Mortelle Amiante
Par Sébastien Brulez le Vendredi, 17 Février 2006 PDF Imprimer Envoyer

Le début de l'exploitation industrielle de l'amiante remonte au XIXe siècle. Mais depuis le premier janvier 2005, une directive européenne en interdit totalement l'usage. Récemment, le porte-avions français Clemenceau devant être désamianté en Inde a rappelé la patate chaude que constitue ce matériau utilisé durant des décennies et dont tous ceux qui en ventaient les mérites essaient aujourd'hui de se débarrasser. En ce début de XXIe siècle, le nombre de victimes se compte par milliers et le pire reste à venir.

Il aura donc fallu plus d'un siècle pour que la toxicité de l'amiante soit reconnue. "Reconnue" et non pas "connue". Des pathologies apparaissent déjà dans les premières années de l'exploitation industrielle. Mais, dans la plupart des cas, les entreprises privées se sont attachées à les dissimuler, avec la complicité des gouvernements.

Des décennies de mensonge

Chez nous, à Harmignies près de Mons, l'usine Coverit (filiale du groupe Eternit) constitue un cas d'école. Elle a fermé ses portes en 1987. Certaines personnes y ont travaillé pendant plus de trente ans, sans jamais être réellement informées du danger mortel que représentait le matériau. Michel Verniers, délégué syndical de l'entreprise durant de nombreuses années, explique ce qui l'a poussé à s'intéresser au problème: "Après la fermeture de l'usine, je me suis rendu compte que de plus en plus d'anciens collègues décédaient rapidement. J'ai alors commencé à tenir une liste des décès et à faire des recherches sur l'amiante. Aujourd'hui, sur 220 travailleurs que comptait l'entreprise, 116 sont morts et 49 sont malades. Parmi les 116 victimes, 4 se sont suicidées à cause de leur maladie".

"On ne nous a jamais dit que l'amiante était mauvais. C'était en haut lieu que cela se savait" confie Vivian Lescaut, lui aussi ancien travailleur de Coverit. "J'ai été engagé en 1977. Quelques semaines plus tard, Des journalistes sont venus nous dire que l'amiante présentait des dangers. Le patron les a mis dehors et nous a dit de ne pas écouter les journalistes. Selon lui, c'était de la désinformation. Jusque là nous avions toujours travaillé sans aucune protection. Un peu plus tard on nous a dit qu'il fallait prendre quelques précautions, mais elles étaient minimes. Comme aucun ouvrier n'était malade, nous n'étions pas conscients du danger".

Une bombe à retardement

En effet, les symptômes mettent généralement du temps avant d'apparaître. Il peut parfois s'écouler 20 ou 30 ans entre l'exposition et l'apparition des pathologies. Ainsi, une étude réalisée en France en 1998 avançait que, entre 1996 et 2020, 20 000 décès dans la population masculine et plus de 2900 décès dans la population féminine pourraient être directement liés à un mésothèliome, un cancer de la plèvre ou du péritoines pécifiquement lié à l'amiante. Il ressort également d'une seconde enquête que: "La mortalité par mésothèliome en France va continuer d'augmenter sur une longue période. Le pic de mortalité se situera entre 2025 et 2040"(1).

Michel Verniers et Vivian Lescaut sont tous deux bénévoles à la Cellule amiante de la CSC, créée à leur initiative en 2003, suite une réunion intersyndicale. Ils ont ensuite été rejoints par Mme Declerc, veuve d'un ancien travailleur de Coverit. Aujourd'hui, ils espèrent que leurs revendications seront écoutées. "Des personnes isolées essaient parfois de nous aider mais aucun parti politique n'est prêt à se mouiller à l'heure actuelle". Mais que réclament-ils ? "L'amélioration des indemnisations et la création d'un fond d'indemnisation de l'amiante pour les travailleurs et l'environnement; la condamnation des patrons et la reconnaissance de la faute inexcusable; des réparations pour toutes les victimes et leurs familles afin d'assurer la survie financière de ces dernières; et enfin, que la reconnaissance des malades de l'amiante et leur indemnisation ne soient pas soumises à une prescription sur le nombre d'années".

Profits privés, dettes collectives

"Ce sont les patrons qui se sont enrichis durant des années en nous contaminant et aujourd'hui, c'est la collectivité qui doit payer les indemnisations". La reconnaissance de la faute inexcusable précitée permettrait de traduire certains employeurs devant la justice pénale. D'autant plus que tout indique à penser que le danger du produit a été minimisé délibérément. "Lorsque nous passions à la visite médicale, si quelqu'un avait des problèmes respiratoires, ils lui disaient qu'il fumait trop !".

En 1985, la direction a demandé à la médecine du travail d'approfondir les examens médicaux sur les travailleurs. Les ouvriers n'ont pas eu accès à leur dossier médical. En juillet 1987, l'entreprise fermait définitivement ses portes. "La direction nous a dit que l'usine n'était plus rentable, c'était absolument faux. Elle savait que les maladies allaient commencer à éclater, c'est pour ça qu'elle décidé de fermer le site". confie Michel Verniers.

Aujourd'hui, malgré son interdiction en Europe, plus de deux millions de tonnes d'amiante continuent d'être produites chaque année, au nom du profit. Si la production se maintient, malgré le danger avéré de la fibre minérale, c'est que de nouveaux marchés se sont ouverts avec les pays émergeants d'Asie.

1) Enquêtes citées dans le "Rapport du Gouvernement (français) au Parlement, présentant l'impact financier de l'indemnisation des victimes de l'amiante pour l'année en cours (2003) et pour les vingt années suivantes".

Voir ci-dessus