Lettre ouverte aux syndicalistes: l’avenir du syndicalisme se joue ici et maintenant
Par La direction de la LCR le Mardi, 07 Février 2012 PDF Imprimer Envoyer

"La LCR a conçu un blog pour faciliter le débat entre syndicalistes sur les questions que nous abordons dans cette lettre ouverte.Notre seul souhait : faire avancer le débat et l'unité des travailleurs. Nous attendons vos contributions, vos expériences, vos propositions, vos critiques."


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Camarades,

Nous ne sommes qu’au début d’une régression sociale qui vise à liquider ce qui reste de nos acquis sociaux, déjà terriblement mis à mal depuis trente ans. Le gouvernement Di Rupo, comme d’autres gouvernements en Europe, veut non seulement casser les acquis sociaux, mais aussi casser la résistance du mouvement syndical en lui enlevant sa capacité de peser sur les décisions politiques. Si le gouvernement arrive à ses fins, les patrons dans les entreprises se sentiront encore plus forts dans leurs attaques contre les travailleur(euse)s et leurs délégué(e)s.

L’attaque contre les acquis et l’attaque contre les syndicats sont évidemment liées. On veut pousser les syndicats dans le coin pour lancer demain des attaques encore plus dures. Celles-ci ne manqueront pas, car aucune sortie de la crise capitaliste n’est en vue. De plus, la concurrence s’aiguise au fur et à mesure que le cœur de l’économie mondiale glisse vers les pays à bas salaire d’Asie.

C’est donc une véritable guerre qui est lancée contre les travailleurs et les travailleuses de nos pays. Une guerre de classe d’une brutalité qui semblait jusqu’ici réservée à celles et ceux des pays du Sud. Pour la mener, les patrons disposent non seulement de leurs énormes moyens économiques et du contrôle des grands médias, mais aussi du pouvoir politique: les gouvernements, la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, le Fonds Monétaire International, les partis politiques,...

Une gifle

Dans notre pays, tous les partis représentés au parlement, sans exception, sont convertis au néolibéralisme. Tous reprennent les thèses patronales, tous s’aplatissent devant les diktats de la finance, des grandes entreprises et des agences de notation. Le soi-disant « équilibre » des mesures est un leurre. Les organisations syndicales l’ont dénoncé : il suffirait de lutter vraiment contre la fraude fiscale pour récupérer 20 milliards par an. Pour ne pas parler des intérêts notionnels (5,4 milliards/an), des réductions de cotisations sociales (8 milliards/an), des nombreuses aides publiques sans contreparties d’emplois et du fait que les grandes entreprises ne paient presque pas d’impôts…

Dans les faits, la politique à tous les niveaux est dictée autoritairement par le pour cent de la population qui possède les richesses, et dirigée contre les 99% qui n’ont que leur travail pour vivre. C’est ce pour cent qui « entraîne les citoyens à l’abîme. »

La réforme des fins de carrière sans réel débat parlementaire et sans concertation avec les organisations syndicales montre où le gouvernement veut en venir. C’est une gifle à deux millions et demi de travailleurs et de travailleuses syndiqué-e-s et à leurs organisations. C’est donc une gifle à la démocratie sociale et économique, et par conséquent à la démocratie tout court.

Des prétextes

Le déficit budgétaire est un prétexte. Un prépensionné coûte en moyenne 500€/mois de moins à l’Etat qu’un chômeur âgé, car il y a paiement de cotisations sociales.  Or, un travailleur de plus de 55 ans qui perd son emploi devient « chômeur âgé ». Où sont les économies projetées ? Même chose pour les mesures contre les chômeurs, particulièrement les jeunes et les femmes. Ici aussi les économies budgétaires ne sont qu’un prétexte : les exclu-e-s des allocations se retrouveront au CPAS. Encore une fois : où sont les économies ?

La dette est un prétexte. Depuis 2008, l’Etat a sauvé Fortis, Dexia, etc. Ce « sauvetage » n’est rien d’autre que la transformation en dette publique des dettes privées que les capitalistes ont accumulées et qu’ils refusent de payer. Selon la Cour des comptes, la collectivité y a déjà perdu 17,6 milliards. L’affaire n’est pas terminée, car les garanties publiques accordées aux banques (pour leurs titres toxiques) se chiffrent à 130 milliards  (40% du PIB !). Il en résulte un alourdissement de la dette,… qui fait baisser la note de la Belgique… et grimper les taux d’intérêt.

Le  vieillissement est un prétexte. Le gouvernement et le patronat invoquent l’allongement de l’espérance de vie. Selon eux, il faudrait travailler plus pour pouvoir payer les pensions. C’est un mensonge pur et simple: d’abord parce que l’espérance de vie diminue aujourd’hui dans plusieurs pays européens (pour la première fois depuis des générations !) ; ensuite parce que la hausse de la productivité du travail est bien suffisante pour payer les futurs pensionnés. La vraie question est : à qui bénéficient les gains de productivité du travail ? aux actionnaires, sous la forme des profits supplémentaires et de la privatisation du système de pension ? ou aux salarié-e-s, sous forme de solidarité et de réduction du temps de travail ?

Derrière ces prétextes, les mesures du gouvernement Di Rupo contre les jeunes, les femmes, les moins jeunes et les sans-emploi ont des buts cachés :

- imposer aux jeunes et aux femmes les conditions d’exploitation que le patronat veut généraliser demain à toute la classe ouvrière (c’est-à-dire celles de nos arrière-grands-parents) ;

- appauvrir encore plus les chômeurs et les chômeuses afin qu’ils acceptent n’importe quel boulot ;

- allonger le temps de travail afin que les patrons puissent augmenter la pression sur les salaires et les conditions de travail.

A ces mesures, il faut encore ajouter la privatisation des services publics rentables au profit du capital, et le démantèlement des autres au détriment des usagers. Le tout constitue une attaque sans précédent contre les acquis sociaux et les droits démocratiques.

Fin de la concertation

Les syndicats dans notre pays organisent un quart de la population et la grande majorité du monde du travail. C’est pourquoi ils ont toujours eu une influence politique. Grâce à ses « amis politiques » dans le PS et dans la Démocratie chrétienne, le syndicat parvenait à peser sur certaines décisions gouvernementales. Ce n’était pas la panacée, mais cela pouvait quand même limiter la casse pour les travailleurs et les allocataires sociaux.

Depuis le Pacte des Générations et le dernier Accord Interprofessionnel, cette pression sur les « amis politiques » était de moins en moins payante pour les travailleur(euse)s. Aujourd’hui, elle est complètement dans l’impasse.

Le gouvernement rompt brutalement la concertation. Il invoque la gravité de la situation, la pression des « marchés ». Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est une décision stratégique, pas un faux pas dû à l’urgence. Le gouvernement ne veut plus prendre en compte la voix des travailleurs et des travailleuses. Il ne veut même plus l’entendre.

Cette politique est menée par un gouvernement dont le Premier ministre se dit « socialiste ». La même politique anti-sociale est ou a été menée par les partis « socialistes » en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne,...

Il faut voir la réalité en face : le Parti Socialiste n’est plus un relais, ni même un « bouclier » protecteur dans le cadre de coalitions du « moindre mal »: c’est devenu un parti social-libéral, un parti « ami  du patronat ». Telle est la signification historique du fait que tous les parlementaires de la majorité, sans exception, ont voté la réforme des retraites largement inspirée des plans de la FEB.

Choisir l’opposition

Le syndicalisme est donc à la croisée des chemins. Soit il accepte la concertation bidon qui lui est proposée par le gouvernement sur les arrêtés d’application, soit il rompt aussi avec la concertation et se met dans l’opposition.

S’ils persistent à choisir la concertation, comme leurs directions le font depuis des décennies, les syndicats grappilleront peut-être quelques miettes ici et là. Mais il y aura peu de miettes, car les marges de manoeuvre sont quasi-inexistantes tant qu’on reste dans la logique néolibérale. Or, le gouvernement ne sortira pas de cette logique. En fait, les miettes éventuelles serviront seulement à désamorcer la contestation et à diviser les rangs syndicaux. C’est pourquoi nous plaidons pour la deuxième solution : l’opposition.

Face au choix stratégique du gouvernement, le choix d’opposition que le syndicat doit faire est aussi un choix stratégique. Il s’agit de tirer les leçons du fait que le « modèle belge de concertation » est mort et que les syndicats n’ont plus « d’amis politiques ». Souffler le chaud et le froid avec des mobilisations sans réelle préparation et sans lendemains, qui ne débouchent sur aucune victoire significative, cela fait le jeu du gouvernement, du patronat, de la droite extrême et des médias qui tirent à boulets rouges sur « l’irresponsabilité » des syndicats, excitent les usagers contre les grévistes, répandent le poison du racisme, etc.

Le choix de l’opposition n’a de sens que si l’opposition est résolue, avec un programme clair, des objectifs intermédiaires et des moyens d’action à la hauteur. Il faut cesser de négocier à reculons, sur base du programme néolibéral. Le syndicalisme doit au contraire prendre du recul, informer en profondeur la population par une « Opération Vérité », pratiquer la démocratie interne la plus large et lutter pour imposer son propre programme antilibéral, donc anticapitaliste.

Avant tout, les syndicats doivent assumer qu’ils luttent pour une autre politique. Une politique fiscale qui fait payer les responsables de la crise. Une politique sociale qui supprime la misère et le chômage structurel de masse. Une politique démocratique qui vise le bien-être de la majorité de la population (belge et d’origine étrangère), pas les profits des actionnaires. Une politique écologique qui développe le secteur public pour répondre à la fois aux besoins sociaux et aux défis environnementaux.

Le syndicat doit assumer qu’il lutte pour une autre politique et que cette politique est légitime car elle répond aux besoins de ses affilié-e-s. C’est le point de départ pour oser défier le parlement et mobiliser le monde du travail autour d’un premier objectif immédiat : empêcher l’adoption des arrêtés d’application des mesures prises en décembre.

Cinq questions, cinq réponses

Nous sommes conscients des difficultés de cette stratégie. Nous souhaitons en discuter avec vous et vous exposer les moyens que la LCR propose pour les surmonter.

1°) Le grand « argument » du gouvernement est que la dette doit être payée. Selon nous, il faut contester cette affirmation. La dette est due aux cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises, ainsi qu’au sauvetage des banques. Une dette de ce type est ce que le droit international appelle une dette illégitime. Une dette illégitime ne doit pas être remboursée. Il faut un audit sur la dette et, en attendant, un moratoire sur le paiement. La Grèce paie pour les banquiers, et c’est la catastrophe sociale : les salaires moyens ont baissé de 40%. L’Islande a refusé de payer, par référendum, la population s’en porte mieux et il n’y a pas de catastrophe économique, loin de là : selon les prévisions de la Commission européenne, elle va faire le triple du taux de croissance attendu pour l’UE en 2012 (1,5%), et 2,7% en 2013 !

2°) Le patronat, les médias et les partis au parlement accusent le syndicat de sortir de son rôle, de se mêler de ce qui ne le regarde pas, de mettre la « démocratie » en danger, d’être « excessifs »,…  Selon nous, il faut répondre que le rôle du syndicat est de défendre les intérêts des salarié-e-s. Des organisations qui agissent pour les intérêts de deux millions et demi d’affilié-e-s sont plus légitimes qu’un gouvernement et un parlement qui capitulent devant des agences de notation agissant dans l’intérêt égoïste des gros actionnaires.

3°) Le syndicat est soumis à un chantage politique. On lui dit : « Ce gouvernement est celui de la dernière chance pour la Belgique. Si vous l’empêchez d’appliquer son programme, il tombera, la NVA gagnera les élections en Flandre, la Belgique sera encore moins gouvernable et elle éclatera». Selon nous, il faut répondre que c’est la politique néolibérale qui sème l’individualisme et le nationalisme. La solidarité dans la lutte pour une autre politique fera plus pour la coexistence démocratique des peuples, dans le respect de leur autonomie, que tous les accords entre politiciens néolibéraux sur la réforme de l’Etat.

4°) Un chantage du même genre porte sur la Sécurité sociale. On dit aux syndicats : « Si vous faites tomber Di Rupo, vous sabotez la dernière chance de sauver la sécu fédérale, dont l’avenir financier est menacé ». Selon nous, il faut répondre que la sécurité sociale n’appartient pas aux partis et à l’Etat, mais aux travailleurs et aux travailleuses. Elle doit donc être gérée uniquement par leurs représentant-e-s et cela ne regarde pas les politiciens néolibéraux. Ceux-ci mentent quand ils parlent de « charges sociales ». Les cotisations patronales sont du salaire indirect. Qu’on supprime les « réductions de charge », et l’équilibre financier de la Sécu sera garanti.

5°) Un autre argument de nos adversaires est de dire que le syndicat met en danger l’Euro et risque de casser l’Union Européenne, « gage de paix, d’amitié entre les peuples et de protection contre la mondialisation ». Selon nous, il faut répondre que l’Union Européenne est une machine de guerre contre le monde du travail. C’est sa nature, définie dans les traités européens, notamment le traité de Maastricht : « l’UE est une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». L’UE doit donc effectivement être cassée. L’UE ne rapproche pas les peuples, elle les divise en mettant les travailleurs en concurrence les uns contre les autres. L’alternative n’est pas le repli national mais une autre Europe, sociale, solidaire et généreuse. En cassant l’UE, en unifiant sa lutte avec celles des travailleur-euses de Grèce, d’Espagne, de France, d’Allemagne et de partout, le syndicat ouvrira la voie à cette autre Europe.

Alternative politique

Les syndicats n’ont plus de relais médiatique ni politique. Ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces, celles de ses deux millions et demi d’affilié-e-s. C’est une force considérable. Grâce à cette force, le syndicat peut imposer une autre politique. Mais ce ne sera pas possible avec un syndicalisme de commandement bureaucratique, ni dans un climat de concurrence entre organisations. Pour gagner, il faut informer et mobiliser les affilié-e-s en profondeur afin de mener un plan d’action allant jusqu’à la grève générale, dans l’unité la plus large entre organisations, entre secteurs, au Nord et au Sud.

Si le syndicalisme ne choisit pas la voie de l’opposition, il sera à la merci de la classe dominante. Celle-ci veut bien lui assurer un avenir, mais uniquement comme prestataire de services. Dans ce cas, on n’aura plus le syndicat avec lequel la classe ouvrière a lutté pour ses acquis. On aura  un pseudo-syndicat d’accompagnement de la politique néolibérale, voire une courroie de transmission avec laquelle le patronat et le gouvernement maintiendront la paix sociale. On en a déjà l’exemple, malheureusement, dans certaines entreprises.

Dans ce cas aussi, le balancier politique continuera d’aller encore plus vers la droite. Au bout d’un certain temps, un gouvernement de droite pure et dure viendra au pouvoir avec la force de s’attaquer carrément à l’organisation syndicale elle-même, comme le fait le nouveau gouvernement de droite en Espagne, le gouvernement Rajoy.

S’il choisit la voie de l’opposition par la lutte, s’il assume ouvertement qu’il n’a plus « d’amis » et qu’il lutte pour une autre politique, le syndicalisme ne doit pas seulement mobiliser les salarié-e-s : il doit aussi aller jusqu’au bout de sa logique et se poser la question d’une alternative politique.

Le syndicat ne peut évidemment pas se transformer en parti. Il doit rester indépendant de tout parti et continuer à représenter la masse des travailleurs, quelles que soient leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses. Par contre, le syndicat peut et doit favoriser la formation d’une alternative politique. Il peut et doit exiger de celles et ceux qui se réclament du monde du travail sur le terrain politique qu’ils s’unissent pour porter ensemble un programme de gauche. Il peut et doit exiger que cette alternative soit aussi fidèle au monde du travail que les partis actuels sont fidèles au capital.

Nous, LCR, luttons pour un programme anticapitaliste, internationaliste, féministe, démocratique et écosocialiste. Nous pensons que les directions syndicales portent une lourde responsabilité : leur politique de concertation a fait le jeu du patronat et mis le syndicalisme dans l’impasse. Nous proposons une autre politique, anticapitaliste : briser le pouvoir de la finance en nationalisant le secteur du crédit et celui de l’énergie.

Mais notre combat n’est pas séparé de celui du mouvement ouvrier. Nous n’avons pas d’intérêts différents de ceux de la masse des travailleurs et travailleuses. Ceux-ci sont en grand danger parce que le syndicalisme est en grand danger. Nous les appelons à la lutte. Nous serons en première ligne  à leurs côtés, pour défendre le syndicalisme et les acquis sociaux, pour imposer le rejet pur et simple du plan d’austérité du gouvernement. Et nous prendrons nos responsabilités sur le terrain politique. Si le syndicat le décide, nous sommes prêts à participer à la construction d’une alternative politique, un parti du monde du travail contre le capital.

La direction de la LCR, le 15 janvier 2012

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