Les élections du 10 juin : indifférence et occasions perdues
Par LCR le Jeudi, 31 Mai 2007 PDF Imprimer Envoyer
Les élections législatives du 10 juin prochain se profilent comme l’un des scrutins les plus mornes et ennuyeux dans l’histoire de ce pays. A gauche de la « gauche » institutionnelle, il aurait pourtant été vital d’offrir une véritable alternative face au bilan du gouvernement néolibéral de Verhofstadt. Mais les occasions offertes par la lutte contre le Pacte des générations ont été gâchées et la conjoncture a changé. C’est dans ce contexte que la LCR, qui a décidé de ne pas se présenter seule, ni de présenter ses propres candidats sur d’autres listes, appelle sans illusions à voter indistinctement pour toutes les listes à la gauche de la social-démocratie et des Verts.

L’indifférence de la population à l’égard des élections du 10 juin est frappante. Et ce ne sont pas les efforts pathétiques du PS, du MR, du CDH ou d’Ecolo pour nous y intéresser, notamment en plagiant de manière grotesque les positions des principaux candidats des élections françaises - qui, elles, ont passionné les masses - qui y changeront quoi que ce soit.

La classe politique belge paye ainsi l’absence d’enjeux réels, aux yeux de la réalité quotidienne vécue par les gens, de ses scrutins électoraux dans un pays où le compromis est roi, où de vastes gouvernements de coalition se forment sans principes (qui plus est asymétriques entre le Nord et le Sud) en mélangeant « gauche » et droite et où les « débats » idéologiques sont des plus ternes et confus. D’autant plus que, dans le cas présent, l’avenir de la future coalition gouvernementale sera dominée par une Xième et interminable querelle de chiffonniers communautaires. Pas de quoi passionner les foules...

L’évolution particulière d’Ecolo a grandement contribué également à ce désintérêt généralisé de la chose politique en Belgique : sa participation gouvernementale dans l’arc-en-ciel, sa conversion au néolibéralisme et son ouverture affichée à tout futur gouvernement néolibéral, quel que soit le partenaire, n’ont fait que brouiller encore plus les repères idéologiques et programmatiques et placent définitivement ce parti comme une formation de pouvoir « comme les autres ».

Face à cette évolution de la « gauche » institutionnelle (classique depuis fort longtemps en ce qui concerne la social-démocratie, plus récente pour les Verts) et face au bilan du gouvernement néolibéral de Verhosftadt, il aurait pourtant été nécessaire d’offrir une véritable alternative à gauche, large, unitaire et surtout crédible. Or, tel ne sera pas le cas le 10 juin; les formations de la gauche radicale se présentent en ordre dispersé et les listes qui prétendent incarner une telle alternative ne rencontrent aucun écho significatif tant leur campagne est inaudible. Cette absence renforce d’ailleurs d’autant l’indifférence envers le scrutin.

Le bilan de cet échec est encore à faire et nous attendrons les résultats du 10 juin avant de l’aborder en détail dans toutes ses conséquences. Mais on peut déjà souligner que deux facteurs ont puissamment contribué à cette absence d’alternative ; la division persistante de la gauche radicale et le retournement de la conjoncture ouverte par les luttes contre le Pacte des générations.

Retournement

Du fait du soutien du PS et du Sp.a en faveur de ce Pacte, la lutte des travailleurs qui s’y étaient opposés avait ouvert la possibilité que des secteurs importants de la base syndicale – et même, dans une moindre mesure, de « l’appareil » – entament un processus de rupture avec la social-démocratie et s’engagent - comme en Allemagne dans le cas du nouveau parti Die Linke - dans la construction d’une nouvelle force politique. Qui plus est, en Belgique francophone le PS s’enfonce depuis longtemps dans des scandales de corruption et de gestion douteuse du bien public. Mais le potentiel porté par ces événements ne s’est pas concrétisé: les directions bureaucratiques des syndicats ont maintenu la bride et freiné tout débordement des luttes pour ensuite recoller fermement les morceaux avec les « amis politiques ». Le sommet de la FGTB se trouve aujourd’hui activement engagée dans un soutien total au PS, le prétexte-épouvantail étant tout trouvé: « face aux menaces de scission de la Sécu, de la politique de l’emploi, agitées au Nord; il faut renforcer le PS dans le prochain gouvernement pour s’y opposer efficacement».

La défaite de la lutte contre le Pacte, et plus encore la manière dont elle a été gérée par sa direction, ont démoralisé et désorienté la base syndicale et les travailleurs. Cette démoralisation et désorientation expliquent la facilité avec laquelle la bureaucratie syndicale a pu faire ensuite avaler sans contestation le dernier Accord interprofessionnel. Elles expliquent aussi l’ampleur limitée de la lutte à VW Forest. En bridant, puis en gelant les luttes ouvrières, la bureaucratie syndicale s’est placée à la remorque et à la rescousse de la social-démocratie et a de ce fait « vidé le bocal » dans lequel une tentative de recomposition aurait pu puiser sa principale force.

Une Autre Gauche (UAG) en Belgique francophone et le Comité pour une Autre Politique (CAP) en Flandre, toutes deux soutenues depuis le début par la LCR, se sont constitué dans le sillage des luttes contre le Traité constitutionnel européen et le Pacte des générations. Contrairement à la France avec le référendum sur le TCE ou la lutte contre le CPE, en Belgique, ces deux combats se sont achevés en défaites.

A gauche de la « gauche »

Malgré quelques débuts prometteurs, on doit malheureusement constater que pour des raisons dues à la fois à leur évolution interne et au retournement de la conjoncture, UAG et le CAP n’ont pas pu incarner pour les élections du 10 juin une dynamique forte en faveur d’une nouvelle alternative politique à gauche. Mais elles y ont répondu de manière distincte: le CAP a malgré tout décidé de déposer ses propres listes tandis qu’UAG a estimé n’avoir ni les moyens matériels, humains et politiques (un programme) que pour offrir des listes crédibles capables d’obtenir un résultat réellement significatif. Une décision correcte mais qui traduit justement cette absence de dynamique et qui n’empêche pas la démotivation.

Parmi les raisons objectives, on doit également pointer que, outre les luttes des travailleurs/euses, toutes les autres luttes et mouvements sociaux sont, à quelques exceptions près, à leur niveau le plus bas et que de nombreuses organisations et collectifs militants ou associatifs traversent des crises importantes. Or, toute tentative de recomposition à gauche a besoin des mobilisations sociales pour « décoller », pour se nourrir, se développer, se lier à la classe. Aucune recomposition politique à gauche digne de ce nom ne peut se prolonger « à froid », en l’absence de grands mouvements sociaux, et surtout de la poussée vers la rupture avec le social-libéralisme incarné aujourd’hui par le PS et les Verts et en faveur de l’unité à gauche de la gauche qu’elles impliquent.

Ajoutons que la gauche radicale n’a pas brillé d’intelligence. Le PC a été plus que prudent à engager ses forces depuis le début dans l’expérience d’UAG et il a clairement et très vite opté pour se présenter seul aux élections afin de trouver une issue à sa crise interne, comme il l’a plus d’une fois tenté sans succès dans le passé. Le PTB quant à lui est totalement resté en dehors et se berce toujours de l’illusion de la « percée électorale » à portée de main qui lui permettra de devenir l’acteur incontournable et incontesté à gauche de la social-démocratie et des verts, bref d’incarner lui-même la nouvelle force politique nécessaire. On doit constater qu’il a mis dans ce but beaucoup d’eau dans son vin programmatique afin de toucher les larges masses et d’apparaître comme un parti pas trop « extrémiste », ni même révolutionnaire ou anticapitaliste.

Mais le problème du PTB est qu’il en fait trop ou trop peu: tout « rénové » et relooké qu’il soit, tant que le stalinisme sera maintenu au sein de ce parti, il lui sera impossible de jouer en Belgique le rôle du SP hollandais, du Bloc de Gauche portugais ou de Die Linke en Allemagne. Les quelques bons scores recueillis par lui aux dernières communales ne doivent pas faire illusion : entre les 15 élus locaux obtenus après plus de 30 ans d’existence et les centaines que comptent le SP ou le Bloco, après 8 ans d’existence pour ce dernier, la marge est importante. Sans une réelle ouverture et collaboration avec d’autres forces de la gauche radicale, il n’obtiendra jamais un score significatif, et encore moins un élu parlementaire, ce qui constitue les principaux éléments susceptibles aux yeux des masses de sortir la gauche anticapitaliste de sa marginalité actuelle. Seule une telle unité pourrait ainsi briser le blocus médiatique pratiqué à son encontre.

Quant au MAS, son discours sur la recomposition masque très mal des pratiques sectaires hors normes qui rappellent sous certains aspects celles du PTB à sa pire époque. En Belgique francophone, après avoir quitté UAG pour des raisons futiles (*), le MAS a ensuite sciemment joué sur la division du projet unitaire en construisant en concurrence directe avec UAG des groupes CAP montés de toutes pièces par lui seul. Or, l’espace étant déjà très réduit en Belgique, il ne peut y avoir de la place que pour une seule initiative de recomposition unitaire et non deux ! Il est parvenu ainsi à offrir l’image d’une gauche radicale incapable de s’entendre et a fini par discréditer aux yeux de beaucoup la tentative de recomposition elle-même. Un exemple des conséquences négatives de cette division a été offert par la tentative avortée menée par des membres d’UAG de présenter une liste véritablement unitaire dans le Hainaut. Ni le PC, ni le PTB, ni le MAS (CAP) n’ont embrayé et les camarades impliqués se sont finalement résignés à ne pas ajouter à la division ambiante en présentant une liste supplémentaire sous le label « Gauche ».

Dans sa réthorique justificative, le MAS pratique le révisionnisme historique en affirmant que les CAP se sont constitué en Wallonie face au refus d’UAG d’aller aux élections, ce qui est proprement faux puisque les CAP à Liège et à Tournai ont été créé par lui en décembre 2006 et qu’UAG n’a prise sa décision définitive qu’en… février 2007. Et dans le Hainaut où même après cette date existait la volonté chez des groupes d’UAG de participer au scrutin, l’existence et l’attitude du CAP a handicapé (pour ne pas dire plus) la possibilité d’une réelle liste unitaire.

L’attitude de division irresponsable du MAS se combine avec l’aventurisme électoraliste le plus débridé. Pour une organisation révolutionnaire, se présenter ou non sous son propre drapeau aux élections est un choix tactique et il n’est pas conditionné par le résultat espéré (surtout dans une période non-révolutionnaire comme la nôtre) ; la campagne électorale pouvant servir, comme toute autre campagne, de tremplin et de tribune pour la construction de l’organisation. Mais lorsqu’il s’agit de commencer à construire une recomposition de gauche dont l’objectif est d’offrir une alternative crédible à de larges secteurs de la société, c’est un tout autre cas de figure et d’autres critères qui doivent êtres retenus pour le choix de se présenter ou non à un scrutin.

Ainsi, le MAS prétend vouloir construire « un nouveau parti des travailleurs » large. Fort bien, mais pour donner une chance à un tel parti de voir le jour, il faut assurer un certain seuil initial de crédibilité et de légitimité politique, et aux yeux des masses cela passe par la sanction du score électoral, qui doit être au minimum « honorable » (2 à 3% par exemple) pour une première présentation. Tout autre résultat, qui plus est inférieur à 1%, brisera toute dynamique. Qu’on nous permette de douter que des milliers, ni même des centaines de syndicalistes de base ou de travailleurs votant PS ou Ecolo rejoindront à l’avenir une formation qui récolte entre 0,1 et 0,7% des voix. Or, l’orientation prônée par le MAS d’aller coûte que coûte aux élections du 10 juin avec le CAP partout en Belgique et ce sans dynamique réelle, sans tenir compte du retournement de conjoncture, de la division ambiante, de l’absence des luttes, va bien dans ce sens.

Le score du 10 juin et ses lendemains risquent ainsi d’être douloureux pour ceux et celles, y compris quelques membres d’UAG, qui se sont laissés entraînés dans cette galère. Car le résultat minuscule que le CAP va à coup sûr récolter alimentera la certitude aux yeux de larges secteurs que toute tentative de construire une alternative de gauche est condamnée à ne produire que de la marginalité électorale et politique. Résultat : on va ainsi renforcer durablement la démoralisation et le sentiment fataliste qu’il est impossible de constituer une alternative viable à la gauche du PS et des Verts.

Et la LCR ?

A la veille de ces élections du 10 juin, le constat est donc fort sombre. La LCR, pour sa part, a opté pour ne pas déposer de listes du fait - nous ne le cachons pas - de notre faiblesse; de notre investissement dans une tentative de recomposition qui a finalement fait le choix de ne pas se présenter et de la division régnante dans la gauche radicale. Nous avons également refusé les propositions des fédérations de Liège et de Bruxelles du PC de présenter des candidat/es de la LCR sur leurs listes. Nous estimons qu’il aurait été plutôt préférable, du point de vue de l’unité et pour plus de cohérence avec un projet tel qu’UAG, de constituer de véritables cartels PC-LCR avec un programme et une campagne élaborée et menée en commun et non de figurer sur une simple « liste ouverte », comme chaque parti se plait désormais à le faire.

Malgré les constats tirés ici, nous souhaitons tout de même bonne chance, mais sans illusions, aux listes anticapitalistes et appelons à voter indistinctement pour l’une ou l’autre d’entre elles, sans marquer de choix de préférence. De la chance, il leur en faudra dans un tel contexte d’indifférence, de divisions, d’absence de luttes et donc de dynamique !

Nous sommes également interpellés par la candidature de Carine Russo sur la liste Ecolo. Nous avons un énorme respect pour la personne et une forte sympathie politique envers une figure qui incarne le combat pour la justice dans sa dimension la plus sociale. Si elle est élue et si elle préserve son indépendance vis à vis d’Ecolo, Carine pourra être une alliée utile pour les luttes sociales et démocratiques au sein du parlement. Mais le problème est que Carine figure aujourd’hui sur la liste d’un parti qui a pris un virage droitier et qui a tiré comme conclusion de sa participation gouvernementale qu'il devait abandonner toute idée d'alternative antilibérale et exclure ceux qui incarnaient cette recherche d'alternative, comme Vincent Decroly. Un parti qui se déclare ainsi prêt à gouverner dans n’importe quelle coalition néolibérale à venir. Dans ce contexte, la candidature de Carine Russo est utilisée comme une caution de gauche au moment où l’orientation d’Ecolo n’a jamais été aussi à droite ; elle masque ainsi leur bilan et n’aide pas à la nécessaire clarification vis à vis du prétendu « vote utile » en faveur de la « gauche » institutionnelle.

Après avoir soutenu en Belgique la candidature de notre camarade Olivier Besancenot aux présidentielles françaises, la LCR a décidé de lancer une campagne anticapitaliste de longue haleine sur la question du changement climatique et de renforcer ses propres rangs. Si nous restons toujours partisans et disponibles pour la recomposition à gauche ou au minimum pour l’unité tactique de la gauche anticapitaliste, nous ne pouvons éternellement conditionner nos choix politiques à l’échec de l’une ou de l’autre. Une LCR forte peut aussi aider à débloquer l’impasse dans laquelle se trouve la gauche anticapitaliste en Belgique.


(*) A savoir son refus d’accepter de simples recommandations adressées à toutes les organisations de la gauche radicale voulant participer à UAG

(**) Surtout du côté francophone ; même si le résultat ne sera pas significatif non plus en Flandres, notamment du fait de l’absence de Jef Sleeckx sur les listes ou de la présence sur ces dernières de candidats pour le moins contestables. Voir l’article « Flandres : À propos de la gauche radicale et des élections »

Voir ci-dessus