Carrefour: L'accord social a divisé les travailleurs
Par Guy Van Sinoy le Mercredi, 28 Juillet 2010 PDF Imprimer Envoyer

Le 23 février dernier, le groupe Carrefour avait annoncé un plan de restructuration colossal de ses magasins en Belgique: fermeture de 14 hypermarchés et de 7 supermarchés (perte de 1.672 emplois sur 15.000), mise en franchise de 7 supermarchés, vente de 20 magasins au groupe Mestdagh, changement de commission paritaire (de la CP 312 à la CP 202) pour le personnel des hypermarchés. Trois mois plus tard, après plusieurs journées de grève entamées spontanément par le personnel, une grève de 24 heures encadrée par les directions syndicales (SETCa, CNE, LBC, CGSLB), une autre grève de 24 heures décommandée par les directions syndicales, un accord social est intervenu: 12 magasins seront fermés au lieu de 21, un millier d'employés pourront être prépensionnés à 52 ans, les hypermarchés restent en CP 312.

"Carrefour et les syndicats enterrent la hache de guerre" titrait L'Echo (28/5/2010) au moment de la signature de l'accord social. Mais pour "enterrer" la hache de guerre, il aurait d'abord fallu que les directions syndicales l'aient préalablement déterrée…

Une stratégie syndicale passive

Dès l'annonce du plan de restructuration, les directions syndicales sont restées dans l'expectative. Ce sont les travailleurs et les délégués de base, y compris dans des magasins qui n'étaient pas menacés, qui sont partis spontanément en grève, sans mots d'ordre venus d'en haut.

En principe, quand la direction d'une multinationale annonce la suppression de plus de 1.500 emplois, des baisses de salaire et un changement de commission paritaire (ce qui un précédent pour tous les secteurs) les travailleurs syndiqués seraient en droit d'attendre de leur état-major syndical un plan de bataille pour mobiliser tous les travailleurs du secteur de la distribution, mais aussi sur le plan interprofessionnel puisque la menace de changer de commission paritaire serait un précédent pour tous les secteurs. Faute de stratégie de lutte au sein de l'état-major, les fantassins sont, de leur propre initiative, sortis des tranchées pour monter courageusement à l'assaut. Bravo! Mais on ne peut pas remporter la victoire sans plan de bataille.

Myriam Delmée, vice-présidente du SETCa, qui a défendu le protocole d'accord, a beau exposer que "12 magasins représentant 900 emplois ont été sauvés" (L'Echo, 28/5/2010), c'est une façon de relativiser les dégâts. Quand au Mundial, le gardien de but de l'équipe de Corée du Nord, encaisse 7 buts face au Portugal, il peut toujours se consoler en se disant qu'en arrêtant cinq fois le ballon, il a "sauvé" 5 buts!

Les dégâts sont importants

8 hypermarchés et 4 supermarchés vont fermer. 1 hypermarché et 3 supermarchés seront franchisés. 8 supermarchés rejoindront les réseaux franchises à l'enseigne Carrefour Market et Carrefour Express. 2 hypermarchés seront transformés en supermarchés.16 supermarchés seront vendus à Mestdagh.

Les travailleurs qui gardent leur emploi voient disparaître une série d'avantages sociaux parfois conquis de haute lutte: suppression du quart d'heure de pause payé, suppression de 3 jours de congé supplémentaires accordées par la convention sectorielle, instauration de la polyvalence, perte de 125 (sur 535) bons d'achat de 1 euro.

L'accord social a divisé les travailleurs

Le projet d'accord social présenté aux travailleurs était tel qu'il au eu pour conséquence d'écarteler les travailleurs. D'un côté, le personnel des hypermarchés qui reste en CP 312, de l'autre le personnel des magasins qui vont fermer ou être franchisés.

De plus, le fait de pouvoir partir en prépension à 52 ans a pesé en faveur du "Oui". 984 travailleurs de chez Carrefour, qui ont atteint l'âge de 52 ans pourront partir en prépension: parmi eux, 252 travaillent dans des magasins qui vont fermer. La mesure de prépension concernera les magasins qui vont fermer, ceux qui seront franchisés et ceux qui sont structurellement déficitaires mais que Carrefour maintient.

Haro sur les prépensions

Bien entendu les milieux patronaux et politiques n'ont pas raté l'occasion de repartir en croisade contre les prépensions. Marianne Thyssen, qui était encore à ce moment-là présidente du CD&V , a jugé que les prépensions chez Carrefour étaient un "mauvais signal". Elle était bien entendu loin de se douter que la défaite électorale de son propre parti le 13 juin allait la contraindre quelques semaines plus tard… à prendre sa prépension politique.

Par les temps qui courent, les milieux patronaux tirent à boulets rouges sur les prépensions qui "coûteraient trop cher". Les prépensions ont été instaurées dans notre pays à partir de la crise économique du début des années 70. Officiellement, les prépensions ont été instaurées "pour permettre d'embaucher des jeunes".

En réalité, les prépensions ont été utilisées par les patrons pour supprimer massivement des emplois (ex: en sidérurgie): une restructuration est en effet plus facilement acceptée par les travailleurs et leurs organisations syndicales si elle s'accompagne d'un plan social avec des prépensions surtout si les travailleurs concernés occupaient un emploi pénible.

L'argument selon lequel les prépensions auraient eu pour objectif d'embaucher des jeunes n'est qu'un alibi patronal pour se donner bonne conscience. Car d'une manière générale, aucun patron n'a jamais embauché un travailleur dont il n'avait pas besoin. Pas plus que les plan Rosetta et autres montages permettant de réduire les charges sociales, les prépensions n'ont jamais contribué à créer des emplois pour les jeunes. Ces mécanismes ont tout simplement transformés les jeunes travailleurs en travailleurs bon marché.

L'offensive médiatique sur les prépensions aujourd'hui en cours vise avant tout à marteler l'idée que les travailleurs devront travailler plus longtemps. Curieusement, les milieux patronaux n'avancent jamais l'idée que "les licenciements coûtent trop cher". Or un prépensionné ne coûte pas plus cher à la sécurité sociale qu'un chômeur. La seule différence est que pour un prépensionné l'entreprise est obligée de verser un complément.

Et d'une manière générale, les patrons qui maudissent globalement les prépensions, sont généralement bien contents d'en profiter lorsqu'il s'agit de restructurer dans leur propre entreprise…


Témoignage: L'avis d'un travailleur de Carrefour, syndiqué et qui a participé à toutes les actions

"Pour moi je ne comprends pas comment Carrefour peut nous proposer un plan comme celui-là!

Retournons quelques mois en arrière: Carrefour nous propose un "plan de sauvetage" comme ils l'ont appelé. Sans ce plan Carrefour ne peut pas continuer à travailler en Belgique et devrait fermer… Ils veulent: gel des salaires, changement de commission paritaire, suppression du 13e mois..... Et j'en passe. Il y a quelques semaines nos délégués nous ont demandé de ne pas faire grève malgré qu'une grève générale était annoncée. On envoie des petits délégués éteindre la colère de petits travailleurs comme nous... Sans réponses à nos questions… Le lendemain ils sont quand même venus nous apporter quand des réponses: constructives, disent-ils!

Accord chez Carrefour qui n'est pas encore signé et qui n'est que de la poudre aux yeux... Certain boursicoteurs disent que Carrefour, en nous laissant tout ce qu'on a réclamé et obtenu, va se casser la pipe..... Ils nous ont divisé pour mieux régner, ils on divisé les hyper d'avec les petits GB et les franchisés. Une minorité n'est pas d'accord. Il ya des personnes qui perdent presque 1 semaine de congé ... notre pause syndicale pour laquelle certains militants on fait grève pour l'obtenir, elle saute aussi.... Les éco-chèques pour lesquels nous avions fait un jour de manifestation à la tour des Finances, bye bye! 250 euros, entre parenthèses pour une famille c'est déjà quelque chose.

Je voudrais quand même parler d'un fait aussi avec lequel je suis aussi un peu surpris. C'est le cas du magasin Super GB des Halles. Lors du conseil d'entreprise, le nom de ce magasin n'a même pas été cité... Les gens de ce magasin se sont mis en grève pour que les dirigeants de chez Carrefour se rappellent de ce qu'il allait faire de ce magasin qui, pour le moment va rester sous l'enseigne Carrefour et puis être rasé parce que le bail se termine... Il y a quelque années, Carrefour avait mis de l'argent dans ce magasin pour faire un "remodeling"...

Je voudrais aussi citer leur nouveau concept. Dans le temps quand j'ai commencé chez GB, je me souviens dans le rayon électro il y avait des modèles exposés. Carrefour est arrivé, ils ont décidé de retirer la plus grosse partie des modèles exposés. Puis, dans leur nouveau concept, ils les ont remis. Ils disent que de pouvoir toucher la marchandise ça attire le client. Cela, nous, on le savait depuis dix ans...

Pour terminer, il faut parler des problèmes des folders publicitaires et le personnel n'a pas la quantité de marchandises suffisante pour tous les clients.

Un dernier petit mot sur Gérard Laviney. Ce monsieur vient du Chili où il a mis la clé de l'enseigne Carrefour sous le paillasson. Nous prépare-t-il la même chose en Belgique? Nous le serons dans quelques années, ou dans quelques mois... Pour moi Carrefour n'a pas su s'intégrer dans le marché de la grande distribution belge."

Un travailleur de Carrefour qui aime son travail!

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