Quand je serai grande, je veux être une femme fatale!
Par Virginie Godet le Mercredi, 15 Juin 2005 PDF Imprimer Envoyer

Jeune et Jolie, Muteen, Girls, Witch, 20ans… une liste non-exhaustive des magazines féminins destinés aux adolescentes, et que leur piquent joyeusement leurs petites sœurs. Quel est le message véhiculé par ces périodiques ? Sois belle, habille-toi à la dernière mode, mets au point ta stratégie de séduction et, une fois le mâle capturé, on t'apprendra à le garder. Y'aurait pas comme une odeur de régression?

L'idée de cette chronique n'est pas de provoquer une levée de boucliers contre la presse féminine. Certains magazines, ceux des "grandes", assument pleinement leur schizophrénie, entre rédactionnel franchement féministe et sujets "mode et beauté" débordant des diktats de l'esthétique moderne: minceur, élégance, garde-robe renouvelée à chaque saison, soins du corps et du visage qui prennent des heures, maquillage en 36 épaisseurs… On connaît, et on ne se sent pas obligée de tout exécuter à la lettre.

Quand cela concerne les adolescentes, le problème se corse. D'abord, parce que c'est l'âge où la rébellion prend la forme du "je veux être comme toutes mes copines", et que "toutes les copines" dévorent les périodiques cités plus haut. Et si elles suivent les conseils, tout le monde suit. Pour être affreusement caustique, on peut considérer l'adolescence comme l'âge où les garçons font "meuh", et les filles "bêêê".

Seulement, voilà, pour suivre ces conseils, on a tout intérêt à être une "top biche" au naturel, avec des parents cadres -c'est un minimum- et un argent de poche environnant les 50€ par semaine. Etre fille unique est un plus. Une étude de l'université de Laval, au Québec, réalisée sur base de la presse locale, démontre que, entre les vraies pubs et le faux rédactionnel à visée promotionnelle, le contenu poussant à la consommation est de 80%. En Europe, les chiffres devraient raisonnablement être les mêmes.

Les 20% qui restent sont occupés par ce problème majeur: LES MECS ! Conseils, psycho-tests débiles -pour croire en leur fiabilité, il faut avoir un QI d'huître- et l'inénarrable courrier des lectrices (vous vous souvenez ? "Chère Julie, j'ai un gros bouton sur le nez, vais-je rester défigurée pour toujours ?")(1). Quitte à jouer les vieilles toupies, de mon temps, ce n'était pas du tout, du tout la même chose. On nous disait que les garçons aimaient les filles qui avaient de l'humour. Et la question vachement existentielle était: Est-ce qu'on peut embrasser au premier rendez-vous ?

Autant vous dire que ce genre de considérations est aujourd'hui relégué au grenier avec les corsets des grands-mères. D'abord, on apprend que les premières de classe ont le choix entre rester vieilles filles ou avoir comme copain le boutonneux fort en thème du premier rang. Intelligente, ce n'est pas une qualité si on veut se caser. Ensuite, les trucs et astuces pour garder le Roméo sont hot, hot, hot ! Sans savoir si les lectrices mettent réellement ces conseils en pratique, dès 13 ans, elles pourraient réécrire le Kama Sutra ! Ont-elles réellement besoin de ce type de fiches techniques, à moins de vouloir devenir des "porno-stars"- projet de vie exaltant et hyper-constructif ?

Quelquefois, miracle, on évoque une éventuelle carrière professionnelle future. Et on assiste à la course au quart d'heure warholien: "un jour, tout le monde sera célèbre pendant un quart d'heure". Chercheuse, enseignante, ingénieure, écrivaine, avocate… Quelle drôle d'idée ! Par contre, le parcours fléché du futur top-model, de la star-académicienne, de l'actrice kleenex sont décris par le menu. Sans signaler que, pour beaucoup d'appelées, il y aura très peu d'élues. J'ai toutefois une certaine indulgence pour Witch qui, comme son nom l'indique, apprend aux jeunes filles comment on devient sorcière… Amusant, mais ultra-minoritaire, et en bute aux ligues cathos, redoutant un sursaut des sectes satanistes !

Alors, la femme de demain sera-t-elle une geisha sans cervelle ? Verra-t-on se développer une armée de bimbos ? Au secours ! Olympe de Gouges, réveille-toi, elles sont devenues folles !

(1) Parfois, cependant, des gamines dans des situations vraiment moches y trouvent un réconfort, du soutien, de bons conseils. Allez, le courrier des lectrices n'est pas entièrement débilitant.

Voir ci-dessus