que député européen, je suis aux côtés de tous les travailleurs qui luttent en Europe"
Par David Dessers le Vendredi, 02 Octobre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Lors des élections européennes de juin 2009, la liste du Socialist Party (Irlande; organisation-soeur du PSL) emmenée par Joe Higgins à Dublin a récolté 12,5% des voix. Cela a permis à Higgins de décrocher un siège au Parlement européen. En juin 2008, les électeurs irlandais s’étaient prononcés, avec une majorité de 53%, contre le Traité de Lisbonne, la deuxième version de la Constitution européenne qui avait auparavant été rejetée par les électeurs en France et aux Pays-Bas. Higgins et son parti ont joué un rôle clé dans la campagne du NON. Cependant, les prochains jours seront encore fiévreux pour Higgins et la gauche en Irlande. En effet, le 2 octobre, un second référendum sera organisé en Irlande sur le même Traité de Lisbonne. Démocratie à la sauce irlandaise…

Comment est-ce possible d’organiser un référendum à deux reprises sur le même traité ?

Joe Higgins: En juin 2008, il est apparu qu’une majorité très claire des Irlandais étaient contre le Traité de Lisbonne. Le résultat du référendum a placé tous les secteurs de la classe dominante devant un grand problème. Les grandes entreprises étaient toutes gagnées au camp du OUI, entre autres parce qu’elles sont en faveur de plus de libéralisation et de privatisations. Les grands partis politiques sont tous, sans exception, pour une gestion néolibérale et sont donc pro Lisbonne. Le sommet de l’armée est gagné à cette perspective parce que le Traité leur permettra de participer à la stratégie militaire européenne. En outre, la pression de l’élite économique internationale et de la Commission européenne est considérable pour remettre la question sur le tapis et rectifier « l’erreur » des électeurs irlandais de juin 2008. La pression de la classe dominante est telle que nous aurons maintenant un deuxième référendum sur quasi le même texte.

Le nouveau référendum aura lieu le 2 octobre?

Joe Higgins : En effet, et cela nous laisse peu de temps pour mener campagne pour le NON. Mon parti, le Socialist Party, mène très activement campagne et tâche d’expliquer aux travailleur/ses et aux chômeur/ses que le Traité de Lisbonne est directement dirigé contre leurs intérêts. Dans le camp opposé, la pression de l’establishment est à nouveau très forte, les médias, les grandes entreprises et la bureaucratie syndicale avertissent la population qu’une majorité en faveur du NON isolerait l’Irlande, que les investissements étrangers s’arrêteraient et que la population en paierait donc le prix. On réveille ainsi les sentiments d’angoisse de la population irlandaise, d’autant plus que la crise économique dramatique a des conséquences pour la population laborieuse. Nous répondons que c’est précisément la politique néolibérale du capitalisme international qui a provoqué cette crise. Le Traité de Lisbonne déterminera quelle voie l’Union européenne va prendre pour les prochaines décennies et c’est pourquoi il importe particulièrement qu’aujourd’hui nous n’empruntions pas un chemin qui, en fin de compte, nous mènera à la casse sociale.

Est-il exact que le gouvernement irlandais, après la défaire de juin 2008, a procédé à de petites adaptations afin de gagner le soutien de la population ?

Joe Higgins: Non, le gouvernement irlandais a demandé des pseudo garanties légales aux chefs d’Etats et de gouvernements européens. Cela sert uniquement à dissiper les inquiétudes auprès de la population irlandaise, mais ces garanties ne changent en aucune manière le Traité proprement dit. Ce second référendum porte exactement sur le même texte avec les mêmes perspectives. Les principales garanties légales portent sur des points que nous, à gauche, considérons comme mineurs, comme par exemple la question de l’avortement. Quand il s’agit des droits des travailleurs, les garanties légales répètent seulement que ce qui figure dans le Traité. C’est le même vin dans la même outre.

Comment marche la campagne en faveur du NON ? En dehors de la gauche, y a-t-il des forces de droite qui militent pour le NON ?

Joe Higgins: En 2008, il y avait effectivement un groupe actif en faveur du NON, Libertas, sponsorisé par un homme d’affaires millionnaire. A côté de cela, il y avait aussi un certain nombre d’organisations catholiques qui avaient choisi avec zèle le camp du NON. Il y avait d’autre part les organisations de gauche qui avaient mis sur pied leur propre campagne tout en collaborant dans une coalition large. Cette année, le groupe Libertas ne joue plus vraiment un rôle. Après que son fondateur ait frôlé un siège au Parlement européen, le groupe s’est quelque peu effondré. Il existe encore, il est vrai, quelques organisations catholiques qui font campagne, disons des groupes religieux de droite. La gauche, qui s’est par contre renforcée à la suite de la campagne de l’an dernier, mène encore cette année une vigoureuse campagne. Le fait que j’aie été élu au Parlement européen aide aussi évidemment. Le Socialist Party mène une vigoureuse campagne, mais nous collaborons aves les autres organisations de gauche ou antimilitaristes. Nous allons maintenant entamer la dernière phase de la campagne (l’interview a été recueillie le 2/9/09) et il est encore un peu trop tôt pour faire une estimation ou savoir si la gauche a pu dominer la campagne.

Comment se positionne la population par rapport à ce second référendum. Est-ce que c’est socialement admis ?

Joe Higgins: Evidemment beaucoup de personnes sont en colère contre le gouvernement. Elles doivent à nouveau aller voter alors que l’an dernier une décision claire était sortie des urnes. Il y a encore pas mal de confusion autour de quelques éléments du Traité. C’est pourquoi il est important d’apporter le plus d’éclaircissements possible au cours des semaines à venir afin de pouvoir comptabiliser une nouvelle victoire du camp du NON. Mais comme je l’ai déjà dit, cela dépendra des dernières semaines de campagne. Il est aujourd’hui trop tôt pour affirmer quelque chose. Tout est encore possible.

Comment vois-tu ton propre rôle , en tant que parlementaire européen, dans cette campagne ? Ton parti s’est-il nettement renforcé après la campagne précédente ?

Joe Higgins: Le Socialist Party a mené une très forte campagne l’an dernier, en mettant l’accent sur la protection des droits des travailleurs et la sauvegarde des services publics. Nous allons tenter de refaire cela. Nous avons des affiches, des tracts, des meetings publics et des débats. Je participerai certainement personnellement à quelques-unes de ces activités publiques. A côté de cela, il y a les débats dans les médias, qui seront évidemment déterminants au cours des prochaines semaines. Nous tenterons à chaque fois d’envoyer au tapis les arguments de la droite et d’expliquer à la classe ouvrière pourquoi le Traité de Lisbonne va complètement à l’encontre de leurs intérêts. Il va de soit qu’en tant que parlementaire européen j’aurais plus accès aux médias. Et nous en ferons donc usage.

Que veux-tu faire au cours des prochaines années au Parlement européen?

Joe Higgins: L’Union européenne est dominée par la droite. Il existe, par exemple, une alliance cynique entre le Parti populaire européen, principalement composé de chrétiens-démocrates de droite, et la social-démocratie européenne. Ces deux blocs politiques se partagent la présidence du Parlement européen et les combines sur pas mal de choses ? Au Parlement européen, il existe donc une large majorité de droite néolibérale dont, selon moi, la social-démocratie fait partie. La gauche est par contre très restreinte. C’est la raison pour laquelle je veux en premier lieu utiliser le parlement comme tribune pour m’adresser à toutes celles et ceux qui font partie de la classe ouvrière et, de cette tribune, répercuter leurs luttes et leurs revendications. Je n’ai pas la moindre illusion de faire changer d’avis la majorité de droite. Nous utilisons ce parlement comme tribune pour prêter attention aux mouvements de lutte, aux inquiétudes, aux grèves, en Irlande et ailleurs en Europe. Nous sommes clairement pour une Europe absolument différente, une Europe socialiste au lieu d’une Europe capitaliste. En tant que député européen, je suis aux côtés de tous les travailleurs qui luttent en Europe.

Peux-tu nous présenter ton parti, le Socialist Party?

Joe Higgins: Notre parti est la section irlandaise du Comité pour une Internationale ouvrière (le CIO, dont le PSL est la section belge). Nous sommes de manière constante partisans du socialisme, quelque soit le thème ou le problème immédiat soulevé. En outre nous nous attachons à ne jamais faire alliance avec la droite, sous quelque prétexte que ce soit, ni à participer à un gouvernement menant une politique néolibérale. Nous pensons qu’une véritable transformation socialiste de la société est la seule réponse valable à la crise capitaliste d’aujourd’hui et nous le disons ouvertement. Un tel bouleversement peut seulement se produire quand la majorité des travailleurs prend en mains le contrôle démocratique de la société. Nous établissons donc le lien entre la lutte quotidienne des travailleurs et la nécessité d’un changement radical de société. Nous participons aux luttes avec d’autres travailleurs et nous sommes aussi une véritable organisation de campagne.

Nous menons donc des campagnes avec des travailleurs, des jeunes, des communautés, etc., mais nous mettons toujours en outre l’accent sur la nécessité d’un programme socialiste. En outre, nous défendons aussi l’idée qu’il faut un nouveau parti de masse des travailleurs. Le tournant à droite de la social-démocratie européenne a créé un espace pour de nouveaux partis qui défendent un véritable programme de gauche et qui sont beaucoup plus larges que les petits groupes actuels. Cela vaut pour l’Irlande mais aussi pour le reste de l’Europe. La question est seulement quand on peut lancer de tels nouveaux partis. Il faut naturellement une base pour exister au sein de la classe ouvrière et cette base peut uniquement surgir de nouvelles expériences de luttes et de changements dans la conscience de classe. En d’autres mots, il ne sert donc à rien d’appeler soi même à créer immédiatement un nouveau parti des travailleurs si la base pour celui-ci n’existe pas encore. Il faut disposer de forces sociales pour pouvoir faire de ces nouveaux partis une réalité.

Aujourd’hui, vous êtes fort en Irlande. Est-ce là un signe pour un nouveau parti ?

Joe Higgins: Les récentes élections locales et européennes ont été particulièrement favorables au Socialist Party, mais pas seulement pour nous. D’autres groupes de gauche ont clairement fait un pas en avant. Est-ce que cela signifie que les conditions sont remplies pour faire le pas vers la fondation d’un nouveau parti ? Certainement pas pour le moment. Je pense sincèrement que les circonstances évoluent positivement vers une situation où cela pourrait devenir possible. On a besoin d’une très large participation des travailleurs actifs pour accoucher d’un tel parti. Mais entre-temps nous menons campagne contre le Traité de Lisbonne, nous soutenons les grèves et les luttes ouvrières, nous collaborons avec d’autres organisations de gauche et nous sommes ouverts pour d’autres développements. Fonder immédiatement un nouveau parti en Irlande serait cependant prématuré.

Quoi qu’il en soit, l’Union européenne n’est-elle pas en crise profonde après la victoire du NON aux Pays-Bas et en France ?

Joe Higgins: Nous subissons aujourd’hui une grave crise économique qui entraîne toute l’Europe et ses gouvernements. Plusieurs gouvernements en Europe n’osent en général pas laisser s’exprimer leur propre population sur le Traité de Lisbonne parce qu’ils savent aussi que le Traité serait rejeté. On voit aujourd’hui en Europe un fossé étrange, mais qui va en s’agrandissant, entre la politique menée par les gouvernements et l’opinion générale dans la société. C’est pourquoi il est important que les travailleurs tentent de fonder leurs propres organisations de manière à pouvoir disposer d’un instrument pour infliger une défaite à ces gouvernements, à leur politique néolibérale et à la classe dominante.

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