ACW : Le temps est venu d’un nouveau départ
Par Anne Dhooghe, Jef Mariën, Omer Mommaerts le Mercredi, 13 Mars 2013 PDF Imprimer Envoyer

L’ACW (le Mouvement Ouvrier Chrétien flamand) est dans l’œil du cyclone. Les accusations ne sont pas minces : contrefaçons, conflits d’intérêts, fraude financière, utilisation de la déduction des intérêts notionnels. Si on en croit les médias, l’ACW a perdu toute crédibilité.

Comment, en effet, un mouvement social peut-il juger l’attitude immorale des autres s’il se rend lui-même coupable d’utiliser des techniques d’optimisation fiscale ? Poser la question, c’est y répondre. Mais il est clair que derrière ces accusations, il y a un autre agenda. Cet agenda va bien plus loin que la dénonciation de la fraude financière au sein de l’ACW. Que faire alors ? Continuer comme si rien ne s’était passé est exclu. Tout est-il perdu ou bien un nouveau départ est nécessaire et possible et comment ce renouveau devrait-il se réaliser ?

Les faits : une longue histoire

Le 14 février 2013, la revue « Trends » et le N-VA publiaient toute une série de graves accusations à l’adresse de l’ACW : évasion fiscale, abus de biens de société, contrefaçon et fraude fiscale. Le 19 février, lors d’une conférence de presse, l’expert financier de l’ACW, Axel Haelterman, niait toutes ces accusations. L’ACW déclarait qu’il était partisan d’une investigation approfondie par l’Inspection Spéciale des Impôts et donnait sa pleine collaboration à une telle investigation.

Le 25 février, le journal « De Morgen » écrivait que l’ACW pensait sérieusement à utiliser le système de déduction des intérêts notionnels pour pouvoir diminuer le nombre de licenciements prévus de ses permanents. A peine un jour après, et après une critique sévère adressée par la CNE (la centrale des employés CSC, ndlr), reprise par l’ensemble de la CSC, l’ACW faisait savoir qu’il n’allait pas utiliser le système de déduction des intérêts notionnels. Il ne s’agit pas d’une pratique « illégale », mais alors que depuis des années la CSC mène une campagne pour une fiscalité juste, l’utilisation de ce système de déductions des intérêts notionnels ne pouvait que sérieusement diminuer la crédibilité du MOC.

Tous ces faits ne tombent pas du ciel. C’est la conséquence directe de certains événements qui ont eu lieu ces dernières années : le rôle d’Arco-ACW dans la faillite de Dexia, la garantie de l’Etat pour les petits coopérants d’Arco, les preuves de profit chez Belfius. Mais ces événements ont aussi une histoire précédente : au cours des années 90 du siècle dernier, les associations coopératives du MOC flamand ont disparues l’une après l’autre : LVCC, BAC, Ultra Montes, SV Accent, Sofadi, Samko bureau. Le journal « Het Volk » a été racheté, avalé, vendu et déclaré en faillite.

Seule Arco [1] pouvait encore se maintenir comme une branche coopérative et était la force motrice derrière le transfert du BAC vers Bacob pour arriver, via Artesia en 2001, chez le groupe Dexia. Le système de coopérative a été progressivement supprimé et le mouvement, en tant qu’investisseur, est devenu totalement lié au système bancaire et au capitalisme financier. Si l’AVW a perdue sa crédibilité, il faut en chercher l’origine dans cette préhistoire.

Toutes ces évolutions n’ont-elles donc pas été critiquées ? Si, mais ces critiques n’étaient pas prises au sérieux. Le sommet de l’ACW déclarait qu’il avait opté « pour une gestion sérieuse », « pour plus d’efficacité », que c’était « dans l’air du temps ». Au lieu de suivre aveuglement l’air du temps, l’ACW aurait dû résister contre le climat de libéralisation, de privatisation, de dérégularisation et aurait dû prendre des initiatives pour contrecarrer cet « air du temps ».

Un mouvement ne peut pas à la fois se mettre au service de l’Homme et de la société et en même temps participer aux marchés financiers déchaînés. Si une organisation veut se battre contre l’inégalité et l’injustice, - et donc combattre le capitalisme -, elle ne peut pas participer à des pouvoirs qui contrôlent ce type de société. Obtenir le plus de profits possible et défendre des normes éthiques, cela est incompatible.

Derrière les faits : les vraies intentions

Soyons clairs : si quelqu’un commet une infraction, il doit être puni, peu importe s’il s’agit de criminels, des citoyens honorables, des entreprises ou des organisations sociales. Mais celui ou celle qui pense qu’il s’agit ici simplement de dénoncer des infractions au sein du MOC flamand, se trompe.

Ces accusations sont le levier pour un agenda à peine caché : miner la crédibilité de l’ACW et des organisations en son sein. Parce que l’attaque est aussi dirigée contre les organisations qui font partie de l’ACW, comme le syndicat CSC, les associations socio-culturelles comme Femma, la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et Okra. Ce sont ces organisations qui sont la force motrice de la critique permanente du mouvement ouvrier chrétien contre toutes les formes d’injustice sociale, de racisme ou de pauvreté.

Ces mêmes forces sont les premiers défenseurs d’une Sécurité sociale forte au niveau national, d’une société tolérante et des intérêts communs de tous les travailleurs. Ce sont ces forces motrices que l’ont veut discréditer. Que les accusations soient avant tout exprimées par la N-VA n’est pas un hasard. Le mouvement ouvrier chrétien se prononce explicitement contre l’Agenda Néolibéral Caché (« Neoliberale Verborgen Agenda », en néerlandais) de la N-VA et a appelé dans le passé à ne pas voter pour ce parti.

La N-VA joue donc un jeu perfide : en criminalisant la direction du mouvement ouvrier chrétien, elle se profile comme le seul et véridique défenseur de tous les bénvoles, des militants et des « trompés » (dixit la N-VA) des coopérants Arco. La N-VA veut ainsi séduire les électeurs du mouvement ouvrier chrétien pour son programme néolibéral, séparatiste et nationaliste. En Flandre, le mouvement ouvrier chrétien est le plus grand obstacle pour la N-VA afin de devenir vraiment incontournable lors des prochaines élections.

Il est temps pour un nouveau départ

Au milieu du cyclone dans lequel l’ACW se trouve, il y a un point positif : l’engagement de milliers de volontaires ne peut pas être détruit par les mauvais choix et les conneries d’une partie de la direction à Bruxelles. Le capital social est indéniable et nécessaire pour le fonctionnement de la démocratie et de la société. Ces milliers de volontaires stimulent l’intégration sociale et ils jouent un rôle d’émancipation.

On fait une distinction entre la direction du mouvement et les centaines de milliers de militants. Mais cette distinction n’est pas suffisante pour regagner la crédibilité perdue ces derniers temps. Il faudra bien plus. Cela fait longtemps qu’on parle, au sein du mouvement, d’un « renouveau ». Un tel processus ne peut être crédible que si l’on prend ses distances avec ce qui a démarré dans les années 1990. Mais aussi ; pourquoi donc les responsables directs, les personnalités de premier plan d’Arco dans Dexia ne sont-elles pas licenciées ?

Retour aux sources et desserrer le lien avec le CD&V

Mais un véritable renouveau devrait commencer par un retour aux sources. Il faudra peut-être relire les « objectifs fondamentaux » de 1978 : une économie au service de l’Homme et de la société. L’économie nous concerne tous et toutes. Nous devons nous emparer de l’économie. Si le mouvement ouvrier veut s’emparer des développements dans la société, il doit aussi s’emparer de l’économie et développer des alternatives. Il faudra alors une banque coopérative, une banque qui nous appartient. Il faudra éviter que le capitalisme financier disloque la société avec notre argent. Pourquoi ne pas plaider pour une banque publique ? Est-ce que les banques privées n’ont pas prouvées leur faillite ?

Le vrai problème, c’est peut-être que le mouvement a trop dévié de ses objectifs. Et peut-être aussi que le lien est trop serré avec le CD&V. Alors qu’il est clair que le CD&V s’approche de plus en plus des idées néolibérales, et se distancie ainsi de plus en plus des objectifs du mouvement ouvrier chrétien, l’ACW ne veut toujours pas laisser tomber son « partenaire privilégié ».

Le lien de l’ACW avec le CD&V empêche que l’engagement de tous ces militants ait une expression politique indépendante. A quoi cela sert si les organisations CSC, Femma, KWB et les autres, qui font partie de l’ACW, militent pour un programme social juste, si le partenaire privilégié, le CD&V ne suit pas ?

« Beweging » [2] estime donc que la CSC et l’ACW, avec toutes ses ramifications, doivent créer un nouveau front politique dans lequel l’engagement de tous ses militants, travailleurs et leurs familles soit honoré. Un premier pas nécessaire est l’arrêt du lien privilégié avec le CD&V. Sinon, les élus politiques de l’ACW auront des points de vue politiques contraire au programme de l’ACW.

Paru dans De Wereld Morgen et traduit du néerlandais pour Avanti4.be par Chris Den Hond 
http://www.dewereldmorgen.be


[1] « Le Groupe ARCO est un holding coopératif avec une dimension sociale et sociétale spécifique. Sa mission essentielle consiste dans la gestion et la défense des intérêts économiques et financiers de ses coopérateurs tout en accordant, dans une perspective durable, une attention particulière aux préoccupations sociales, éthiques et écologiques. Le Groupe ARCO est une des organisations constitutives du MOC, et en constitue le pilier coopératif à côté du syndicat et des organisations mutuellistes et socioculturelles. » Source : http://www.groupearco.be/index/be-fr/2000/navigationcats/544/

[2] « Beweging » (« mouvement ») est un mouvement politique au sein de l’ACW qui œuvre depuis les années 80 pour que ce dernier coupe les liens organiques existants entre le mouvement ouvrier chrétien flamand et le principal parti bourgeois en Belgique, le CVP, aujourd’hui CD&V.

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