Victoire patronale et capitulation syndicale en France
Par D. Auribault, G. Etiévant & L. Garrouste le Samedi, 19 Janvier 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le déclenchement de la guerre au Mali a quelque peu éclipsé l'accord signé le 11 janvier entre le patronat français et trois organisations syndicales. Nous y revenons car il s'agit d'un évènement important, emblématique d'une tendance à la capitulation de secteurs syndicaux face à l'offensive d'austérité du patronat. Cette tendance s'observe partout en Europe, notamment en Belgique, et elle est malheureusement majoritaire. De plus, l'accord français aura très certainement des répercussions dans notre pays également (LCR-Web)


L'accord du 11 janvier signé par le patronat et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC) est une étape dans les relations sociales françaises. Rarement, un accord de ce niveau aura entériné autant de reculs pour les salariés. Les "nouveaux droits pour les salariés" sont très limités, tandis que des revendications patronales de grande portée sont satisfaites.

Quels sont donc ces nouveaux "droits" ? La fameuse majoration de cotisation (incorrectement nommée "taxation") des contrats à durée déterminée (CDD) courts est limitée : + 0,5 à + 3 points en fonction des types ou des durées de contrat, de moins d'un à trois mois . Elle peut aisément être contournée : en allongeant la durée des contrats les plus courts au-delà des seuils ; en remplaçant les CDD par des contrats d'intérim, qui peuvent être conclus pour les mêmes motifs que les CDD ou en utilisant la période d'essai du contrat à durée indéterminée (CDI). Difficile de croire, par conséquent, à l'efficacité de cette mesure.

Le coût de ce dispositif est estimé à 110 millions d'euros pour le patronat, mais il obtient en compensation une réduction de cotisations sociales de 155 millions d'euros pour les embauches en CDI de jeunes de moins de 26 ans. On pourrait faire la même démonstration sur la quasi-totalité des conquêtes de papier de l'accord. Les droits rechargeables pour les chômeurs ? La discussion concrète se fera avec la renégociation de la convention Unedic, sans "aggraver le déséquilibre financier du régime d'assurance chômage". Traduction : ce qui sera donné à certains chômeurs sera enlevé à d'autres. La couverture santé complémentaire généralisée ? Elle est renvoyée à la négociation de branche, et en cas d'échec, ce n'est qu'en 2016 que toutes les entreprises seraient tenues d'assurer la couverture d'un "panier de soins" limité, le tout financé à moitié par les salariés.

Le patronat quant à lui peut se féliciter de l'accord. Il gagne à la fois une plus grande flexibilité et une plus grande sécurité juridique.

Tout d'abord, la conclusion d'"accords de compétitivité-emploi" souhaités par Nicolas Sarkozy, qualifiés d'"accords de maintien dans l'emploi", est rendue possible. Un accord majoritaire pourrait, ainsi, prévoir une baisse de salaire en échange du maintien de l'emploi. Le salarié qui refuserait serait licencié pour motif économique, et si les salariés sont plus de dix à refuser sans les obligations d'un licenciement collectif. De fait, le contrat de travail ne pourra plus résister à l'accord collectif, même si ce dernier est moins favorable au salarié. L'inversion de la hiérarchie des normes et la destruction du principe de faveur se poursuivent.

Il devient également possible de déroger par accord d'entreprise majoritaire aux procédures de licenciement économique collectif. En l'absence d'un tel accord la procédure et le plan social feraient l'objet d'une homologation par l'administration. Les délais de contestation seraient drastiquement raccourcis : 3 mois pour contester l'accord ou l'homologation (12 mois actuellement), 12 mois pour un salarié contestant son licenciement (5 ans actuellement).


Patrick Bernasconi (au centre), négociateur du Medef, à la sortie des négociations au siège du Medef à côté de la vice-présidente de la CGPME, Genevieve Roy, (à droite) et du président de la CAPEB (à gauche) le 11 janvier 2013.

Une politique d'inspiration libérale 

Tout est fait pour éviter que le juge judiciaire s'en mêle comme le souhaite le Medef pour "sécuriser les relations de travail". Cerise sur le gâteau, l'article 26 limite l'accès au juge prud'homal : instauration d'un délai de 2 ans maximum pour une réclamation portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail (sauf discrimination) et de 3 ans pour une demande de salaire en cours d'exécution du contrat (contre 5 ans actuellement). Enfin, les prérogatives des comités d'entreprises sont réduites par diverses dispositions et un délai de 3 mois est accordé aux employeurs pour organiser l'élection des délégués du personnel et du comité d'entreprise une fois atteint l'effectif déclenchant l'obligation : un comble !

Cet accord ne fera pas reculer la précarité, ni le chômage, ne créera pas d'emploi, mais fera régresser un peu plus les droits des salariés, à commencer par les plus précaires d'entre

eux, les femmes en particulier. Il n'a été signé que par trois organisations syndicales n'ayant rassemblé aux dernières élections prud'homales que 38,7 % des voix (et 28,11 % au référendum de représentativité organisé récemment dans les TPE-PME).

Si les règles de validité permettent de considérer cet accord comme "majoritaire", il apparaît éminemment problématique qu'il puisse être repris dans la loi, alors même qu'il n'est signé que par des organisations ne représentant qu'une minorité de syndicats et de salariés. La majorité de gauche au Parlement n'a pas été élue pour mener une politique d'inspiration aussi nettement libérale.

Denis Auribault, Guillaume Etiévant et Laurent Garrouste, membres de la Fondation Copernic


Denis Auribault, inspecteur du travail, Guillaume Etiévant, expert auprès des comités d'entreprises et Laurent Garrouste, juriste du travail.

Source : Tribune de Denis Auribault, Guillaume Etiévant et Laurent Garrouste, membres de la Fondation Copernic, dans Le Monde.fr du 18 janvier 2013



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