Prisons : problèmes en pagaille
Par Sandrine Laurent le Lundi, 05 Mars 2007 PDF Imprimer Envoyer

Vingt-huit évadés à la queue-leu-leu de la prison de Dendermonde, à la mi-août. C'est encore mieux que les Dalton ! Ça fait rire dès qu'on est rassurés, et rassurés, on l'est vite: le Ministère de la Justice communique très officiellement que les évadés ne sont pas dangereux, "ce sont seulement des voleurs venus des pays de l'Est","des délinquants, pas des criminels". On rit encore quelques jours plus tard en apprenant que ces évasions ont eu lieu parce que la prison avait un problème de serrures.

Voilà trois ans, à en croire les médias, que le directeur de la prison de Dendermonde  demande de nouvelles serrures pour ses portes de cellules. Dans le temps, il aurait  passé commande à la régie pénitentiaire qui fabriquait une série d'objets dont les prisons avaient besoin, en utilisant des détenus (dont certains apprenaient un métier par la même occasion); maintenant, le Ministère de la Justice doit passer commande au privé, on vous passe les détails. Mais hip, hip, hourrah ! On entend dire à longueur d'années que le privé, c'est mieux et plus efficace que les services publics, en voilà une belle illustration. Les évadés de Dendermonde sont sûrement de cet avis. Vive la  libéralisation !

Mais ici, c’est plus grave: seaux “hygiéniques” et surpopulation

On rit un peu moins quelques jours plus tard, quand une directrice de prison apparaît à la télévision pour dénoncer l'état délabré de son établissement. Courageuse, la fille.

Puis voici qu'en octobre, il y a de nouveau des grèves dans les prisons, avec toujours les mêmes motifs: la surpopulation, le manque de personnel, le manque de sécurité et d'hygiène, etc. Un gardien dit à la télé que les détenus sont à trois dans une cellule prévue pour un, il y a deux lits superposés, le troisième détenu dort par terre, et ça se passe à la maison d'arrêt, où les gens sont présumés innocents; il ajoute qu'une aile de la prison n'a pas été rénovée, là, il n'y a pas de toilette dans les cellules, les détenus se soulagent dans un seau.  Sont-ils aussi à deux ou trois par cellule dans cette aile? Puis même si l'homme est seul, tu imagines ça, avec l'odeur, surtout au moment où il mange. Traite-t-on des gens comme ça, en Belgique, en 2006? Comme des bêtes. Puis on les relâchera en leur demandant de se comporter comme des êtres civilisés, ça ne vous paraît pas un peu contradictoire?

Le système pénitentiaire: échec coûteux

Mais laissons l'humanisme de côté, il n'est plus à la mode; puisqu'on ne parle plus que de sécurité et de rentabilité, inscrivons-nous allègrement dans l'idéologie économique néo-libérale actuelle.

L'histoire des serrures de Dendermonde est instructive. D'abord, il y a  le temps qu'elles auront mis à arriver dans leurs portes:  est-on sûr que les communications fonctionnent bien au Ministère de la Justice ? Puis il y aura leur prix; comme le privé travaille pour faire du bénéfice, elles reviendront nécessairement plus cher que celles qui avaient été fabriquées dans un atelier de l'administration pénitentiaire.

Alors, n'est-ce pas, on peut se demander combien de dossiers errent ainsi dans les méandres de ce Ministère. Et dans les autres Ministères, où ca ne va apparemment pas très bien non plus. Il y règne apparemment une pagaille généralisée, résultat de la fameuse réforme des ministères baptisée Copernic. La modernisation des Ministères était bien nécessaire, mais s'agissait-il vraiment de les rendre plus efficaces? L'histoire mériterait un article à elle seule. La réforme Copernic a déversé et déverse encore une mer de fric dans les poches du privé, mais l'Etat n'a plus de budget pour couvrir des dépenses élémentaires.

Aujourd'hui, les prisons sont si surpeuplées qu'on parle d'en ouvrir de nouvelles. Or, même abstraction faite du coût de la construction, les prisons coûtent cher; il y a l'électricité, le chauffage, le traitement du personnel, (même si ces gens ne gagnent pas de l'or en barre, ça chiffre) -  et tout ça, c'est le citoyen honnête qui le paie, à travers ses impôts. Est-ce utile, au moins?

En théorie, l'emprisonnement devait produire en quelque sorte des sujets purifiés de leur délinquance, or, les prisons sont peuplées en majorité de petits délinquants récidivistes -en bon français: des gens pour qui le premier emprisonnement  n'a pas eu d'effet dissuasif. Que ferait-on, en bonne économie néo-libérale, d'une entreprise coûteuse qui aurait un taux d'échec nettement supérieur à son taux de réussite?

La vocation de la prison?...

Mais peut-être la vocation de la prison a-t-elle changé? La drogue, la violence, la petite délinquance augmentent dans nos rues; à entendre certains, on croirait que c'est une épidémie venue d'on ne sait où, dont le seul remède est d'écarter les contagieux qu'on attrape, en les enfermant pour un temps. Et les prisons ne serviraient peut-être plus qu'à les parquer. Encore ne les enferme-t-on pas tous. On sait que les petites peines de prison ne sont pas exécutées, et les petits délinquants le savent mieux que personne. La Ministre de la Justice elle-même annonce qu'on va développer les alternatives à l'emprisonnement. Mais quoi, où, comment, clairement? Y a-t-il une vision d'ensemble du problème quelque part?

Emeute à Ittre, prison moderne

Puis le 30 octobre, il y a  une émeutes à la prison d'Ittre après un contrôle antidrogue sur les visiteurs. Voilà qui rejoint ce qu'un visiteur de prison nous disait dernièrement à  propos des grèves de surveillants: après deux trois jours, les détenus deviennent nerveux parce que les visites sont supprimées, ce n'est pas que leur famille leur manque tellement -beaucoup d'entre eux ne reçoivent jamais de visite - mais c'est que la drogue n'arrive plus. Et ça, pour certains, c'est insupportable, littéralement insupportable, parce qu'une crise de manque, ça ne se passe pas que dans la tête, ça fait mal, physiquement très mal, tous les médecins qui soignent des toxicomanes vous le diront.

Ittre est une prison moderne. Avec la pub que le Ministère de la Justice a fait au moment de son ouverture, certains s'imaginent que c'est l'Hilton. Ce n'est pas ça, mais enfin, matériellement, c'est bien, toutes les familles de détenus vous le diront. Et puis? Qu'est-ce qui fait qu'on s'y sent quand même si mal? Qu'est-ce qui cloche dans tout notre système pénitentiaire, même dans nos prisons  dernier cri?

Le miroir de notre société

Le malaise profond de nos prisons n'est donc pas seulement matériel. Le détenu est là, entre parenthèses de la vie réelle. A sa libération, il se retrouvera dans la même situation qu'avant son enfermement, avec les mêmes problèmes. La plupart des petits délinquants viennent de ce qu'on appelle pudiquement des "milieux défavorisés". "Défavorisés" par qui? Chômeurs, voués aux petits boulots, souvent sans qualification professionnelle, sans perspectives de pouvoir se construire un meilleur avenir, ce n'est pas du Zola (on aimerait que ce le soit), c'est la réalité.

Il n'y a pas si longtemps, on parlait de "question sociale", on considérait que le chômage, l'exclusion étaient un problème de société. Mais maintenant? La question sociale? Démodée, balayée, paraît-il!  "Chacun pour soi" et "struggle for life". L'exclu, le "marginal", quel que soit son état, quelles que soient ses conditions de vie, est considéré comme seul responsable de sa situation.

Qui donc avait dit que la prison est le miroir de la société?

Voir ci-dessus