Crise belge: quelques éléments de discussion pour un débat complexe
Par M. Lievens le Samedi, 08 Décembre 2007
La réforme de l'Etat est à la table de discussion de l'Orange-bleue et constitue une sérieuse pierre d'achoppement. Ce n'est pas moins le cas pour la gauche, et certainement pour ceux qui reconnaissent la légitimité historique du mouvement flamand, et le caractère imparfait de la réforme d'Etat réellement existante. Notre organisation a toujours plaidé dans le passé pour le fédéralisme, contre le capitalisme belge et son Etat. Aujourd'hui la Société Générale n'existe plus et si la bourgeoisie belgiciste n'a pas disparue, elle s'est notablement affaiblie face à une bourgeoisie flamande forte, ayant un projet de droite, ultra-libéral, afin d'appliquer au mieux ses recettes néo-libérale, recettes également présentes en Wallonie. Pour la gauche, cette situation ne doit impliquer ni la défense de la réforme d'Etat actuellement existante en Belgique, ni le mythe d'une Flandre indépendante.

Par M. Lievens

La Belgique n'est pas une exception. La réforme de l'appareil d'état est partout dans le monde à l'ordre du jour au moment où les espaces économiques et culturels coïncident de moins en moins avec l'Etat-nation bourgeois classique. Les forces productives s'internationalisent, la bourgeoisie a donc besoin d'un appareil d'Etat capable de réguler un plus grand espace économique. C'est là le rôle dévolu à l'Union européenne. En Belgique, un élément supplémentaire vient compliquer cette nécessaire re-dimension d'un appareil d'Etat national : le fait que la Belgique est un pays avec deux peuples, avec deux nations, dont l'une surtout a été historiquement opprimée au sein de l'Etat unitaire belge.

Le mouvement ouvrier est resté en grande partie en dehors de la lutte d'émancipation flamande. La stratégie anticapitaliste des réformes de structure et du fédéralisme a seulement connu un certain écho au sein du mouvement ouvrier dans les années '60, mais elle est restée minoritaire. La bourgeoisie a donc pu prendre elle-même, à partir des années '70, l'initiative d'une réforme de l'Etat correspondant à ses propres intérêts. Dans le contexte de l'offensive néolibérale,  la bourgeoisie flamande montante a opté pour privilégier la Flandre au détriment de la Belgique afin de mieux garantir ses intérêts. La bourgeoisie n'a jamais voulu d'un véritable débat démocratique sur la question. Le processus de réforme de l'Etat a donc commencé par en haut et à chaque étape, de nouveaux problèmes ont surgi, exigeant à chaque fois une nouvelle phase de réformes.. C'est pour cette raison, parce que le projet flamand actuel est un projet néolibéral, qu'il ne peut compter sur un véritable soutien enthousiaste parmi la population flamande.  Pas étonnant qu'il n'existe pas de mobilisation de masse autour de cette question aujourd'hui. La surenchère nationaliste - et même raciste - actuelle  tente donc de compenser ce manque d'engagement réel de la population.

Complexité

La situation présente est ainsi extrêmement complexe. D'une part, il faut reconnaître le droit des peuples à leur autodétermination, mais d'autre part la réforme d'Etat actuellement en vigueur et le projet néolibéral des principaux protagonistes risquent de miner les acquis essentiels du mouvement ouvrier. Qui plus est, le mouvement d'émancipation flamand s'est basé sur l'identité culturelle et la défense de la langue, alors que se pose aujourd'hui à l'ordre du jour la problématique de la pluriculturalité, du plurilinguisme et du métissage.

Les socialistes révolutionnaires ne peuvent pas se limiter à critiquer le type de politique (une certaine variante du néolibéralisme) qui menace d'être menée. Ils doivent aussi avoir une orientation sur la question politique proprement dite, c'est-à-dire celle de l'État (bourgeois) et des institutions démocratiques à l'intérieur desquelles le combat politique est mené dans une situation normale. Ce débat est difficile, aussi pour la gauche. Quelques lignes de force, pour la discussion.

1. L'éclatement de la Belgique signifierait un grand recul pour le mouvement ouvrier, dans le domaine des droits sociaux (sécurité sociale, droits syndicaux, …) qui seraient régionalisés, et subiraient en cours de route un destin funeste. Il y a à peine des stratégies sérieuses pour un éclatement, surtout vu le problème de Bruxelles. Nous agissons donc dans un cadre fédéral ou confédéral.

2. Reconnaître que la Belgique est un pays avec deux peuples implique la reconnaissance de la nécessité d'institutions démocratiques propres avec de réelles compétences pour cela, éventuellement même élargies. Le principe de subsidiarité (le plus possible au niveau le plus bas) peut ici jouer à plein.

3. Tout ce qui est en rapport avec les droits sociaux, ne peut par définition pas être régionalisé. Les droits doivent être universels et égaux pour tous. De même que la régionalisation du droit à la libre expression serait un non-sens, cela vaut aussi pour les droits sociaux. Ceux-ci devraient plutôt être européanisés.

4. La globalisation a changé le monde, aussi chez nous. Le mélange des cultures et le plurilinguisme sont de sérieux défis, aussi pour les socialistes. Le renversement du capitalisme devra être l'œuvre d'un mouvement ouvrier interculturel, plurilingue. Cela dépend aussi, à l'intérieur du camp des travailleurs, du développement de relations égalitaires entre groupes linguistiques et culturels. Aujourd'hui nous en sommes loin. Très peu de francophones connaissent le néerlandais. À Bruxelles moins de 50% des habitants est francophone d'origine et la première langue d'une majorité de Bruxellois est le turc, l'arabe, le berbère ou encore une autre langue. Le mythe de droite d'une Flandre monoculturelle et unilingue ignore la diversité réelle de la population.

5. C'est surtout à Bruxelles que l'ignorance de cette réalité plurilingue et multiculturelle se fait sentir. Bruxelles est en un certain sens le lieu d'une guerre de positions entre les communautés flamande et française, où la communauté flamande, avec tout son argent et ses projets de prestige, tente de compenser la faible présence des Flamands dans la capitale. La communauté flamande se soucie de défendre les Flamands de Bruxelles. La communauté française fait la même chose avec les francophones de la périphérie. Nous avons une sorte de droit du sang où les institutions se basent sur leur prétention à occuper le terrain hors de leur propre territoire unilingue, se basant constamment sur leurs avant-postes. Cette logique bicommunautaire à et autour de Bruxelles grippe la situation et mène à une méconnaissance totale de la diversité réelle.

6. Là aussi les règles sont souvent foulées aux pieds, les Flamands ont quand même de réels droits institutionnels à Bruxelles. L'égalité formelle ne résout pas tout. Dans des rencontres entre francophones et Flamands on parle encore quasi systématiquement le français. Cela, le déroulement antidémocratique de la réforme de l'État, et la difficulté à parvenir à une réelle volonté démocratique dans ce pays (la perception que tout est bloqué du fait de l'autre partie du pays) tout cela fait que cela reste inachevé dans l'esprit de beaucoup de gens.

Dans ce contexte de relations ressenties comme inégalitaires la résistance contre le déplacement de la frontière linguistique est très importante. En même temps  il est aujourd'hui impossible de rester attachés à des entités monoculturelles et unilingues. Et il est faut donc un autre critère que l'appartenance à la communauté flamande ou française pour avoir des droits. Ce critère c'est le droit du sol : toute personne qui se trouve sur le territoire, doit pouvoir jouir des droits et libertés, y compris les divers droits culturels pour les minorités qui parlent une autre langue.

Ce principe doit être appliqué en Flandre où le grossissement du Bruxelles réel menace d'entraîner plus d'afflux de francophones: tant que les rapports de langues restent si inégalitaires, l'annexion de grands territoires de la périphérie de Bruxelles ne fera que renforcer la francisation. Donc oui à un paquet de droits linguistiques et autres pour les minorités d'autres langues et d'autres cultures en Flandre, mais non à une pression systématique sur la frontière linguistique tant qu'il n'y a pas de relations égalitaires entre les langues. Pas d'élargissement du territoire bilingue (que nous préférerions voir multilingues) sans une pratique réelle et égalitaire du plurilinguisme et de l'interculturalité.

Mais il faut surtout faire attention à Bruxelles, pour rompre avec la logique bicommunautaire, et reconnaître institutionnellement la diversité réelle des Bruxellois. Les Bruxellois doivent déduire leurs droits du fait qu'ils habitent sur le territoire de Bruxelles, non du fait qu'ils appartiennent à une des deux communautés.

7. Bruxelles et sa périphérie ne sont pas seulement importants du fait de cette sorte de questions de langue. Les problèmes économiques de Bruxelles pèsent beaucoup plus lourd, même si il en est à peine question dans les négociations gouvernementales. Le problème est que Bruxelles comme troisième région - avec tout un paquet de compétences économiques, d'infrastructure, de mobilité etc. - est limité au tout petit territoire de 19 communes, qui ne recouvrent pas l'espace économique réel de Bruxelles. Une vraie politique socio-économique pour Bruxelles (avec ses problèmes de mobilité et son taux de chômage élevé par exemple) reste donc à faire.

Cela signifie que ces compétences régionales doivent pouvoir être exercées sur un plus grand territoire: ou bien la région de Bruxelles (pas nécessairement le territoire bilingue ou multilingue) est élargie, ou bien un certain nombre de compétences sont prises en charge à un niveau supérieur.

Voir ci-dessus