Femmes d’Europe en route contre la dette illégitime et l’austérité
Par Christine Vanden Daelen le Vendredi, 25 Janvier 2013 PDF Imprimer Envoyer

Journal de la tournée des militantes féministes européennes en France (Première partie)

Par Christine Vanden Daelen, 21 novembre 2012

Elles étaient cinq, cinq militantes venant de Grèce, d’Angleterre, de la Hongrie, de France et de Belgique à se donner rendez-vous à Paris ce 22 octobre 2012 pour le lancement de la tournée des féministes européennes. Reprenant la route dès le lendemain, elles se sont successivement rendues à Orléans, Rennes, Grenoble puis Genève.

A chaque étape, dans chaque ville, elles ont tenu des rencontres avec les associations féministes « locales » suivies de meetings publics sur le thème « Dette publique, austérité, crash social et Féminisme ». Durant la seconde semaine de la tournée, Magda Alves du Portugal, Sylviane Dahan de Catalogne et Sonia Mitralia de Grèce furent à leur tour accueillies par les Comités d’audit citoyen de Lyon le 5 novembre, de Mende le 6, de Marseille le 7 et enfin de Montpellier le 8. De là, quelques intervenantes ont pris le chemin de Firenze 10+10 pour y co-organiser une Agora féministe européenne contre la dette illégitime, l’austérité et pour un audit citoyen.


Deux objectifs d’importance structurent en filigrane cette forme originale et itinérante de militance féministe. En travaillant au renforcement des liens et des synergies entre différents réseaux féministes, cette tournée entend participer à la construction d’un mouvement féministe populaire, auto-organisé, capable de mettre en mouvement les femmes pour la reconnaissance de la primauté absolue des besoins des populations sur ceux des banques. Mais les prérogatives de la tournée ne s’arrêtent pas là ! En créant à la base, au sein des Comités d’audit citoyen, l’interconnexion entre les luttes des mouvements sociaux, des organisations syndicales et des associations féministes, cette initiative contribue à renforcer tout le mouvement de résistance à la dette, à l’austérité et à l’application du Pacte budgétaire en Europe.

Avant de partager avec vous les réflexions, questions et propositions que les témoignages et analyses des militantes européennes ont suscitées durant cette première semaine d’intermittences féministes, je vous propose de parcourir la synthèse de leurs diverses interventions. Je me ferrai également l’écho des rencontres de Paris, Rennes et Grenoble entre les associations féministes et les intervenantes de la tournée.

Face à l’austérité généralisée : quels défis, analyses et stratégies féministes ?

 Christiane Marty (France), membre de la Commission Genre d’ATTAC et de la Fondation Copernic, débute son allocution en dénonçant la manipulation de la question de la dette publique par le discours officiel. Tout est fait pour culpabiliser la population afin de lui faire passer la pilule de l’austérité. Alors que les dépenses publiques n’ont pas augmentées durant ces dernières décennies, on veut lui faire croire qu’elle a vécu au-dessus de ses moyens au détriment des générations à venir. La nature de la dette n’est ni financière ni économique. La dette publique est le résultat de choix politiques |1|. Or, ce qui a été décidé politiquement peut et doit être changé politiquement.

L’austérité frappe prioritairement les plus précaires or les femmes sont encore malheureusement majoritaires parmi les populations les plus pauvres. D’avantages exposées au chômage, au sous-emploi, aux bas salaires, moins couvertes par les systèmes de protection sociale, les femmes, en période de récession, sont de plus, confrontées à des discriminations multiples |2| qui accentuent leur « vulnérabilité ». La destruction des services publics est l’une des mesures qui contient le plus d’incidences en termes de dégressivité des droits socio-économiques mais également sexuels et reproductifs pour les femmes. En tant qu’employées majoritaires de la fonction publique et qu’usagères principales des services publics, les femmes sont doublement impactées par les coupes opérées dans les dépenses et prestations sociales. Le démantèlement progressif de l’Etat social transfère aux femmes les obligations et responsabilités antérieurement prises en charge par la collectivité ; le tout gratuitement et au détriment de leur l’emploi rémunéré. L’austérité, en sapant l’autonomie financière des femmes, véritable pilier de leur autonomie, participe au renforcement de l’idéologie patriarcale qui entend renvoyer les femmes à leur rôle dit « traditionnel » de sœurs, de mères et d’épouses au service exclusif de la famille.

Face à cette austérité synonyme de pauvreté et de récession, des alternatives pour sortir de la crise et assurer l’égalité hommes/femmes existent. Elles passent par la mise au pas de la finance et son contrôle démocratique, la remise en cause de la dette publique illégitime et la réalisation d’un programme d’investissements publics indispensable pour assurer la transition vers la satisfaction de nombreux besoins encore non satisfaits (logement, transition énergétique, accueil à la petite enfance, crèches, services d’aide aux personnes dépendantes, …). A contrario des choix libéraux actuels qui consacrent la marchandisation des services publics, Christiane Marty plaide pour une forte recapitalisation étatique de ce secteur. Cette politique de relance budgétaire orientée vers la satisfaction des besoins sociaux initierait un cercle vertueux : elle fournirait des revenus pour les titulaires des emplois nouvellement crées, génèrerait une augmentation des recettes fiscales et contribuerait à réduire les inégalités de genre. Le tout produirait des effets positifs sur le bien-être de l’ensemble de la société tout en stimulant l’activité économique.

Christiane conclût en soulignant que tout changement radical ne pourra se faire sans les femmes, sans leur implication autant comme actrices lors des mobilisations que comme force de propositions pour un autre modèle de société plus juste socialement et écologiquement.

Christine Vanden Daelen (Belgique), membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM) et de l’Initiative « Femmes contre la dette et les mesures d’austérité » pose les finalités de la tournée : « Contre les pires régressions de nos droits, depuis la deuxième guerre mondiale, contre les politiques d’austérité, nous, féministes engagées dans cette tournée, voulons lancer un processus de regroupement, discuter des nouveaux défis et élaborer des alternatives. Rassembler les femmes en dehors de leurs appartenances associatives, politiques, syndicales ; participer à la construction d’un mouvement large et unitaire d’actions féministes contre la dette illégitime et l’austérité généralisée, voilà notre but ! ». Elle rappelle, qu’appliquées sous la pression des marchés financiers, les politiques d’austérité se font sur un même modèle partout en Europe : celui d’une baisse drastique des dépenses publiques qui se traduit par des coupes dans les services publics et dans la protection sociale, par une réduction des salaires et des pensions et l’instauration d’impôts ciblant sans vergogne les populations les plus pauvres. Ces mesures viennent compléter les politiques néolibérales de privatisation, de flexibilisation du marché du travail et de précarisation des relations salariales. Elles s’appuient sur la crise pour tenter de parachever le modèle néolibéral - synonyme pour les femmes d’un retour forcé au foyer, d’extrême insécurité, de dépendance, de violences et d’exclusion pour des millions d’entre elles de l’accès aux besoins vitaux. Or, selon l’intervenante, alors qu’elles en supportent les pires conséquences, les femmes n’ont à payer aucune dette de quelque nature soit-elle. Ce sont elles les véritables créancières au niveau national et international. Elles sont titulaires d’une énorme dette sociale. Sans leur travail gratuit de production, de reproduction et de soins aux personnes, nos sociétés péricliteraient tout simplement ! Il n’est dès lors pas un euphémisme de déclarer que l’illégitimité de la dette publique est encore plus criante lorsqu’on est une femme ! Face à cette situation, Christine relève que les femmes s’organisent activement. Dans plusieurs pays européens, des réseaux d’organisations féministes appellent à la réalisation d’audits de la dette publique qui intègrent autant une analyse des impacts des politiques d’austérité sur les femmes que leurs alternatives.

En fin d’intervention, elle appelle les femmes à refuser l’austérité et à faire entendre leurs propositions pour la construction d’un nouveau modèle social qui garantisse l’émancipation de toutes et de tous. Seul le rapport de force social résultant de fortes mobilisations pourra imposer le changement. A l’Instar de Christiane Marty, Christine Vanden Daelen est convaincue qu’il n’y aura pas de fortes mobilisations sans les femmes qui, si elles sont les plus touchées par l’austérité, sont les premières et les plus ardentes à la combattre. Le mouvement mixte de résistance à la dette et à l’austérité sera d’autant plus fort et plus représentatif s’il soutient les mobilisations des femmes en incluant dans ses revendications leurs alternatives et en faisant sien le combat contre les inégalités de sexes.

Constatant la mort de l’Etat social en Grèce et l’émergence d’une crise sanitaire Sonia Mitralia, membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM) et de l’Initiative « Femmes contre la dette et les mesures d’austérité » prend la parole en lançant un appel poignant à la solidarité européenne : « Vous êtes notre espoir, sans vous on n’arrivera pas à renverser la machine qui broie nos vies. Nous devons, partout en Europe, tou-te-s ensemble, nous battre contre l’austérité appliquée par les mêmes ennemis ». Suite aux contractions des budgets publics, 40% des hôpitaux vont être fermés, les subsides pour la prise en charge des handicapé-e-s mentaux ont été réduits de 50%, des nourrissons meurent suite à des diarrhées tandis qu’à cause des vaccinations devenues payantes, des maladies qu’on pensait appartenir à l’histoire ressurgissent. La destruction sociale ne s’arrête pas là pour autant : l’allocation de chômage, lorsqu’elle est encore versée atteint 360€/mois, en 2 ans et demi, la classe moyenne grecque a été anéantie, le droit au travail est laminé |3|, l’accès à un accouchement médicalement assisté n’est plus un droit. Il coûte actuellement 800€ et 1.600€ pour une césarienne. Trois millions de grecs (soit près d’une personne sur trois) n’ont plus de couverture maladie et doivent dès lors payer l’accès aux soins qui sont commercialisés et privatisés. Un nombre croissant de femmes de cette catégorie n’ayant pas l’argent suffisant pour pouvoir accoucher à l’hôpital accouchent chez elles ou dans la rue, encourant ainsi le risque de mourir ou de donner la vie à un enfant infirme. Sonia interpelle son auditoire en demandant au nom de quoi s’opère tout ce gâchis humain ? Sa réponse est catégorique : la Grèce de la Troïka consacre la priorité absolue des besoins des créanciers et des banquiers sur ceux les plus élémentaires des populations. Cette stratégie du choc, cette destruction sociale d’envergure relève du sadisme et entend briser toute capacité de résistance du peuple. Non seulement l’austérité est synonyme d’un appauvrissement monstrueux des grecs mais elle menace également l’avenir même de la démocratie en Grèce tout comme en Europe. En faisant naître un monde sans valeurs, sans solidarité, où la violence est banalisée, l’austérité est la porte ouverte à toutes les barbaries, elle favorise la montée de l’extrême-droite, des fascistes qui commettent des crimes contre les libertés, les minorités nationales et sexuelles et éprouvent une véritable haine contre les femmes et leurs droits. L’intervenante témoigne : « Il n’est plus rare de voir dans les rues en Grèce des bataillons de néo-nazis armés de battes de base-ball, de couteaux et de chiens agresser et même tuer des immigré-e-s et ce souvent en toute impunité ». Quant à l’augmentation du travail gratuit et invisible des femmes pour pallier aux déficiences de l’Etat social démantelé, elle représente pour Sonia Mitralia le plus grand hold-up du siècle : non seulement tout l’argent épargné sur le dos des femmes se fait au prix d’une dégradation de leur santé physique et psychique mais en plus, il sert directement au remboursement d’une dette illégitime.

Que faire, comment réagir face au fléau néolibéral, face au chantage de la dette et des mesures d’austérité cauchemardesques ? Pour Sonia, si personne n’a pour l’instant de réponse toute faite, une chose est certaine : « Il faut résister, toutes ensembles, par-delà des frontières nationales, unies dans un mouvement européen des femmes contre la dette et les politiques d’austérité ! »

Judith Morva (Hongrie), membre d’ATTAC et de l’Initiative féministe européenne (IFE), introduit son exposé par un rappel historique : « Sous l’ancien régime, les infrastructures collectives étaient au service de l’indépendance des femmes : elles disposaient d’une liberté et d’une autonomie financière grâce à l’accès à des services publics performants. IVG et contraception constituaient des acquis pour les femmes hongroises ». Elle poursuit en liant le saccage socio-économique de la Hongrie au basculement du pays dans l’économie de marché. Avec la transition vers le capitalisme, tout fut privatisé, la dette a explosé, l’industrie et l’agriculture furent laminées |4| et un million et demi de personnes (sur une population de 10 millions d’habitant-e-s) perdirent leur emploi dans les années 90’. Tout ce qui se fait actuellement à grande vitesse en Grèce est à l’œuvre en Hongrie et dans les pays de l’Est depuis 20 ans ! De nos jours, le mythe d’un capitalisme générateur de progrès et de bien-être collectif ne fait plus rêver personne. 40% de la population vit dans la pauvreté. Les échecs de la démocratie en Hongrie ont ouvert les portes du pouvoir à une droite nationaliste prônant un discours anti-Union européenne et se faisant rattraper par une extrême-droite très offensive |5|. Ce gouvernement mène une politique fiscale « populiste » : il taxe les grandes entreprises étrangères, les banques, les riches mais non au profit de l’ensemble de la population mais bien pour le bénéfice exclusif de la classe moyenne supérieure et ce, afin de stimuler l’émergence d’une classe nationale capitaliste. La Hongrie connait un endettement privé massif. Une personne sur dix est susceptible d’être délogée car elle n’arrive plus à payer ses crédits notamment à cause de charges énergétiques très élevées (eau, électricité, …). Judith déclare qu’il n’est pas rare d’assister à des expulsions punitives s’attaquant le plus souvent aux plus précaires (personnes âgées, femmes seules, familles nombreuses, handicapé-e-s, …) afin d’insuffler la peur et de pousser les gens à continuer de payer. L’Etat a tellement été disloqué - bien souvent au nom de la dette - qu’il n’assure plus du tout les besoins des plus pauvres, qu’il a complètement laissé tomber ces 15% de la population qui vivent dans la misère absolue, errent dans les rues, connaissent le travail forcé, survivent via la prostitution et la vente d’organes ou habitent des cabanes en bois dans les forêts de Budapest. Pour lutter contre cette situation effroyable et monstrueuse, Judith Morva appelle à la solidarité et à l’élaboration au niveau européen de revendications communes qui pourraient se structurer selon trois axes : Zéro faim et froid ; le droit au logement garanti pour tou-te-s ; un système financier à échelle humaine.

Felicity Dowling (Angleterre), Merseyside Women against the Cuts, pose directement le décor « Alors que l’Angleterre est l’un des pays le plus riche au monde, les inégalités y sont aussi fortes que du temps de Charles Dickens (1880) ». Si 1% des plus riches possède une fortune de plus de 400 milliards de livres, que chaque jour, ce 1% se réveille avec 50 millions de livres en plus que la veille et ce, sans rien faire, un nombre sans cesse croissant de familles n’arrive plus à subvenir à ses besoins tandis qu’un enfant sur quatre dont les parents travaillent connait la pauvreté. Jamais cette richesse n’est mentionnée par le gouvernement qui met en œuvre une austérité toujours plus violente. Fondé il y a 64 ans, « The National Health Service » qui garantissait un accès gratuit et de qualité aux soins de santé est en train d’être tout simplement détruit. L’austérité cible systématiquement les plus « fragiles », les plus précaires. Felicity prend pour preuve les attaques contre le système de protection des personnes handicapées : « Désormais, c’est une entreprise privée, ATHOS, qui décide de la capacité ou non d’une personne handicapée à travailler. Depuis deux années que ce système fonctionne, 10.000 personnes jugées aptes au travail sont mortes ». L’éducation n’échappe pas au rouleau compresseur : le minerval pour les étudiant-e-s à l’université s’élève à 9.000 livres, l’Etat a cessé de financer les disciplines jugées non rentables (sciences humaines, littérature, arts,…) tout en réduisant de 50% sa prise en charge de l’enseignement secondaire qui se privatise. Alors qu’auparavant, les services d’accueil et de protection de la petite enfance en Angleterre comptaient parmi les plus développés et les plus accessibles d’Europe, dorénavant le gouvernement se désinvestit fortement de ce secteur : ces dernières années, il a diminué ses subsides de 2 millions et demi de livres. Dans cette Angleterre inégalitaire, les femmes sont bien les plus pauvres. Afin d’illustrer cette précarité structurelle des femmes Felicity partage quelques chiffres éloquents : «  en 2009, 30% des femmes vivaient avec un revenu hebdomadaire inférieur à 100 livres tandis que 14% des hommes devaient faire face à une situation similaire ; 8 des 10 métiers les moins payés sont quasi exclusivement exercés par des femmes en Angleterre, en moyenne les femmes gagnent 17% de moins que les hommes, ce pourcentage monte à 36% lorsqu’on inclut dans le calcul les femmes travaillant à temps partiel ; en Grande Bretagne, avoir des enfants est un facteur de disparités salariales entre mères : le différentiel salarial entre une femme sans enfant et une femme avec un enfant est de 8%, lorsque une femme a deux enfants, il monte à 24% et lorsqu’elle en a trois, on atteint un différentiel de 31% ! L’âge de la retraite des femmes a été augmenté (il est passé de 60 à 62 ans et sera bientôt fixé à 65 ans…) ». Tandis que les violences envers les femmes s’amplifient, les subsides des structures et services qui leur viennent en aide sont diminués. Partout le sexisme augmente : une enquête menée auprès de 122 agences de recrutement révèle que 70% d’entre elles avaient pour ordre de la direction de ne pas engager de femmes enceintes ou en âge de procréer !

Des mobilisations populaires massives contre cette privatisation à outrance de la santé, de l’éducation, du collectif se sont organisées en Angleterre. En raison de la véritable stratégie du choc appliquée par le gouvernement, elles n’ont pas abouti : il agit tellement vite, détruit avec une telle violence tous les acquis sociaux que les gens n’ont pas le temps de réaliser ce qu’il se passe que déjà d’autres attaques sont à l’œuvre. Afin de faire accepter l’austérité, le gouvernement se retranche derrière trois arguments complètement mensongers : « On est tou-te-s ensemble dans cette crise ; il n’y a pas d’alternative ; vous ne pouvez rien y faire ». Face à ces tentatives d’annihiler toute capacité de résistance et de révolte du peuple, Felicity rétorque énergiquement : « C’est par nos luttes que nous arriverons à démontrer que des alternatives sont possibles. Nous devons nous rappeler qu’aucun progrès social n’a été obtenu sans lutte. Les femmes ont gagné le droit au travail, au vote, à un système de santé, à la contraception, etc. par la lutte. Nous devons continuer à lutter, c’est notre seule voie d’action ».

Journal de bord de la tournée

Paris – 22 octobre 2012 : première ville-étape de cette semaine d’itinérances féministes

De gauche à droite : Marlène Tuininga (WILF), Felicity Dowling, Sonia Mitralia, Nelly Martin (MMF), Christiane Marty, Judith Morva.

A leur arrivée à la Salle Jean Dame dans le second arrondissement de Paris, les militantes de la tournée ont pu tenir une réunion avec des représentantes de la Marche Mondiale des Femmes (MMF), de l’Initiative Féministe Européenne (IFE), d’ATTAC Genre, de WILF (Women International League for Peace) et du CADTM. Unanimement convaincues de la nécessité pour les réseaux féministes européens de renforcer leurs liens et de mettre sur pied - via des actions, des mobilisations et des revendications collectives – une mobilisation de masse des femmes contre l’austérité et la dette illégitime, les participantes ont élaboré quelques propositions qui seront débattues lors de l’Agora féministe européenne du 9 novembre 2012 dans le cadre de Firenze 10+10.

Le débat avec la salle (environ septante personnes, représentant le plus souvent des mouvements féministes, des syndicats et des associations), fut riche de constats, d’analyses et de propositions. Furent pointés du doigt : le blacklash idéologique renforcé par l’austérité qui veut reconfiner les femmes dans l’espace privé, l’illégitimité de la dette publique et l’exigence de son annulation ainsi que l’importance de se mobiliser pour défendre et assurer l’autonomie financière des femmes. Entendre directement des exposés aussi percutants quant aux multiples fléaux qui déferlent sur les populations de l’Europe du Sud et de l’Est fut quelque chose d’inédit et d’une valeur inestimable pour beaucoup de participant-e-s. Ces témoignages, loin de laisser quiconque indemne émotionnellement, ont favorisé une forte prise de conscience et stimulé la volonté des membres de l’auditoire de se mettre, sans plus attendre, en mouvement contre toutes les régressions sociales imposées au nom de la dette. Cependant, ce fut bien le sentiment d’urgence pour les peuples d’Europe de s’engager de manière unitaire et massive dans la lutte contre l’austérité, et ce autant à un niveau national qu’européen, qui structura le plus les prises de paroles de la salle tout comme des intervenantes. Face à la violence de la casse sociale, face à la dette utilisée comme arme de destruction de toute résistance et révolte, face à l’Union européenne qui fait tout pour diviser les peuples, auditoire et tribune appelaient en fin de meeting à la constitution sans délai d’un mouvement social européen fort, capable de rassembler hommes et femmes de la base, syndicalistes, activistes, précaires, artistes, politiques… Seul un tel mouvement pourra renverser le rapport de force et instaurer un modèle de société non plus à la solde des créanciers et des banques mais bien au service des besoins des populations. La soirée se clôtura sur le mot d’ordre suivant : « Nous devons partout en Europe exiger l’organisation d’une grève générale, il faut que tous les pays européens soient des pays morts au même moment pour montrer la force de la solidarité et la détermination des peuples d’Europe à refuser cette austérité qui chaque jour tue ! »

Orléans – 23 octobre 2012 : deuxième ville-étape des féministes européennes

La convivialité, la générosité et la chaleur humaine qui nous accompagna durant notre séjour à Orléans débuta dès l’arrivée de Cathy Ménard et de Patricia Vasard de la Commission femmes Solidaires Loiret. De la gare, nous furent conduites à notre hébergement qui n’était rien de moins qu’une grande maison communautaire où nous attendait du café chaud, des serviettes de bains et même déjà notre petit déjeuner pour le lendemain !

Après avoir pu déposer nos bagages et nous poser une petite heure, nous nous sommes rendues, revigorées, au local de Sud Solidaires pour préparer le meeting et rencontrer la journaliste de France 3, Christine Launay qui a réalisé un reportage sur la tournée |6|.

Le débat - qui s’est tenu dans une salle rassemblant plus de 100 personnes représentant les différentes composantes du mouvement social orléanais |7| - était de nature plutôt « réflexif ». Les questions et interventions des participant-e-s témoignaient d’une incompréhension et d’une frustration quant à l’absence, malgré de nombreuses mobilisations populaires, de changements politiques progressistes en Grèce.


Cathy Menard, Christine Vanden Daelen, Patricia Vasard et les quatre intervenantes dans un moment d’enthousiasme collectif devant les locaux de Sud Solidaires Loiret

Sonia avança comme élément de réponse la difficulté pour Syriza dans un environnement politique dominé par la disparition de tous les partis traditionnels (le PASOK est laminé tout comme les écologistes, …) de réaliser des alliances. A l’autre extrémité de l’échiquier politique grec, seuls les néo-nazis du parti de l’Aube dorée progressent. Pour continuer à recueillir l’adhésion de la population, Syriza devra, selon Sonia Mitralia, prendre ses responsabilités et s’engager vers les solutions radicales attendues par son électorat : nationaliser les banques, introduire une nouvelle fiscalité et mener un audit pour l’annulation de la dette publique. Ce n’est qu’avec le soutient d’un mouvement européen structuré animé de revendications communes très concrètes que Syriza pourra sortir de son isolement et remporter la bataille politique. Ainsi, le meeting d’Orléans connut une conclusion similaire à celui de Paris : l’alternative politique à l’austérité, l’émergence d’une société consacrant justice sociale et écologique, résultera de la construction d’une unité radicale dans toute l’Europe. Seul un mouvement social européen de résistance active au rouleau compresseur néolibéral sera en mesure d’ouvrir la voie à un changement politique significatif en Grèce comme dans d’autres pays de l’Europe.


La salle bien remplie de la Bourse d’Orléans en ce 23 octobre 2012

Un succulent repas confectionné par Jany Maufrais nous permit de poursuivre réflexions et rencontres jusqu’à minuit passé. Encore un tout grand merci à nos hôtesses orléanaises d’exception qui ont su anticiper nos moindres besoins, organiser une soirée des plus dynamique humainement et intellectuellement et nous reconduire, emplies d’énergies, le lendemain matin aux trains devant nous emmener vers Rennes.

Rennes – 24 octobre 2012 : troisième ville-étape


Pascal à droite, notre cher logisticien, prend le relais à Rennes !

Après avoir élaboré une stratégie d’évitement des multiples perturbations ferroviaires générées par grève de la SNCF (que nous soutenions bien évidemment !) pour arriver le lendemain à Grenoble et mangé une galette bretonne chez Pascal, nous nous sommes rendues à la Maison de quartier de Villejean pour y rencontrer les associations féministes de Rennes.

Lors de cette session de travail avec des militantes de la Marche mondiale des femmes des Côtes d’Armor et d’Ile et Vilaine, de Mixités Rennes, du centre d’information des droits des femmes 35 et de la Maison d’accueil pour femmes en difficulté, il fut très justement relevé qu’ « alors que la dette cherche à nous détruire, ce soir, elle nous a réunies afin de travailler nos convergences ». La présence de militant-e-s du Comité d’audit citoyen (CAC) à cette rencontre permit aux féministes et aux membres du CAC de Rennes de constater combien ces deux mouvements avaient tout intérêt à travailler leurs complémentarités. De fait, autant les CAC engagés dans un travail de déconstruction des mécanismes de la dette sont bien conscients de la nécessité d’avoir des revendications concrètes telles que celles portées par les femmes pour donner sens à leur travail, autant les féministes ont tout à gagner, en terme de renforcement de leurs mobilisations contre toutes les régressions socio-économiques imposées aux femmes au nom de l’austérité, à s’engager dans les mouvements qui revendiquent l’annulation de la dette et l’audit citoyen. Suite à ce constat, des contacts ont été pris par des associations féministes pour participer à des formations sur la dette. Durant cette réunion, les féministes s’accordèrent avec un fort enthousiasme sur la nécessité de faire du travail d’intervention à la base, d’établir l tout féminisme de lobbying. L’enjeu est désormais de parvenir, avec des revendications issues des luttes de la base, d’arriver à mettre les gens, hommes et femmes, en action par eux/elles-mêmes.


La rencontre avec les associations féministes de Rennes et alentours…

Le débat se centra sur la nécessité de lutter contre l’endoctrinement idéologique qui entoure la question de la dette publique et tente, en culpabilisant la population, de lui faire accepter une austérité sans fin. « Or, alors qu’elle pèse sur les plus précaires, cette dette n’est pas la dette des pauvres mais bien celle des créanciers ». Durant les discussions collectives qui suivirent les exposés, ressurgissait souvent la nécessité de constituer autant à un niveau local qu’européen des luttes les plus unitaires possibles contre l’austérité. Ce mot d’ordre ne vous semble-t-il pas familier désormais ?

Grenoble – 25 octobre 2012 : dernière ville-étape … de France !


Mylène nous accueille à Chambéry

A Chambéry, fatiguées mais contentes d’être arrivées à bon port, nous embarquons dans la voiture de Mylène qui nous conduit jusqu’à Grenoble. Là, une belle surprise nous attend : pas moins de dix associations féministes et près de 50 personnes participent à la première session de travail. La discussion avec toutes ces militantes d’organisations féministes telles que Femmes Egalité, la Marche mondiale des femmes, Osez le féminisme !, une organisation LGBT et d’autres pris un tour résolument politique et stratégique. L’essentiel des réflexions s’articulait autour de la volonté des participant-e-s de profiter d’un tel moment pour, toutes ensemble, élaborer des formes de luttes féministes qui - tout en étant à la hauteur de la violence des attaques - nous permettraient d’aller à l’encontre des besoins des femmes de la base et/ou des femmes qui ne sont pas encore féministes. Voici quelques-unes des propositions qui émergèrent en ce début de soirée : pour transcender les luttes sectorielles des syndicats et rassembler toutes les femmes des services publics, il fut proposé de les inciter à s’organiser non pas en tant que travailleuses mais bien en tant qu’usagères ; afin de favoriser unité et auto-organisation, pourquoi ne pas tenter d’organiser les femmes sans couverture maladie ? ; de par ses potentialités à toucher les femmes de la base, le théâtre de l’opprimé fut également présenté comme un mode d’action à développer. Aussi, dans la perspective de se doter d’un axe de travail et de revendications commun (cf. la priorité de l’Etat de nécessité sur les exigences des créanciers), il fut proposé que chaque pays élabore un document où il déclinerait les besoins des femmes qui doivent être satisfaits et ne le sont pas ou sont désormais menacés. Une dernière argumentation partagée par la majorité des participant-e-s clôtura cette foisonnante rencontre : « les mobilisations pour l’émancipation des femmes seront d’autant plus efficaces, parleront d’autant mieux aux gens, si on prend comme point d’accroche non pas des enjeux ‘spécifiquement féministes’ ( cf. autonomie financière, répartition égalitaire des responsabilités domestiques et familiales, accès libre à la contraception, lutte contre le plafond de verre, etc.), mais bien si on parvient à démontrer comment le ‘système dette’ lamine tous les acquis et droits des femmes ». A suivre…

 

La tribune du meeting de Grenoble

Les questions du débat furent assez « pragmatiques » et témoignaient d’une prise de conscience par l’auditoire de la probabilité pour les populations françaises de devoir bientôt faire face à des réalités similaires à celles décrites par les intervenantes. En forçant quelque peu le trait, on peut dire que la majorité des interpellations se structuraient autour de questionnements sur les voies et moyens empruntés par les grecs/ques et les hongrois-es pour s’organiser contre la pauvreté et lutter contre l’extrême-droite. Sonia Mitralia évoqua les diverses tentatives de prises en charge populaires des besoins collectifs. En Grèce, des mères ont mutualisé la garde de leurs enfants tandis que des dispensaires se sont auto-organisés. Sonia précise que si ces initiatives témoignent de la volonté de renforcer coute que coute la solidarité, face à l’ampleur du saccage social, elles demeurent malheureusement tout à fait insuffisantes. L’extrême-droite grecque mène également des actions populaires : elle distribue de la soupe mais … uniquement pour les grec/ques ou encore elle enjoint, avec grand fracas médiatique, ses membres à donner leur sang dans les hôpitaux mais…uniquement pour des grecs/ques …En Hongrie, Judith atteste que le gouvernement est passé maître dans l’« art » de faire jouer l’intérêt individuel des uns contre celui des autres. Pour lutter contre l’expansion de telles infamies, renverser la vapeur et s’engager vers un modèle de société consacrant la priorité du bien-être collectif sur celui de quelques un-e-s, l’appel des militantes de la tournée pour la constitution d’un mouvement européen des femmes contre la dette et l’austérité eut un écho certain : des contacts ont été noués, des mails échangés et des rendez-vous fixés.

Genève – 26 octobre : La tournée s’invite au pays des helvètes.

Préparée par le Forum des ONG pour la santé, les débats à Genève se concentrèrent sur les conséquences pour la santé et le bien-être des femmes du démantèlement sans précédent de l’Etat social en Europe. Une vingtaine de participant-e-s, la plupart représentant des ONG actives dans le domaine de la santé mais aussi membre d’ATTAC et de l’internationale des services publics débâtèrent des modes de résistance possibles ou à construire pour faire face à la privatisation de la santé. Encore une fois, des mobilisations massives, unitaires, trans-nationales contre l’austérité, pour l’annulation de la dette illégitime et l’organisation d’une grève européenne furent invoquées comme les instruments pertinents d’un reversement du rapport de force en Europe. Le parallèle entre austérité et plans d’ajustements structurels fut établi ainsi que la nécessité pour les peules du Nord d’apprendre des luttes et des alternatives élaborées par les sociétés du Sud.

Si cette tournée des féministes européennes constitua un véritable pari organisationnel qui n’aurait jamais pu se concrétiser sans l’implication généreuse de nombreuses personnes, les rencontres, dynamiques et synergies qu’elle insuffla sont autant de pas vers la constitution d’un mouvement européen populaire, unitaire et féministe capable de mettre fin à l’austérité, d’annuler la dette illégitime et d’instaurer la primauté absolue des besoins des populations sur ceux des banques !


Notes

|1| La construction néolibérale de l’Europe en interdisant aux Etats de se financer auprès de leur propre Banque centrale les a placé sous le joug des marchés financiers tandis que politiques fiscales aux bénéfices des plus nantis et sauvetages bancaires massifs sans aucune contrepartie exigée par les pouvoirs publics ont conjointement fait gonfler la dette des Etats européens.

|2| Elles sont femmes et au chômage, femmes et sans-papières, femmes et personnes âgées, femmes et mères célibataires ….

|3| Avant la crise, le chômage des femmes s’élevait à 12%, désormais, il atteint officiellement les 29%-30% tandis que 61% des jeunes femmes (de 15 à 24 ans) n’ont pas accès à un emploi rémunéré et réalisent qu’elles n’ont plus d’avenir !

|4| Alors qu’auparavant la Hongrie exportait des produits agricoles tels que le sucre ou manufacturés tels que des camions, etc. actuellement deux tiers de sa consommation de sucre est importée et elle ne confectionne plus aucun véhicule.

|5| En Hongrie, la droite nationaliste et conservatrice a deux tiers des suffrages tandis que la droite extrême a obtenu 18% des votes

|6| http://centre.france3.fr/2012/10/24/orleans-ville-etape-de-feministes-europeennes-130175.html

|7| Etaient présent-e-s autant des représentant-e-s de syndicats (FSU, Sud, CGT), d’associations féministes (MMF, le droit des femmes, les plannings familiaux), de partis politiques (NPA) que des libertaires et alternatifs.


Voir ci-dessus