L’austérité a été repoussée. A la place de Syriza, on a Grillo (et le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas la même chose)
Par Flavia D'Angeli le Mardi, 26 Février 2013 PDF Imprimer Envoyer

La crise italienne explose avec les élections du 25 février. Le favori des élections, le Parti Démocrate et le centre gauche, n’atteint pas les 30%, et obtient 120 mille voix de plus que Berlusconi qui démontre qu’il sait résister. Grace à la loi électorale qui attribue la majorité des voix à celui qui obtient ne serait-ce qu’un vote de plus que l’adversaire, le centre gauche aura 340 sièges (sur 630) à la Chambre des députés.

Au Sénat, par contre, la situation est totalement ingouvernable : 120 sièges au Parti Démocrate, 117 à Berlusconi, 18 à Monti et 56 à Beppe Grillo. Mario Monti, avec sa liste libérale et « du centre » ne dépasse pas les 10% et représente l’autre défaite, avec le PD, de ces élections. La rage anti-crise et contre les « castes » politiciennes se concentre sur  le mouvement de Beppe Grillo, qui a fait une grande campagne électorale, remplissant toutes les places où il se présentait dont la dernière à Rome avec plus de cent millepersonnes.Il représente le 1er parti à la Chambre des Députés avec 25.6% des voix, dépassant, de peu, le Pd qui arrive à 25.4. Et de fait, malgré tous les pronostics, aucune hypothèse de gouvernement crédible ne sort des votes ; le besoin d’une alternative  aux politiques de rigueur et d’austérité  fait de plus en plus son chemin, et prend sa forme aujourd’hui dans le mouvement des 5 Stelle.

Donc le gouvernement de Monti a été désavoué, et avec lui le parti qui l’a fidèlement soutenu, le PD.  Les politiques de rigueur n’ont pas convaincu et n’ont pas rassemblé. Celui qui s’en est détaché à temps (Berlusconi) a sauvé sa peau (même si le centre droit a perdu environ 16% par rapport à 2008). Ceux qui se sont  immolés sur l’autel de la BCE ont été battus, en particulier Bersani (Vendola) et Monti, soit les mêmes que le Financial Times présentait comme les seuls artisans possibles d’un gouvernement après les élections, un gouvernement qui aurait la confiance de l’Union Européenne, du FMI et des USA.

Nous sommes dans une situation à la grecque avec Grillo à la place de Syriza.

Grillo est la seule réponse qui a convaincu la masse. Une réponse, vague mais radicale, contre la crise, l’austérité et la politique de continuité de ces vingt dernières années due à « la caste ». Il faudra du temps pour mieux évaluer Grillo,  mais il représente sans aucun doute  l’unique proposition de transition dans ces temps (qui sont évidemment des temps difficiles), dans laquelle se mélangent des demandes contradictoires. Elle se nourrit non seulement de la perte de confiance dans le PDL et dans la Ligue, mais elle pêche aussi à pleine main dans le Pd et dans la gauche plus radicale, balayée, peut-être définitivement. Une réponse multiple, qui associe la petite bourgeoisie emprisonnée, des jeunes en état de précarité, et des secteurs de l’intelligentsia (le Prix Nobel Dario Fo est venu à Milan soutenir Grillo). Un regroupement parfaitement anormal  au point de vue européen, qui propose d’abolir la dette,  les taxes foncières mais aussi le projet de soutien à la petite et moyenne entreprise.

Pour le moment il y a impossibilité totale de gouverner : il est difficile d’imaginer une grande coalition Berlusconi-Bersani depuis que Monti a pratiquement disparu de la scène. Mais en Italie tout peut arriver, et la vocation suicidaire de la « gauche »  a déjà  prouvé qu’elle n’était jamais finie, et l’hypothèse d’une alliance entre le PD et Grillo est très compliquée. De toutes façons le PDL a tout intérêt  à proposer une « grande coalition » afin de replacer Berlusconi au centre de la politique. C’est une situation de grande instabilité qui se reflète déjà sur la Bourse qui a ouvert à moins 5% au lendemain des élections.

Par contre la vieille gauche est morte. Les restes du Prc, le Pdci, les verts et aussi le populisme de gauche de l’ex magistrat Di Pietro se sont unis dans la liste « Révolution Civile », dirigée par un autre magistrat, Antonio Ingroia (magistrat anti mafia à Palerme), laquelle a obtenue 2.2%, bien loin du seuil des 4% nécessaires pour la Chambre de Députés. Ingroia s’est présenté comme le « sauveur de la Patrie » de gauche, revenant en Italie en décembre dernier après  un poste au Guatemala, croyant résoudre en deux mois la crise, pourtant ancienne, de la gauche italienne. Evidemment ce n’est pas comme ça qu’on résout les  problèmes, et Beppe Grillo lui a commencé il y a une dizaine d’années, établissant sa force certes grâce à son charisme personnel, mais aussi en se radicalisant peu à peu.

Nous avons écrit plus d’une fois que nous étions à la fin, politiquement et idéologiquement, du vieux mouvement ouvrier. Un fait qui vient d’être grandement confirmé d’autant qu’à gauche on n’a pas voulu comprendre la portée des changements, persévérant, bêtement, dans la voie de l’assemblage de partis plus ou moins petits et sans influence, sans assise, et sans grande compréhension de la portée des problèmes actuels.

La période qui s’ouvre semble donc totalement instable, et  dépendra des choix du mouvement des 5 Stelle (5 étoiles). Il faudra considérer dans quelle voie s’engagera le mouvement de Grillo  parce qu’il devient un  acteur important. De toute façon la route qui s’ouvre devant nous sera, pour encore plusieurs années, celle de la défiance dans la reconstruction d’un projet qui puisse concurrencer l’actuel.

Probablement pas  au point de vue électoral, et surement pas dans une première phase. Il servira de  « filet de mouvement » afin d’unifier les résistances à la crise et à l’austérité, et d’amorcer ce « tsunami social » dont on ressent toute l’urgence.

Mais Grillo nous enseigne que la résistance ne suffit  pas, qu’il faut avoir une vision du futur, une proposition convaincante, savoir offrir de l’espoir. Faire des pôles  de tendances, des coalitions sociales sans aucune volonté de réorganiser et de rassembler la gauche survivante, voilà qui jusqu’à présent a été le problème et non la solution. La voie de la reconstruction demandera de faire des expériences intelligentes, audacieuses, courageuses. Il faudra réfléchir, étudier, approfondir, éclairer. Il faudra, plus que tout, une nouvelle génération politique.

Il faut reprendre les mouvements de ces dernières années qui ont réussi à perdurer – les étudiants, les non taxes, etc. toutes les expériences en ayant en tête une seule stratégie : l’efficacité sociale et la construction d’une possibilité de changement qui aurait un fondement théorique et politique. Assez des improvisations, des réitérations du passé,  de la nostalgie des petits partis.

Nous sommes devant un champ ouvert, et cette fois nous y sommes vraiment.

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