«Banques qui pillent, banques qui pleurent»: Entretien avec Marco Van Hees, délégué syndical CGSP- secteur Finances, sur son dernier livre
Par Denis Horman le Mardi, 09 Mars 2010 PDF Imprimer Envoyer

(Photo: CGSP-Amio Liège) «Ce n’est pas aux travailleur-euse-s de payer la crise», scandaient 2,5 millions de manifestants dans les rues d’Athènes, lors de la grève générale du 24 février dernier. Le gouvernement grec, appuyé par l’UE et le Fonds monétaire international, veut faire payer très chèrement par la population l’aventurisme des acteurs financiers et la soif inextinguible de profit chez les actionnaires parasites. De leur côté, les Islandais viennent, par referendum, de rejeter à plus de 95%, une loi qui les aurait obligés de payer les pots cassés d’une crise provoquée par l’attitude irresponsable et criminelle des banques et des fonds spéculatifs.

Après avoir été sauvées par les Etats, avec notre argent, les banques se sont refaites une santé florissante. BNP Paribas, qui a absorbé Fortis Banque pour une bouchée de pain, ne vient-il pas de déclarer pour 2009 un bénéfice de 5,83 milliards d’euros, soit une hausse de 93% par rapport à 2008. La socialisation des pertes et la privatisation des bénéfices laissent les Etats exsangues. Des Etats qui continent de plus belle à multiplier les cadeaux aux patronat, à creuser leur déficit et s’endetter auprès de ceux-là mêmes, les grands financiers capitalistes secourus avec notre argent et responsables de la crise.

Le livre de Marco Van Hees (éditions Aden, 2010) a le grand mérite de mettre à nu ce système bancaire. Il avance «une alternative limitée, au sens où elle se conçoit dans le cadre du système capitaliste, tout en remettant en cause certains dogmes de celui-ci: la création d’une banque publique»

Propos recueillis par Denis Horman

La Gauche: «banques qui pillent, banques qui pleurent»: pourquoi avoir choisi ce titre pour ton dernier livre?

Marco Van Hees: Cela résume bien le paradoxe de la situation. Dans la première partie, je passe en revue toutes les techniques de pillage pratiquées par les banques. Comment elles font pour maximiser leurs profits, au détriment de la clientèle, de leur personnel ou de l’Etat. Le paradoxe: ces banques, qui ont utilisé toutes ces techniques, en sont réduites à aller frapper à la porte de l’Etat pour obtenir de l’aide et éviter la faillite. On pourrait compléter ce titre, en l’intitulant «banques qui pillent, banques qui pleurent, banques qui pillent». Après avoir pleuré, elles ont recommencé à piller de plus belle.

La Gauche: Un des reportages sur ton livre était titré «banques belges, royaume de la fraude». Qu’est-ce à dire?

Marco Van Hees: Les banques sont les plus grandes sociétés spécialisées dans la fraude en Belgique. Quand on voit les grandes affaires de fraude examinées par la commission parlementaire sur la grande fraude fiscale - à savoir l’affaire KB Lux., la fraude à la QFIE (quotité forfaitaire d’impôt étranger), qui concerne quatorze banques, ou encore les affaires de fraude aux sociétés de liquidité -, dans ces trois cas, les banques sont impliquées comme principales organisatrices de la fraude. Cela veut bien dire que l’organisation de la fraude fiscale fait partie du métier des banques.

Elles sont également bien présentes dans les paradis fiscaux. Si l’on prend le top des sociétés belges, dans le classement du nombre de filiales implantées dans les paradis fiscaux, c’est Fortis qui arrive largement en tête, avec plus de 300 filiales. En France, BNP Paribas, qui a repris Fortis, arrive en tête du classement. Evidemment, ces comptes et placements occultes dans les paradis fiscaux sont, pour les banques, un des moyens pour frauder le fisc. En référence à l’année 2007, le taux de taxation moyen du secteur bancaire en Belgique ne dépasse pas les 10%. Et cela concerne la partie claire des comptes. Ce qui est planqué dans les paradis fiscaux échappe à l’impôt. Pour un travailleur qui, lui, est soumis à un taux moyen de taxation de 25% à 35%, c’est dur à avaler.

N’oublions pas non plus le scandale des intérêts notionnels dont profite l’ensemble des sociétés installées en Belgique, surtout celles qui ont des fonds propres importants, et c’est le cas des banques. Cette mesure a été introduite pour remplacer le système des centres de coordinations, qui permettent aux multinationales de payer seulement 1% à 2% d’impôts. Les banques étaient exclues de ce système. Maintenant, elles peuvent également bénéficier des intérêts notionnels.

La Gauche: Ton livre dévoile également les liaisons dangereuses entre le monde politique et le monde bancaire...

Marco Van Hees: Dans mon livre, je donne la liste des ministres des Finances qui, depuis 1945, ont occupé des fonctions importantes dans les institutions bancaires, soit dans les conseils d’administration, soit dans les comités de direction. C’est en fait la majorité des ministres des Finances. Notre ministre actuel des Finances est étroitement lié au secteur bancaire, très proche du capitaliste Albert Frère. Il faut savoir que le plus ancien partenaire financier d’Albert Frère, c’est BNP Paribas qui a, comme on sait, racheté Fortis. Le gouvernement, comme par hasard, a opté, dès le début des tractations, pour BNP Paribas.

La Gauche: Dans ton livre, tu poses la question: «Y a-t-il d’un côté les méchants capitalistes financiers, coupables de tous les excès et responsables de la crise? Et, de l’autre, les gentils capitalistes industriels, soucieux d’un développement harmonieux de la société»?

Marco Van Hees: Si on répond oui à cette distinction, c’est avec de fameuses limites. C’est vrai que, dans mon livre, j’analyse le capitalisme financier avec tous ses excès et ce qu’il peut avoir de parasitaire. Finalement, les banques ne produisent rien. Ce ne sont que des intermédiaires financiers entre différents acteurs économiques. Et on peut se demander au nom de quoi, comme intermédiaires financiers, elles peuvent se permettre de prendre une marge à ce point importante.

Mais, en contre partie, il y a deux remarques importantes à faire. D’une part, il y a toujours eu une interpénétration importante entre le capital industriel et financier. D’autre part, capitalisme financier et industriel ne sont mus que par la recherche du profit maximal. Est-ce qu’un banquier est pire qu'une société capitaliste, comme par exemple la famille Emsens qui continue à produire de l’éternit à base d’amiante, en tuant des milliers de gens, alors qu’elle connaît très bien les conséquences de cette production? Ce n’est pas plus louable, même si ce sont de purs capitalistes industriels.

La Gauche: Face à la profonde crise financière actuelle, presque tout le monde s’accorde pour réclamer une meilleure régulation, un meilleur contrôle du secteur bancaire. Est-ce suffisant? Est-ce la solution?

Marco Van Hees: Dans mon livre, je souligne que le 12 octobre 2008, quelques jours après que le gouvernement a conclu la vente de Fortis Banque à BNP Paribas, dans La Libre Belgique, Elio Di Rupo répétait sa volonté «d’une meilleure régulation du monde économique et d’un contrôle du monde financier». Et le même jour, dans l’Echo, l’administrateur- délégué de la FEB, Rudy Thomas, déclarait exactement la même chose. Mais, on ne va pas très loin avec ça. Ce que je défends comme conclusion dans mon ouvrage, c’est à la fois la création d’une banque publique et une politique de taxation du capital qui implique la levée du secret bancaire. Si l’on veut taxer le capital, il faut faire un cadastre des fortunes et donc il faut forcément lever le secret bancaire, car c’est dans les banques qu’une partie de ces fortunes est logée.

La Gauche: On sent la pression grandir pour la levée du secret bancaire. Il y même des propositions de loi déposées pour cette levée. Quelle réflexion peux-tu faire à ce propos?

Marco Van Hees: C’est évidemment une bonne chose. J’attire cependant l’attention sur le fait suivant. On a d’un côté le jeu des parlementaires qui déposent des propositions de loi, parfois un peu incomplètes, limitées. C’est le cas en ce qui concerne les deux propositions de loi sur la levée du secret bancaire, déposées d’une part par des parlementaires socialistes et, d’autre part, par des écologistes. Si on lève le secret bancaire, il faut une levée complète comme en France par exemple, où existe un ficher informatique des banques auquel le fisc a automatiquement accès.

D’un autre côté, au niveau du gouvernement, on continue comme si de rien n’était, avec tous les blocages auxquels il faut s’attendre. Et des parlementaires diront alors, comme le dit régulièrement le PS, «ce sont les libéraux qui ont bloqué; on est dans un pays avec des coalitions, on sait pas imposer ce qu’on veut; si on était seul au gouvernement, on pourrait le faire…».

Le raisonnement que je tiens est le suivant. Pour faire passer des mesures aussi importantes, il faut avoir une mobilisation populaire aussi importante. Il faut donc pouvoir avancer des revendications qui puissent avoir une assise populaire. Or, avancer seulement la levée du secret bancaire, sans plus, cela peut susciter la méfiance de la population qui se dira: «est-ce que cela ne va pas retomber sur nous». C’est mieux alors de lier la levée du secret bancaire à un impôt sur les grosses fortunes, ce qui implique la levée du secret bancaire. Une telle démarche contribue bien davantage à enclencher une mobilisation populaire, à établir un rapport de force pour exercer une véritable pression sur le parlement et le gouvernement.

La Gauche: Le gouvernement fédéral s’est porté au secours des banques, avec notre argent, pour un montant de plus de 20 milliards d’euros. Fallait-il le faire?

Marco Van Hees: Il fallait empêcher la faillite de l’institution bancaire, en tout cas celle de Fortis Banque, avec le retentissement qu’elle aurait eu sur l’ensemble de l’économie. Le tout était de voir comment et ce que l’on allait faire après. C’est la question de la banque publique qui est posée. Il fallait intervenir, mais différemment et ne pas faire, comme le gouvernement avait, depuis le début des tractations, l’intention de faire: revendre Fortis au privé et en l’occurrence à BNP Paribas, notamment avec l’intervention d’Albert Frère auprès de Didier Reynders.

Ce dernier a dit que l’Etat n’avait pas vocation à gérer les banques. Pourtant, et je montre dans mon bouquin, de 1865 aux années 1990, pendant plus de 130 ans, la CGER a fonctionné sans problème, sans que l’Etat ne soit obligé d’intervenir. Elle a pourtant été privatisée en trois fois, entre 1993 et 1998, et revendue à Fortis banque. Il n’a fallu alors que 10 ans, jusque 2008, pour que Fortis soit obligée de demander l’aide de l’Etat. Alors, qui sont les vrais professionnels? Qui gère convenablement les banques. Est-ce le public ou le privé?

La Gauche: Comment vois-tu concrètement la création de cette banque publique?

Marco Van Hees: Il y a plusieurs scénarios. Est-ce tout le secteur bancaire qui devrait être public? Pour moi, oui. Cette option maximale se défend. On a vu que, dans la crise bancaire, les prêts interbancaires n’ont pas fonctionné, ce qui a accentué le risque de faillite et la mise en péril du secteur bancaire, avec des dégâts potentiels considérables. Donc, ce serait logique de défendre la nationalisation de tout le secteur. Mais, cela n’exclut pas une option moins maximale qui serait déjà de créer une grande banque publique, par exemple à partir de Fortis Banque et de sa filiale la Banque de la Poste. Une loi débattue et votée démocratiquement au Parlement pourrait annuler la cession de Fortis Banque à BNP Paribas, le groupe français n’ayant rien payé pour acquérir la banque belge.

Il faut poser aussi la question au niveau européen, sans pour cela faire dépendre la revendication du niveau européen. Il y a, au niveau européen, une opportunité incroyable de créer des services publics européens, que ce soit une poste publique européenne, un chemin de fer public européen ou une grande banque publique européenne.

Voir ci-dessus