Grèce : 9+1 remarques sur Syriza après son congrès fondateur & intervention d’Antonis Ntavanellos
Par Antonis Ntavanellos, Stathis Kouvélakis le Samedi, 27 Juillet 2013 PDF Imprimer Envoyer

Nous revenons ici sur l'important congrès tenu début juillet par Syriza, la coalition de la gauche grecque dirigée par Alexis Tsipras qui a été à eux doigts de gagner les élections parlementaires en juin 2012. Ce congrès devait être un congrès "de fondation", marquant la transformation de Syriza en un parti basé sur des adhésions individuelles. Cet objectif impliquait, pour Tsipras et son courant, la dissolution de tous les autres courants au sein de Syriza, et par conséquent la transformation de la direction en une fraction aux mains de la seule majorité, issue de Synaspismos (eurocommuniste). Déjà avant les élections de juin 2012, Tsipras et sa tendance avaient commencé à mettre de l'eau dans le vin de leur programme, en particulier sur l'annulation de la dette, l'annulation des privatisations et la stratégie face à l'UE, dans le but de faire de Syriza un parti de gouvernement. Cette évolution s'est approfondie depuis lors, en lien avec une tentative de brider la Plateforme de gauche dont se réclament douze des 70 parlementaires de Syriza. Nous publions ci-dessous deux contributions de la gauche: un résumé de l'intervention au congrès d'Antonis Ntavanellos, qui était jusqu'au congrès membre de l'Exécutif de Syriza, et un article de bilan par Stathis Kouvelakis, membre du courant de gauche (une des deux composantes de la Plateforme de gauche) (LCR-Web)

 

Intervention d’Antonis Ntavanellos lors du congrès de SYRIZA

Nous publions ci-dessous, de façon résumée, l’intervention d’Antonis Ntavanellos, un des porte-parole de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), lors du congrès de «Fondation de SYRIZA». Elle a été prononcée, dans le plus grand silence, le vendredi 12 juillet 2013. Les lecteurs et lectrices peuvent se référer, pour une première appréciation de ce congrès, à l’article de Stathis Kouvelakis (ci-dessous), membre du Courant de gauche, publié sur ce site en date du 20 juillet 2013. Le Courant de gauche de SYRIZA et Rproject (Red Network) – celui-ci composé de DEA, Kokkino et APO – constituent la Plate-forme de gauche. L’enjeu central de ce congrès dit de «fondation» pour la direction de Tsipras peut se résumer ainsi: passer d’une coalition de 14 partis qu’est SYRIZA à un parti dit unifié impliquant la dissolution de toutes les organisations, au nom des droits individuels de chaque membre. Un parti où seule la direction forme, de fait, un collectif, dit autrement: une fraction dirigeante dont le leader fait connaître l’orientation du parti «unifié et démocratique» lors de ses interventions à la télévision. Ce parti aurait dû s’inscrire complètement, sans opposition, une fois ses composantes dissoutes, dans le projet politique de la Gauche européenne [1]. Voici l’intervention, de 7 minutes, d’Antonis Ntavanellos, membre de la coordination des neuf dirigeants formant l’exécutif de SYRIZA jusqu’au congrès. (Rédaction A l’Encontre)

Résumé de l’intervention d’Antonis Ntavanellos

Je ne vais pas me concentrer sur les questions politiques, dans la mesure où je suis en accord avec les intervenants précédents représentant la Plate-forme de gauche et Rproject-Red Network.

Je n’entends pas par là qu’il n’y a pas de sérieuses questions politiques à débattre. Elles existent et  devraient être au centre des débats de notre congrès. Par exemple, des membres dirigeants de SYRIZA développent une argumentation sur une possible alliance (dans le cadre d’un gouvernement dit de gauche) avec toutes les forces à l’exception d’Aube dorée et la fraction d’extrême-droite de la Nouvelle Démocratie.

Mais j’ai choisi, dans ce contexte, de me concentrer sur les questions organisationnelles et sur l’ultimatum lancé aux organisations qui composent la coalition SYRIZA de se dissoudre immédiatement.

Afin de créer une coalition comme SYRIZA, il était nécessaire au moins d’avoir un accord avec une organisation de la gauche radicale. Et ce défi, nous l’avons relevé dès 2004.

Durant ces années, nous avons appris à discuter les uns avec les autres dans un climat de camaraderie. Et continuerons à le faire pour ce qui nous concerne.

Les médias de masse voulaient voir les composantes de SYRIZA se saigner dans un combat les unes contre les autres. Nous avons refusé de leur parler et pourtant nous avons eu de nombreuses offres. Nous avons agi de la sorte parce que nous voulons éviter qu’un coup soit porté à SYRIZA, du moins de notre part.

Dans le débat sur les composantes organisationnelles de SYRIZA, il y a eu des arguments qui sont inacceptables pour un parti de gauche. Il y a eu des rumeurs concernant des «ambitions personnelles», des «petits mécanismes de pouvoir», etc.

Si la direction veut s’affronter au «star-system» au sein de SYRIZA, elle doit regarder dans d’autres directions et non pas pointer le doigt sur DEA, KEDA [Mouvement pour l’unité dans l’action de la gauche] ou Manolis Glezos [2].

Derrière ce thème, il y a une question politique. Elle est la suivante: règne dans ce discours l’idée réactionnaire que les personnes qui veulent construire des organisations communistes le font parce qu’ils sont égotiques, que ceux qui construisent des syndicats le font parce qu’ils ne peuvent pas être des managers d’entreprise, que les femmes qui organisent le mouvement féministe le feraient parce qu’elles ne pourraient pas être des poupées «Barbies».

J’aime la démocratie directe, mais elle exige certaines conditions. Et si nous voulons véritablement la mettre en œuvre, nous devons faire face à ces exigences, et pas seulement invoquer cette démocratie. Lors de la dernière conférence de SYRIZA [précédant ce congrès de fondation], il y avait aussi beaucoup de discussions sur la démocratie directe. Les mois qui ont suivi, des questions sérieuses telles que la visite [de Tsipras] à Washington, sa rencontre avec Schäuble, sa réunion avec le Levy Economics Institute ou la Fondation Karamanlis [3] ne furent même pas décidées par le comité central.

Nous devons nous concentrer sur des objectifs concrets: construire des sections locales, garantir les droits des membres, établir une direction collective.

De notre côté, nous avons accepté en mai dernier toutes les dispositions pour un fonctionnement plus démocratique de SYRIZA: l’abolition du droit d’une organisation à opposer son veto, le principe du «un membre, un vote», la prise de décision par des majorités, l’abolition de tous des «privilèges» des composantes de Syriza afin de garantir un certain type de pluralisme. Alors, quel est le problème aujourd’hui? Pourquoi devons-nous dissoudre les organisations?

Des organisations comme DEA, KOE [Organisation communiste de Grèce d’origine maoïste, elle s’est considérablement adaptée au nationalisme et de ce fait prend un virage en faveur du type de coalition gouvernementale telle que proposée par Tsipras], AKOA [Refondation de la gauche communiste et écologique] sont des instruments dans les mains de leurs membres, et elles sont aussi des armes pour SYRIZA en tant que telle.

Depuis 13 ans, nous sommes habitués à parler franchement avec vous. Dès lors, je vous le dis, il n’y aura pas de notre part une auto-dissolution virtuelle. (Traduction A l’Encontre)


Notes

[1] Il faut mettre en évidence que, suite au discours inaugural de Tsipras, le 10 juillet, est intervenu Pierre Laurent, secrétaire générale du Parti communiste français, qui a souligné trois événements positifs et un but de la Gauche unie européenne (GUE). Ces trois facteurs positifs, selon Pierre Laurent, étaient les suivants: la grève européenne présentée comme un vaste succès, ce que tous les observateurs savent être erronés; une évolution à gauche de la CES (Confédération européenne des syndicats), en fait à la solde de l’Union européenne; et la tenue d’un séminaire, en décembre 2013, à Madrid de cette Gauche unie européenne. Tout cela dans le but d’obtenir une victoire lors des élections européennes de 2014. Cette intervention se trouvait dans la foulée du discours inaugural de Tsipras, dont deux mots rythmaient la longueur: démocratie (et non pas lutte pour les droits sociaux et démocratiques) et justice sociale (une thématique allant de Stiglitz aux néo-keynésiens). A ces deux thèmes s’ajoutait un autre auquel Antonis Ntavanellos va faire un sort: la formation d’un parti «unifié démocratique», autrement dit, pour Tsipras, l’exigence de la dissolution des organisations formant la coalition SYRIZA et le maintien d’une direction autour de la présidence Tsipras. Ce fut un échec auquel ne s’attendaient pas les représentants du Bloco de Esquerda, du Parti de gauche (parti de Mélenchon, membre du Front de gauche avec le PCF de Pierre Laurent), de Die Linke ou de l’ÖDP turc, formations qui se sont retrouvées du 3 au 6 juillet 2013 à l’Université d’été de la Gauche européenne organisée au Portugal par le Bloco. Nous ne mentionnons pas ici des invités tels que le PPDA d’Afghanistan, le PC finlandais, Izquierda Unida de l’Etat espagnol, le PC autrichien, etc.  (Réd. A l’Encontre)

[1] Manolis Glezos, député de SYRIZA, né le 9 septembre 1922, arracha le drapeau nazi avec son ami Apostolos Santas, le 30 mai 1941, un drapeau qui flottait sur la ville d’Athènes depuis l’occupation des troupes allemandes le 27 avril 1941. Il fut condamné à mort par contumace. Il fut arrêté le 24 mars 1942, torturé. Il fut arrêté à nouveau par les Italiens le 21 avril 1943, puis le 7 février 1944 par les collaborateurs grecs des nazis, avant de s’évader. Lors de la dite guerre civile grecque, il a été condamné à mort par le gouvernement de droite, mais la campagne internationale lui permet d’échapper à la mort et il fut condamné à la perpétuité en 1950. Candidat de la Gauche démocratique unie (EDA), il fut élu au parlement en 1951 et libéré. Il fut à nouveau arrêté lors du coup d’Etat d’avril 1967 et emprisonné ainsi que condamné à l’exil durant quatre ans. Il représente une de ces personnalités politiques de l’histoire récente de la Grèce qui constituent une mémoire vivante et un fil conducteur de résistance et de courage, au-delà de leurs options politiques respectives. Il était caractéristique que les trois militants symbolisant la résistance contre les nazis, puis la gauche dans le cadre de la dite guerre civile et ses suites furent plus applaudis par les délégué·e·s que Tsipras. Ce qui a dû attirer son attention, du moins pour les conseillers qui conduisent et gèrent l’image de ce dirigeant formaté médiatiquement. (Réd. A l’Encontre)

[2] Konstantinos Karamanlis, 1907-1998, ministre de la Défense nationale, premier ministre, puis président de la République en 1980, fut réélu à la présidence en 1990. Il a été donc 14 ans au pouvoir comme premier ministre et 10 ans en tant que président de la République. En 1978, il a reçu le Prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle. Il est le symbole d’un président d’une période de croissance économique et de soutien de l’adhésion de la Grèce à la Communauté européenne aujourd’hui qualifiée d’UE (Union européenne). (Réd. A l’Encontre)

Cet article a été publié sur le site http://alencontre.org

 

 

 

Grèce : 9+1 remarques sur Syriza après son congrès fondateur

 Par Stathis Kouvélakis

 

Universitaire et membre du comité central de Syriza, Stathis Kouvélakis revient dans cet article sur le congrès fondateur de la coalition de la gauche radicale grecque, devenue parti à cette occasion.

1. Le congrès de Syriza s’est déroulé dans un contexte d’instabilité politique grandissante qui fait suite à la crise qui a suivi la fermeture de la radiotélévision publique (ERT) par le gouvernement d’Antonis Samaras et le départ de ce gouvernement de l’une de ses trois composantes (le parti de la Gauche Démocratique - DIMAR). Le nouveau gouvernement bipartite de la Nouvelle Démocratie et du PASOK ne peut désormais compter que sur une majorité parlementaire très étroite (153 voix sur 300), comme l’a montré le vote au Parlement du 17 juillet sur le nouveau paquet de coupes budgétaires visant la fonction publique. Il y a davantage : l’ampleur de la réaction populaire à la fermeture d’ERT a sonné la fin de la relative apathie qui régnait sur le front social depuis le vote du précédent Mémorandum en novembre dernier. Le bloc au pouvoir sort incontestablement affaibli de cette épreuve de force. La chute du gouvernement actuel sous la pression populaire apparaît comme un objectif plus réaliste qu’il y a quelques mois. Pourtant, manque cruellement une stratégie et une tactique qui aborderaient frontalement la question.

La position de Syriza reste à cet égard à un niveau incantatoire, marqué par le décalage entre une rhétorique conflictuelle, mais vague, et la ligne concrètement suivie lors des moments clés de l’affrontement social de la dernière période (grèves avortées ou brisées dans le métro, les docks et l’enseignement secondaire du fait des mesures de réquisition adoptées par le gouvernement). A chaque fois, la direction de Syriza a fait preuve d’une grande prudence, évitant tout objectif de montée en puissance de la contestation et culminant dans le retrait du soutien à la grève des enseignants pourtant approuvée à plus de 90% lors des AG exceptionnellement massives.

2. En annonçant le congrès du parti en mai, la direction visait un seul objectif : faire de la constitution de Syriza en parti unifié l’occasion d’une « reprise en main » visant à la fois à marginaliser l’opposition interne et à stabiliser une forme partidaire en rupture avec des aspects décisifs de la culture politique et organisationnelle de la gauche radicale. Pour le dire autrement, le but était d’aboutir très vite à une « forme parti » taillée sur mesure pour ancrer dans les réalités organisationnelles la ligne de « recentrage » que la direction poursuit avec acharnement depuis l’automne 2012 – ligne qui s’est traduite par le brouillage croissant des positions de Syriza (et de leur perception par les secteurs sociaux qui lui accordent leur confiance) sur les questions clés (annulation des Mémorandums, dette, sortie de l’euro, refus des privatisations) [1].

Pour ce faire, la direction du parti a imposé un congrès à marche forcée (avec un délai de moins d’un mois entre la publication des textes préparatoires et le vote des sections) et un agenda entièrement tourné vers des questions internes, loin des préoccupations stratégiques et des impératifs d’élaboration programmatique qu’une conjoncture aussi volatile que celle-ci exigent.

Cet agenda « introverti » s’est structuré autour de trois points clés :

• la question dite des « composantes », avec un ultimatum de deux ou trois mois maximum pour leur dissolution dans le cadre du processus d’ « unification » de Syriza [2].

• un droit de tendance vidé de sa substance, avec la suppression des dites « listes séparées », façon détournée de désigner la représentation proportionnelle des minorités dans les instances.

• La modalité d’élection du président du parti, i.e. par le congrès et non par les instances de direction (le comité central).

3. Cet agenda interne ne fait sens qu’à condition d’être situé dans le contexte plus large de la perception de Syriza par les représentants du bloc au pouvoir et de l’évolution interne que connaît ce parti depuis un an.

Pour les médias et les forces politiques systémiques, les « composantes » et les « tendances » de Syriza, sa fameuse « cacophonie », sont la manière codée de désigner le radicalisme de Syriza, que ces « tendances » incarnent face à une direction (incarnée par Tsipras) qui représente le « réalisme » et la ligne du recentrage. La direction, et plus particulièrement Tsipras, est donc soumise à une pression constante venant du système pour « faire le ménage » dans le parti et assoir son autorité (« Tsipras, coupe des têtes » est l’une des injonctions préférées des commentateurs médiatiques autorisés…) en se débarrassant des voix discordantes. Sont tout particulièrement visées celles qui la critiquent sur sa gauche et qui sont présentées comme autant d’obstacles à l’« image » de Syriza comme « parti de gouvernement responsable ».

Au sein même de Syriza, les succès électoraux foudroyants du printemps 2012 se sont traduits par une dynamique contradictoire. D’un côté, une vague significative d’adhésions (le nombre d’adhérents a environ doublé en quelques mois et atteint à présent 35 000), ainsi que des succès dans certains secteurs, plus particulièrement dans le mouvement syndical, point faible traditionnel de Syriza – succès relatifs toutefois dans la mesure où la surface syndicale demeure significativement inférieur à celle du PC grec (KKE), qui n’a récolté que moins de 5% des suffrages – environ un sixième de celles de Syriza.

Mais cette vague comporte également un autre aspect, bien plus ambigu. Dans une société traumatisée par la dépression économique et formée par des décennies de « partitocratie » (le « système » forgé par la Nouvelle Démocratie et le PASOK qui ont alterné au pouvoir depuis la chute des colonels en 1974), l’adhésion à un parti apparaissant comme aux portes du pouvoir peut également prendre la signification de la reconstitution d’un rapport clientéliste, doublé d’un rapport d’obéissance au leader charismatique. Si ce phénomène est encore loin d’être majoritaire, il n’en altère pas moins de façon désormais significative la composition du parti et alimente de façon essentielle la prolifération d’« adhérents passifs », qui ne se manifestent que le jour du vote pour le congrès et dont le lien à l’organisation repose principalement sur les rapports personnels qu’ils entretiennent avec un ou plusieurs cadres locaux.

4. Ce phénomène, en partie spontané et parfaitement prévisible pour qui est au parfum des réalités grecques, a néanmoins été clairement encouragé, au nom du nécessaire « élargissement », par la direction du parti à partir de l’automne 2012. Les choix opérés à partir de ce moment – absence de toute véritable stratégie d’intervention militante et de construction du parti, choix de congrès ou de conférences nationales organisés à la hâte, avec un nombre de délégués pléthorique, semblable à celui des instances nationales ou fédérales, constitution de réseaux puissants de type personnel autour de certains cadres dirigeants (en général également des parlementaires) – conduisent inévitablement à un parti de type « attrape-tout », un catch-all party comme disent les politistes à la suite de Kirchheimer. En d’autres termes, un parti électoraliste, à la vie interne atrophiée, principalement soudé autour de son leader et d’un discours venant d’en haut, principalement adressé – via les médias – à un « auditoire national », mais toujours modulé de façon à plaire aux divers « publics » (plus « radical » et « lyrique » quand on s’adresse aux militants, plus « sobre » et « pragmatique » quand il s’agit de rencontrer Schaüble ou le FMI).

5. Les aspects les plus problématiques du congrès fondateur de ce « nouveau Syriza », parti désormais unifié, découlent de ces tendances lourdes, qui conduisent à sa mutation en « parti de gouvernement » de type gestionnaire : un nombre de votants disproportionné par rapport à celui des participants aux discussions internes, un corps ingérable de 3500 délégués, absence de discussion structurée lors des deux premières journées (celles où les délégués pouvaient prendre la parole), absence de rapport d’activité des instances sortantes, discours d’ouverture de Tsipras adapté aux exigences d’un meeting électoral et non d’une adresse à l’instance délibérative du parti.

A cela est venu s’ajouter le climat particulièrement agressif vis-à-vis de l’opposition interne (regroupée dans la Plateforme de gauche [3]), qui a culminé le soir de la dernière session du congrès, lors des votes sur la représentation sur les trois points touchant au fonctionnement interne sur lesquels la discussion s’était focalisée (dissolution des composantes, représentation des tendances et mode d’élection du président du parti). Se sont déroulées des scènes choquantes pour un congrès de la gauche radicale (représentants de la Plateforme de gauche hués, doigts d’honneur et insultes, Tsipras applaudi à chaque fois qu’il montait à la tribune avant même le début de ses interventions), qui ont conduit au départ de la salle des délégués de la Plateforme de gauche et d’un nombre significatif de délégués de la majorité.

6. Quel est le bilan de ce congrès ? Du point de vue de contenu programmatique et de l’élaboration stratégique fort maigre, voire inexistant. Les documents adoptés se bornent à répéter, souvent au mot près, les formulations adoptées (là encore de façon plutôt expéditive) lors de la conférence nationale de novembre dernier. Ces textes de compromis, truffés de formulations alambiquées et ambiguës, n’ont de toute façon jamais été vraiment diffusés ou soutenus publiquement par la fraction majoritaire de la direction, qui s’est toujours empressé d’en fournir des « interprétations » en accord avec la ligne du « recentrage » et du « réalisme ». Ainsi, en décembre dernier, quelques jours à peine après la conférence nationale qui avait confirmé la position de Syriza quant à l’annulation immédiate des Mémorandums par vote parlementaire en cas de victoire électorale, les responsables des questions économiques, et principales figures de proue de la direction après Tsipras, se sont répandus en déclarations dans les médias pour préciser que Syriza « n’agirait pas de façon unilatérale », évitant systématiquement d’utiliser les termes d’ « annulation » ou d’« abrogation », remplacés par des références iréniques à la « négociation » avec « nos partenaires européens ». Tsipras lui-même a multiplié les déclarations « conciliantes » de ce type, notamment lors de ces déplacements à l’étranger, plus particulièrement en Allemagne, où il a rencontré Schaüble, et aux Etats-Unis, où il s’est entretenu avec des représentants du Département d’Etat et du FMI.

7. La Plateforme de gauche a tenté de donner un contenu politique à un débat programmatique quasi-inexistant et a déposé quatre amendements qui touchaient aux points stratégiques les plus sensibles : dette (remise en cause de la légitimité de la dette en tant que telle, dénonciation des conventions existantes et recours si nécessaire à la cessation de paiement pour obtenir son annulation) ; éventualité de sortie de la zone euro (option viable qu’il s’agit de préparer sérieusement si, ou plutôt quand, un gouvernement Syriza se trouvera, à l’instar de Chypre, confronté au chantage de l’UE et de la BCE) ; nationalisation du secteur bancaire dans sa totalité, engagement clair à annuler l’ensemble des privatisations en cours et renationalisation sous contrôle populaire de secteurs stratégiques de l’économie (télécommunications, énergie, infrastructures routières et aéroportuaires) ; stratégie d’alliances en réaffirmant la ligne d’un gouvernement de gauche anti-austérité, à l’exclusion d’ouverture au « centre » ou aux forces de la droite souverainiste. L’ensemble de ces amendements a été rejeté, mais a recueilli entre un tiers et 40% des voix, les amendements sur la dette et l’euro étant ceux qui ont reçu le soutien le plus large. En ce sens, on peut dire que, sur la question de la ligne politique, la direction a pu imposer son point de vue.

8. Pourtant, eu égard aux objectifs qu’elle s’était fixés, ce congrès représente un sérieux revers. L’agenda en trois points évoqué ci-dessus et focalisé sur la « remise en ordre » interne du parti, est sorti malmené de ce moment fondateur du « nouveau Syriza ».

Sur la question de la dissolution des composantes, et de l’ultimatum qui leur était adressé, la direction a dû se résoudre à un compromis (la formulation adoptée parle de « dissolution dans un délai raisonnable et suite à une concertation) suite à l’attitude extrêmement ferme de Manolis Glezos. Figure emblématique de la Résistance, jouissant d’un prestige immense et d’une stature à la hauteur du héros national qu’il est, Glezos ne s’est pas contenté de défendre le droit des composantes à préserver leur autonomie. Il a attaqué Tsipras de façon directe et personnelle et rejeté avec force le modèle d’un parti « présidentialiste », sapant ainsi l’autorité morale et symbolique de la direction et de son leader.

Sur la question de la représentation des minorités, ceux-ci ont par contre mis tout leur poids dans la balance, opérant ce qui peut être qualifié de coup de force, mené par Tsipras en personne : après avoir proposé un système qui accordait, par un subterfuge « technique », un avantage automatique à la liste majoritaire, le bloc majoritaire a imposé aux tendances (minoritaires) qui voudraient se présenter en tant que telles l’obligation de constituer des listes séparées, figurant sur des bulletins différents.

La possibilité existant jusqu’à présent de choisir, sur un même bulletin, une liste puis de panacher, dans certaines limites, les candidats se présentant sur les diverses listes a ainsi été supprimée. Quant à la liste majoritaire, elle ne se présente pas comme une liste de tendance, ou d’un accord entre tendances (ce qu’elle est pourtant), mais comme la « liste unifiée », simple addition de candidatures individuelles représentant la « diversité du parti » en tant que tel. Il s’agissait à l’évidence de faire apparaitre les minorités comme un « corps étranger », simplement toléré, et de donner à la liste majoritaire un statut symbolique de détenteur unique de la légitimité partidaire.

L’opération s’est néanmoins retournée contre ses inspirateurs. Au lieu de s’affaiblir, la Plateforme de gauche s’est sensiblement renforcée (voire ci-dessous), et, aidée par la présence de petites listes « indépendantes », elle a ramené la liste majoritaire à 67,5%, soit sept points de moins que lors de la conférence nationale de décembre dernier.

Enfin, sur la question de l’élection du président par le congrès, la direction a obtenu gain de cause, mais au prix de l’adoption dans les statuts d’une disposition « flexible » autorisant chaque congrès à décider librement du mode d’élection du président. Sans surprise, ce congrès s’est prononcé par la suite en faveur de l’élection directe du président. Mais lors du vote à bulletin secret, Tsipras a réalisé ce qui peut être considéré comme une contre-performance, en totalisant 72% des bulletins (74% des bulletins valides, les nuls exprimant dans leur quasi-totalité diverses formes de rejet de la procédure et/ou de la personne de Tsipras).

9. On peut pourtant considérer que la principale déconvenue de la direction se trouve dans le renforcement de la Plateforme de gauche, qui a franchi le seuil symbolique des 30%, soit une progression de près de 5 points par rapport à la conférence nationale de novembre dernier (30,16% vs. 25,6%), et ce dans un cadre hautement conflictuel, entièrement façonné dans le but d’obtenir sa marginalisation. Il ne fait pas de doute que le climat d’intimidation a suscité une forte résistance parmi une partie des délégués, au-delà des rangs de celles et ceux qui avait d’emblée soutenu les positions de la Plateforme.

Le résultat a causé un véritable choc au sein de la direction, qui a évité tout commentaire officiel (ses représentants sont devenus invisibles dès l’annonce des premiers résultats). La presse et les médias font état d’un embarras manifeste dans les rangs majoritaires, même si, d’une façon générale, ils cherchent à ménager Tsipras. Les interrogations se font de plus en plus pressantes quant à la ligne qu’elle suivra dans la période qui s’ouvre, recherche de compromis ou poursuite de l’affrontement interne, au risque cette fois de provoquer une crise interne prolongée.

De son côté, la Plateforme de gauche a pour la première fois rendu public un communiqué distinct précisant que son effort pour obtenir la « radicalisation et l’ancrage à gauche de Syriza et pour l’unité de l’ensemble de la gauche radicale se poursuivait dans de meilleures conditions ». Signe que son succès est compris comme un encouragement à déployer son intervention de façon encore plus visible au sein du parti et même au-delà.

9+1. En conclusion, on peut dire que ce congrès fondateur a sans doute créé davantage de problèmes qu’il n’en a résolu, ou tenté d’en résoudre. Désormais constitué en parti unifié, doté de statuts, de documents à caractère programmatique et d’une direction élue, Syriza n’en apparaît pas moins comme un parti profondément divisé sur des points stratégiques essentiels, qui sont au centre du débat national et européen. Il est évident que la confrontation entre les partisans d’une approche « réaliste », soucieux d’accéder au pouvoir « à froid », de ne pas rompre avec le cadre européen et de ménager les secteurs stratégiques des forces dominantes, et ceux qui prônent l’affrontement ouvert et la rupture avec le cadre actuel de l’UE touche au cœur des questions qui se posent aujourd’hui à la gauche radicale du Vieux Continent.

L’apport essentiel de Syriza, et de la dynamique qu’il a su créer au printemps dernier, est d’avoir su poser au sein de la gauche radicale la question d’une alternative de pouvoir en termes concrets. Reste à savoir si une telle entreprise se fera aux dépens de la radicalité ou si elle rejoindra la longue liste d’expériences de la gauche de gouvernement qui s’est rapidement enlisée dans les sables de la gestion du système. Le congrès de Syriza aura sans doute été utile en ceci qu’il aura au moins permis de formuler les termes du problème d’une façon plus claire et plus aisément perceptibles par les forces sociales et politiques engagées dans un projet émancipateur.

Stathis Kouvélakis, Athènes, le 18 juillet 2013


Notes

[1] Sur l’évolution de Syriza on lira l’article de Baptiste Derickebourg, « Prendre le pouvoir sans perdre son âme » dans la livraison de juin dernier du Monde diplomatique ainsi que le texte de Philippe Marlière « Grèce : Alexis Tsipras entre radicalisme et « réalisme » », disponible sur ESSF (article 28241).

[2] De 2004, date de sa création, jusqu’à la conférence nationale de novembre dernier, Syriza existait en tant qu’alliance entre une douzaine de composantes distinctes, couvrant la quasi-totalité du spectre de la gauche radicale. La plus importantes de ses composantes était Synaspismos, le parti d’Alexis Tsipras, parti lui-même constitué de courants distincts, allant de la social-démocratie modérée (l’actuelle Gauche démocratique en est issue, mais une partie significative de ce courant est restée dans Synaspismos) au néo-communisme du Courant de gauche (voire note suivante).

[3] La Plateforme de gauche s’est constituée sous sa forme actuelle lors de la conférence nationale de novembre 2012 par la convergence de deux principales composantes, qui comptent plus d’une décennie d’existence, sous diverses configurations : 1) le Courant de gauche de Synaspismos, essentiellement formé de militants qui ont quitté le PC grec (KKE) lors de la scission de 1991. Il contrôle la plupart des sections d’entreprise, le secteur syndical, et conserve une forte présence dans certaines sections et fédérations régionales, essentiellement dans le nord de la Grèce. 2) les trois composantes d’origine trotskiste de Syriza (Kokkino, DEA et APO), désormais regroupés sous le parapluie de Rproject/ Réseau rouge. Lors du congrès, ont adhéré à la Plateforme une composante issue du PASOK, DIKKI, ainsi qu’une organisation de cadres syndicaux ayant quitté le KKE en 1995 (KEDA). Environ une douzaine de parlementaires de Syriza sur un total de 70 se reconnaissent dans la Plateforme, dont l’un des trois porte-parole du groupe parlementaire, Panayiotis Lafazanis, ancien dirigeant du KKE et député de longue date de l’emblématique deuxième circonscription du Pirée, la plus ouvrière du pays, qui en est également la figure publique la plus connue.

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