Solidarité contre les répressions en Russie : Appel des organisations de gauche de Russie à leurs camarades du monde entier
Par Mouvement socialiste de Russie – Front de Gauche – Action autonome le Vendredi, 01 Mars 2013 PDF Imprimer Envoyer

Il y a deux mois, nous, représentants des organisations de gauche de Russie, avons adressé un appel pressant à nos camarades et alliés du monde entier, leur demandant de mener des actions face à la campagne de répressions politiques sans précédent qui a lieu en Russie (voir ici).

Malheureusement, à l’heure actuelle cet appel nous apparait encore plus urgent. Nous sommes face à une affaire politique dont l’ampleur permet une analogie avec les procès contre les « populistes Â» russes du XIXème siècle. Le nombre d’inculpés potentiels dans la dite affaire des « troubles massifs de l’ordre public Â» du 6 mai a déjà largement dépassé les 20 personnes, dont la majorité a déjà passé de longs mois en détention préventive. Vladimir Akimenkov, Oleg Arkhipenkov, Andreï Barabanov, Fedor Bakhov, Iaroslav Belousov, Alexandra Doukhanina, Stepan Zimin, Ilya Gouchschin, Nikolaï Kavkazski, Alexandre Kamenski, Léonid Kovyazin, Mikaïl Kosenko, Sergueï Krivov, Konstantin Lebedev, Maxim Louzyanin, Denis Loutskevitch, Alexeï Polikhovitch, Leonid Razvojaev, Artem Savelov sont d’ores et déjà incarcérés.

Il ne fait aucun doute que le but de cette affaire est de briser la volonté de s’engager dans la lutte politique percevable au sein d’une large frange de la société mécontente du régime politique actuel et donc de faire voler en éclat l’opposition, dont une part non négligeable soutient des idées de gauche. Le Comité d’enquête de la Fédération de Russie, une structure contrôlée exclusivement par le président Poutine, veut faire croire à un complot de grande ampleur qui impliquerait  aussi bien de simples participants aux manifestations de l’année passée que des activistes politiques reconnus. Ainsi, le 10 janvier dernier, nous avons appris que deux affaires pénales avaient été fondues en une : celle des « troubles massifs de l’ordre public Â» (19 personnes arrêtées, deux faisant l’objet d’une interdiction de quitter le territoire de Moscou et 10 autres obligées de trouver refuge hors des frontières de la Fédération) et celle pour « organisation de troubles de l’ordre public» ouverte contre nos camarades Konstantin Lebedev, Leonid Razvojaev et Sergueï Oudaltsov qui se trouvent également en détention préventive.

La liste des accusés ne cesse de croître. Tout récemment, le 7 février, Ilya Gouchschin, un jeune homme de 24 ans accusé comme les autres figurants de l’affaire d’avoir participé aux « troubles de l’ordre public Â» et d’avoir commis des violences à l’encontre d’un policier, a été arrêté. Plus tôt, le 17 janvier, Alexandre Dolmatov, qui s’était vu refuser l’asile politique et s’apprêtait à être déporté en Russie, a mis fin à ses jours dans un centre de rétention près de Rotterdam. Le 9 février, Sergueï Oudaltsov, qui jusque-là tombait sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire de Moscou, a été assigné à résidence par une décision du tribunal. Cela signifie qu’il lui est pratiquement interdit d’avoir tout contact avec l’extérieur et que le moindre pas de travers mènera à son emprisonnement.

De plus, le tribunal et l’instruction désignés par le Kremlin exercent une pression énorme sur les accusés, mettant parfois leur santé et leur vie en danger. Ainsi, la vue de Vladimir Akimenkov (1987), arrêté le 10 juin de l’année passée, est de plus en plus mauvaise. L’activiste du Front de Gauche souffre de maladies congénitales de la vue qui ne cessent de s’aggraver dans les conditions de détention auxquelles il est soumis et peuvent aboutir sur une cécité totale. Les défenseurs des droits de l’homme et les avocats d’Akimenkov ont à plusieurs reprises demandé à la Cour de faire preuve d’humanité et de convertir sa peine afin qu’il puisse sortir de prison. Plus de 3000 personnes ont signé une pétition à cet effet.  Cependant, la Cour et les enquêteurs sont restés inflexibles et il est prévu qu’Akimenkov reste en prison jusqu’au 6 mars au moins.

Mikhaïl Kosenko (1975), un autre accusé qui souffre de troubles psychiques suite à un trauma subi dans le cadre de son service militaire, n’a accès ni à ses médicaments ni à un traitement normal. Cependant, au lieu de le laisser sortir jusqu’à son procès, l’instruction prévoit d’envoyer Kosenko en « traitement forcé Â» dans un hôpital carcéral.

Leonid Razvojaev (1973), coordinateur du Front de Gauche, a été enlevé par des inconnus en Ukraine et ramené à Moscou.  Par la suite, sous la pression et la menace de torture, il a signé une déclaration dans laquelle il reconnaît les faits qui lui sont reprochés, qu’il a évidemment démentie mais est néanmoins utilisée par l’instruction contre les autres accusés. Razvojaev se trouve actuellement dans une prison de la ville sibérienne d’Irkoutsk, où  les possibilités de communiquer avec son avocat et sa famille sont toujours plus limitées.

L’affaire doit passer devant la Cour en avril. L’accusation présentera ses preuves concernant l’existence d’un complot antigouvernemental de grande ampleur où tous les accusés auront un rôle à jouer. Nous n’avons aucun doute quant au caractère partial et injuste que prendra ce procès. Il aboutira sur les destins brisés de dizaines de personnes (les articles concernés du Code pénal prévoient des peines de prison pouvant aller jusqu’à 8 ans), une hystérie conspirationiste dans les médias russes et une carte blanche pour de nouvelles répressions.

Votre solidarité nous est plus que jamais importante. A la veille de ce procès honteux, entre le 28 février et le 3 mars, nous vous appelons à mener des actions devant toutes les représentations de la Fédération de Russie dans vos pays respectifs, à faire pression sur vos gouvernements et organisations de défense des droits de l’homme et à diffuser au maximum des informations sur les répressions contre l’opposition qui ont lieu en ce moment en Russie.

Mouvement socialiste de Russie (RSD)

Front de Gauche (Levyi Front)

Action autonome (Avtonomnoe Deïstvie)

 

Traduit du russe par Matilde Dugauquier

Photo du rassemblement contre la répression et en signe de solidarité avec les prisonniers politiques russes organisé le 27 octobre 2012 par les Jeunes anticapitalistes (JAC) devant l’ambassade de la Fédération de Russie (voir ici)

 

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts

Philippe Dolbounov est un militant antifasciste, membre du Mouvement socialiste de Russie (RSD). Suite aux événements du 6 mai dernier à Moscou, qui ont tournés en affrontement avec les policiers suite à une provocation de ceux-ci, il a été persécuté par les agences répressives de l’Etat et a dû fuir le territoire de la Russie à deux reprises. Depuis janvier 2013, il se trouve en Ukraine où la représentation du Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (UNHCR) tarde à réagir à sa demande de protection (Interview de Alina Poliakova – journaliste).

Tout d’abord, es-tu à présent en sécurité ?

Non, je ne suis pas en sécurité (…) J’ai appris qu’un avis de recherche avait été officieusement lancé contre moi en Russie. Toutes les semaines, mes parents reçoivent la visite de collaborateurs de la police, du centre « E Â» (Centre de lutte contre l’extrémisme – ndt) ou même du FSB. Ici, en Ukraine, j’ai été pris en filature par des collaborateurs du SBU (services secrets ukrainiens – ndt). De plus, le UNHCR ne réagit pas à ma demande d’obtention du statut de réfugié.

Tu as peur d’être déporté ?

Après l’enlèvement de Léonid Razvojaev à Kiev et si on considère le nombre de déportations de réfugiés depuis l’Ukraine, qui est très élevé, c’est très possible, d’autant plus que le SBU collabore étroitement avec le FSB et le Centre « E Â»...

Tu dis que tu as suivi, comment l’as-tu remarqué ?

Par exemple, le 6 février, j’ai été pris en filature depuis le Service des Migrations ukrainien jusqu’à mon lieux de résidence. Trois personnes ressemblant à des agents m’ont suivi à une distance de 40 mètres ; ils s’arrêtaient régulièrement, en faisant mine de discuter. Ils sont montés dans un wagon de métro voisin du mien, sont sortis à la même station que moi et ont emprunté la même rue. C’est seulement en arrivant aux abords de la maison que je leur ai échappé : j’ai vu que l’un d’eux courait derrière moi et j’ai réussi à me cacher. À présent des policiers ukrainiens font souvent la ronde près de la maison.

À ton avis, à quoi est dû cet intérêt des services secrets pour ta personne ?

Il me semble que les services secrets sont très intéressés par les gens de gauche ces temps-ci. Mais quand on défend ses positions, non seulement en théorie, mais également dans la pratique, cet intérêt devient souvent malsain. Pour le moment, en Russie, la situation économique est assez tendue. L’Etat mène des coupes sombres dans l’enseignement, la santé et d’autres budgets sociaux. À la différence des libéraux, qui ne pensent qu’à « la Russie sans Poutine Â», la gauche n’hésite pas à parler de ces problèmes. Les autorités craignent l’explosion sociale plus que tout. D’où les poursuites, la répression, les arrestations, intimidations, etc.

Et toi, personnellement, qu’est-ce que tu leur a fait ?

Ces derniers temps, justement, j’ai participé activement à différents mouvements sociaux, par exemple, le mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, pour les forêts de Tsagovskiï, le mouvement de soutien aux habitants des habitats communaux de Moscou et le mouvement pour des élections honnêtes. J’ai participé à certaines actions non-autorisées mais je n’ai pas fait ce dont on m’accuse, bien-entendu…

Quel a été ton vrai rôle dans les événements du 6 mai pour lesquels ont t’accuse ?

Concrètement, pour employer les termes des juristes et des défenseurs des droits de l’homme, je risque d’être accusé de « organisation de trouble de l’ordre public massifs Â». L’instruction s’en remet à la reconnaissance de culpabilité de Léonid Razvojaev, dans laquelle je suis désigné comme étant la personne qui, soi-disant, menait le bloc des anarchistes. En réalité, ce jour-là, je marchais avec le bloc du RSD, dont je suis membre. Je n’ai pas eu recours à la violence contre des policiers, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de « troubles de l’ordre public massifs Â» sur la place Bolotnaïa (lieu de la confrontation entre la police et les manifestants – ndt)

Tu as été témoin dans le cadre du procès d’un autre figurant de « l’affaire du 6 mai Â», Stepan Zimin. As-tu été mis sous pression à cet égard ?

Oui, je me suis volontairement présenté comme témoin dans l’affaire qui concerne Stepan. Le 25 octobre, des collaborateurs du Centre « E Â» sont venus me chercher chez moi et ont tenté de m’arracher des déclarations sur Lebedev, Razvojaev et Oudaltsov dans les locaux du Comité d’Instruction (SK). Mon logement a été perquisitionné. Ce jour-là ils m’ont laissé partir en me disant que mon « statut procédural Â» n’était pas clair. En gros, il était difficile de dire si j’étais témoin ou suspect. Exactement une semaine plus tard, l’inspecteur Maroukian m’a appelé pour un interrogatoire. Je lui ai dit que Stepan n’avait pas jeté de pierre, n’avait pas eu recours à la violence contre des policiers et n’avait participé dans aucune échauffourée. Durant l’interrogatoire, Maroukian a menacé de m’envoyer à l’armée si, selon ses propres termes, je n’arrêtais pas de « lâcher des conneries Â».

Pourquoi tu décides de quitter la Russie justement maintenant ?

Ils ont commencé à mettre la pression sur mes proches : ma mère et mes grands-parents. Lors de l’interrogatoire du 25 octobre, les collaborateurs du Centre « E Â» ont menacé d’envoyer ma famille en interrogatoire au SK si elle les empêchait encore de « faire leur travail Â». Je suis parti parce que je suis aujourd’hui convaincu qu’ils veulent me mettre en prison (…) Le 12 février, ils ont interrogé ma grand-mère de 70 ans… (…)

Comment cela se passe pour obtenir le statut de réfugié ? Tu y arrives ?

Pour le moment je pense me rendre dans un autre pays car je ne me sens absolument pas en sécurité. Cela se passe mal car l’UNHCR ne réagit pas quand je dis que je suis poursuivi en Ukraine aussi. Son directeur a déclaré récemment à la presse que l’Ukraine est un pays sûr pour les réfugiés. Mais je ne peux pas comprendre pourquoi ils ne peuvent pas nous fournir une protection supplémentaire à moi et à d’autres personnes ayant fui la Russie, étant donné les circonstances. À part moi, Alexeï Deviatkin du parti « Autre Russie Â», la journaliste Jenny Kourpen et Mikhaïl Maglov du parti « Solidarité Â» ont pris la fuite en Ukraine. Pour nous aider, ce qu’il faut faire avant tout, c’est attirer l’attention sur la situation des réfugiés russes, surtout au niveau international. (…)

Traduit du russe par Matilde Dugaucquier

 

 

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