Chanson au féministe
Par Queen Martine le Jeudi, 07 Avril 2005 PDF Imprimer Envoyer

Après des années de mutisme sur la question, plusieurs chanteuses se revendiquent du féminisme, et en alimentent leurs textes. Observe-t-on un regain de conscience féministe parmi les jeunes femmes artistes des diverses scènes musicales (rock, rap, chansons, techno) ? La question aurait été balayée d'un revers de manche voici deux ans. La période semblait irréversiblement dominée par le triomphe des stars r'n'b à la Nadya (Victoire de la musique, c'est dire si cette cérémonie sert avant tout de caisse enregistreuse).

Le féminisme n'était guère en vogue depuis les années 1980, et derrière le souci légitime de quelques-unes de ne pas réduire leur propos artistique à des considérations exclusivement militantes, se cachait généralement chez la majorité une indifférence frileuse pour une cause jugée désuète, trop exclusive et, en conséquence, pour parler major, pas assez vendeuse. Même une artiste comme Diam's, une des premières chanteuses populaires à avoir décrit en des termes aussi crus, dans Ma souffrance, son parcours de "femme battue" par son conjoint, rejetait catégoriquement l'épithète, au point de se fâcher avec Ni putes ni soumises. Le milieu hip-hop n'est de toute façon guère favorable à affirmation d'une identité de femme autonome. Princesse Anies, rappeuse engagée (il faut écouter son titre Si j'étais un homme, contre l'homophobie et le sexisme) a parfaitement résumé, dans un des titres de son dernier disque, Reality Show (sorti en association avec Tepa, sous le nom Les Spécialistes), l'alternative du diable qui s'offre à une fille: être un "pseudo"-bonhomme ou une chanteuse en string.

Si la musique populaire se ramifie dans ses formes, les stéréotypes ont souvent la vie dure en ce qui concerne la fonction des femmes interprètes. Le jazz a beaucoup joué sur le duo d'une diva/muse qui pleure le blues, accompagnée au piano par son "mâle créateur". La mythologie du rock s'est bâtie autour de l'image virile d'un jeune homme se déchaînant, muscle dehors, sur une guitare électrique. Les chanteuses furent donc fréquemment à la fois cantonnées dans la posture de la "bouche" charmante et poussées vers le strict registre de la chanson d'amour. Si des figures exceptionnelles surent et savent s'affranchir de ces contraintes, la plupart en restent plus ou moins volontairement prisonnières, pour le pire ou le meilleur, comme on l'observe avec cette insupportable vague d'actrices susurrantes, vendues généralement sous le parapluie d'un prestigieux parrain (Benjamin Biolay et son épouse, Chiara Mastroiani, et maintenant sa petite sœur, Coralie Clément).

Pourtant, ces dernières années, un réel frémissement s'est manifesté, notamment porté par des musiciennes lesbiennes. Le groupe de rock Le Tigre a, par exemple, rencontré un regain d'intérêt depuis l'an dernier, essentiellement en raison de ses déclarations (à défaut du reste) ouvertement féministes (cf. l'album Feminist Sweepstakes), quitte parfois à en rajouter dans l'alibi marketing. Mais ce fut surtout dans la techno, avec des figures de proue comme la DJ Sex Toy (décédée) et des boîtes de nuit comme le Pulp à Paris, que le renouveau et l'émancipation se sont affirmés avec un peu plus d'ampleur. Davantage asexué, envahi précocement par les codes gays, l'électro offrit un terrain de jeu davantage équitable et paritaire, même si, comme partout ailleurs, l'utopie artistique se couche vite devant les impératifs commerciaux.

Y compris dans le domaine du rap, l'amélioration est également notable. La jeune poétesse afro-américaine Hanifah Walidah, adepte du slam (poésie rappée), se dit féministe, homosexuelle, noire, et militante sur les trois registres. Rajoutons désormais la remarquable Jean Gray, rappeuse née en Afrique du Sud, signée sur le label des Roots. En France, une personnalité comme Bam's se rapproche de cette double exigence: conjuguer la force du hip-hop, son ancrage dans les souffrances sociales et les revendications culturelles, sous une tonalité authentiquement et subjectivement féminine. Son nouvel album, De ce monde... (2good) s'engage sur ces divers chemins, avec force de conviction et beaucoup d'assurance. Quelques rimes en résument parfaitement l'esprit: "Je me fous d'être jolie, je me fous d'être ta cool".

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