Grèce : Automates – et l’instauration d’un totalitarisme de type nouveau
Par Grigoriou Panagiotis le Lundi, 10 Décembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

La plupart des médias du territoire aménagé par les banques (TAB !) situé au sud de la Bulgarie, ont salué l’accord financier d’hier soir entre les créanciers de notre ex-pays. Ces usuriers auraient mis un peu d’eau dans leur vin, qui n’est autre que… le sang du peuple grec comme on dit désormais chez nous. « Le premier sourire », tel est le titre du journal (pro-troïkan) Ta Nea, mais ce grand sujet du jour n’est presque plus discuté entre nous, nos préoccupations sont plus « plates » : comme celles des pharmacies qui sont en grève, ou encore celles de ce mendiant hi-tec (?) du quartier, toujours à sa place. Seul son fils l’a abandonné quelques instants, pour tenir un peu compagnie à un chien adespote (sans maître) errant, sur la place voisine. Heureusement que la chaîne de sandwicherie du coin a baissé ses prix, et on peut alors boire un café moins cher et ainsi commenter l’actualité, qui n’est pas forcement celle des médias… autorisés.

La (bonne) analyse venue d’ailleurs, retiendra que « les banques européennes sont sauvées, la Grèce ne va pas totalement sombrer ! Il aura fallu treize heures de réunions, la troisième du genre sans compter les à-côtés, pour finalement parvenir dans la nuit à un accord financier fait de bric et de broc. Tout faisait désaccord entre les dirigeants européens, et plus important encore, entre ceux-ci et le FMI, qui voulait une solution définitive. Une situation ingérable, alors que le gouvernement grec était venu à Canossa. Sur quoi portait ce dernier désaccord ? Sur la soutenabilité de la dette grecque qu’il fallait réduire pour la garantir et ne plus avoir à y revenir. Comment la mesurer ? en diminuant son pourcentage par rapport à son PIB dans les projections financières. De quelles projections financières s’agissait-il ? de celles qui se sont en chaque occasion révélées fausses ! Les nouvelles se révéleront-elles justes… ? Il sera plus tard temps d’analyser dans le détail le cocktail des mesures, ou de décrire l’affectation des fonds qui vont être débloqués, dont une majeure partie va servir à rembourser les créanciers du pays et à renflouer les banques grecques (…) Une démonstration par l’absurde exemplaire vient d’être accomplie : tout devait être fait pour ne pas laisser transparaître une restructuration frontale de la dette grecque, ce dangereux précédent (…) » – François Leclerc, sur le blog de Paul Jorion ce mardi 27/11.

Depuis le terrain, on voit les choses différemment, car le décalage des lignes alors vécu par le peuple, autrement-dit nos autres « tabulations psychosomatiques » enfermées dans le camp… TABiste, obligent à une autre lecture des faits. Celle également parfois adoptée (comme ce mardi matin), par les deux nouveaux journaux anti-mémorandum. Il est alors question pour le « Quotidien des Rédacteurs » d’une « Dose de poison » qualifiant ainsi le compromis sur l’aide d’urgence – 43,7 milliards d’euros – accordée par la Zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). « Tant mieux pour les Grecs. Tant mieux pour la zone euro - explique Le Monde à ses lecteurs, en y ajoutant que – le sujet était difficile - financièrement, économiquement, politiquement (…) il fallait satisfaire une condition impérative : réduire le volume de la dette grecque. Hors cela, point de futur, sinon les ténèbres d’une monumentale faillite qui risquerait d’ébranler toute la zone euro (…) La finance est tout sauf une science exacte, ces chiffres ont une part d’arbitraire, ils relèvent un peu du »pifomètre« . Mais enfin, à ce niveau-là, Athènes devrait pouvoir commencer à respirer (…) Les 17 ont donc décidé dans la nuit un paquet de mesures financières complexes - rachat par la Grèce de ses titres, baisse des taux des prêts bilatéraux à Athènes, etc. - qui aboutissent à cet allégement de 40 milliards d’euros. Quitte à devoir prendre d’autres mesures si la conjoncture l’impose pour tenir les 124 %. Bricolage intelligent, car c’est l’objectif qui compte et conditionne la confiance des marchés. Bricolage salutaire, car les Grecs le méritent, qui ont fait dans la souffrance une partie du chemin » (27/11).

Grand journal… en effet crépusculaire, voire ténébreux. Car la finance s’avère être une science parfaitement exacte en Grèce (loin des utopies des bureaux des rédacteurs du quotidien Le Monde), si l’on considère par exemple nos 318.042 entreprises qui ont fait faillite depuis le Mémorandum I, ou la pendaison de Costas Khalas au lendemain de ses fiançailles en juin dernier (un cas parmi… tous les autres), marin au chômage, alors âgé de 31 ans. Car bien au bout de cette « partie du chemin faite dans la souffrance » il y a l’esclavage et pour certains d’entre nous la mort, ni plus ni moins. C’est ainsi que la nouvelle du jour en somme significative, m’a été rapportée par un journaliste ce matin : « Les malades mentaux ne seront plus acceptés par les établissements de santé publique appropriés, sans une participation s’élevant à 170 euros par mois, ce qui veut dire que ceux qui n’y arriveront pas, seront expulsés et privés de traitement… je suis écœuré, il s’agit de l’Europe… au XXIe siècle ». C’est sans doute une première variante des « automatismes… comportementaux », explicitement prévus déjà par le Mémorandum III, et consacrés hier par l’accord des usuriers internationaux sur le cadavre de la société grecque, ce dont la presse crépusculaire n’a pas dit un seul mot.

Il s’agit des mesures dites « de pilotage automatique, remettant de l’ordre », après tout écartement des lignes directrices de l’accord sur la « gérance » de la dette grecque. Autrement-dit, et sans débat politique futur, on instaurera l’insécurité permanente (au travail, à la santé, à l’éducation…), par le biais des licenciements, des baisses des salaires, de l’imposition exceptionnelle, de la spoliation des biens, tous secteurs confondus. Bricolage salutaire pour les banques sauvées d’elles-mêmes et non pas le salut des Grecs évidemment. Ce behaviorisme de la dette qui conduit déjà à l’effacement de la souveraineté nationale et populaire, met inévitablement fin à l’action politique. Comme pour le MES, tout « s’autorégulera » par avance, d’où cette « gouvernance » par décrets, exigée (et instaurée) par le mémorandum III, lorsqu’il s’agit de ramener la dette grecque de 190 % du produit intérieur brut du pays (PIB), à 120 % (comme au début de la « crise » en 2009), pour y arriver soi-disant au bout de dix à vingt ans. Visiblement, une dette qui menace d’atteindre plus de 190 % du PIB est « impensable et insupportable » (Le Monde, 27/11), mais sans doute pas, l’instauration d’un totalitarisme de type nouveau qui n’est pas pour rien d’ailleurs dans l’histoire future à écrire malheureusement, du renouveau authentiquement fasciste dans nos sociétés.

Finalement, le seul « pifomètre » salvateur serait celui de la réaction des peuples, ce qui ne se résume pas à la Grèce bien évidement. La colonie de la dette se dit… pourtant soulagée ce matin. Les enfants de sa classe (encore) moyenne, peuvent alors pour l’instant jouer sur nos plages toujours fréquentées. Pendant ce temps, l’extrême gauche estime que les nazis ne peuvent être vaincus par les armes, comme du temps de l’Union Soviétique, tandis que chez Syriza, on connait l’apothéose… des calculs d’apothicaire sondage après sondage. Comme si, gagner les élections et surtout « gouverner », a le même sens qu’avant dans ce pays, car déjà beaucoup de grecs n’ont pas encore compris qu’ils ont changé de régime politique. C’est cette nouvelle vérité, si effrayante et néanmoins cachée des grands médias, que j’ai voulu formuler récemment face à un auditoire inquiet récemment à Marseille.

Les rares et précieuses escapades du territoire troïkan, sont pour nous des permissions de sortie… depuis nos tranchées à la première ligne de la crise. Elles nous transportent vers l’ancien temps, mais aussi parfois par l’échange du vécu, vers cette « autre » histoire immédiatement parallèle des… tranchées forcement voisines et alliées, des Espagnols, des Italiens ou des Portugais (et des peuples suivants je crains). Ce qui instaure cette brève petite distance, nécessaire à l’observation. Je ressens aussi ces escapades, (de même que beaucoup d’Espagnols, d’Italiens ou de Portugais), comme des évasions ou des sorties en mer, histoire de s’échapper provisoirement de l’insularité de la crise. Invité ainsi aux Rencontres d’Averroès à Marseille (23-24/11), j’ai pris part aux débats de l’édition 2012 de ces rencontres autour du thème : « La Cité en danger ? Dictature, transparence et démocratie », et plus précisément en qualité d’intervenant à la 3e table-ronde : « Entre tyrannie des marchés et défiance des élections. La démocratie peut-elle se réinventer ? » (24/11) animée par Thierry Fabre, créateur et concepteur des Rencontres d’Averroès. Des moments d’échange et de réflexion en somme entiers.

Puis, de retour au… TAB, j’ai une fois de plus remarqué combien j’avais encore raté tant de choses dans l’actualité en trois jours seulement, tellement la densité du temps historique devient extraordinaire chez les… automates.

Source : http://greekcrisisnow.blogspot.fr

Publié sur http://www.europe-solidaire.org

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